supernova n.8 2025
Anti-Imperialist Action, organisation républicaine socialiste irlandaise (République et territoires occupés), pour la résistance populaire à l’impérialisme britannique, européen et USA. Interview avec un camarade de l’AIA-Irlande.
-Pour commencer, parlez-nous de l’Anti-Imperialist Action.
L’AIA est un groupe républicain socialiste à large assise. Notre activité se concentre sur les questions liées à la libération nationale de l’Irlande. La question nationale n’est toujours pas résolue et nous ne pensons pas qu’elle puisse l’être par le biais d’élections, du réformisme ou d’une collaboration avec l’Angleterre. Pour nous, la question de l’indépendance nationale reste fondamentale pour pour faire avancer la révolution en Irlande.
-Quel est ton propre parcours politique ?
Je me considère faire partie d’une génération montante de jeunes en Irlande qui constate que le pays ne sert pas leurs intérêts mais plutôt ceux des multinationales et des riches (L’Irlande est un paradis fiscal). En grandissant, j’ai été marqué par l’histoire à l’école. Plus tard, j’ai vécu un basculement historique: celui de la fin de la croyance dans le réformisme. En effet, dans les années 1990, l’idée libérale populaire était que les choses progressivement. On a été témoin de l’élection du premier président américain à la présidence de l’Union européenne et de l’avènement d’une nouvelle ère pour l’Europe. On a été témoin de l’élection du premier président noir des États-Unis, Barack Obama. Pendant un bref instant, on a eu l’impression que les choses allaient s’améliorer. Tout semblait possible. C’est ainsi que je voyais les choses lorsque j’étais enfant. J’avais 12 ans lorsque la crise de 2008 a frappé l’Irlande. Ça m’a marqué. Le pays tout entier s’est effondré. C’est arrivé si soudainement. Mon père a perdu son emploi. Il travaillait dans la construction et tout le secteur s’est écroulé. J’ai commencé mon parcours militant à la fin de l’adolescence, en me demandant ce que le monde avait à offrir et ce que j’allais faire de ma vie. Tout semblait assez misérable. J’étudiais à l’université et j’ai commencé à lire James Connolly et Patrick Pierce, Cela a allumé une flamme en moi. Comme d’autres camarades, je suis d’abord passé par de nombreux autres groupes de gauche, et j’ai pensé qu’ils n’étaient pas sérieux, car ils semblaient uniquement intéressés par l’obtention de sièges aux élections.
-Quelle est l’histoire de l’AIA ?
L’AIA a été créée en 2017 par plusieurs camarades plus âgés, motivés par le fait que le Sinn Fein1 se soit vendu et n’était plus intéressé par la révolution. Nous avons alors constaté qu’il y avait besoin d’une politique socialiste, radicale, de rue et d’organisations de quartier avec un organisme républicain comme moteur.Nous nous sommes délibérément éloignés de l’électoralisme pour tenter de construire un véritable mouvement dans les rues et les communautés. Nous avons différentes générations qui ont été impliquées dans le mouvement républicain dès les années 60, la génération du mouvement des droits civiques dans le Nord. Ensuite, il y a la génération qui a été radicalisée par les « Troubles » dans les années 70. Pour les camarades des années 80, le républicanisme semblait sur le déclin. Mais en 1981, il a soudainement connu une résurgence grâce au sacrifice des grévistes de la faim. Cela a porté la lutte jusqu’à la génération actuelle. Nous avons la chance d’avoir un lien aussi fort avec le passé. Il y a toujours eu un mélange d’âge, de générations, de parcours et d’expériences. C’est intéressant parce qu’il y a beaucoup à apprendre, de nombreuses histoires et expériences, que les camarades plus âgés nous transmettent. Et pour les jeunes camarades, je pense que c’est toujours à eux de se battre pour faire avancer les choses et les pousser dans de nouvelles directions, en gardant les choses dynamiques.
-A quoi ressemble la relation intergénérationnelle dans votre organisation ? Y a-t-il un mentorat politique actif ?
En ce qui concerne notre aile jeunesse, des groupes éducatifs et de lecture ont lieu régulièrement, ainsi que des discussions politiques après les réunions de la section pour discuter des actualités. Cela nous permet de parvenir à une sorte de compréhension commune. Nous sommes en mesure de discuter de certaines choses et nous avons une culture interne qui fait que les camarades plus âgés sont très ouverts à l’égard de la jeune génération. Oui, le mentorat est important. Je veux dire que cela se produit organiquement en travaillant ensemble, en discutant, nous apprenons tellement de choses et nous développons nos politiques par le biais de rencontres formelles et informelles. Il y a un énorme respect pour les camarades plus âgés, nous voulons apprendre, nous voulons passer du temps avec eux. Nous ne nous sentons pas confiants dans une décision tant que nous n’en avons pas discuté avec eux. Nous apprécions leur opinion. Nous voulons comprendre. Nous voulons aussi voir les choses de leur point de vue. Vous pouvez lire un livre sur un ancien révolutionnaire, mais avoir une discussion face à face avec lui est complètement différent. Je pense que cela permet d’ancrer cette conviction et cette compréhension chez les camarades.
-Quelles sont les nouvelles questions auxquelles est confronté le mouvement républicain en Irlande aujourd’hui ?
L’immigration est probablement la question la plus difficile de ces dernières années2. Mais, évidemment, la position des républicains a toujours été que les migrants sont les bienvenus. Auparavant, l’antifascisme était assez simple : les groupes fascistes étaient petits et pouvaient être physiquement confrontés, empêchant ainsi leur organisation. Nous suivons en cela Frank Ryan, le leader républicain socialiste des années 1930, qui disait « pas de liberté d’expression pour les traîtres » lorsqu’il les opposait physiquement dans les rues. Le mouvement antifasciste irlandais a toujours été républicain dans son essence. Mais les choses se sont compliquées lorsque l’extrême droite a pu se mobiliser autour de la question migratoire Il nous a fallu une période de réflexion et de discussion. C’tait alors, formidable d’avoir des camarades plus âgés qui avaient plus de contacts, en particulier avec les personnes plus âgées ou d’âge moyen des quartiers populaires. Ils avaient en effet partagé avec eux des luttes qui remontaient à plusieurs années, comme le mouvement anti-austérité (2008), ou le mouvement anti-drogue (dans les années 80-90). Certaines de ces personnes étaient séduites par le discours réactionnaire autour de l’immigration et on ne pouvait pas simplement sortir et affronter physiquement ces gens, beaucoup d’entre eux étaient des ouvriers, nous devions les isoler des éléments d’extrême droite. Nous sommes alors sortis avec un message très clair qui soulignait le rôle de l’État dans la crise du logement. Parallèlement, la Ligue du logement a été créée pour développer un vaste mouvement de lutte sociale. Beaucoup ont alors rejoint nos rangs car ils ont vu comment le républicanisme s’appliquait en pratique: par la résistance pour ce en quoi nous croyons et la dénonciation de ces formes plus subtiles d’impérialisme que sont les multinationales et les fonds vautours (qui achètent le parc immobilier pendant une crise du logement).
-Il est donc important de vous engager sur de nouveaux sujets, mais je sais que la tradition est aussi importante dans le mouvement républicain.
Oui, par exemple, une tradition ancienne et très importante dans le mouvement républicain est la commémoration de nos martyrs. Ces commémorations sont l’occasion pour nous de réfléchir à ce pour quoi ils sont morts, et à ce en quoi ils croyaient. Nous nous demandons aussi si nous sommes à la hauteur aujourd’hui, et si nous pouvons être meilleurs. Au début, beaucoup de jeunes camarades ont un peu de mal à suivre. Aller au cimetière et parler des morts leur semble un peu macabre et ils ont du mal à le comprendre dans leur contexte actuel. Et puis quand des camarades plus âgés commencent à parler… surtout des martyrs plus récents qui ont été assassinés dans les années 70,les camarades plus âgés les connaissaient. Ce n’étaient pas seulement des camarades, c’étaient aussi des amis. C’est une expérience très personnelle qui fait prendre conscience de la réalité. Ce n’est plus abstrait. Certains de ces jeunes camarades qui organisent les commémorations aujourd’hui.
-Pensez-vous que ce sens de la tradition et de la discipline révolutionnaire, pour laquelle le mouvement républicain est connu, renforce l’identité politique des jeunes camarades qui ont grandi dans un monde où la gauche semble ne pas avoir de direction claire ?
Oui, les commémorations et le fait d’honorer le passé et de se souvenir aident à instiller un sens de l’identité, dans un sens, les croyances révolutionnaires sont liées à l’identité individuelle. Ce que tous les révolutionnaires devraient avoir, mais la proximité de ce passé pour nous, en Irlande, par rapport à la plupart des pays occidentaux, nous donne le privilège d’avoir un lien vivant avec ce passé. En ce qui concerne la discipline, les gens nous voient : prendre les devants, être organisés, passer à l’action et subir les conséquences si nous sommes arrêtés, avoir la bonne ligne politique sur les choses… et tout cela demande de la discipline et de l’organisation pour être fait efficacement.
-Les répercussions du Brexit, l’évolution de la démographie dans le Nord et la normalisation du Sinn Fein sont des signes qui montrent que l’Irlande se rapproche d’une Irlande unie. Penses-tu que tu verras l’unification de ton vivant ?
Absolument. Mais par des moyens révolutionnaires. Elle ne se fera pas grâce à la bonne volonté de l’Angleterre. Elle ne nous a jamais fait la moindre concession. L’occupation du Nord est trop fondamentale pour l’OTAN, pour l’impérialisme britannique, surtout aujourd’hui avec le spectre d’une nouvelle guerre mondiale avec la Russie et la Chine.
-Alors que l’Irlande devient de plus en plus multiculturelle, comment cela affecte-t-il l’identité nationale sur laquelle se fonde le mouvement républicain ?
C’est une complexité qui doit être étudiée. Comment organiser ces communautés qui sont les plus opprimées ? Les travailleurs d’Europe de l’Est et du Brésil sont très mal traités. Nous devons lutter contre le racisme et unir nos efforts avec eux pour construire un mouvement dans ce pays. En ce qui concerne la révolution, je suis souvent surpris que les immigrés la ressentent et la comprennent de manière beaucoup plus pertinente et ferme. Nous sommes solidaires des guerres populaires en Inde et aux Philippines, ainsi que des luttes libanaises et palestiniennes et de différents mouvements en Turquie, partout dans le monde, et c’est donc une façon d’essayer d’atteindre les groupes de la diaspora ici, et de faire de l’internationalisme une partie de la lutte dans le pays. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Il y a toujours une tonne de travail à faire…
1parti politique républicain actif en république d’Irlande et en Irlande du Nord. Il s’agit du premier parti politique d’Irlande du Nord depuis les élections législatives nord-irlandaises de 2022.
2 L’Irlande est confrontée à une crise aiguë et généralisée du logement depuis plus de huit ans. Bien entendu, cette crise a touché de manière disproportionnée les communautés populaires, en particulier à Dublin, qui constituaient traditionnellement une base de soutien populaire pour le mouvement républicain. L’arrivée massive de migrants ukraininens (70 000 migrants sont ukrainiens sur les 100 000 qu’accueille l’Irlande) a rendu cette crise encore plus forte et en promettant de construire des centres d’accueil dans les quartiers populaires de Dublin, le gouvernement a déclenché une « guerre entre les pauvres », provoquant l’amalgame entre crise du logement et arrivée de personnes réfugiées. En conséquence, l’Irlande a assisté pour la première fois de son histoire à la naissance d’un mouvement réactionnaire de masse, encouragé par des agitateurs d’extrême droite.