Interview avec les travailleurs CNT-SO branche Nettoyage, Marseille

Supernova n.5 2024

Dans le local de la CNT-SO dans le 5ème nous rejoignons Safia qui fait partie de la branche Nettoyage, elle est déléguée syndicale. Ces dernières années, leur branche a été très dynamique. L’été dernier, ils ont mené les grèves des femmes de chambre de l’hôtel Marriott Prado, et celle des agents d’entretien de l’Agence Régionale de Santé (ARS). Elles ont été précédées par des grèves dans deux établissements Adagio (Vieux-Port et Saint-Charles) en 2022, au Novotel du Prado en 2020, et la fameuse grève de 167 jours à l’hôtel NH en 2019. Nous sommes également rejoints par Lara, employée de la CNT-SO qui commence par nous présenter comment la branche Nettoyage s’est formée.

LARA: Comment ça a été créé? En fait historiquement, c’est la CNT tout court. Elle a eu une scission à Paris en 2012. De cette scission, la CNT Solidarité Ouvrière est née; avec l’idée d’avoir des salariés juristes (et donc moi). Nous sommes partis avec une grosse partie des adhérents du nettoyage à Paris. Donc, c’est ça qui fait aussi qu’on s’est beaucoup développé dans ce secteur là, c’est qu’on avait déjà une base d’adhérents du secteur du nettoyage.

Aussi, dans nos statuts, il y a cette volonté de se développer auprès d’un public précaire.

En ce moment, il y a pas mal de campagnes sur les travailleurs dans le bâtiment pour les JO. On essaie de sensibiliser aux problèmes des travailleurs sans-papiers, dans la sous-traitance et aussi dans le bâtiment.

Et donc à Marseille ça a débuté en 2013 et voilà, on s’est pas mal développé; c’est le premier qui a démarré à Marseille et c’est toujours le plus important. La section est soit organisée par groupe d’hôtel, soit par hôtels, soit par employeur.Donc 250 dans le nettoyage et 50 dans l’inter-pro, je dirais.

SAFIA: J’ai commencé femme de chambre en 2012, après je suis passée à gouvernante…ça fait plus de dix ans que je fais gouvernante. C’est gérer l’équipe, les plannings, la gestion du linge, le stock de produits, des problèmes qui ne vont pas….

LARA: Safia, elle est aussi déléguée syndicale à Premium (entreprise de nettoyage en sous-traitance), elle a fait 10% aux élections dans son entreprise. Du coup là, son travail, c’est beaucoup plus animer la section Adagio qui est grosse. On a quand même énormément d’adhérents. Le Premium, c’est une entreprise où il y a presque tous les hôtels de Marseille pour rafler les marchés. Donc c’est Safia qui fait le lien , qui porte la voix du syndicat, qui explique quand on va peut-être faire une grève. Par exemple,avec Safia, on a fait pas mal de réunions de négociation avec l’employeur pour augmenter notre prime de fin d’année. Donc ouais, et c’est très très utile d’avoir Safia, surtout là, elle connaît tout ce qui est de la vie sur le site et dans l’hôtel, de cette façon, on peut mieux négocier.

Est-ce que tu peux me raconter comment tu as commencé à t’engager avec ce syndicat?

SAFIA: Ça a commencé avec une femme de chambre qui était au vieux port avec nous, qui a commencé à venir voir le syndicat. Et on a vu qu’avec elle en fait c’était fructueux parce qu’on avait des problèmes d’heures. Ils ne nous payaient pas toutes nos heures comme il fallait. Et quand elle a commencé et qu’on a vu le résultat de là, on s’est toutes syndiquées.

Dans le nettoyage en fait, souvent vous avez des appels d’offres pour changer de société, pour offrir un meilleur contrat au suivant. Et donc il y avait une société qui était venue et qui nous avait pas repris sous le bon format de nos contrats. Normalement avec l’annexe 7, ils doivent nous reprendre avec le même contrat qu’on avait précédemment. Sauf que les sociétés, quand elles arrivent, elles espèrent toujours tomber sur des personnes qui ne la connaissent pas. Ils ont bien essayé dans ce cas. Mais malheureusement pour eux, ça s’est pas bien passé pour eux!

Comment sont vos contrats dans ce secteur ?

SAFIA: Quand j’ai été dans mon premier hôtel, quasi toutes les filles étaient à 7 heures de contrat par jour. Quand j’ai changé d’hôtel; j’ai trouvé des filles avec des contrats de 4 heures!

LARA: Les contrats habituels des femmes de chambre, sont entre 80 et 130 heures par mois. Ça fait très longtemps qu’on fait des luttes pour avoir le temps plein; comme la dernière qu’elles ont fait à l’hôtel Marriott.

SAFIA: Nous avons notre personnel fixe et après il y a les saisonniers qui s’ajoutent aussi.

LARA: l’été il va y avoir les CDD saisonniers. Donc ça, c’est vraiment la catastrophe. c’est un dispositif qui permet de ne pas payer de prime de précarité à la fin. Donc c’est vraiment le pire contrat. Le Paillasson du droit du travail. Et puis à la fin de la saison, merci au revoir.

Donc, s’il y a une bonne partie qui travaille à temps partiel, est-ce que beaucoup d’entre eux ont deux emplois ?

SAFIA: Alors les trois quart non, parce que souvent c’est des mamans qui commencent à 9h parce que ça les arrange. Mais, elles ne peuvent pas rajouter d’heures parce que l’hôtellerie, c’est compliqué; on sait à quelle heure on commence, mais on ne sait pas quelle heure on ressort. C’est pire que la Sécu! Tout dépend de la journée de travail qu’on a; les chambres, dans quel état on va les trouver, est-ce que le client est vraiment parti tôt, etc.

LARA: Dans certains hôtels, elles n’ont pas de jour de repos fixe et elles ont de grosses variations avec des heures complémentaires qu’elles sont plus ou moins obligées de faire. On demande parfois des requalifications en temps plein aux prud’hommes en disant qu’elle est à disposition permanente de l’employeur; ça veut dire que normalement elle devrait pouvoir partir à 14h et faire un autre boulot ensuite, mais dans les faits, c’est pas possible.

Quelle est la plus grande tension entre les femmes de chambre et les patrons ?

SAFIA: les salaires.

Aussi, quand les heures ne sont pas prises en compte, ça fait rager les filles.

LARA: Nous avons négocié dans ces hôtels des salaires qui sont un peu plus élevés que la base.

le salaire le plus bas de l’heure, ça va être 11.75€ brut…. mais dans les hôtels où on a déjà fait un peu de grèves, ça va plutôt être entre 11.92€ et 12.13€ de l’heure.

Le métier s’exerce-t-il sur le long terme ou les agents changent-elles régulièrement ?

SAFIA: Avant, ça restait à long terme. Maintenant, de plus en plus il y en a beaucoup qui partent.

Il y en a qui sont retenus parce qu’il y a la barrière de la langue. C’est souvent des personnes qui viennent de l’étranger, qui ne parlent pas très bien français et qui n’ont pas le choix que de rester; surtout les mamans qui sont seules. Mais après oui, il commence à y avoir une évolution et je m’aperçois qu’il y en a beaucoup qui ne restent pas longtemps.Ça commence, on va dire c’est un début.

Et avez-vous beaucoup qui sont des étrangers?

SAFIA: Il y a que ça, oui. Elles sont obligés de rester parce que pour renouveler, il faut les contrats, il faut tout justifier, donc c’est contraignant.

LARA: Là j’ai une salariée, elle était un peu perdue dans son renouvellement, elle avait un titre de séjour de 10 ans, c’était sûr qu’elle allait être renouvelée. Ils lui ont direct demandé le lendemain du jour où ça expirait de prouver. Elle n’avait rien parce qu’elle était larguée. En fait, elle avait déjà reçu sa carte de séjour, mais son avocat a été nul; il ne lui a pas dit. Mais elle a été virée pour ça. Et voilà, en fait parfois les délais sont longs, et les procédures sont compliquées, et les avocats parfois ne font pas très bien leur travail non plus.

Et ce type de précarité supplémentaire dans la vie privée de vos membres, pose-t-il un problème pour apporter des luttes aux femmes de chambre ?

SAFIA: Non, parce qu’en fait, on a un très bon syndicat. Donc, quand il y a une grève, en fait, elles se servent de cette fameuse caisse de grève. En gros, la femme de chambre, après elle sait qu’elle n’a pas trop à s’inquiéter. Dans nos cotisations on prévoit toujours 1€ en caisse de grève, tous les mois. Tout le monde dans toutes les branches participe, donc c’est commun. Donc, quand il y a une grève, ils se servent de cette caisse. Et généralement, quand on fait des grèves, ça ne dure pas des jours, donc ça suffit amplement. Après souvent quand on fait des grèves, on ouvre des caisses de grève exprès pour que les gens puissent participer pour nous.

Est-ce que tu peux me décrire le rythme du travail de ce secteur?

SAFIA: C’est fatiguant ouais; enfin, elles ont du courage franchement, elles ont du courage. Nous avons une dame, elle a 57 ans. Elle me fait de la peine en fait. Elle n’a plus de force pour faire les chambres, elle ne voit plus rien. Dès qu’elle ouvre la fenêtre, elle se met à tousser. Et c’est dur pour elle. Mais nous ne pouvons pas soulever ce problème (que le rythme est trop acharné) car sinon nous risquons d’être licenciés. En plus, elle est toute gentille! Toute pleine de volonté.

Mais oui, beaucoup de femmes souffrent. Il y a un rythme qui est acharné, où la gouvernante – quand elle n’a pas de personnel et que c’est la pleine saison – est obligée de charger les femmes de chambre qui, malheureusement, n’ont pas le choix que de rester pour le faire.

Donc ça pèse, et le lendemain on recommence. Et les chambres, vous ne savez jamais comment vous allez les retrouver. Nous, c’est un appart-hôtel où il y a la cuisine. Pendant les vacances, c’est les familles, c’est le sable, c’est la catastrophe! Elles ont raison d’être fatiguées, parce que ça joue aussi qu’elles restent, elles font des heures (supplémentaires) et au final, il faut se battre derrière pour que ce soit payé. C’est fatigant pour elles. Et celle qui n’a pas de syndicat elle va attendre, et attendre et puis elle n’aura rien du tout.

…Une autre fois avec cette fameuse société PLD, ils avaient retouché nos contrats de manière à nous dire qu’on avait des jours de repos fixes. On avait un site fixe, mais ils sont arrivés en nous disant qu’à cause de nos jours de repos fixes, notre personnel serait amené à bouger sur plusieurs sites de manière à combler les trous en cas de manque. Quelque chose qu’on a totalement refusé. Donc, ça a été une grosse guerre avec eux. Qui a fait qu’après, ils ont décidé de partir! (Tout le monde au bureau rit).

Quels sont les impacts sur votre santé physique?

SAFIA: Moi, je suis fracassée! Déjà le fait de se baisser 15 fois… 40 fois, sous les lits, pour regarder la poussière et d’avoir les gestes répétitifs. J’avais eu un accident de travail au mois de mars. Tout ça parce qu’il y a un écart entre le sol du couloir et de l’ascenseur. On a des chariots, donc à chaque fois, il faut soulever. Jusqu’au jour où, en fait, mes deux roues se sont coincées entre deux rails et je me suis blessée au niveau du dos. J’ai eu le temps de me rétablir entre guillemets. Je reviens et c’est toujours pareil! On a mené des actions, avec les filles pour dire stop.

* C’est à ce moment-là qu’une autre membre de la section de nettoyage, Patricia, apparaît dans le bureau avec une attelle au poignet.

SAFIA: Patricia aussi, qui est là, qui fait partie de mon équipe, a eu aussi un accident de travail.

PATRICIA: Moi, je m’en charge de la chaufferie. Je prends du poids tout le temps avec les mains comme ça (elle fait un geste comme si elle soulevait quelque chose au-dessus de sa tête) pour mettre le drap en place et tout ça. Ce jour-là, j’étais en train de vider un chariot et j’avais pris un sac. Et en fait, ma main s’est retournée avec le poids du sac. Et comme quand tu prends le sac, tu l’entoures, je ne pouvais pas le lâcher. Voilà.

Après, j’avais la main hyper gonflée et tout. Et en fait, c’est un déchirement du tendon. Mais moi, la main, il me fait encore mal, il me fait encore mal…. et vers 9 mois plus tard, ils ont découvert une désinsertion du ligament et ils ont dit qu’il fallait m’opérer. J’ai été opérée et je bouge les doigts là. Mais ces deux là, je n’arrive pas trop à les bouger. J’ai encore mal . Je suis actuellement en train de reprendre d’anti-inflammatoires.

SAFIA: Ça fait quinze mois.

Les entreprises de nettoyage, essaient-elles d’empêcher l’activité syndicale ?

SAFIA: Oui j’ai eu ma tête mise à prix!( les rires emplissent le bureau)….Entre guillemets, comme je mène beaucoup d’actions.

En septembre 2022, on a eu la fermeture (de notre hôtel) au vieux-port.

Donc, on a placé tout le monde dans chaque site. Et au moment où je lui demande où va être mon affectation, personne ne me veut.

Donc, on me dit c’est bon, tu vas à l’hôtel Périer. J’y vais, et quand j’arrive devant, le directeur ne veut pas que je rentre. J’ai dit “comment ça?” Il me dit “non, interdiction pour vous de rentrer”. Bon, j’appelle ma responsable pour lui dire; “je fais quoi? Moi, je dois travailler sur site et le directeur, il me dit je n’ai pas le droit de rentrer!” Elle me dit “comment ça? Il ne veut pas? Ils étaient avertis que vous allez commencer là-bas.” Donc elle passe deux trois coups de fil. Elle me reprend au téléphone et elle me dit “bah écoute, si tu as des congés à prendre, tu peux les prendre.” J’ai dit, “je n’ai pas de congés, je suis censée aller travailler.” Donc elle me dit “Bah rentrez chez vous, je vous rappelle. On a une réunion avec le directeur Adagio.”

D’accord. Donc, j’ai attendu.

Elle me recontacte et elle me dit “Bah voilà Safia, il va falloir faire une rupture conventionnelle parce que personne ne vous veut sur site.”

À cette époque, j’avais un CDI, et en plus j’étais Représentant de la Section Syndicale (RSS).

Mais c’est pas possible!” J’ai commencé.“Ah non mais euh, Safia, vous êtes connue sur Marseille pour tout ce que vous avez fait, toutes les grèves.”

C’est là que sont intervenues mes collègues de la CNT et qui leur ont dit “vous avez obligation de lui trouver un poste sans quoi vous continuerez à la payer tout en étant chez elle.”

LARA: Au bout d’un moment, j’ai pété les plombs, j’ai envoyé des mails en mode ; ‘discrimination syndicale’ et tout.

SAFIA: Donc après ils ont réussi à trouver une solution. Je suis restée chez moi 15 jours, j’ai commencé à être malade… j’ai commencé à avoir peur, j’ai 4 enfants. j’ai dit attends, s’ils m’arrêtent, qu’est ce que je vais faire?! En plus, on me proposait, des belles sommes. Mais moi, la somme, ça ne remplace pas toutes mes années de travail!..C’est une des raisons pourquoi je suis là (avec le syndicat)

Parlez-moi de vos luttes

SAFIA: Au début, c’est assez impressionnant!

La première, c’était impressionnant parce que c’est la première. Ça veut dire qu’on s’affiche devant l’employeur, devant les autres salariés. On s’est dit putain, demain on va être mal vus, ils vont nous faire la misère! Il y a cette appréhension là. Donc on s’est dit est-ce que vraiment on va tenir le coup parce qu’on ne sait pas combien de temps ça va durer.

Parce que vraiment, enfin, on était tous dans le doute, on était toutes en retrait; mais il y avait ce petit côté de ce qu’on va avoir. Donc ouais, La première est forte.

Alors que maintenant on y va! Maintenant, c’est un rite de chaises. Je ramène même mes enfants. On met de la musique…

LARA: La glacière?

SAFIA: C’est ça!

LARA: La dernière qu’on a faite là, en fait la prime qualité va s’appliquer mais pour l’année prochaine, et pour cette année, il voulait pas nous donner grand chose en plus. Et ça traînait et tout. Et puis, à un moment donné, on s’est dit…

SAFIA: On en a eu marre en fait! parce que ça n’avançait pas, et on a dit on va faire une grève, juste histoire de marquer le coup. En plus on partait avec 3 hôtels.

LARA: Et l’employeur, il l’a su; je ne sais pas d’où ça vient la fuite, mais pour le coup, ça nous a servi. Parce que tout de suite les négociations sont revenues. On a eu presque tout ce qu’on voulait.

SAFIA: Quand on a commencé les premières grèves, c’est vrai que beaucoup avaient peur aussi de venir rejoindre le groupe et au fur et à mesure, quand elle lisait et qu’elle voyait ce qu’on gagnait… Tout de suite après, elles se sont senties un peu plus rassurées. Elles ont encore plus voulu rentrer dans le syndicat. Et maintenant, quand elles ont des problèmes, elles peuvent venir ici. Après, celui qui lit (cet article) et qui est intéressé peut toujours venir nous rejoindre.

La branche nettoyage se regroupe au local de la CNT-SO Rue Abbé Féraud dans le 5ème arrondissement de Marseille qui dispose de permanences du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 14h à 17h.

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