SUPERNOVA n.9 2025
communistes et lutte des classes
1. POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE VOTRE PARTI ?
Le Parti Communiste du Swaziland (CPS) est un parti marxiste-léniniste fondé le 9 avril 2011 par des hommes et des femmes d’un petit pays d’Afrique australe comptant environ 1,2 million d’habitants. Son objectif est de proposer une alternative et une perspective socialistes dans la lutte pour la liberté du peuple swazi contre l’autocratie monarchique de Mswati III et le système capitaliste prédateur du pays. Historiquement, l’existence du parti a été influencée par la guerre virtuelle menée contre la population swazie, accablée par l’oppression politique et sociale, ainsi que par une pauvreté de masse imposée, la pire pandémie de VIH-SIDA au monde et une espérance de vie effroyablement basse. Les partis politiques ont été interdits le 12 avril 1973 par un décret promulgué par Sobhuza II, fermant ainsi tout espace de participation politique dans notre pays. Cette situation a contraint le CPS à une existence clandestine depuis sa création. Ainsi, le CPS milite pour la légalisation de tous les partis politiques, la fin de l’autocratie monarchique en démantelant le détestable système des tinkhundla, et le transfert d’une grande partie de ses richesses vers la lutte immédiate contre les maladies et les aspects les plus criants de la pauvreté (comme l’accès à l’eau et à l’assainissement) ; ainsi que pour la proclamation du Swaziland en République Démocratique. Guidés par les principes du marxisme-léninisme, nous croyons qu’une Révolution Nationale Démocratique au Swaziland, dirigée par le CPS, permettra au peuple swazi de commencer à construire une société socialiste, où règneront une égalité totale et une démocratie approfondie.
2. AGIR EN TANT QUE COMMUNISTE SIGNIFIE ASSUMER LE SOCIALISME SCIENTIFIQUE COMME FONDEMENT TOUT EN CONSERVANT LA CAPACITÉ DE RÉPONDRE ET D’INTERVENIR DANS DES SITUATIONS CONCRÈTES. LE SWAZILAND A SON PROPRE CONTEXTE : QUELLES SONT LES CLASSES QUI COMPOSENT LA SOCIÉTÉ SWAZIE AUJOURD’HUI ?
Le marxisme-léninisme nous enseigne que dans toute société, deux classes s’opposent : la classe oppresseuse et la classe opprimée. Ces deux classes comprennent elles-mêmes différents segments. En nous appuyant sur l’analyse et la combinaison créative de la théorie et de la pratique, nous concluons que la structure sociale du Swaziland est principalement caractérisée par une paysannerie rurale (environ 70 %) et une petite mais croissante classe ouvrière urbaine, formant ensemble la classe opprimée, ainsi qu’une bourgeoisie minoritaire mais significative, liée à la monarchie, qui constitue la classe dominante. La majorité paysanne, principalement engagée dans une économie agraire, lutte contre l’expropriation des terres et la marginalisation économique. Les familles cultivent du maïs et des haricots pour leur subsistance. L’élevage, notamment de bovins et de chèvres, est aussi une source de nourriture, mais surtout une mesure de richesse et de statut social. La classe ouvrière, apparue pendant la colonisation, se concentre dans les zones urbaines, notamment dans l’industrie manufacturière et des services, où beaucoup subissent des conditions de travail et de vie précaires en raison des politiques économiques élitistes imposées par l’impérialisme. La bourgeoisie minoritaire et la famille royale mènent une vie luxueuse grâce à une richesse extrême, tirée de l’exploitation du travail et des ressources minières et agricoles du pays. Historiquement, depuis le XVIIIe siècle, la dynastie régnante des Dlamini a imposé son autorité sur les populations autochtones. Par la suite, l’impérialisme britannique, en tant que puissance coloniale, a consolidé son pouvoir en subordonnant l’autorité féodale. Comprendre cette composition de classe est crucial pour une action révolutionnaire efficace.
3. EN OCCIDENT, LA QUESTION PAYSANNE EST HISTORIQUEMENT RÉSOLUE, BIEN QUE LA QUESTION FONCIÈRE (LA RENTE) RESTE CENTRALE. CETTE QUESTION EST-ELLE ENCORE PRIMORDIALE AUJOURD’HUI AU SWAZILAND ? QUELLE SERAIT, SELON VOUS, UNE STRATÉGIE RÉVOLUTIONNAIRE ADAPTÉE À CETTE STRATE SOCIALE ?
Le Swaziland est un pays arriéré et sous-développé. Comme mentionné précédemment, la paysannerie rurale constitue la majorité de la population. Ainsi, la question paysanne est d’une importance capitale pour le CPS dans l’élaboration de sa stratégie, de ses tactiques, de ses programmes et de ses politiques dans la lutte pour la liberté et la démocratie. Notre pays est aussi peu industrialisé pour que le prolétariat puisse mener une résistance et des luttes insurrectionnelles visant à renverser totalement le régime oppressif et exploiteur des tinkhundla. Les paysans sont un élément clé pour la victoire de notre lutte. La question foncière est centrale pour mobiliser les paysans dans la lutte révolutionnaire et résoudre l’insécurité alimentaire. Le CPS est convaincu que seule une politique intégrée des terres et de l’agriculture, axée sur la sécurité alimentaire, l’emploi, la production et le développement durable, permettra de mettre la terre au service du peuple. Les paysans sont au cœur de la campagne « La terre pour la nourriture » du parti.
Rompre avec les chaînes du régime féodal-capitaliste a conduit le CPS à conclure qu’une lutte armée est nécessaire, et ce sont les communautés rurales, avec leur connaissance du terrain, qui en seront l’épine dorsale. L’oppression royale est aussi enracinée dans les communautés paysannes à travers le système des chefs traditionnels. Ainsi, la victoire dépendra largement de notre capacité à organiser les paysans.
Une stratégie révolutionnaire correcte impliquerait de les organiser pour revendiquer leurs droits, de militer pour une redistribution des terres et de promouvoir des modèles agricoles coopératifs. De plus, la culture de l’analyse politique doit être liée aux masses, sujets de cette analyse et de la transformation sociale, et surtout, à leur propre voix concernant leur situation et leurs besoins. Relier les luttes rurales aux mouvements ouvriers urbains pourrait former une coalition puissante capable de défier les structures de pouvoir en place.
4. CES DERNIÈRES ANNÉES, NOUS AVONS ASSISTÉ À UN DÉVELOPPEMENT URBAIN FULGURANT, NOTAMMENT EN ASIE ET EN AFRIQUE, ACCOMPAGNÉ D’UN DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL ET SURTOUT FINANCIER. COMMENT CES FACTEURS INFLUENCENT-ILS LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DANS VOTRE PAYS ?
L’industrie s’est développée très lentement au Swaziland par rapport à d’autres pays africains ou asiatiques. En conséquence, le développement urbain n’a pas suivi le rythme accru de l’exode rural. Le manque de logements et d’emplois dans les zones urbaines – où vit environ 30 % de la population – a entraîné des déséquilibres sociaux, économiques et politiques majeurs. Cette croissance urbaine s’accompagne d’un développement industriel lent, notamment dans le secteur manufacturier, ce qui se reflète dans les exportations nettes du pays. Notre économie dépend largement de l’Afrique du Sud voisine pour les biens manufacturés et les services financiers. C’est pourquoi ce développement ne se traduit pas par une amélioration des conditions de vie des travailleurs, dont beaucoup sont employés dans des conditions d’exploitation. Politiquement, la classe ouvrière urbaine est devenue une force potentielle de changement, à condition d’être correctement organisée, en défiant le statu quo et en militant pour les droits des travailleurs et le développement communautaire. L’accent mis par l’État sur les investissements étrangers révèle les contradictions d’une dépendance envers les puissances extérieures pour le développement économique.
5. LES ÉTATS-UNIS ET LE « PÔLE ATLANTIQUE » DOMINENT L’ÉCONOMIE MONDIALE, MAIS NOUS VOYONS ÉMERGER DE NOUVEAUX BLOCS COMME LES BRICS. COMMENT LA BOURGEOISIE DE VOTRE PAYS SE POSITIONNE-T-ELLE FACE À CETTE DIVISION ?
Les liens de notre pays avec Taïwan déterminent largement ses relations étrangères. Taïwan contrôle de nombreux secteurs de notre économie et de notre administration, représentant et protégeant les intérêts des États-Unis et d’autres puissances occidentales. L’ambassade américaine au Swaziland, la plus grande d’Afrique, est devenue un poste stratégique pour les puissances occidentales dans la région. Ainsi, la bourgeoisie swazie s’aligne davantage sur les intérêts économiques occidentaux, privilégiant souvent les relations avec les multinationales plutôt qu’avec des blocs émergents comme les BRICS.
Cependant, certaines franges de la bourgeoisie et du ministère des Affaires étrangères commencent à réaliser qu’une diversification des partenariats économiques et une adhésion aux BRICS pourraient offrir de nouvelles opportunités. Mais les contradictions internes, dues aux liens étroits avec Taïwan, créent une situation d’hésitation. La monarchie, marionnette de l’impérialisme occidental, est protégée par celui-ci, ce qui sape la souveraineté nationale. Dans ces conditions, une adhésion aux BRICS est difficile, voire impossible.
6. LIER LUTTE DES CLASSES ET LUTTE ANTI-IMPÉRIALISTE A TOUJOURS ÉTÉ UNE CARACTÉRISTIQUE ESSENTIELLE DU MOUVEMENT COMMUNISTE. COMMENT UN MOUVEMENT COMMUNISTE PEUT-IL RENAÎTRE EN PRIORISANT LES INTÉRÊTS DES MASSES POPULAIRES, TOUT EN REJETANT UNE VISION PUREMENT GÉOPOLITIQUE ?
Nous vivons une époque où les crises et les horreurs du capitalisme créent une turbulence croissante dans les relations internationales. L’agression impérialiste sévit partout, et les travailleurs, qu’ils soient dans des pays développés ou en développement, subissent la brutalité du capitalisme. Sous la surface des guerres réactionnaires capitalistes, une colère immense grandit au sein du mouvement ouvrier international. Ces conditions offrent aux communistes d’énormes possibilités de réémerger pour guider les masses opprimées vers la défaite de l’impérialisme.
Le mouvement communiste peut renaître en ancrant ses stratégies dans les expériences et les besoins concrets des masses, plutôt que dans des abstractions géopolitiques. Cela implique :
Un travail de base (grassroots),
La promotion d’une culture de propriété collective des richesses,
La construction d’un récit clair plaçant les besoins humains au-dessus des intérêts nationaux.
Se concentrer sur les enjeux locaux, promouvoir un développement durable et encourager l’autodétermination des communautés permet de rejeter une vision purement géopolitique. Élever la conscience de classe parmi les travailleurs et les paysans est essentiel pour forger un mouvement qui défend la justice sociale pour tous. Pour y parvenir, le mouvement devra intensifier les campagnes d’éducation, la propagande, les actions de masse et les réseaux de solidarité locaux et internationaux.
7. LES TENDANCES « GAUCHE BOURGEOISE » EN OCCIDENT SONT SOUVENT DES EXPRESSIONS DE L’IMPÉRIALISME DÉMOCRATIQUE LUI-MÊME. MÊME LES MILITANTS SINCÈRES Y SONT VICTIMES D’UNE VISION ANTI-COMMUNISTE QUI LES EMPÊCHE D’AVOIR UNE PERSPECTIVE COLLECTIVE. LEUR REJET DU « POUVOIR » REVIENT À REFUSER DE VOIR LES MASSES POPULAIRES AU POUVOIR. QUEL IMPACT ONT CES IDÉOLOGIES DANS VOTRE PAYS, ET COMMENT LES COMBATTEZ-VOUS ?
L’anti-communisme a influencé la société swazie en répandant la peur et la stigmatisation autour du socialisme scientifique, souvent présenté comme contre-productif ou inadapté à notre contexte. Ces idées sont propagées par les médias dominants et les programmes scolaires, qui insistent sur les prétendus « échecs » du socialisme, notamment en URSS.
Pour contrer ces influences, le CPS mène des campagnes éducatives intensives, distribue des documents expliquant les objectifs du socialisme et son importance dans nos luttes. Nous organisons aussi des espaces de débat – groupes d’étude dans les universités, écoles, lieux de travail et communautés – pour permettre une réflexion critique. Le CPS organise également des écoles d’été et d’hiver pour former des cadres capables de mobiliser les masses et de diriger les syndicats et associations étudiantes.
Nos campagnes ont permis de gagner un nombre significatif de jeunes, d’étudiants, de syndicalistes, de femmes et de paysans à la lutte pour la liberté et la démocratie, guidée par l’objectif ultime du socialisme. Le réformisme, manifestation de l’anti-communisme, reste un défi, mais il recule progressivement.
8. QUEL EST L’ÉTAT ACTUEL DU MOUVEMENT COMMUNISTE EN AFRIQUE, ET QUELS SONT SES PRINCIPAUX DÉFIS ?
Le mouvement communiste africain est aujourd’hui fragmenté et affaibli, avec des partis et organisations ouvrières agissant souvent en isolation. Il faut noter que les luttes de libération du XXe siècle ont été menées par des mouvements nationalistes, et non par des partis communistes, ce qui a permis au néo-colonialisme de prospérer. Bien que certains mouvements aient utilisé le marxisme pour mobiliser les masses, ils n’ont pas construit d’organisations solides capables de résister à l’impérialisme et d’avancer vers une révolution nationale démocratique.
Les défis majeurs incluent :
L’influence croissante des politiques néolibérales,
Les interventions impérialistes,
La nécessité d’adapter les stratégies révolutionnaires aux contextes nationaux,
La désillusion des jeunes,
L’impact des technologies numériques,
La nécessité d’une approche inclusive intégrant les questions de genre et de justice environnementale.Pour progresser, le mouvement doit renforcer la solidarité entre les organisations, tout en restant ancré dans les réalités concrètes des masses africaines.