Migration, classe ouvrière et impérialisme

site web de Kommunistische Organisation (Allemagne)

La migration est l’un des principaux thèmes du débat politique actuel. La plupart des « arguments » ne sont pas nouveaux, mais constituent une reprise de la campagne « Das Boot ist voll » (Le bateau est plein) des années 1990. Au sein du mouvement de gauche, il existe d’un côté un courant libéral qui soutient la stratégie impérialiste de la migration en invoquant des arguments prétendument liés aux droits humains, et de l’autre, un sentiment croissant en faveur de la limitation de l’immigration, qui reprend de nombreux arguments de la politique dominante.

Nous allons exposer ici les raisons qui sous-tendent la migration et le discours sur la limitation. Nous commencerons par mettre en évidence la fonction de la migration dans le capitalisme et en particulier dans l’impérialisme. Dans les deuxième et troisième parties, nous classerons les mesures et les points centraux du débat actuel dans ce contexte. Dans la quatrième partie, nous aborderons brièvement le point de vue de la classe ouvrière.

Pousser à la fuite et à la migration tout en opprimant ceux qui ont fui n’est pas une contradiction, mais l’expression de l’objectif du capital : l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché, vivant dans l’insécurité et susceptible d’être soumise au chantage. L’humanisme hypocrite et les campagnes racistes ciblées sont des moyens utilisés pour imposer ces objectifs dans la société. La réponse de la classe ouvrière ne peut être que de se considérer comme une classe internationale, de défendre une véritable humanité et la solidarité de classe, et de lutter ensemble pour plus de droits et contre la politique impérialiste de guerre et d’exploitation.

1. Pourquoi la migration ?

Les raisons de la fuite et de la migration sont évidentes : la destruction de pays et d’économies entiers, l’oppression persistante d’une grande partie du monde, son enchaînement à la faim et au sous-développement. Mais la migration n’est pas seulement la conséquence de la politique d’oppression des pays impérialistes, elle joue également un rôle important pour l’économie de ces pays. L’afflux de main-d’œuvre bon marché et exploitable est essentiel pour diverses raisons. Cet aspect de la migration peut être qualifié de vol du potentiel de production des pays sous-développés.

Armée industrielle de réserve et parasitisme des pays riches

L’émergence du capitalisme s’est accompagnée de la séparation de la main-d’œuvre des relations féodales, des chaînes de la domination féodale et de la création d’un grand nombre de travailleurs salariés « libres », c’est-à-dire librement disponibles et exempts de moyens de production. Un nombre considérable de travailleurs ont été soit transportés par la force brute vers les lieux où l’on voulait les exploiter (traite des esclaves), soit contraints d’émigrer par la misère (Européens vers l’Amérique), soit recrutés sous contrat et employés en masse comme travailleurs salariés extrêmement mal payés (Chinois, sans lesquels le système ferroviaire américain n’aurait jamais vu le jour). Le XIXe siècle a été marqué par des vagues migratoires plus importantes qu’aujourd’hui.

Au stade impérialiste du capitalisme, la migration revêt une importance capitale pour le maintien du système d’exploitation impérialiste. Il s’agit là d’« (…) un élément caractéristique du développement du monopole d’État. Conformément à ses besoins d’exploitation, le capital fait éclater les frontières nationales ; il brise les barrières de la croissance démographique dans son propre pays et se crée, par des « règles de libre circulation » dans le cadre de l’intégration capitaliste et par le recrutement dirigé par l’État de main-d’œuvre provenant d’autres pays, le potentiel de main-d’œuvre nécessaire à son expansion économique ».[1]

Lénine a formulé ainsi le caractère historique de cette « migration particulière » : « Une telle exploitation des travailleurs mal payés des pays arriérés est particulièrement caractéristique de l’impérialisme. C’est précisément sur cela que repose, dans une certaine mesure, le parasitisme des pays impérialistes riches, qui corrompent une partie de leurs propres travailleurs en leur offrant des salaires plus élevés, tout en exploitant sans vergogne et sans scrupules le travail des travailleurs étrangers « bon marché ».[2]

Deux facteurs revêtent une grande importance pour les pays impérialistes en crise permanente : il faut absolument augmenter le nombre de travailleurs disponibles et, dans la même mesure, leur vulnérabilité et leur précarité, ce qui est lié à la demande accrue de main-d’œuvre. Il faut donc un apport permanent de main-d’œuvre bon marché, ce qu’on appelle l’armée industrielle de réserve. Elle se compose de travailleurs disponibles qui peuvent être rapidement mis à contribution puis rejetés. Elle a pour fonction de maintenir la pression sur les salaires en maintenant l’offre de main-d’œuvre à un niveau élevé.[3] Cette armée de réserve est le résultat direct de l’expansion et de la contraction du capital. Pendant les phases d’expansion, la demande de main-d’œuvre augmente, tout comme les salaires, et les profits diminuent. Dans ces phases, il est important de procéder à une « correction » en faisant appel à un grand nombre de travailleurs qui ne font pas partie du processus de production et qui, en raison de leur situation misérable, sont prêts à accepter n’importe quel travail. En période de crise, l’armée de réserve augmente fortement.

Du point de vue du capital, l’armée de réserve doit être aussi diversifiée que possible, c’est-à-dire composée à la fois de travailleurs qualifiés et non qualifiés. La partie migrante de l’armée de réserve est traitée différemment selon les lois et les statuts de séjour. Alors que l’immigration de travailleurs qualifiés doit être facilitée, celle des travailleurs non qualifiés doit être rendue plus difficile. Cependant, les travailleurs qualifiés ne sont pas très attirés par l’Allemagne, car les salaires sont relativement bas, par exemple dans le secteur des soins. Ce sont donc principalement les travailleurs non qualifiés qui sont condamnés à fuir et qui sont soumis à des pressions. L’armée de réserve comprend également les Allemands qui sont au chômage (temporairement ou à long terme). La majeure partie de l’armée de réserve est censée servir de tampon : en période de forte activité, ils sont intégrés dans le processus de production, puis rejetés en temps de crise. Ils doivent être prêts à tout moment, flexibles et susceptibles d’être soumis au chantage. Le fait qu’ils ne soient pas tous également susceptibles d’être soumis au chantage – les Allemands moins que les réfugiés – est en partie gênant du point de vue du capital, mais présente également des avantages, car il est possible de les monter les uns contre les autres et de toujours rappeler aux Allemands qu’il existe des conditions encore pires. Toutefois, une détérioration des conditions des migrants se retourne toujours contre les travailleurs allemands, même si ce n’est pas toujours immédiat et direct. Ainsi, l’introduction du travail « d’utilité publique », une variante douce du service du travail, a d’abord été mise en œuvre pour les réfugiés, puis étendue à tous les chômeurs avec les « emplois à un euro ».

Dans le contexte de l’exploitation accrue de la main-d’œuvre, il convient de mentionner le contexte général de la crise économique. Celle-ci se caractérise par des crises cycliques, mais aussi par une tendance persistante à la baisse du taux de profit. Dans ce contexte, la baisse des salaires revêt une grande importance, car elle constitue un moyen de contrer cette tendance à la baisse. La baisse des salaires accompagnée d’une augmentation de la productivité est une tâche permanente pour le capital et l’État. L’inflation, l’augmentation de l’armée de réserve et la détérioration des conditions de vie de l’ensemble de la classe ouvrière ne sont donc pas le fruit du hasard, même si elles sont souvent présentées comme des phénomènes naturels.

La situation du capital est précaire, car le problème du taux de profit a déjà pris des dimensions qui montrent clairement que la classe dominante n’est plus en mesure d’assurer l’existence de la classe opprimée. Le capital n’y parvient plus « seul » depuis longtemps, mais uniquement grâce à des prestations salariales supplémentaires versées par l’État (allocations familiales, salaires combinés de toutes sortes) et donc prélevées sur le fonds de reproduction des travailleurs eux-mêmes. Cela signifie que les taux de profit, en raison de la surproduction et de la suraccumulation, ne suffisent plus à couvrir les coûts de reproduction de la main-d’œuvre. Les allocations familiales, qui constituent de facto un complément salarial versé par l’État, en sont un exemple, car les coûts de reproduction de la main-d’œuvre comprennent la prise en charge des enfants. Sans allocations familiales, les salaires devraient augmenter fortement, ce qui réduirait encore le taux de profit.

La pression exercée sur les conditions de l’armée internationale de réserve revêt donc une importance particulière, ce qui établit un lien direct entre la politique migratoire et la politique étrangère impérialiste. Du point de vue des impérialistes, il faut empêcher le développement des forces productives dans les pays opprimés. Cela inclut l’augmentation de la valeur de la main-d’œuvre et la demande de main-d’œuvre qui, par conséquent, ne migre plus. La politique de guerre est, entre autres, une politique de recrutement de main-d’œuvre et, inversement, l’apport de main-d’œuvre est une condition préalable à la forte expansion de l’industrie de l’armement.

Du point de vue des pays impérialistes, il est important de maintenir de nombreux pays dans la misère et le retard afin de pouvoir exploiter la main-d’œuvre bon marché et réaliser ainsi des profits supplémentaires. Cela peut être réalisé par l’exploitation dans les centres impérialistes, mais aussi dans les pays opprimés eux-mêmes.

Travailleurs étrangers, travailleurs forcés, travailleurs immigrés

Pour le capital allemand, l’apport de main-d’œuvre a toujours été une question importante pour pouvoir développer et maintenir l’industrie d’exportation. Sous le fascisme, des millions de travailleurs forcés ont été déportés et exploités. Après 1945, des « travailleurs immigrés » ont été recrutés et, après 1990, un énorme mouvement d’attraction et d’exploitation de la main-d’œuvre a commencé. Les pays d’Europe de l’Est, désindustrialisés par la contre-révolution et disposant d’une main-d’œuvre bien formée et désormais totalement à la merci des entreprises, sont tombés victimes des entreprises allemandes, en plus des travailleurs de la RDA annexée.

Hannes Hofbauer explique dans son livre « Kritik der Migration » (Critique de la migration), globalement instructif mais en partie critiquable : « Le niveau des salaires joue ici un rôle souvent minimisé dans les médias occidentaux, mais qui est en réalité décisif. Alors qu’au milieu des années 1990, le salaire horaire brut moyen était de 44 DM dans les Länder occidentaux et de 26,50 DM en Allemagne de l’Est, il était compris entre 3 et 4 DM en Pologne, en Hongrie, en Slovaquie et en République tchèque, et de 1,40 DM en Roumanie. »[4] Dans le même temps, des centaines de milliers d’Européens de l’Est (et d’Allemands de l’Est) évincés du processus de production ont afflué sur le marché du travail allemand. Parmi eux, nombreux étaient ceux qui étaient en situation irrégulière, car leurs pays d’origine ne faisaient pas encore partie de l’UE. Les entreprises s’en accommodaient volontiers, car cela leur permettait d’économiser sur les dépenses sociales et de payer des salaires extrêmement bas. Sans cette main-d’œuvre illégale venue d’Europe de l’Est, l’industrie du bâtiment ouest-allemande, en plein essor après l’annexion de la RDA, n’aurait jamais pu connaître une telle expansion.

Alors qu’en 1993, le droit d’asile était de facto aboli, précédé d’une campagne intitulée « Das Boot ist voll » (Le bateau est plein), les grandes entreprises se réjouissaient de l’arrivée de centaines de milliers de personnes en situation irrégulière et d’autres Européens de l’Est au statut précaire. Par la suite, les réformes Hartz ont joué un rôle central dans la détérioration massive des conditions de l’armée de réserve et des couches inférieures de la population active. Parallèlement, la réduction des droits des réfugiés et l’augmentation de la mobilité de la main-d’œuvre au sein de l’UE ont également joué un rôle central. Les mouvements migratoires de 2015/2016 ont été utiles aux entreprises monopolistiques allemandes pour se procurer une main-d’œuvre bon marché et pour exercer une pression supplémentaire sur les États membres de l’UE afin qu’ils accueillent des réfugiés.

La question se pose de savoir si, du point de vue du capital, le taux de migration doit réellement être réduit, c’est-à-dire si l’armée de réserve doit être maintenue dans une certaine mesure. L’expansion du capital est une limite à la taille de l’armée de réserve. En cas de crise, lorsque de nombreux travailleurs sont licenciés et qu’une partie de l’armée de réserve ne peut plus être intégrée dans le processus de production dans un avenir prévisible, le coût de la subsistance de cette partie de la population risque de devenir trop élevé, ce qui obligerait à réduire le montant du minimum vital et/ou le nombre de bénéficiaires.

Fin 2019, la plupart des travailleurs étrangers en Allemagne, soit 4,9 millions, provenaient de pays de l’UE. Parmi eux, 863 000 personnes venaient de Pologne, 748 000 de Roumanie, 415 000 de Croatie, 360 000 de Bulgarie et 212 000 de Hongrie[5]. Ce sont des chiffres très élevés pour ces pays, dont certains sont petits. L’immigration nette (arrivées moins départs) s’élevait à 662 964 personnes en 2023. Elle était donc inférieure à celle de 2022, année où plus d’un million d’Ukrainiens avaient été accueillis. Mais en 2022 également, la plupart des immigrants provenaient (après l’Ukraine) de Roumanie et de Pologne, suivis de la Syrie et, à nouveau, d’un pays de l’UE, la Bulgarie. La majorité des migrants vivant en Allemagne ont des liens familiaux avec la Turquie, suivie de la Pologne et de la Roumanie.[6] En 2022, 92 291 personnes ont immigré de Syrie et un peu plus de 68 000 d’Afghanistan.

Les principaux réservoirs de main-d’œuvre pour le capital allemand sont l’Europe de l’Est, l’Europe du Sud-Est et la Turquie. Les travailleurs africains ou originaires d’autres pays non membres de l’UE jouent un rôle certes secondaire, mais non négligeable, notamment parce qu’ils sont moins bien lotis sur le plan juridique.

Voilà, en gros, le contexte général dans lequel il faut replacer le débat actuel et le durcissement des mesures.

2. Limiter et encourager à la fois

Le débat alimenté par les médias et le gouvernement semble contradictoire : d’un côté, une campagne pour la « limitation » est lancée et des mesures appropriées sont prises, de l’autre, la migration est encouragée et stimulée. Mais il n’y a là aucune contradiction, car il s’agit de garantir l’afflux d’une main-d’œuvre aussi vulnérable que possible au chantage. Il faut prendre des mesures qui détériorent les conditions des immigrés tout en faisant croire aux autres couches de la classe ouvrière que cela est fait dans leur intérêt, alors que cela détériore également leurs conditions de vie. Pour cela, il faut diviser, tromper et mener des campagnes.

Le racisme vient d’en haut. C’est l’une des constatations les plus importantes, même si elle est banale, qu’il faut faire. C’est précisément lorsque les attitudes racistes sont répandues dans la classe ouvrière qu’il faut souligner et mettre en évidence que le racisme est attisé par la classe dirigeante, ses gouvernements et ses médias, et qu’il est utilisé de manière très ciblée.

Dans le même temps, certaines fractions de la classe dirigeante se présentent comme ouvertes sur le monde et antiracistes. Les associations patronales veulent de la « diversité » et de grandes manifestations sont organisées sous les bannières des partis qui viennent de détériorer massivement les conditions des migrants. C’est de l’hypocrisie méthodique. Car il s’agit de faire passer la division et la détérioration tout en maintenant l’afflux de main-d’œuvre bon marché.

La campagne menée principalement à l’automne dernier par les médias et l’opinion publique pour légitimer et imposer des mesures plus strictes était une campagne orchestrée et planifiée – non pas par l’AfD, mais par le gouvernement et les médias. Pendant des semaines, on n’a parlé que des communes, des maires, des présidents de district et des ONG complètement dépassés. Ils ont eu largement la parole. Cela rappelait la campagne « Das Boot ist voll » (Le bateau est plein). Une vague de « Nous n’en pouvons plus » a déferlé sur le pays et ceux qui remettaient cela en question étaient présentés comme déconnectés de la réalité ou déconnectés de la réalité. On a complètement perdu de vue le fait qu’il est mensonger de prétendre qu’un pays riche comme l’Allemagne est dépassé par le nombre relativement faible de réfugiés.

Il manque des logements, des piscines, les écoles sont vieilles et délabrées, et cela sans les réfugiés. Mais si le gouvernement peut prétendre que tout cela est impossible à gérer à cause des réfugiés, il peut continuer à investir dans l’armée et dans les caisses des entreprises. Le Michel allemand doit croire aux histoires effrayantes des réfugiés à qui tout serait donné, alors que dans le même temps, on leur prend jusqu’à leur chemise et qu’on les met dans des situations désespérées. Quiconque examine sérieusement les chiffres relatifs au manque de logements constatera que, même avant les années marquées par un taux d’immigration élevé (2015), il manquait déjà des centaines de milliers de logements, et que la raison en est tout simplement le manque de rentabilité de la construction de logements.

La campagne visait un objectif qui semble désormais inévitable : le renforcement des contrôles à l’entrée de l’UE, l’accélération des expulsions, la restriction du regroupement familial et l’introduction d’une carte de paiement.

La demande de limitation

Tous les partis réclament une limitation de l’immigration. C’est hypocrite à double titre : d’une part, parce que l’immigration est déjà limitée et impossible pour des centaines de milliers de personnes. D’autre part, parce que cette demande suggère qu’elle résoudrait le problème.

Beaucoup d’électeurs trouvent cette image séduisante : il faut fermer les frontières, et notre situation s’améliorera. Une illusion qui réjouit les responsables du chaos actuel. L’insécurité des conditions de vie, la paupérisation, la négligence des infrastructures publiques, la politique guerrière, la brutalité du débat public et des médias, le dépeuplement persistant de certaines régions du pays, en particulier à l’Est : ce ne sont pas les réfugiés ou une migration incontrôlée qui sont responsables de tous ces maux, mais le gouvernement, les entreprises et leurs intérêts.

Pour le capital, l’afflux d’une main-d’œuvre nombreuse est important, mais il est tout aussi important que celle-ci se trouve dans une situation précaire et vulnérable au chantage. L’objectif principal des mesures de « limitation » est de créer cette situation. Car les gens continueront de fuir la guerre et la destruction ou de quitter leur pays parce qu’ils n’y ont plus aucune perspective d’avenir. La « promesse » de limitation ne pourra donc guère être tenue. On pourrait rétorquer qu’il faudrait pour cela prendre les mesures adéquates, c’est-à-dire fermer systématiquement les frontières. Dans le contexte de l’agression impérialiste menée par l’Allemagne (tant sur le plan politique qu’économique), cette exigence ne peut que signifier une consolidation de ces relations d’exploitation et est manifestement inhumaine.

L’idéologie des « frontières ouvertes » sert également les intérêts du capital. Cela vaut pour les frontières des pays opprimés, que les pays impérialistes veulent bien sûr abattre afin de pouvoir inonder leurs marchés, déterminer leur politique et s’accaparer leurs terres et leurs matières premières. Tout le concept de « société ouverte » est une idéologie impérialiste. Le concept de « migration limitée et réglementée » l’est également.

Le débat sur la limitation fait donc partie de la détérioration de la situation des travailleurs, car toute difficulté d’entrée et de séjour augmente la pression sur ces personnes déjà opprimées. Ceux qui ont réussi à franchir le pas connaissent les difficultés et les souffrances. Ils ne feront rien qui puisse compromettre leur séjour et sont déjà habitués à endurer des conditions difficiles. Ceux qui ont un statut précaire acceptent n’importe quel travail. Ceux qui ont obtenu ce travail ne feront rien qui puisse le compromettre. Ils accepteront toute détérioration de leur situation, sinon leur famille dans leur pays d’origine en souffrira, car ils ne pourront plus envoyer autant d’argent. Il n’est sans doute pas nécessaire de décrire plus en détail la situation des réfugiés pour comprendre pourquoi chaque durcissement augmente la pression et comment cette pression profite uniquement aux capitalistes. Les travailleurs d’Europe de l’Est sont certes un peu mieux lotis, mais ils sont également très vulnérables au chantage, car il n’y a aucune perspective d’amélioration dans leur pays. Au sein de l’UE, il existe en outre de nombreux points faibles qui accentuent la pression sur ces travailleurs. Ils sont souvent exclus des dispositions légales de protection et des organisations syndicales. Les grèves des chauffeurs routiers d’Europe de l’Est à Gräfenhausen, en Hesse, en sont un exemple frappant. Si la plupart d’entre eux venaient de pays non membres de l’UE, de nombreux travailleurs polonais ou roumains souffrent toutefois de conditions à peine moins criminelles.

Le revers de la médaille

Nous aborderons brièvement ici l’argumentation du BSW, car en tant que parti social-démocrate, il défend une position particulière sur la migration. Son programme fondamental stipule : « Cela (les avantages de l’immigration, note PK) ne vaut toutefois que tant que l’immigration reste limitée à un niveau qui ne surcharge pas notre pays et ses infrastructures, et à condition que l’intégration soit activement encouragée et réussisse. Nous savons que ce sont avant tout ceux qui ne sont pas favorisés qui paient le prix d’une concurrence accrue pour des logements abordables, des emplois à bas salaires et d’une intégration ratée. Les personnes persécutées politiquement dans leur pays ont droit à l’asile. Mais la migration n’est pas la solution au problème de la pauvreté dans le monde. Nous avons plutôt besoin de relations économiques mondiales équitables et d’une politique qui s’efforce d’offrir de meilleures perspectives dans les pays d’origine. »

Il est vrai que le prix de la concurrence accrue est payé par ceux qui ne sont pas « du bon côté de la vie ». Outre le fait que l’on ne comprend pas pourquoi les réfugiés ne sont pas inclus dans cette catégorie, cette logique conduit à répondre à la concurrence accrue par l’expulsion et le durcissement des conditions de séjour. La concurrence ne doit donc pas être atténuée par la lutte commune de tous ceux qui ne sont pas du côté ensoleillé pour obtenir les mêmes droits pour tous, mais par l’oppression d’une partie de ceux qui sont dans l’ombre et donc, par le durcissement de la concurrence. Il s’agit en fait d’une astuce aussi simple que profondément illogique. La référence à des relations économiques mondiales « équitables » est une phrase creuse qui ne risque pas de se concrétiser. Au contraire, car selon le programme, l’Allemagne doit rester un site économique attractif et être soutenue. La détérioration de la situation d’une grande partie de la main-d’œuvre est justifiée par une promesse vide.

Arbitraire et délibéré

Le débat est dominé par l’idée qu’il existe une migration « irrégulière » et une migration « régulière » et que la première doit être combattue. Cela signifie que les personnes persécutées pour des raisons politiques obtiennent l’asile, tandis que les « réfugiés économiques » n’ont pas le droit de séjourner dans le pays, sauf s’ils répondent aux exigences de notre marché du travail et peuvent alors immigrer en tant que « travailleurs qualifiés ». C’est exactement le même argumentaire qu’au début des années 1990. Seul un nombre infime de personnes peuvent prétendre à l’asile politique. Un nombre un peu plus important sont les réfugiés de guerre reconnus, parmi lesquels on trouve les Ukrainiens, jusqu’à récemment les Syriens, et dans les années 1990 les Yougoslaves. Ce n’est pas le cas des Afghans. Il s’agit d’une décision arbitraire du ministère de l’Intérieur, qui repose plutôt sur des considérations politiques. Si l’on veut gagner en influence dans un pays, poursuivre des plans de renversement ou constituer et soutenir des forces politiques, les conditions d’entrée sont alors considérablement assouplies.

Lorsque des personnes fuient vers l’Allemagne, demandent l’asile, voient leur demande rejetée et obtiennent finalement un titre de séjour après de longues procédures épuisantes, on parle de migration « irrégulière ». Cela signifie simplement que les raisons de la fuite, telles que la faim, la misère et l’absence de perspectives, ne comptent pas. Ce système fait partie des mauvaises conditions et du chantage.

Le droit d’asile n’est pas pour les colonisés

L’inscription du droit d’asile dans la Constitution allemande résulte de l’expérience du fascisme et de la persécution des opposants politiques et des Juifs. À l’époque, très peu de pays les ont accueillis et ils ont donc été livrés aux camps de la mort. Le système d’asile européen était donc une conséquence de la Seconde Guerre mondiale et donc un acquis. Mais il s’agissait également d’un accord entre les puissances coloniales et les autres États impérialistes d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, et n’a donc jamais été conçu dans l’intérêt des peuples colonisés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Néanmoins, ce sont surtout des millions de personnes originaires des pays du Tiers-Monde qui ont dû faire valoir leur droit d’asile et leur droit de séjour au cours des 75 dernières années – et qui l’ont obtenu de haute lutte, contre la volonté des dirigeants. Des centaines de milliers de personnes l’ont payé de leur vie.[7]

La distinction entre « vrais » et « faux » réfugiés sert à attiser les tensions et n’a rien à voir avec la « légalité ». Du point de vue des droits humains et du mouvement ouvrier international, la faim, le chômage et la misère sont des raisons évidentes de quitter son pays. Tout aussi inhumaines sont les politiques de barrières frontalières, de refoulements et de camps, qui sont l’expression du même pouvoir qui détruit et opprime les pays et les économies. Du point de vue des dirigeants, cette distinction sert un objectif : les « irréguliers » doivent venir et rester « irréguliers » afin d’exercer une pression encore plus forte sur tous les autres.

3. À qui appartiennent les systèmes sociaux ?

À la mise en place de la main-d’œuvre des pays opprimés s’oppose la corruption d’une partie de la classe ouvrière dans les centres impérialistes. Celle-ci vise à garantir la domination politique du capital et à diviser la classe ouvrière nationale et internationale. Cette corruption joue un rôle important, notamment dans un contexte de pillage accru et de résistance croissante contre celui-ci. Dans le même temps, ce modèle de corruption semble être en crise politique et économique. Mais même si le potentiel économique de la corruption s’amenuise lentement, il continue d’agir. Le racisme et les idéologies libérales ne s’excluent pas seulement, mais peuvent aussi faire partie de l’intégration sociale-démocrate de certaines couches de la classe ouvrière.

Pour les communistes en particulier, la question centrale est de savoir quelle relation la classe ouvrière des centres impérialistes doit entretenir avec la classe ouvrière internationale.

L’injustice comme justice

Examinons brièvement cette relation à l’aide d’un exemple : la CSU et le BSW veulent empêcher « l’immigration dans les systèmes sociaux ». Qu’est-ce que cela signifie réellement ? Seuls les travailleurs en pleine forme, qui ne tombent jamais malades, ne connaissent pas le chômage et ne vieillissent pas, devraient-ils être autorisés à immigrer ? Ou seulement ceux qui cotisent plus qu’ils ne dépensent ? C’est évidemment absurde et cela ne peut donc pas être le but recherché. Il s’agit en fait de réduire, voire de supprimer complètement, les prestations accordées aux immigrés. C’est déjà le cas pour les immigrés originaires des pays de l’UE, qui ont plus de difficultés à percevoir l’allocation chômage II. La solution de la limitation a des raisons électorales, elle est simpliste et semble correspondre au sens de la justice. Mais à y regarder de plus près, elle est clairement injuste : les personnes qui fuient la guerre et la misère ne sont souvent pas immédiatement aptes à travailler et dépendent donc des prestations sociales. Du point de vue du capital, cela n’est toutefois pas sans importance, car, comme indiqué ci-dessus, la masse de main-d’œuvre manœuvrable ne doit pas devenir trop importante. La restriction des prestations sociales vise d’une part à maintenir le minimum vital et donc la limite inférieure des coûts de reproduction à un niveau bas, et d’autre part à réduire les coûts.

Mais il y a encore un autre aspect : les travailleurs qui viennent ici depuis les pays opprimés ont déjà beaucoup payé pour la richesse de notre pays par le pillage de leur pays et ont donc droit à une partie de cette richesse. Dans l’intérêt de la classe ouvrière internationale, il est nécessaire d’améliorer les conditions de vie et de travail de tous et donc d’augmenter les prestations sociales pour tous les travailleurs, et ce aux dépens du capital. Nos frères et sœurs de classe doivent participer aux droits acquis ici et à la richesse extorquée à leurs pays et à leurs peuples. Car il s’agit de droits acquis conjointement – conjointement par le mouvement ouvrier dans les centres et par les luttes de libération anticoloniales dans les pays opprimés et socialistes. Ces luttes sont liées et peuvent ensemble accroître la pression sur les impérialistes. Dans les années 1970, beaucoup étaient conscients du renforcement mutuel de ces mouvements. Mais ce lien doit être rompu par de nombreux mensonges idéologiques.

Reproduction gratuite

Il existe un autre aspect économique à prendre en compte dans l’examen des composantes étrangères de l’armée de réserve : leur formation et leur reproduction ont généralement lieu dans un autre pays et ne constituent donc pas un coût. Cela permet une nouvelle baisse des salaires dans les centres impérialistes, car le coût de la reproduction et de la formation y est plus élevé.

Lorsqu’une présidente de district de Thuringe annonce fièrement que la carte de paiement doit empêcher les demandeurs d’asile de transférer leurs prestations sociales dans leur pays d’origine, c’est une conviction issue de la méchanceté, car tout le monde peut imaginer que les familles vivent dans de mauvaises conditions. Mais cela exprime aussi le calcul des capitalistes, qui ne veulent rien payer pour la reproduction de cette main-d’œuvre opprimée. Ils veulent que d’autres pays et d’autres familles élèvent et forment en partie ces personnes, pour ensuite les exploiter ici.

4. Impérialisme et militantisme pour les droits humains

Dans la dernière partie, nous aborderons brièvement l’évolution du mouvement de gauche sur cette question et les conclusions qui s’imposent. Pendant de nombreuses années, il y a eu un mouvement antiraciste actif qui luttait contre les expulsions, le durcissement des conditions d’asile et le racisme. Il avait ses forces, mais aussi de nombreuses faiblesses.

La « Caravane pour les droits des réfugiés et des migrants », une alliance de réfugiés politiques, a souligné le rôle de l’impérialisme et a défendu avec force : « Nous sommes ici parce que vous détruisez nos pays. » La Caravane s’est opposée à l’agression et à l’oppression impérialistes, se heurtant à une forte résistance et à la réticence de nombreux antiracistes libéraux. Au début des années 2000, la migration a été en partie idéalisée par ces derniers comme quelque chose de positif qu’il fallait encourager, tandis que les réfugiés et les migrants auto-organisés dénonçaient le système brutal derrière la migration (il ne s’agit pas ici des « passeurs », mais des gouvernements et des entreprises qui détruisent les pays). L’idéologie libérale et les ONG ont largement sapé les positions anti-impérialistes, même si celles-ci connaissent un regain d’intérêt ces dernières années, qui s’exprime toutefois de manière contradictoire.

Le militantisme pour les droits humains a voulu exclure précisément les aspects anti-impérialistes et était prêt à accepter la logique de la migration impérialiste. Les exploiteurs, les oppresseurs et le système d’exploitation ont été de moins en moins dénoncés, ne laissant subsister qu’une apparence émotionnelle de « dignité humaine » que les dirigeants ont même pu utiliser pour donner une meilleure image à leurs agissements. C’est ce qu’expriment des carrières comme celle de Carola Rackete, qui a traversé la Méditerranée en tant que secouriste pour les réfugiés, approuvant ainsi la politique de guerre impérialiste. En fin de compte, la rhétorique superficielle sur les droits de l’homme a même permis de justifier les camps de réfugiés de l’UE aux frontières extérieures, car ils seraient une mesure plus humaine que celles exigées par la droite. Ce mouvement hypocrite et autoritaire a rendu l’humanité méprisable.

La position libérale comprend également le mythe d’un multiculturalisme hypocrite. La façade du « multiculturalisme » est censée masquer le fait que les migrants effectuent les travaux pénibles et mal payés, qu’ils sont délibérément maintenus à un niveau scolaire bas afin qu’ils ne soient « qualifiés » que pour ces travaux. Cela vaut tout autant pour les élèves allemands de l’enseignement secondaire général : eux aussi sont « intégrés » par le système scolaire allemand et la société, mais les migrants sont touchés de manière disproportionnée.

Les médias ont exploité les catastrophes humaines à des fins politiques. Certains ont réagi par un rejet général de l’humanité et de la solidarité. Cela a favorisé un certain économisme qui ne voyait que les aspects économiques de la migration et mettait l’accent sur les inconvénients économiques pour les pays opprimés.

À la glorification identitaire de la migration et des « frontières ouvertes », certains ont opposé une certaine compréhension des restrictions, arguant que celles-ci étaient également meilleures pour les populations des pays d’origine. Une position qui, en fin de compte, constituait une tentative apparemment élégante de se rallier au discours de la droite. L’humanité et le rejet de l’ignorance ont été ridiculisés et qualifiés de politique verte hypocrite.

La fermeture des frontières, la limitation de la prospérité locale et, par conséquent, la division de la classe ouvrière internationale ont été présentées comme des mesures raisonnables. Mais la vision du monde et le point de vue de la classe ouvrière internationale incluent bien sûr l’humanité et la solidarité, qui sont des éléments essentiels de la lutte des classes.

Incitations à la haine et race supérieure

Il existe un autre aspect du « débat sur la migration » qui est particulièrement promu par l’AfD, mais aussi, de manière plus classique, par la CDU ou par des forces libérales telles que le FDP, même si leur rhétorique diffère en fonction des groupes cibles. Les libéraux aiment voir les travailleurs endurcis par la fuite travailler pour eux, et ce sans broncher. Le darwinisme social est inhérent au libéralisme.

L’incitation à la haine contre les personnes vivant ici, par le dénigrement ouvert de la vie d’autrui et la défense de la mort aux frontières, n’est qu’une variante plus ouverte de cette même idéologie de la race supérieure. Les attitudes visées au sein de la population vont de l’ignorance à la haine. Les bandes nazies, mises en place et financées par les services de protection de la Constitution et autres, fournissent la dose de peur nécessaire. Dans le contexte de la « préparation à la guerre » contre la Russie, cette préparation idéologique ne doit pas être sous-estimée. Ceux qui doivent envahir à nouveau d’autres pays doivent se sentir supérieurs, qu’ils soient arc-en-ciel et verts ou simplement bruns classiques.

Classe ouvrière internationale

La classe ouvrière est une classe internationale, même si ses conditions de lutte sont déterminées au niveau national. Cela signifie qu’elle a un ennemi commun – la classe capitaliste, en particulier celle des centres impérialistes – et qu’elle doit lutter avec une stratégie commune. Cela signifie également qu’elle est soumise à un rapport d’exploitation économique commun par les impérialistes. L’oppression des uns sert à corrompre les autres et, en même temps, à intensifier leur exploitation.

Nous luttons ensemble contre la fuite des cerveaux, le débauchage ou l’expulsion de la main-d’œuvre des pays dépendants et l’exploitation brutale de la fuite par les impérialistes. Nous sommes parfaitement conscients que cette migration se fait au détriment des pays dépendants. Mais cela ne signifie pas que nous croyons un seul instant à leur démagogie « restrictive ». Nos frères et sœurs de classe des pays opprimés doivent bénéficier de conditions plus simples et meilleures et ne pas être contraints de vivre dans une situation encore plus précaire et plus exposée au chantage. C’est pourquoi nous sommes opposés à un durcissement, à une limitation et à une privation des droits des migrants, qui sont manifestement inhumains et brutaux.

Notre tâche est de mener ensemble la lutte contre l’exploitation et le chantage et de parvenir à une organisation commune des réfugiés, des migrants et des Allemands. Pour cela, de nombreuses difficultés doivent être surmontées. Nous devons comprendre cette lutte sur le plan politique et la mener contre la domination et les guerres des États impérialistes, c’est-à-dire les États-Unis, l’UE et leurs alliés. Cela a toujours été la réponse du mouvement ouvrier révolutionnaire, qui a pris depuis longtemps la bonne position sur la fermeture des frontières et la limitation de l’immigration.

de Von Philipp Kissel

Kommunistische Organisation

[1] Rüdiger Bech, Renate Faust, Die sogenannten Gastarbeiter (Les soi-disant travailleurs immigrés), 1981, éditions Marxistische Blätter, p. 12

[2] Lénine, Œuvres, tome 26, p. 155

[3] Marx explique brillamment la formation de l’armée industrielle de réserve dans le chapitre 23 du premier tome du Capital. Karl Marx – Friedrich Engels – Œuvres, volume 23, « Le Capital », tome I, septième section, p. 640 – 677, Dietz Verlag, Berlin/RDA 1968

[4] Hannes Hofbauer : Kritik der Migration (Critique de la migration), Vienne : Promedia Verlag, 2018, 113

[5] https://www.bpb.de/themen/migration-integration/regionalprofile/deutschland/328520/osteuropaeische-arbeitskraefte-in-deutschland-vom-spaeten-19-jahrhundert-bis-in-die-gegenwart/#node-content-title-3

[6] https://mediendienst-integration.de/migration/wer-kommt-wer-geht.html

[7] https://kommunistische-organisation.de/stellungnahme/solidaritaet-mit-zaid-heisst-kampf-dem-imperialismus-und-dem-kolonialen-asylregime/

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