interview Revolutionary Youth League

SUPERNOVA n.9 2025

les jeunes communistes du Kenya

1. AGIR EN TANT QUE COMMUNISTE SIGNIFIE ADOPTER LE SOCIALISME SCIENTIFIQUE TOUT EN CONSERVANT LA CAPACITÉ DE RÉAGIR ET D’INTERVENIR DANS DES SITUATIONS SPÉCIFIQUES. LE KENYA A SON PROPRE CONTEXTE SPÉCIFIQUE, QUELLES SONT LES CLASSES QUI COMPOSENT LE KENYA AUJOURD’HUI ?

En tant que communistes, le socialisme scientifique constitue le fondement de notre idéologie et guide notre pratique. Le socialisme scientifique est la méthode universelle que nous appliquons pour comprendre le monde et comment le changer. Nous l’avons donc naturellement appliqué au Kenya afin de comprendre la structure de classes de ce pays. Car ce n’est qu’en comprenant d’abord la théorie que nous pouvons commencer à changer les choses. Selon notre analyse, le Kenya est un État semi-féodal et néocolonial. La classe capitaliste impérialiste, basée principalement aux États-Unis et au Royaume-Uni, nous gouverne par l’intermédiaire de ses intermédiaires locaux : la bourgeoisie compradore. La bourgeoisie compradore est composée d’intermédiaires qui ne peuvent pas se débrouiller seuls et dépendent entièrement des impérialistes pour tout. Parfois, elle suit aveuglément la volonté des impérialistes, au point de ne même pas pouvoir expliquer ce qu’elle fait. Par exemple, lors de l’adoption du projet de loi de finances 2024, l’ambassadrice américaine de l’époque (Meg Whitman) est intervenue à la télévision nationale pour défendre un projet de loi prétendument élaboré par le seul gouvernement kenyan. Comment est-ce possible ? Cette absurdité totale ne peut s’expliquer que si le gouvernement kenyan n’est pas réellement indépendant. « Notre » gouvernement n’est pas contrôlé par les Kenyans, mais par les impérialistes. En d’autres termes, les compradores kenyans sont les gestionnaires des affaires locales de leurs maîtres étrangers. Aux côtés des compradores, la classe des propriétaires fonciers règne sur les zones rurales. Elle collabore avec les compradores pour opprimer les masses kenyanes. Elle est composée de vestiges féodaux qui ont accumulé de vastes étendues de terres pendant et après la domination coloniale. Leur contrôle sur la terre leur permet d’opprimer les paysans en percevant des loyers féodaux, en s’emparant de leurs terres et en exploitant leur travail dans des plantations de cultures de rente. Ils utilisent leurs relations politiques pour bloquer tous les efforts de réforme agraire et maintenir le statu quo. Ainsi, la seule voie qui reste au peuple kenyan pour aller de l’avant est de briser le statu quo en les détruisant, eux, les compradores et les impérialistes. Outre les classes réactionnaires, il existe des forces intermédiaires composées de paysans riches et de la petite bourgeoisie urbaine. La petite bourgeoisie urbaine comprend les commerçants, les petits entrepreneurs, les médecins, les enseignants, les fonctionnaires et les avocats. Les étudiants universitaires appartiennent également à cette classe. Ils possèdent de petits moyens de production ou occupent des emplois bien rémunérés (souvent dans la fonction publique). Les paysans riches, quant à eux, possèdent de petites parcelles de terre (généralement moins de 20 acres) et exploitent la main-d’œuvre paysanne pauvre sur ces terres. Ils sont l’équivalent rural de la petite bourgeoisie. Tout comme leurs cousins urbains, ils sont peu fiables et oscillent entre le soutien aux forces révolutionnaires et réactionnaires. Ils suivent le vent. Lorsque les forces révolutionnaires sont fortes, ils sont nos alliés. Lorsque nous sommes faibles, ils sont les premiers à déserter. Compte tenu de ce caractère, nous continuons à les accueillir dans nos rangs et essayons de les endurcir pour la longue marche qui nous attend. Mais nous ne leur permettons pas de diriger, car ils nous contamineraient tous avec leur opportunisme. Enfin, il y a les classes révolutionnaires : le prolétariat et la paysannerie pauvre. Le prolétariat est composé de ceux qui ne possèdent rien et vendent leur force de travail pour survivre. Ils constituent la grande majorité de la population urbaine, en particulier dans les bidonvilles. Contrairement aux États industrialisés, notre prolétariat n’est pas aussi unifié, car nous n’avons pas la capacité industrielle nécessaire pour les employer en grand nombre. La plupart de nos prolétaires exercent donc des emplois occasionnels ou semi-occasionnels. Ce phénomène a débuté avec le néolibéralisme dans les années 1980 et 1990 et a considérablement réduit leur niveau de vie. De plus, contrairement aux États industrialisés, une grande partie de notre prolétariat est composée de travailleurs agricoles ruraux. En fait, le plus grand syndicat du Kenya est de loin celui de ces travailleurs agricoles. Issus de la paysannerie pauvre qui a perdu ses terres, ils ont des liens très forts. Ils constituent également la classe la plus radicale et sont à l’origine des manifestations les plus réussies de l’année dernière et de cette année. En effet, contrairement aux forces intermédiaires, ils comprennent que la police n’est pas raisonnable et que les demi-mesures ne mènent à rien. Les paysans pauvres travaillent généralement sur de minuscules parcelles de moins de deux acres. Ils dépendent du travail de leur famille pour produire leur nourriture. Même les enfants dès l’âge de sept ans travaillent la terre, car ils ont besoin d’autant de main-d’œuvre que possible pour assurer leur subsistance. Ils sont la classe la plus opprimée du Kenya, car ils souffrent sous le joug des trois classes réactionnaires. Les impérialistes s’emparent de leurs terres. Les compradores leur imposent des prix d’achat bas. Les propriétaires fonciers les exploitent par l’usure. Ils sont ainsi devenus les alliés les plus fidèles du prolétariat. Ils mènent les luttes les plus acharnées dans les zones rurales, lapidant les fonctionnaires corrompus et allant jusqu’à incendier les pires commissariats de police. Les femmes paysannes pauvres sont particulièrement radicales, car elles sont victimes d’une oppression à la fois sexiste et de classe. Le travail des révolutionnaires parmi elles consiste donc à les unir, car elles s’organisent généralement en petits groupes, et à les mettre en relation avec le prolétariat urbain. Cela permettra de consolider l’alliance fondamentale entre les ouvriers et les paysans et de lutter contre la nature vacillante des forces intermédiaires. Une fois cela accompli, la révolution pourra être menée à son terme logique.

2. EN OCCIDENT, LA QUESTION PAYSANNE EST HISTORIQUEMENT CLOSE, MÊME SI LA DIMENSION FONCIÈRE (LA RENTE) RESTE CENTRALE. LA QUESTION PAYSANNE REVÊT ENCORE AUJOURD’HUI UNE IMPORTANCE VITALE AU KENYA. QUELLE STRATÉGIE RÉVOLUTIONNAIRE VOUS SEMBLE APPROPRIÉE POUR CE SECTEUR SOCIAL ?

Comme mentionné ci-dessus, parmi les paysans, nous considérons que la stratégie révolutionnaire la plus appropriée consiste à unir d’abord le plus grand nombre possible de paysans. Cela implique de détruire et de jeter aux poubelles de l’histoire les outils utilisés par les réactionnaires pour les diviser. Le premier de ces outils est le tribalisme. Les propriétaires fonciers et leurs milices tribales battent, violent, volent, mutilent, tuent et oppriment généralement les paysans. Ils perturbent toute organisation révolutionnaire où qu’ils la trouvent. Ils aiment particulièrement mener des pogroms contre les paysans d’autres tribus. Après les avoir tués ou chassés, les propriétaires fonciers s’emparent des terres laissées derrière eux. Les forces révolutionnaires doivent donc mener une propagande constante contre ces milices tribales et renforcer les groupes paysans afin qu’ils ne puissent pas être facilement dispersés. Le deuxième outil utilisé par les forces réactionnaires est l’oppression sexiste. Celle-ci consiste à vendre les femmes comme du bétail, à leur refuser tout droit économique et à les soumettre à des violences physiques et sexuelles. L’oppression sexiste est combattue par l’éducation politique et par des mesures rapides contre tout comportement de ce type, aussi minime soit-il. Les révolutionnaires doivent également veiller à ne pas se limiter aux lignes féministes bourgeoises, qui ne servent à long terme que le capitalisme et les relations patriarcales. Ce n’est qu’en détruisant ces deux outils majeurs que la paysannerie pourra assumer son rôle historique mondial en tant que force physique de la révolution. Le slogan de l’unité doit également être étendu au-delà de la simple unité au sein de la paysannerie, car celle-ci comprend des paysans riches qui exploitent les paysans pauvres. Les paysans riches sont susceptibles de prendre la tête des syndicats paysans, car ils ont plus de moyens pour rallier des soutiens. Étendre le slogan de l’unité pour unir la paysannerie et le prolétariat est donc le meilleur remède contre ce problème. Le prolétariat contribuera non seulement à prévenir les distorsions idéologiques provoquées par les paysans riches, mais il accélérera également la défaite de la classe des propriétaires fonciers. On peut dire que la classe des propriétaires fonciers au Kenya est sous perfusion. Elle est maintenue en vie par les compradores et les impérialistes afin d’étendre leur emprise dans les zones rurales. Les propriétaires fonciers ont déjà du mal à contraindre les paysans à payer leurs prêts et leurs loyers féodaux, ils dépendent donc de l’État comprador. Le prolétariat urbain peut affaiblir le lien entre les compradores et les propriétaires fonciers par des actions de sabotage, d’espionnage et de diversion afin de permettre aux paysans de détruire la classe des propriétaires fonciers. Après cela, toutes les armes pourront être braquées sur la bourgeoisie compradore, relativement plus forte, qui sera la seule chose qui s’opposera aux paysans et à leur objectif le plus urgent : la révolution agraire.

3. CES DERNIÈRES ANNÉES, NOUS AVONS ASSISTÉ À UN DÉVELOPPEMENT URBAIN CONSIDÉRABLE, QUI A BALAYÉ DES CONTINENTS ENTIERS, TELS QUE L’ASIE ET L’AFRIQUE. CE DÉVELOPPEMENT S’EST ACCOMPAGNÉ D’UN DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL ET, SURTOUT, FINANCIER. COMMENT CES FACTEURS INFLUENCENT-ILS LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DANS VOTRE PAYS ?

L’Afrique reste toujours enlisée dans la même situation semi-féodale qui était la sienne à la fin du colonialisme direct. Certaines régions sont, en fait, encore dominées par le mode de production féodal. Le développement capitaliste est pratiquement inexistant dans ces parties du continent. La vie des populations n’a guère changé depuis celle de leurs ancêtres il y a 300 ans. Cela résulte bien sûr de l’emprise que l’impérialisme continue d’exercer sur le continent. À l’exception de l’Association des États du Sahel, tous sont dirigés par des régimes compradores qui ne peuvent même pas rêver de sortir de l’ombre de leurs maîtres impériaux à Washington, Londres, Berlin et Paris. Le développement urbain que nous observons n’est pas le résultat d’un développement capitaliste, où les paysans sont transformés en prolétaires et absorbés par un secteur industriel national en plein essor. Il est plutôt le résultat du fonctionnement d’une économie semi-féodale où les terres des paysans pauvres sont accaparées par les impérialistes et les compradores. Les paysans pauvres se retrouvent alors sans terre et contraints de travailler comme salariés pour les compradores et les propriétaires fonciers qui leur ont volé leurs terres. Par exemple, ici même au Kenya, les impérialistes britanniques de Tullow Oil collaborent avec les propriétaires fonciers locaux pour dépouiller les paysans de Turkana de leurs terres ancestrales afin de prospecter du pétrole. Les éleveurs de Turkana ne tirent aucun bénéfice de ce pétrole. En fait, ils sont souvent expulsés de leurs pâturages sous la menace des armes. Dans les comtés de Tana River et Kilifi, le projet de sécurité alimentaire Galana-Kulalu prive les paysans Pokomo des terres qu’ils cultivent depuis des temps immémoriaux. Il détourne même l’eau qu’ils utilisent pour irriguer leurs fermes depuis le fleuve Tana. La police pille leurs maisons, leurs fermes et leurs troupeaux et les laisse sans ressources. N’ayant nulle part où aller, ils fuient vers les villes. Dans notre économie semi-féodale, la croissance industrielle est délibérément freinée afin de laisser la place aux multinationales étrangères qui peuvent ainsi écouler leurs marchandises. Par exemple, la marque locale Keroche Breweries a été sans cesse attaquée par l’État pour toutes sortes de crimes (réels ou imaginaires) afin de la contraindre à cesser de concurrencer la société britannique East Africa Breweries Limited (EABL). Il n’est donc pas surprenant que de nombreux fonctionnaires impliqués soient actionnaires de l’EABL. Dans ce contexte, le développement industriel au Kenya est très lent et les villes ne peuvent tout simplement pas fournir suffisamment d’emplois aux paysans sans terre. Ceux-ci rejoignent alors le lumpenproletariat des bidonvilles. On peut donc dire que le développement industriel ici est une illusion, un mythe. Le développement urbain est également un euphémisme pour désigner le développement des bidonvilles. Il est toutefois indéniable que le Kenya connaît un développement financier. Cependant, ce développement financier n’est rien d’autre qu’une poignée d’entreprises dont le rôle est de « gérer les affaires communes de toute la bourgeoisie » en se transférant de l’argent entre elles. Les capitaux financiers du monde entier affluent vers l’Afrique. À elle seule, l’AGRA de Bill Gates a investi plus d’un demi-milliard de dollars dans l’agriculture sur le continent. Concrètement, cela n’a profité qu’aux impérialistes, dont la part de marché dans le secteur des semences et des engrais OGM n’a cessé de croître. Les agriculteurs eux-mêmes sont plus affamés et plus endettés qu’auparavant. Ce « développement financier » n’est qu’un écran de fumée permettant aux impérialistes de resserrer leur emprise sur les Africains. Or, comme nous le savons, l’oppression ne peut s’intensifier sans une intensification de la résistance. Dans les zones urbaines, nos jeunes s’éduquent chaque jour davantage sur ce qu’implique ce développement financier : l’esclavage économique. Dans les zones rurales, les agriculteurs s’organisent et se soulèvent contre le servage. Il nous appartient de les soutenir de toutes nos forces et de faciliter la connexion la plus profonde possible entre ces mouvements parallèles. Nous envoyons des jeunes dans les zones rurales pour entrer en contact avec les paysans et comprendre leurs luttes, afin de leur permettre d’intégrer les luttes paysannes dans leur combat. Nous organisons les paysans pour leur permettre de dépendre les uns des autres pour le crédit, les semences et les intrants, plutôt que d’être contraints à l’endettement par les propriétaires fonciers et les impérialistes.

4. LES ÉTATS-UNIS ET LE « PÔLE ATLANTIQUE » CONSTITUENT LA PRINCIPALE FORCE POLITICO-ÉCONOMIQUE MONDIALE. CEPENDANT, NOUS ASSISTONS À L’ÉMERGENCE DE NOUVEAUX BLOCS ÉCONOMIQUES TELS QUE LES BRICS. COMMENT LA BOURGEOISIE DE VOTRE PAYS SE POSITIONNE-T-ELLE PAR RAPPORT À CETTE DIVISION ?

La bourgeoisie de notre pays est tout simplement stupéfaite par cette évolution. Elle a passé des décennies à être le fidèle toutou de l’impérialisme occidental, attaquant tous les mouvements anti-impérialistes. En termes simples, elle avait tout misé sur l’Occident. Aujourd’hui, le monde change plus vite qu’elle ne peut s’y adapter. L’ancien président Uhuru Kenyatta a tenté de tirer parti de la montée en puissance de la Chine pour s’assurer davantage de ressources pour lui-même et sa classe. Pour ce faire, ils ont commandé des projets pharaoniques, voire inexistants, qui leur ont permis de détourner des milliards de shillings. Cela n’a fait qu’intensifier la contradiction entre les BRICS et l’Occident au Kenya. L’Occident s’oppose évidemment fermement aux BRICS, qui remettent en cause sa position hégémonique unipolaire dans le monde. Il a donc tenté de contrôler ses marionnettes pour s’assurer qu’il reste le « grand patron ». Cela s’est traduit par une augmentation de l’aide militaire au Kenya. Les compradores ont alors recouru à leur méthode éprouvée consistant à détourner ces fonds en incluant l’armée dans tous les projets possibles, qu’il s’agisse de la transformation de la viande ou de la construction de stades. Bien sûr, ils ont également considérablement renforcé l’appareil de surveillance des forces de sécurité réactionnaires. Les assassinats nocturnes, les enlèvements, la surveillance et le profilage ethnique en ont été les conséquences évidentes. Les compradores se retrouvent donc coincés entre deux chaises. Ils peuvent se tourner vers la Chine, mais au prix d’un affaiblissement de l’appareil d’État qui les maintient au pouvoir. Ou ils peuvent se tourner vers l’Occident, mais au prix de la perte de leur fausse légitimité panafricaine et des fonds nécessaires pour maintenir au pouvoir la faction dirigeante de leur classe. Et à mesure que le temps passe, les pointes de la barrière deviennent de plus en plus acérées, les obligeant à se prononcer définitivement pour un camp. Nous savons qu’ils se rangeront du côté occidental. Cependant, ils ne veulent pas encore descendre de la barrière. Ils veulent continuer à jouer sur les deux tableaux pour en tirer le maximum d’avantages.

5. LA COMBINAISON DE LA LUTTE DES CLASSES ET DE LA LUTTE ANTI-IMPÉRIALISTE A TOUJOURS ÉTÉ L’UNE DES CARACTÉRISTIQUES DISTINCTIVES DU MOUVEMENT COMMUNISTE. DANS CE CONTEXTE, COMMENT PENSEZ-VOUS QU’UN MOUVEMENT COMMUNISTE POURRAIT RENAÎTRE QUI DONNE LA PRIORITÉ AUX INTÉRÊTS DES MASSES POPULAIRES, TOUT EN REJETANT UNE VISION DU MONDE AXÉE UNIQUEMENT SUR LES INTÉRÊTS GÉOPOLITIQUES ?

Ici, dans les pays du Sud, où nos États ne sont que des façades de l’impérialisme, les intérêts du peuple sont toujours en phase avec l’anti-impérialisme. Seules les petites classes compradores et propriétaires foncières au pouvoir sont en désaccord. Et elles sont en désaccord parce que sans l’impérialisme, elles auraient depuis longtemps été balayées dans les poubelles de l’histoire. Ce sont elles, et elles seules, qui s’efforcent de semer la discorde entre les mouvements populaires et la lutte anti-impérialiste. Leur intérêt est de maintenir le peuple kenyan et le peuple mondial dans les formes d’esclavage les plus hideuses qui soient. Même lorsque les compradores kenyans semblent avoir leurs propres intérêts, ils ne sont que des intermédiaires pour les grands États impérialistes. Par exemple, Ruto n’aide pas les génocidaires soudanais du RSF à faire passer de l’or en contrebande parce que cela lui rapporte des profits. Il le fait parce qu’il est au service non seulement du capital américain, mais aussi du capital émirati. En tant que tel, nous ne voyons pas de contradiction entre la reconstruction du mouvement qui donne la priorité à la politique pro-populaire et nos intérêts géopolitiques. En fait, nous considérons que la promotion de nos intérêts géopolitiques et la propagande sur cette base sont une méthode pour organiser notre peuple qui rêve de vaincre un jour l’impérialisme. Le peuple kenyan n’a aucune contradiction avec le peuple haïtien. C’est notre classe dirigeante compradore qui a envoyé la police kenyane pour être le visage noir de l’impérialisme là-bas. Lorsque le peuple haïtien riposte, le peuple kenyan comprend qu’il ne se bat pas contre les Kenyans, mais contre l’impérialisme déguisé en uniforme de la police kenyane. En fait, nous nous en réjouissons, car ils apprennent et nous enseignent ensuite les tactiques qu’ils utilisent pour vaincre ces fascistes. C’est pourquoi la Ligue de la Jeunesse Révolutionnaire mène ses luttes non seulement sur une base purement nationale, mais aussi sur une base internationale. Notre lutte est liée à celle des peuples haïtien, palestinien, sahraoui et congolais. Nous devons travailler avec eux afin de vaincre l’impérialisme dans nos deux pays. Cela permettra de développer le mouvement dans les deux pays et d’assurer un niveau élevé de coordination afin que l’impérialisme puisse être balayé en même temps dans de nombreux endroits. Nous suivons l’exemple des communistes vietnamiens, laotiens et cambodgiens qui ont réussi à briser d’un seul coup le joug du colonialisme français en Indochine.

6. LES TENDANCES BOURGEOISES DE GAUCHE EN OCCIDENT ONT TOUJOURS ÉTÉ DES EXPRESSIONS PUISSANTES DE LA DÉMOCRATIE IMPÉRIALISTE ELLE-MÊME. LA DERNIÈRE VAGUE EN DATE EST LA VISION POSTMODERNISTE DU MONDE DE « LA FIN DES MÉTA-THÉORIES ». EN OCCIDENT, MÊME LES MILITANTS HONNÊTES SONT VICTIMES DE CETTE VISION ANTICOMMUNISTE DU MONDE, QUI LES EMPÊCHE D’AVOIR UNE VISION GLOBALE ET COLLECTIVE. LEUR REJET DU « POUVOIR » ET DE L’ACTION ARMÉE REVIENT ESSENTIELLEMENT À REFUSER D’ENVISAGER LES MASSES POPULAIRES AU POUVOIR. QUELLE INFLUENCE CES IDÉOLOGIES ONT-ELLES EUE DANS VOTRE PAYS ET QUELLES LUTTES AVEZ-VOUS DÛ MENER POUR LES COMBATTRE ?

Ces idéologies ont eu un effet très corrosif tant sur notre pays que sur le mouvement populaire. Elles proviennent principalement de la petite bourgeoisie et de ceux qui dépendent du financement des ONG des États impérialistes. Elles sont très populaires dans les milieux libéraux, car elles leur permettent de paraître intelligents sans avoir la moindre once de bon sens dans leurs positions. Au sein de nos organisations, elles favorisent l’individualisme, car elles empêchent les gens d’imaginer un monde où le pouvoir appartient aux masses, et les maintiennent ainsi dans le statu quo, où ce sont les individus qui détiennent le pouvoir. Et comme ces idées sont favorisées par la petite bourgeoisie qui n’a aucun pouvoir, elles finissent par être récupérées par la politique électorale et ne comprennent pas pourquoi même leurs actions bien intentionnées ne mènent nulle part. Ils en sont réduits à surveiller les actions de ceux d’entre nous qui osent imaginer un monde meilleur et à freiner le mouvement communiste avec des excuses absurdes. Leur idéologie et leur imagination sont limitées par les fonds versés aux ONG, qui sont elles-mêmes redevables aux puissances impérialistes. Leur vision postmoderne du monde se manifeste par des idées éclectiques et contradictoires qu’ils ont du mal à relier entre elles. L’absence d’une théorie et d’un plan d’action cohérents et globaux signifie que leurs actions sont fonctionnellement aléatoires. Ils suivent les masses en tout, mais continuent d’exiger d’être à leur tête. Lorsque les masses avancent, ils doivent courir après elles et les supplier de ne pas faire de vagues. Lorsque les masses adoptent une position révolutionnaire, ils débitent un mélange de mots révolutionnaires pour leur faire croire qu’ils sont sur la même longueur d’onde. Dans le même temps, ils mènent des pourparlers clandestins avec l’ennemi. Inévitablement, tout cela échoue et ils se retrouvent sans rien, ni l’oreille de l’oppresseur, ni la faveur des masses. Ils sombrent alors dans le nihilisme. Au sein de la Ligue de la jeunesse révolutionnaire, nous combattons ces idées dès qu’elles apparaissent. Nous nous efforçons de faire en sorte que tous nos membres soient des marxistes-léninistes convaincus qui ne se contentent pas de prononcer des phrases révolutionnaires, mais qui sont capables de mener des enquêtes sociales et de trouver les méthodes de travail appropriées. Dans le passé, cependant, ces idées ont fait leur apparition non seulement parmi les membres, mais aussi parmi certains dirigeants. Dans ces cas-là, nous avons appliqué la méthode marxiste-léniniste consistant à intensifier la contradiction. Tout d’abord, nous leur avons donné la possibilité de faire leur autocritique et de revenir à la ligne correcte. Lorsque cela n’a pas fonctionné, nous les avons critiqués nous-mêmes. Lorsque cela n’a pas fonctionné non plus, nous les avons démis de leurs fonctions d’autorité afin qu’ils ne contaminent pas les autres avec leurs idées réformistes rétrogrades. C’est alors qu’un changement qualitatif s’est produit et qu’ils se sont révélés appartenir au camp ennemi en nous attaquant ouvertement. Ce faisant, ils ont échoué et ont été purgés de nos rangs. C’est la bonne méthode pour traiter ces idées postmodernes et anti-populaires au sein d’une organisation. Ces idées rejettent la construction du pouvoir populaire (par exemple à travers les assemblées populaires) et la lutte armée. Elles n’ont aucun avenir, car les masses sont déjà en train de dépasser le simple électoralisme et le réformisme. Elles ne progressent pas simplement grâce aux idées qu’elles ont dans la tête. Elles progressent à cause de l’oppression matérielle à laquelle elles sont confrontées. Notre propagande reflète ce qu’ils voient de leurs propres yeux ; c’est pourquoi elle est si populaire. Les libéraux se remplissent la tête d’idées absurdes, puis se demandent pourquoi ils sont isolés du peuple. Leurs idées sont des impasses, mais le mouvement populaire est bien vivant. Nous les laissons donc inévitablement sur le bord de la route lorsqu’ils ne nous sont plus utiles.

7. QUELLE EST LA SITUATION ACTUELLE DU MOUVEMENT COMMUNISTE EN AFRIQUE, QUELS SONT SELON VOUS LES PRINCIPAUX DÉFIS AUXQUELS IL EST CONFRONTÉ ?

Les deux principaux défis auxquels est confronté le mouvement communiste en Afrique à l’heure actuelle sont la répression étatique et l’éradication de l’influence petite-bourgeoise. Le premier est le plus grave, car il vise directement les fondements de ce qui existe déjà. Partout sur le continent, les communistes sont constamment menacés par leurs gouvernements compradores, qui utilisent des troupes formées par Israël et la CIA pour arrêter, torturer, enlever et assassiner des communistes éminents. En août dernier, par exemple, Fred M’membe a été arrêté et détenu pendant quatre jours pour sédition, sans aucune preuve. Et en janvier dernier, des voyous à la solde de l’État ont tenté de s’introduire au domicile du camarade Booker pour l’assassiner dans son sommeil. Ces incidents ne sont pas fortuits. Ils s’inscrivent dans un réseau d’activités menées par les impérialistes pour écraser le mouvement communiste en s’attaquant à ses membres les plus visibles. Il est presque hebdomadaire ici qu’un membre signale être suivi par la police, car la classe dirigeante ne peut se permettre de laisser le peuple recevoir une éducation politique ou s’organiser. Elle sait que cela signifierait sa chute. Ses tactiques répressives sont bien sûr affaiblies par le fait que le peuple adhère sans réserve à nos idées et se joint volontiers à notre lutte. Les compradores n’ont donc d’autre choix que de s’acharner sur tous les membres qui s’expriment, dans l’espoir d’effrayer les autres. Comme la plupart des organisations communistes africaines sont très jeunes, ces tactiques ont des conséquences désastreuses sur l’organisation. Le deuxième défi majeur auquel nous sommes confrontés est l’idéologie et l’influence de la petite bourgeoisie. C’est le fruit du financement des ONG impérialistes, qui va principalement aux militants libéraux et aux intellectuels stériles. Ces personnes adoptent alors des positions pseudo-révolutionnaires pour camoufler leurs opinions manifestement réactionnaires. Par exemple, beaucoup adoptent un panafricanisme stérile qui prône le port de vêtements traditionnels ou le refus des prénoms anglais, mais qui est dépourvu de tout contenu politico-économique. Ils veulent simplement changer la superstructure tout en conservant la base, car ils dépendent du financement impérialiste pour tout ce qu’ils font. Ils attaquent les marxistes en criant que le marxisme est « européen » et non africain, oubliant que, contrairement à eux, le marxisme n’est pas un dogme pour nous. C’est un outil d’analyse. Leur esthétique pseudo-révolutionnaire trompe toutefois un bon nombre de personnes et freine le mouvement, car il peut falloir des années pour les démasquer comme porte-parole de l’impérialisme. Cependant, en période de lutte intense, ils sont souvent rapidement démasqués et rejetés par le peuple en faveur d’une véritable unité panafricaine. Une unité qui exige que nous nous emparions du pouvoir politico-économique et que nous l’utilisions pour nous défendre contre l’impérialisme.

Camarade Armani Kibet,

président national de Revolutionary Youth League – Kenya

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