Prolétaires dans la jungle métropolitaine

supernova n.3 2023

La ville et sa composition sociale est le leitmotiv de ce troisième numéro de Supernova. Comment alors intervenir dans le contexte urbain, dans une métropole impérialiste ?

La ville est souvent vue comme une jungle.

Un espace où le contrôle de la bourgeoisie est le plus capillaire, où les pulsions les plus brutales se manifestent, où l’individualisme, la bassesse et la violence humaines prennent le dessus. Provoquée par la forme capitaliste monstrueuse qui, dans une orgie de vitesse, d’argent et de « masse », rend les êtres humains semblables à des fourmis folles près d’un feu. Les banlieues sont pleines de contradictions, avec les constantes « guerres entre pauvres », où la délinquance et la drogue deviennent la norme pour vivre ou survivre, ou en subir les effets…

La ville où le contrôle policier (appareils technologiques, forces de police) est capillaire. La ville est un ensemble « interclasse » où, dans les banlieues mêmes, l’identité sociale est souvent intangible.

Cependant, la jungle n’est pas seulement cela. C’est aussi un réseau de collectifs et de communautés de lutte. C’est pour cette raison que nous présentons dans ce numéro de la revue diverses expériences, éloignées les unes des autres, mais qui dans leurs différences représentent des formes de lutte et d’organisation capables d’intervenir au sein de la jungle métropolitaine. Du sport au soutien internationaliste, de la lutte pour le bien public à la lutte contre la répression, de l’organisation des travailleurs précaires à la lutte contre la drogue dans les quartiers, etc. Où les prolétaires (salariés ou non) se donnent des formes concrètes d’organisation, et de travail collectif. Ces expériences ont des limites, des défauts, mais ce sont des formes concrètes d’expérimentation.

La ville n’est pas seulement la citadelle du pouvoir1, elle est aussi le terrain où le pouvoir doit organiser sa force, administrer sa force. C’est donc dans l’espace urbain que les contradictions du système se manifestent de la manière la plus frappante. Sa vitesse devient sa faiblesse, son gigantisme urbain es la forêt où les  » naxalites urbains  » peuvent organiser la résistance. La « dispersion » des prolétaires dans les chaînes d’organisation du travail d’aujourd’hui n’est qu’apparente, si nous considérons la concentration des prolétaires vivant à l’intérieur de la métropole aujourd’hui. Elle nous donne le périmètre sur lequel commencer à poser les bases d’une perspective révolutionnaire adaptée au contexte impérialiste et métropolitain actuel et aux rapports de force actuels entre les classes, dans un contexte marqué par des processus de crise de plus en plus évidents.

La principale méthode de travail des communistes est la ligne de masse. Cette méthode peut également être désignée comme la méthode consistant à diriger le mouvement des masses populaires2 en développant leurs initiatives de l’intérieur, à conduire (guider, diriger) les masses populaires vers le socialisme en les amenant à développer de plus en plus leurs propres initiatives. Évidemment, cette méthode repose sur le fait que les masses populaires tendent vers le socialisme parce que la situation objective, et donc leur expérience pratique, les y pousse ; c’est-à-dire qu’elle repose sur le caractère universel et le rôle principal assumé par la contradiction entre la nature collective du processus de production et des forces productives d’une part, et la propriété individuelle de celles-ci et l’initiative économique individuelle d’autre part.

L’attention portée aux formes de résistance qui se développent dans les métropoles impérialistes est une action essentielle pour une fraction des communistes qui décident d’agir dans ce contexte, car elle nous fournit une expérience et des exemples concrets d’organisation et de communautés de lutte. Le conformisme ou la passivité dominante qui  » domine  » à gauche ne nous permet pas de voir comment se dessinent les lignes et les connexions au sein de la métropole.

Les communistes éduquent et dirigent les masses populaires d’autant plus efficacement, largement et profondément qu’ils savent apprendre des masses populaires. Cette thèse est apparemment un jeu de mots. Elle devient claire et riche en contenu à la lumière de la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance et de la ligne de masse. Plus les communistes savent  » voir  » dans les initiatives des masses populaire, plus ils savent recueillir les idées éparses et confuses des masses et les élaborer, plus les lignes qu’ils apportent aux masses sont acceptées par elles, reconnues comme les leurs, mises en œuvre avec force et détermination, jusqu’à donner naissance à un mouvement que personne ne peut arrêter. Et au cours de cette mise en œuvre, les masses populaires s’éduquent avant tout par leur propre expérience.

Cependant, les masses populaires ne peuvent vaincre la bourgeoisie impérialiste que si elles sont dirigées par un parti révolutionnaire3 qui applique la ligne de masse. Sans un point de vue révolutionnaire (socialiste), il n’y a pas de lutte politique. L’intervention des communistes change qualitativement les initiatives des masses populaires, porte le mouvement des masses populaires à un niveau supérieur, apporte dans le mouvement des masses populaires des instruments qui leur permettent de développer leurs initiatives au-delà des limites dans lesquelles un « mouvement spontané » demeure, de les développer à un niveau supérieur.

Comme l’affirme clairement F. Engels en 1877, la théorie socialiste « apparaît maintenant (c’est-à-dire après que le premier soulèvement ouvrier a eu lieu à Lyon en 1831 ; de 1838 à 1842, le premier mouvement ouvrier à l’échelle nationale, celui des Chartistes anglais, a atteint son apogée) non plus comme la découverte accidentelle de telle ou telle tête de génie, mais comme le résultat nécessaire de la lutte entre deux classes formées au cours de l’histoire : le prolétariat et la bourgeoisie. »

Les masses populaires sont comme l’eau dans un immense bassin. Or les digues qui contenaient le bassin sont en grande partie corrodées. De quoi étaient faites ces digues qui, dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, ont maintenu les masses populaires en marge du mouvement politique des sociétés bourgeoises ? Le principal ciment de ces digues était la reprise et le développement du capital, la reprise de l’accumulation du capital et l’expansion conséquente du processus de production et de reproduction des conditions matérielles d’existence. Ce n’est que sur cette base, dans le cadre de ces conditions du capital, que pendant plusieurs décennies, le mouvement de revendication des masses populaires a pu obtenir des résultats par tous les moyens pacifiques. Une série de réformes qui ont permis aux révisionnistes et aux sociaux-démocrates modernes de l’emporter. Lénine, tant en ce qui concerne les formes de lutte que la relation qu’il émet entre le parti et la masse, affirme clairement que le parti communiste ne doit pas « inventer » quoi que ce soit, mais seulement « découvrir » ce qui est là. Il doit apprendre à voir ce qui est là, à le ramasser, à le rendre systématique et programmatique, à le nettoyer des scories qui l’accompagnent et à le diriger !

Etre communiste, agir en tant que communiste, c’est mettre au centre la question de la confrontation politico-militaire contre l’Etat impérialiste. Ce n’est pas simplement être plus à gauche dans les revendications syndicales ou dans la revendication de plus de droits… mais remettre en cause les centres mêmes du pouvoir. Pour ce faire, nous n’avons pas besoin de slogans ou de raccourcis existentiels, mais d’un travail scientifique d’analyse du présent, de nos ennemis, de nos amis possibles et des terrains où nous pouvons agir, afin d’accumuler force et expérience. Nous considérons qu’il s’agit là de l’une des principales tâches d’une fraction de communistes confrontés au problème concret de l’identification d’une stratégie d’action au sein de la métropole impérialiste.

Comme dans le numéro précédent, nous faisons un rapide focus sur la situation française.

Front intérieur : ces derniers mois, nous avons assisté à la lutte sur les retraites, qui s’inscrit dans un contexte européen de mobilisations économiques (logement, santé, énergie, etc.). Dans ce contexte, les mots d’ordre de la gauche sont souvent excessifs ou minimalistes. Chez ceux qui voient la  » guerre des classes  » à chaque manifestation, ou chez ceux qui  » minimisent  » la capacité de mobilisation et d’organisation des masses. La gauche réformiste et le populisme droite/gauche font de ces manifestations une défense du modèle d’identité sociale français, dans une tonalité patriotique qui conduit inévitablement à des affrontements avec la composition de classe internationale actuelle de l’État français.

Front extérieur : la perte de légitimité de l’impérialisme français sur le continent africain se poursuit, et il subit l’action politique de l’Allemagne quant aux choix de l’UE, soulignant son rôle de  » deuxième  » force principale au sein de l’UE4. Cependant, il faut souligner l’absence totale d’un mouvement anti-guerre et de remise en cause des politiques impérialistes françaises5 par les principales forces de gauche reformiste qui soutiennent, directement ou indirectement, la dimension impérialiste française.

Comme toujours, nous essayons dans Supernova de mettre la recherche scientifique socialiste au centre de nos rélféxions. Nous savons qu’il s’agit de sujets difficiles, et souvent considérés comme ennuyeux par les jeunes camarades, mais nous croyons que la lutte pour reprendre possession de la théorie marxiste est une bataille importante, et à bien des égards centrale : sans théorie révolutionnaire, aucun mouvement révolutionnaire.…

Dans ce numéro, nous posons le problème de la relation entre le travail vivant (les hommes) et le travail « mort » (les machines), à travers une traductions inédites en français : Pourquoi les machines ne créent pas de valeur ?. Il nous a semblé utile, précisément dans un numéro principalement consacré à la dimension urbaine, de remettre au centre les catégories de classes et de « valeur ».

Parler de la dimension urbaine, de la métropole, ne signifie pas réintroduire des catégories anciennes et inutiles comme celles des pauvres contre les riches, les dominés contre les dominants… Ceci est utile seulement aux intellectuels et au monde politique bourgeois (venant de droite ou de gauche), un moyen d’éviter de parler des rapports de production et des rapports de force entre classes.

Nadežda K

1 Là où se trouve le « cœur » de l’État.

2 Nous utilisons à cet égard le terme de masses populaires et non de prolétariat, car la stratégie des communistes considère le prolétariat comme la classe révolutionnaire au centre, mais est en même temps capable d’offrir une analyse et une action capables de diriger et d’orienter des portions plus larges de la société. La méthode léniniste nous enseigne que l’analyse de classe elle-même ne se réduit pas aux ouvriers et aux patrons, mais prend en compte les forces sociales magmatiques qui la composent.

3 Force politique-militaire

4 Il est amusant d’observer comment cette hiérarchie et les controverses qui en découlent reflètent la relation entre la France et l’Italie. L’Italie joue le rôle de « second » de la France.

5 Nous notons avec intérêt et solidarité les récentes mobilisations en Italie contre la guerre (le refus de charger des armes sur les navires à destination de l’Ukraine), menées par des dockers organisés dans le syndicat de base (USB et SI Cobas).

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