supernova n.4 2023
La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 mars, a été initié par le mouvement communiste international il y a plus d’un siècle en reconnaissance du rôle central de la libération des femmes dans la révolution communiste. Contrairement au patriarcat, à la violence et la dégradation auxquelles les femmes sont confrontées sous l’impérialisme, là où le prolétariat, sous la direction des partis communistes, s’est emparé du pouvoir et s’est engagé dans la transition socialiste au communisme, des progrès considérables ont été accomplis pour surmonter l’oppression des femmes.
En 2022, sans États socialistes et avec une bourgeoisie ayant fortifié un régime efficace de contre-révolution préventive, les formes archaïques de patriarcat persistent alors que de nouvelles formes d’oppression des femmes ont été mises en place, aidées et encouragées par les nouvelles technologies de la bourgeoisie de la Silicon Valley. Une reconfiguration substantielle de l’oppression des femmes est en cours en Amérique du Nord depuis plusieurs décennies. S’appuyant sur la discussion, l’étude et l’expérience de nombreuses camarades, le comité éditorial de Kites présente ces notes sur l’oppression des femmes dans le capitalisme-impérialisme du 21ème siècle, axées sur l’Amérique du Nord. Notre contribution est écrite dans l’espoir de favoriser un débat et une discussion plus approfondis qui puissent théoriser plus pleinement les contours de l’oppression des femmes dans le présent et inspirer une réflexion stratégique sur la façon dont cette oppression peut être combattue et finalement surmontée par la révolution. Nous nous réjouissons des nouvelles contributions analysant l’oppression des femmes dans notre journal par des camarades à l’intérieur et à l’extérieur de nos rangs
Du mouvement féministe de la deuxième vague aux années 90 clintoniennes, en passant par le « retour de flammes »
En cette Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, nous nous trouvons à un moment où de nouvelles formes de domination patriarcale et d’assujettissement sont livrées aux femmes, enveloppées dans du rose millénaire, certifiées par des influenceuses girlboss et des gauchistes radicaux (via des slogans comme « sex work is work »). Ceux qui justifient et célèbrent ces nouvelles formes d’oppression des femmes n’ont même pas la dignité de résister et de renverser les formes plus archaïques et plus anciennes du patriarcat, comme la réglementation et le contrôle du corps des femmes, qui renaissent de plus en plus par des restrictions au droit à l’avortement aux États-Unis. En ce moment où de nouvelles formes de résistance sont désespérément nécessaires, l’idéologie postmoderniste qui définit la perspective mondiale de larges pans de la petite bourgeoisie occulte le fait que les femmes sont un groupe opprimé, désarmant les gens de la conscience dont ils ont besoin pour monter la résistance.
Comme Kites l’a écrit, le postmodernisme a pris de l’importance, puis est devenu hégémonique parmi les sections de la petite-bourgeoisie à travers le triangle sombre du milieu universitaire, des ONG et de la culture militante, d’où il s’est répandu de plus en plus largement dans la société, surtout à travers les réseaux sociaux. Le postmodernisme, en particulier son opposition véhémente aux projets universalistes visant à la libération, est devenu hégémonique dans un sol fertilisé par des décennies d’anti-communisme bourgeois. La montée du postmodernisme a supplanté les mouvements radicaux et révolutionnaires et la politique des années 1960 et 1970, y compris le mouvement féministe de deuxième vague qui avait remporté d’importantes victoires pour l’égalité des femmes. comme le droit à l’avortement et le refus d’un grand nombre de femmes d’accepter les limites de la « bonne » (c.-à-d. soumise) femme/mère/femme au foyer. Bien que la bourgeoisie n’ait certainement pas permis la pleine égalité des femmes dans la société impérialiste, elle a accordé de plus grands droits démocratiques-bourgeois et la participation d’au moins quelques sections de femmes en réponse au mouvement féministe (ainsi qu’en raison de ses propres nécessités économiques). Dans la pratique, dans les régions libérales et parmi les sections libérales de la bourgeoisie et petite bourgeoisie, les femmes ont commencé à occuper plus de postes de pouvoir et de prestige et ont été incorporés dans la main-d’œuvre professionnelle en plus grand nombre.
Alors que, dans une certaine mesure, les notions patriarcales de propriété sur les femmes et leurs corps ont été contestées et que des victoires juridiques et politiques, telles que le droit à l’avortement, ont été obtenues dans les années 70, ces victoires ont eu lieu dans le système capitaliste et par conséquent, les groupes de femmes qui étaient plus « libres » devaient faire concurrence sur le marché des relations commerciales dans une société encore marquée par l’oppression des femmes et l’inégalité entre les hommes et les femmes. La pensée et la pratique patriarcales chez les hommes n’ont pas été déracinées au cours des dernières décennies, bien que de nouvelles formes aient émergé et coexistent avec des formes plus anciennes. Ainsi, les femmes jouissant d’une plus grande liberté juridique et politique (démocratique-bourgeoise) ont été forcées de rivaliser au sein d’un système de relations marchandes marqué par le patriarcat, une contradiction qui a ensuite donné lieu à de nouvelles formes d’oppression des femmes que nous décrirons ci-dessous.
Passant des années 1970 aux années 1990 : En même temps que le postmodernisme gagnait l’hégémonie par le triangle sombre susmentionné, la bourgeoisie était occupée à rebattre les cartes. Avant l’effondrement de l’Union soviétique, l’alliance impérialiste anglo-américaine a été unie pendant plusieurs décennies dans un projet mondial d’opposition à l’Union soviétique, tant lorsque celle-ci était un État socialiste qu’après le milieu des années 1950 lorsqu’elle est devenue un social-impérialisme (socialiste dans le nom, impérialiste dans le contenu) qui était le principal rival du bloc anglo-américain pour la domination mondiale. À la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, la partie de la bourgeoisie américaine qui a fait front commun autour de Bill Clinton a estimé que la meilleure façon de devenir, puis de maintenir leur position comme la seule superpuissance était d’être à la tête d’une alliance multinationale, disciplinant les « États voyous » militairement par l’entremise de l’OTAN et économiquement par l’entremise d’instruments comme la Banque mondiale et le FMI.
Pour l’aile dominante de la bourgeoisie américaine dans les années 1990, le meilleur moyen de soutenir leur domination impérialiste était de projeter une image de force internationale bienveillante et progressiste, travaillant à promouvoir le développement, à arrêter les génocides et à défendre l’égalité des femmes. L’administration Clinton a fait appel à la première femme secrétaire d’État, Madeleine Albright, et a placé Hillary Clinton dans un rôle beaucoup plus important sur le plan politique que toute « première dame » de l’histoire des États-Unis. Sur le plan intérieur, c’était une période où la bourgeoisie américaine s’efforçait de diversifier ses propres rangs, en particulier dans les postes de direction du gouvernement, et exerçait le régime de contre-révolution préventive pour absorber ce qui restait de la politique radicale des années 1960. Pour vous donner quelques exemples de ce moment particulier, Hillary Clinton a pris la parole à une conférence des Nations Unies sur la condition de la femme, alors que Bill Clinton a chassé des dizaines de milliers de mères de l’aide sociale, faisant des mères noires des boucs émissaires, en particulier des « profiteurs paresseux ». Même pendant le procès de destitution de Clinton, dans lequel des éléments de droite ont utilisé le prétexte de Clinton ayant exercé sa position de pouvoir pour profiter sexuellement d’une jeune stagiaire, l’administration Clinton a maintenu le soutien de base des principales organisations de défense des droits des femmes, indiquant le succès du Parti démocrate à la cooptation de grandes sections du mouvement féministe.
La promotion, par l’administration Clinton, de valeurs libérales multiculturelles et des rangs de plus en plus diversifiés, bien qu’encore dominés par les blancs et les hommes, de la bourgeoisie et des couches de la petite-bourgeoisie coïncida avec les étapes finales de l’industrialisation en vertu de l’ALENA (accord de libre- échange américain) et d’autres politiques qui sont souvent qualifiées de « néolibéralisme ». Ces politiques, elles-mêmes répondant à la crise de la suraccumulation du capitalisme, ont eu pour conséquence que la classe et la position sociale de certaines sections de la population dans les pays impérialistes ont été minées, y compris les sections supérieures des travailleurs et les couches inférieures de la petite bourgeoisie qui ont longtemps été une base sociale stable pour l’impérialisme. L’extrême droite, qui a réussi à mobiliser ces segments de la population en particulier, mais pas seulement les blancs, en réaction à la façon dont la crise de la suraccumulation les a affectés, les pousse à s’en prendre aux femmes et aux autres groupes opprimés de la société. L’extrême droite fait un travail de propagande considérable pour dépeindre une vie idéalisée d’homme blanc bouleversée par les femmes, les personnes LGBTIQ, les nationalités opprimées, les immigrants, les musulmans, etc, choisissant le ou les boucs émissaires qui remplissent leur rôle du moment et la mobilisation d’une riposte sur cette base.
L’explosion de la conscience et de la mobilisation d’extrême droite ces dernières années a ses racines dans un sol déjà fécondé par des générations de mouvements sociaux revanchards de Goldwater à Reagan, de fondamentalisme religieux profond et de suprématie blanche. La mobilisation d’une base sociale réactionnaire pour défendre le patriarcat a une histoire profondément enracinée aux États-Unis, de l’opposition à l’Amendement sur l’égalité des droits, à l’opération fasciste chrétienne Rescue, du meurtre de médecins spécialistes de l’avortement, à Rush Limbaugh, l’animateur numéro un des talk-shows radio qui pendant des années, qualifie les femmes affirmées de « féminazies ». Ce que le moment Trump a réalisé, c’est le mariage unique de deux tendances distinctes (mais toujours liées) : la culture du viol fratboy1 (en particulier par une attaque contre la « cancel culture ») et les tentatives théocratiques de faire reculer la place des femmes dans la société. Parmi les trois personnes nommées par Trump à la Cour suprême des États-Unis, Amy Coney Barrett est une fervente catholique profondément engagée à affirmer la domination de la religion dans la vie publique (avec les conséquences qui en découlent pour les femmes) et Brett Kavanaugh a été accusé d’agression sexuelle et de participation à la culture du viol des fratboy. Cette Cour suprême est maintenant prête à restreindre considérablement le droit des femmes à l’avortement et leur accès à l’avortement, jusqu’à ce qu’elle puisse éventuellement renverser l’arrêt Roe vs Wade.
La lutte pour les droits à l’avortement comme concentration de la lutte pour la position des femmes dans la société
La lutte pour le droit à l’avortement a longtemps été une concentration de la lutte pour la position des femmes dans la société, c’est pourquoi les fondamentalistes chrétiens cherchant à réimposer l’autorité patriarcale masculine sur le corps des femmes ont essayé de fermer les cliniques d’avortement, assassiné des médecins, cherché à interdire l’avortement légal, et ont mené une campagne de propagande assimilant l’avortement au meurtre.
Depuis plusieurs décennies aux États-Unis, un compromis a permis à l’avortement de rester techniquement légal à l’échelle nationale tout en étant de plus en plus restreint dans les États républicains, avec l’accès à des fournisseurs d’avortement en fonction de vos finances et de l’endroit où vous vivez (les cliniques d’avortement sont pratiquement inexistantes dans les zones rurales et les régions dominées par le fondamentalisme chrétien).
Un renversement de Roe vs Wade par la Cour suprême des États-Unis serait un recul majeur pour la position des femmes dans la société, limitant davantage l’accès à l’avortement et encourageant de nouvelles vagues de lois répressives (et potentiellement enhardissant les justiciers meurtriers) et la poursuite d’un recul de l’accès à l’avortement.
La forme particulière de dictature bourgeoise et de démocratie aux États-Unis signifie que les juges fédéraux nommés par le président ont le dernier mot sur la légalité de l’avortement. En raison de cette particularité, à chaque saison électorale, les démocrates et les républicains ont tous deux un enjeu clé — la légalité de l’avortement — pour rallier leurs bases de vote et de dons (avec la menace « et si les tribunaux sont entassés de personnes nommées par l’autre parti? »). Le mouvement pro-choix mainstream a été largement complice de cet état de fait, attelant sans critique son wagon au parti des démocrates depuis plusieurs décennies.
Compte tenu de toute l’indignation justifiée de nombreuses femmes, surtout dans la petite bourgeoisie progressiste et libérale, à l’élection de Trump, il est trop révélateur qu’aucun des pro-choix et les organisations féministes qui sont devenus des appendices au Parti démocratique pourrait transformer cet outrage en un mouvement de résistance soutenue, avec la vague d’action éphémère autour de la marche des femmes de janvier 2017 facilement détournée vers les mécanismes de la démocratie bourgeoise. Revenons à l’automne 2021 et à la loi réactionnaire du Texas qui interdit effectivement l’avortement dans cet État et à un rôle de la Cour suprême qui laisse entendre que la Cour maintiendra et renforcera les restrictions juridiques et même interdira l’avortement dans de nombreux États au cours des prochains mois. Malgré l’indignation généralisée, aucune force politique n’a réussi à mobiliser une résistance de masse efficace. Les principales organisations pro-choix se sont rétrécies et n’ont même plus la capacité d’organiser des manifestations importantes, et l’accent mis par la gauche contemporaine sur l’« entraide » l’a conduit à se concentrer unilatéralement sur la collecte de fonds pour fournir aux femmes pauvres un financement leur permettant d’accéder à l’avortement comme alternative à la confrontation aux attaques de l’État bourgeois contre le droit à l’avortement (politique pacman + féminisme postmoderne = renoncer à lutter pour le droit légal à l’avortement).
À cela s’ajoute le fait qu’en raison de l’hégémonie de la politique identitaire postmoderniste et en l’absence d’un parti d’avant-garde communiste, il y a un profond manque d’agitation politique et d’organisation parmi les jeunes femmes en particulier et des classes populaires en général qui pourraient être mobilisées dans la lutte politique pour la défense des droits à l’avortement et contre toute réaffirmation réactionnaire du patriarcat. La croissance des mouvements sociaux d’Occupy Wall Street aurait pu créer une défense renouvelée de la pleine participation des femmes dans la société. Au lieu de cela, ils se sont avérés être un terrain fertile dans lequel former toute une génération dans la politique postmoderniste de déni de l’oppression subie par les femmes. Cette formation a été apportée aux mouvements sociaux par le biais du triangle sombre susmentionné du milieu universitaire, des ONG et de la culture militante, qui a imposé l’hégémonie de l’idéologie postmoderniste au sein des mouvements sociaux de la dernière décennie.
Puisque, pour les postmodernistes, l’oppression n’est pas générée par les relations de classe, mais par les interactions individuelles, ils mettent le fait que certaines sections de femmes peuvent participer à l’oppression d’autres comme problème principal au-dessus de la compréhension que les femmes sont opprimées en tant que femmes. Comme la plupart des politiques postmodernistes, cette analyse prend un aspect de la vérité (dans ce cas, le fait que les femmes des classes privilégiées dans les pays impérialistes bénéficient au moins de l’oppression et de l’exploitation d’autres personnes) et l’utilise pour obscurcir la relations de classe et sociales dans la société (dans ce cas, l’oppression de toutes les femmes en tant que femmes, comme en témoignent les nombreux scandales révélant le harcèlement sexuel et les agressions dans les universités d’élite et dans les échelons supérieurs des sièges sociaux). Les postmodernistes rejettent les conceptions communistes de l’oppression des femmes, et même les vues des générations précédentes de démocrates-bourgeois radicaux et progressistes, insistant sur le fait que les femmes ont besoin d’un « multiplicateur » supplémentaire (queer, immigrés, handicapés, etc.) pour être considérées comme opprimées.
Par exemple, dans certains milieux militants, il est devenu courant de supposer que les femmes blanches ne sont pas opprimées en tant que femmes. De façon typiquement postmoderniste, ce point de vue prend une expression particulière (dans ce cas, les phénomènes réels des « Karens »2) et l’interprète à travers le prisme des Jeux olympiques de l’oppression, plutôt que dans un contexte historique ou dialectique. De même, les « femmes blanches » en tant que catégorie monolithique sont souvent des boucs émissaires de l’élection de Trump en 2016, malgré le fait assez évident que différentes sections de femmes blanches votent de façon très différente les unes des autres, et le fait statistique que le pourcentage de femmes blanches qui ont voté pour Trump correspondait au pourcentage de celles qui ont voté pour les républicains lors des élections précédentes (et, selon cette méthode d’analyse, les hommes blancs, et non les femmes blanches, devraient être blâmés pour avoir fait élire Trump). De pair avec le blâme (franchement misogyne) contre les femmes blanches pour l’élection de 2016 de Trump et leur rétrogradation dans les olympiades posmodernistes de l’oppression, va une rétrogradation des hommes gays (en particulier les hommes gays blancs), qui ont atteint un certain niveau d’égalité dans les régions urbaines démocrates, et les blâmer pour l’oppression d’autres personnes.
En plus du fait que les femmes blanches et les hommes gays sont en fait « cancelled » dans les olympiades de l’oppression, les hommes noirs en tant que groupe ont reçu un traitement semblable de la part des postmodernistes, souvent stéréotypés comme hyper-masculins et homophobes, mettant de nouveaux habits sur la même vieille pensée suprématiste blanche. Aux fins de cette rédaction, il s’agit ici de la pensée postmoderniste des olympiades de l’oppression et du « discours de privilège », qui ne fait pas une analyse matérialiste des relations de classe derrière l’oppression, et qui ont utilisé la catégorie des « femmes blanches » pour nier que les femmes sont opprimées en tant que femmes.
Pour la foule éveillée (woke), la théorisation des femmes en tant que groupe opprimé a été remplacée par une fétichisation politique postmoderniste des personnes transgenres, non conformistes et non binaires, qui ont été élevées à la médaille d’or dans les olympiades de l’oppression, surtout lorsqu’ils ont des multiplicateurs d’identité (en d’autres termes, queer ou trans plus un ou plusieurs autres marqueurs d’identité opprimés). Pour être clair, les communistes s’opposent à toutes les formes de sectarisme, de chauvinisme, de violence et de discrimination juridique contre les personnes transgenres, et n’ont aucun intérêt à soutenir qu’une forme d’oppression est d’une plus grande importance morale qu’une autre.
Ce que nous critiquons, c’est comment le postmodernisme a déplacé les femmes en tant que groupe social opprimé et supplanté le patriarcat opposé, qui est à la base à la fois de l’oppression des femmes et de l’oppression des personnes qui ne se conforment pas aux rôles traditionnels de genre patriarcal, avec la poursuite d’identités toujours plus ésotériques, et opprimées. Philosophiquement, l’accent postmoderniste mis sur la « différence » en tant que catégorie sociale, en opposition à la conception communiste des relations matérielles d’oppression et d’exploitation, est à blâmer pour ce triste état de fait.
Le déplacement postmoderniste de la conception de l’oppression des femmes a conduit les postmodernistes à nier que l’avortement (et l’accès à la contraception) est un problème de femmes. Au lieu de parler de l’attaque contre les droits à l’avortement comme d’une attaque contre les femmes et leur liberté reproductive et leur autonomie corporelle, certains postmodernistes insistent sur le fait que ce qui doit vraiment être mis en avant est le fait qu’un petit nombre d’hommes transgenres peuvent tomber enceinte (et donc leurs droits à l’avortement doivent être défendus, ce qui est, bien sûr, vrai, mais est utilisé pour déplacer le fait que l’oppression des femmes est la force motrice derrière les restrictions sur les droits à l’avortement). Par conséquent, vous pouvez assister à certains rassemblements sur le droit à l’avortement et ne jamais entendre personne parler de l’oppression des femmes, au lieu d’insister sur le jargon éveillé comme « les gens avec un utérus », parce que dans la conception postmoderniste, l’aspect le plus crucial est le changement de langage pour être le.a plus éveillé.e.
Alors même que les postmodernistes ont déplacé l’analyse de l’oppression des femmes avec une fétichisation politique des personnes trans, ne défendant pas le droit à l’avortement dans le processus, ils n’ont pas non plus réussi à obtenir de nombreuses victoires contre l’oppression des personnes trans, mis à part peut-être quelques salles d’eau mixtes dans quelques enclaves de la petite bourgeoisie libérale. Beaucoup d’activistes postmodernistes sont principalement préoccupés par des affichages performatifs parmi les déjà convertis; par exemple, qu’est-ce que produit l’adoption de rituels d’éveil quasi-religieux comme les cercles de pronoms, si ce n’est que les nouveaux et nouvelles militantes des groupes activistes se sentent comme des outsiders? Pourquoi les gauchistes et les postmodernistes ont-ils lamentablement échoué à défendre Chelsea Manning, qui s’est vu refuser le droit de vivre en tant que femme et des soins médicaux adéquats alors qu’elle était emprisonnée pour avoir dénoncé les crimes de guerre de l’armée americaine?
Les personnes trans dans les régions où le fondamentalisme chrétien est dominant et les personnes trans qui sont des prolétaires continuent à faire face à des taux élevés de meurtres et d’autres crimes haineux. La fétichisation politique postmoderniste des personnes trans, la fluidité des genres et les pronoms n’ont pas réussi à opposer une résistance sérieuse aux causes profondes de l’oppression des personnes trans dans le patriarcat, en plus de renier la lutte pour l’égalité des femmes et les droits des homosexuels.
L’inversion des positionnements corrects et la montée de l’auto-sexualisation marchandisée
Donnant la priorité aux expériences subjectives d’un petit nombre d’individus privilégiés, les postmodernistes ont renversé les conceptualisations correctes du mouvement féministe de deuxième vague, ainsi que la vision communiste de longue date : la prostitution et la pornographie ne sont que des institutions d’oppression et d’exploitation des femmes. Les postmodernistes sont allés jusqu’à prétendre que la prostitution et la pornographie libèrent les femmes qui y participent, créant des hypocrisies révoltantes comme la « pornographie féministe » et le slogan idiot et réactionnaire « le travail du sexe est du travail ». (Idiot parce que c’est une tautologie et réactionnaire parce qu’il cherche à normaliser l’achat et la vente du corps des femmes pour la gratification sexuelle masculine).
Ils justifient ces affirmations en universalisant l’expérience du petit nombre de petites-bourgeoises qui travaillent dans le commerce du sexe (relativement) sans contrainte et dans des conditions relativement sûres, ignorant les masses de femmes et de filles victimes de la traite et de la prostitution, sans parler de l’impact social plus large du fait de traiter les femmes comme des marchandises à acheter et à vendre dans le commerce du sexe.
À cet égard, les postmodernistes ont fourni la justification idéologique pour que la bourgeoisie reconfigure davantage l’oppression des femmes au XXIe siècle. Les femmes sont maintenant plus libres que jamais de choisir leur propre oppression. Pour un groupe important de femmes de diverses classes, une « nouvelle » option est offerte : celle de développer son propre « capital humain » pour créer un avenir entrepreneurial, en mettant toute sa vie et son moi à la disposition du plus offrant, que ce soit à travers la culture « influenceuse », les conneries girlboss, ou l’une des inventions les plus odieuses du 21e siècle : OnlyFans. Toutes ces options embrassent l’échange froid de marchandises capitalistes et soutiennent le fantasme qu’il est possible pour toutes les femmes d’aller de l’avant dans ce système tant qu’elles sont prêtes à jouer le jeu.
Le féminisme Girlboss promeut la femme capitaliste réussie comme modèle auquel aspirer, et bien sûr, seules quelques femmes peuvent atteindre ce but, qui est un but capitaliste d’être une exploiteuse. Cela nous montre que la bourgeoisie est prête à accepter quelques femmes dans des positions de pouvoir, tant qu’elle peut les utiliser comme exemples pour inculquer la logique capitaliste à l’ensemble de la population.
OnlyFans est révélateur de la nouvelle tendance de l’auto-sexualisation marchandisée des femmes, rendue possible par les nouvelles technologies de la bourgeoisie de la Silicon Valley qui peut masquer l’exploitation sexuelle par l’indépendance du travail, être son propre patron, avoir la liberté de choix (même si ces nouvelles technologies ne sont que de nouvelles formes de proxénétisme et sont utilisées par les proxénètes de la vieille école). Normalisée sur les plateformes de réseaux sociaux, en particulier Instagram, ce qui est particulièrement pernicieux dans cette auto-sexualisation participative de masse est qu’elle a été défendue à tort comme une forme de libération des femmes.
Dans ces modèles et d’autres formes d’exploitation (y compris l’auto-exploitation) de l’« autonomisation des femmes », nous pouvons voir une oppression reconfigurée des femmes dans laquelle la bourgeoisie a trouvé plus de façons pour que les femmes possèdent leurs propres chaînes. L’hégémonie idéologique postmoderniste a laissé de nombreuses personnes, y compris celles qui participent à ce qui passe pour une politique « radicale » en Amérique du Nord aujourd’hui, mal équipée pour contester, voire reconnaître, ces nouvelles formes d’oppression. Ce n’est que récemment que la défense généralisée de la prostitution et de la pornographie chez les gauchistes en Amérique du Nord a commencé à recevoir des critiques de l’intérieur, dirigées par quelques femmes courageuses qui ont été victimes d’exploitation sexuelle et qui ont avancé une critique du « travail du sexe ». Il reste à voir si ces premiers pas prometteurs généreront une organisation collective et une mobilisation de masse qui cibleront la bourgeoisie du commerce du sexe et ses lieutenants et porteront sa critique du commerce du sexe plus largement dans toute la société, au-delà des cercles de gauche. En tant que communistes, nous avons la responsabilité d’exposer comment toutes ces formes nouvelles et reconfigurées de l’oppression des femmes sont ancrées dans le système du capitalisme-impérialisme, comment et pourquoi ce système doit être renversé, et renforcer les luttes contre l’oppression des femmes, y compris en les reliant à un mouvement révolutionnaire croissant.
Ce qui n’a pas changé… et nos responsabilités
Les femmes de toutes les classes font face aux menaces toujours présentes de violence domestique, d’agression sexuelle, de viol, d’abus, de harcèlement et de chauvinisme masculin de la vie quotidienne, à la maison, au travail, dans la rue, dans les bars, à l’église, etc. Ces expressions concentrées de l’oppression patriarcale ont, à divers moments, déclenché des formes aiguës de lutte, et ici nous saluons les sœurs militantes à travers l’Amérique latine qui ont construit des mouvements de masse et des organisations militantes face aux féminicides, la violence familiale et les disparitions de femmes et de filles. Aux États-Unis, une série constante de cas d’agression sexuelle très médiatisés a donné lieu à la brève explosion de #MeToo, qui a révélé la persistance du harcèlement sexuel et des agressions à grande échelle, et a mené à l’incarcération d’une poignée de grands coupables. Sans leadership révolutionnaire, et structuré de manière significative par le fonctionnement des médias sociaux et des médias grand public, la vague #MeToo s’est écrasé sur les rochers du scandale des célébrités et n’a jamais été autorisé à approfondir. Dans les cercles militants postmodernistes et gauchistes, où le harcèlement sexuel et les agressions se sont avérés pas moins répandus que dans la société en général, un problème secondaire a été de brouiller la ligne entre les violations du consentement (qui méritent une punition sévère) et les comportements qui, malgré les expressions des perspectives machistes du monde, n’ont pas violé le consentement et/ou commis de violence, et sont mieux combattues par des critiques acerbes et des méthodes persuasives visant à la transformation.
Plus profondément, #MeToo a été un exemple de la façon dont la reconfiguration de l’oppression des femmes a donné lieu à des conflits sociaux importants dans lesquels une plus grande liberté démocratique bourgeoise, pour certaines sections de femmes, se heurte à des pratiques patriarcales de longue date. Ce n’est pas un hasard si #MeToo a été adopté dans l’industrie du divertissement, où le harcèlement sexuel et les agressions ont trop souvent été nécessaires à l’avancement professionnel, et dans les entreprises professionnelles petites bourgeoises où les femmes ont pris des positions dans la main-d’œuvre qui, il y a des décennies, étaient largement réservés aux hommes. Nous pouvons nous attendre à ce que les conflits futurs naissent de la contradiction entre la plus grande liberté démocratique bourgeoise des femmes et le patriarcat de longue date, et les communistes doivent assumer la responsabilité d’intervenir dans de tels conflits avec des réponses révolutionnaires.
Sous le battage du féminisme girlboss et de l’auto-sexualisation marchandisée, la vérité fondamentale est que les femmes du prolétariat et des nations opprimées par l’impérialisme ne peuvent toujours pas trouver la libération sous ce système, et font face à une myriade de formes d’oppression. Malgré toutes les allégations selon lesquelles les États-Unis allaient libérer des femmes en Afghanistan ou en Libye, l’armée américaine est un cloaque d’agressions sexuelles, tant pour les femmes qu’elle abrite que pour celles qui entrent en contact avec elle. De plus, l’occupation de l’Afghanistan par les États-Unis a entraîné l’expansion du commerce du sexe (tout comme l’armée américaine l’a fait ailleurs), soumettant les femmes auparavant sous le régime taliban à une forme d’oppression différente mais non moins brutale.
Les frontières extractives de l’accumulation pour les sociétés pétrolières et les industries minières sont toutes faites avec les femmes et les filles autochtones victimes de la traite. Les femmes et les filles noires sont les cibles de prédateurs et de trafiquants qui agissent souvent en toute impunité sous la protection de l’État bourgeois, comme l’a récemment démontré le procès de R. Kelly et la « justice » de la bourgeoisie. Le système punit parfois même les femmes qui parviennent à combattre ces prédateurs, comme l’a révélé le cas de Cyntoia Brown. En outre, les femmes prolétariennes noires ont dû supporter le fardeau du programme d’incarcération des hommes noirs prolétariens que la bourgeoisie a placé sur les familles.
Camarades, nous avons de lourdes tâches devant nous. Pour la masse des femmes, être coincé entre Gilead et OnlyFans est un avenir sombre. Mais nous sommes confiants que si un peuple révolutionnaire commence à émerger, un avenir vraiment libérateur pour les femmes s’ouvrira. En Chine, où les relations sociales semblaient figées dans l’ambre et où les mariages arrangés étaient à l’ordre du jour, le peuple révolutionnaire sous la direction du Parti communiste a osé se lever et mettre fin à ces relations sociales. En supprimant non seulement l’ancien ordre féodal, mais aussi en mettant fin aux viols et aux agressions sexuelles et en vivant comme de nouvelles femmes et de nouveaux hommes, ils ont fait une réalité matérielle avec le slogan « les femmes tiennent la moitié du ciel » pendant les années socialistes de 1949 à 1976. En cette Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, inspirons-nous de leurs réalisations et tirons des leçons de la reconfiguration de l’oppression des femmes sous l’impérialisme capitaliste du XXIe siècle, avec une confiance stratégique dans le prolétariat et les masses de femmes cette oppression peut être éliminée par la révolution parallèlement à toutes les divisions de classe, les relations de production sur lesquelles elles reposent, et les idées et la culture qui les nourrissent et les renforcent.
Brisez les chaînes! Déchaînez la fureur des femmes comme une force puissante pour la révolution!
Kites, n.7, 2023 (Usa)
journal de théorie et de stratégie communistes
1 Il s’agit d’un terme désignant les organisations sur les campus américains qualifiées de « fraternités » pour les jeunes hommes et des « sororités » pour les jeunes femmes
2 Le prénom « Karen » est devenu une désignation en argot pour désigner des femmes blanches âgées racistes et sûres d’elles-mêmes, qui s’insurgent de tout, « veulent parler au directeur » et revendiquent des droits supérieurs aux autres.