réflexions sur le 10 septembre

…On a vu insolence

Barbarie et traîtrise

Présenter la catapulte

Et tuer de sang froid

Ceux qui sont sans défense

Et les mains vides, oui

La lettre que j’ai reçue

Me demande de répondre

Je demande que cela se propage

Dans toute la population

Que la lion est un sanguinaire

A chaque génération, si.

Heureusement que j’ai ma guitare

Pour pleurer ma douleur

J’ai également neuf frères

En plus de celui qui s’est fait emprisonner

Les neuf sont communistes

Avec la faveur de Dieu, oui…”

Violeta Parra

À propos de la journée du 10 septembre, essayons de formuler quelques réflexions à l’intention de nos camarades. Nous nous adressons à tous ceux qui, actifs dans les mouvements, les syndicats, les collectifs, les organisations, les partis, cherchent consciemment ou non, par leurs actions, à rompre avec la gauche bourgeoise, les mouvements réactionnaires de masse et l’État impérialiste français.

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Aujourd’hui, avec l’aggravation de la crise française (sur le front intérieur et extérieur) et l’économie de guerre qui l’accompagne (l’État impérialiste français a utilisé un véritable dispositif « militaire » contre les forces sociales mobilisées le 10 septembre), nous assistons à une accélération du processus de prolétarisation de larges secteurs de la classe moyenne et à une précarité sociale qui touche dans certains cas même la soi-disant aristocratie ouvrière, commençant à ébranler de manière toujours plus profonde les équilibres politico-sociaux considérés comme acquis depuis des décennies dans la démocratie impérialiste française.

Le 10 septembre a été fondamentalement une journée qui a touché les grands centres urbains, comme le confirme le nombre limité de drapeaux français, même d’un point de vue chromatique… Dans les métropoles urbaines, le poids de la petite et moyenne bourgeoisie est fort, mais le poids des masses populaires et du prolétariat arrive dans certains cas à « marginaliser » ces secteurs sociaux dans le jours de lutte. Cela ne signifie pas que la gauche bourgeoise n’existe pas, elle conserve fermement son hégémonie sur les organisations syndicales, associatives, etc. dans les métropoles urbaines. Cependant, le poids du prolétariat sans réserve et des très jeunes étudiants (prolétarisés dans la crise française), empêche la gauche bourgeoise de maîtriser complètement les mobilisations . C’est le poids de ces secteurs sociaux qui fait barrage à l’affirmation des mouvements réactionnaires de masse aujourd’hui en France.

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Les limites et les retards des mouvements sont physiologiques et reflètent les rapports de force entre les classes. Ce n’est certainement pas en criant des slogans « révolutionnaires » que les mouvements prennent des formes d’autonomie prolétarienne plus importantes. La « gauche prolétarienne » a essayé différentes approches, formes et pratiques dans différentes villes et situations. Cela ne doit pas être interprété de manière « stéréotypée » :

1) les « organisateurs » qui se plaignent de certitudes solides et tranquilles…

2) les « autonomes » qui confondent la faiblesse pour la force…

Nous sommes pour la centralisation, pour le « parti révolutionnaire », mais l’organisation, le programme et sa pratique même naissent de l’expérimentation, de la destruction, de la construction… on apprend la lutte des classes en la menant, pas en l’invoquant… Lénine écrivait ce qu’il fallait faire, pas ce qu’il fallait dire… Si, d’une part, la lutte contre la gauche bourgeoise (la soi-disant gauche de l’OTAN) doit être de plus en plus explicite, d’autre part, il faut dépasser une approche « infantile » et « conformiste » .

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Les forces politiques de la gauche française (FI, PCF, Verts, trotskistes, etc.) se sont montrées assez compactes dans leur soutien au 10 septembre. Il est singulier de constater que les « puristes » qui criaient à la « récupération » ont été assez rapidement réduits au silence, non pas tant par les « monstrueuses » bureaucraties, mais plutôt par le « bon sens » de centaines de militants qui ont compris les priorités de la journée du 10, plutôt que par des batailles verbales incohérentes…

Pour ceux qui se reconnaissent dans la gauche prolétarienne et révolutionnaire, la distance avec le parlementarisme est évidente, mais il serait tout à fait inutile de penser ébranler ce mécanisme par une bataille culturelle. Nous parlons en particulier des milliers d’habitants des quartiers populaires qui voient dans FI une barrière contre la violence de l’État français (islamophobie) ou une défense de leurs garanties sociales contre le déploiement de la précarité sociale. Selon nous, il est erroné de culpabiliser ces personnes, nous devons plutôt les presser et mettre au centre la question de la résistance, de l’impérialisme français, de ceux qui doivent exercer le pouvoir populaire. L’indépendance pour les communistes, et encore plus au sein de la métropole impérialiste, est fondamentale, compte tenu du poids de l’hégémonie exercée par la démocratie impérialiste, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille reprendre les vieilles formules des partis de masse. Penser créer un parti révolutionnaire de masse, c’est simplement ne pas se poser la question du monopole de la violence, de ce qu’est la résistance (du rapport entre la dimension politico-sociale et la résistance) et la contre-révolution dans l’impérialisme. Si la « révolution » est bonne, mais seulement dans un espace-temps infini… si la « révolution » est bonne, mais ne nuit à personne, elle ne sert à rien, au contraire, elle est le nouveau mais toujours ancien conformisme de la gauche bourgeoise revêtu de rouge…

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Les syndicats en France sont des structures de médiation, intégrées à l’État impérialiste, mais ils constituent néanmoins la forme « élémentaire » d’organisation, de dimension collective et de solidarité entre les travailleurs. Lors des manifestations du 10 septembre, les syndicats ont, comme toujours, joué le rôle de « pompiers », en utilisant toute une gamme de solutions : des services d’ordre contre tous ceux qui voulaient pratiquer des formes de résistance directe, à l’utilisation de la « musique » comme distraction de masse. Nous pensons que ce n’est pas un hasard si, devant les préfectures et les commissariats, les camions des syndicats dévoilent des dj.. Mais s’arrêter là serait trop réducteur. Des milliers de travailleurs syndiqués ont décidé de descendre dans la rue à une date comme celle du 10 septembre, principalement politique, et c’est un excellent signe pour tous ceux qui veulent organiser l’autonomie prolétarienne au sein des syndicats eux-mêmes. Organiser l’autonomie prolétarienne signifie : dépasser les « catégories », poser la question de la centralisation de la précarité sociale, mettre en évidence le lien entre le territoire et le lieu de travail, saisir les éléments politiques dans les revendications et les luttes sociales, rompre le compromis entre la classe et l’État, etc. La phase sociale que nous traversons lie de plus en plus les éléments économiques et sociaux aux éléments politiques, les références obsessionnelles à la guerre, à l’invasion, à la défense de « notre monde » ne sont pas sans rapport avec les changements qui interviennent dans l’organisation du travail et dans la production en général.

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Les mouvements et les cultures politiques du 10 septembre reflètent la phase que nous traversons actuellement. Il existe une véritable répulsion pour les mouvements réactionnaires de masse, pour la violence policière, pour le racisme de l’État impérialiste français, mais en même temps, il y a une soumission idéologique aux récits de l’ennemi. On crie « personne n’aime la police », on crie « nous sommes tous antifascistes »… mais personne ne s’indigne ou ne réagit lorsque la police entre et traverse les cortèges… Le simple fait d’évoquer la question du monopole de la violence met mal à l’aise…

Subir l’impérialisme, ce n’est pas seulement subir ses mécanismes économiques et sociaux, mais aussi ses paradigmes politiques. Les discours sur les révolutions colorées (l’horizontalité pacifique et démocratique au service de l’impérialisme…), la lutte comme une « fête », la neutralité de l’État, la diabolisation du socialisme (pouvoir populaire), la culture « néocoloniale » contre les pays et les peuples qui n’acceptent pas les paradigmes « occidentaux », sont autant de formes de propagande utilisées par l’impérialisme pour écraser et criminaliser la résistance directe des masses populaires et isoler la gauche prolétarienne…

Les nostalgiques des ronds-points n’étaient pas particulièrement présents ni satisfaits, car bloquer les métropoles signifie être flexible, mobile. Les jeunes qui ont mis la police à genoux pendant les jours incendiaires des émeutes avaient fait preuve de plus de sagesse politique…

La résistance doit être flexible, mobile, apparaître, disparaître, aussi rapide que la communication et les chaînes de valeur qui traversent les métropoles impérialistes.

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Il ne faut pas avoir peur d’affirmer que la lutte a un coût, que le sacrifice, le courage, l’héroïsme, la discipline sont fondamentaux dans la résistance, nous voulons détruire ce monde de merde, car nous portons dans nos cœurs un autre monde, qui ne parvient pas à naître parce qu’il est écrasé par un vieux monde de plus en plus malade et féroce… Nous ne sommes pas en « guerre », mais nous subissons leur « guerre », précisément parce que nous ne faisons pas la « guerre ».

Nous voulons être clairs, ce n’est pas une question d’esthétique ou de linguistique. La résistance au sein des métropoles des démocraties impérialistes est à construire. La composition de classe se présente dans un état de fragmentation maximale. La précarité sociale associée à une composition de classe de plus en plus multinationale, signifie de manière dialectique, une généralisation maximale. Nous invitons nos camarades à saisir les éléments de faiblesse et à amplifier les contradictions, plutôt que de penser à résoudre les problèmes du gouvernement français… La lutte des classes est un ensemble de différents facteurs et moments, interconnectés entre eux, mais tant que la résistance ne prend pas une dimension active, il est impossible de ne pas subir l’hégémonie inévitable de la gauche bourgeoise et de l’impérialisme en général.

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Au cours de l’année dernière, les seules mobilisations d’une certaine importance ont été celles en faveur de la Palestine, mais ces généreuses manifestations de solidarité n’ont pas réussi à créer un véritable mouvement de masse. Le soutien à la Palestine est massif, mais le conformisme de la démocratie impérialiste agit comme un somnifère, rendant ce soutien plus virtuel que réel. Il faut donc souligner que le 10 septembre a réussi à créer, dans certaines places et actions, un lien direct entre la Palestine et la métropole impérialiste française. Aujourd’hui, la Palestine est le centre du monde, car elle est le centre de la résistance à l’impérialisme. Car le drapeau palestinien est le symbole de la résistance pour le prolétariat multinational des métropoles impérialistes.

Notre Palestine est aussi sur les lieux de travail, dans les quartiers populaires, dans les écoles, dans les prisons…

Mettre la Palestine au centre, c’est refuser les sirènes chauvines des mouvements réactionnaires de masse, qui veulent déclencher une énième chasse aux sorcières et une « guerre entre pauvres » toujours plus cruelle.

Les actions et manifestations multiformes du 10 septembre doivent être saluées comme des formes authentiques de protestation populaire et, en tant que telles, elles doivent être soutenues. Cela aurait pu être plus, certes, mais c’est déjà important que cela ait été fait. La capacité des mouvements à tisser l’organisation de l’autonomie prolétarienne, la résistance et la lutte contre l’impérialisme (dans la bataille idéologique) sont pour nous des questions principale, qui doivent être prises en charge par les camarades qui se reconnaissent dans une gauche prolétarienne et révolutionnaire.

Supernova, revue communiste

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