supernova n.1
L’autarcie et le protectionnisme sont des stratégies dépassées. Il n’y a pas de retour en arrière possible par rapport à la socialisation internationale actuelle de la production et du commerce. Dans la nature, il y a une flèche du temps, le capitalisme ne peut pas rajeunir.
Après avoir remporté la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont retrouvés en position de protecteur du capitalisme. Malgré leur déclin, aucun pays à l’horizon n’a la force de les évincer de la scène historique. Grâce à un pouvoir de dissuasion inégalé, ils contrôlent le monde et empochent les revenus de leur position. Au fil des ans, ils ont produit une dette mondiale incalculable, qu’ils sont bien sûr incapables de payer. Leur effondrement entraînerait un effondrement général, c’est pourquoi le front intérieur américain est important, ce qui se passe dans le « ventre de la baleine ».
La Chine, quant à elle, a brûlé tous les ponts en faisant en quelques décennies ce que d’autres ont accompli en plusieurs siècles, et présente tous les symptômes du capitalisme sénile : automatisation de la production, financiarisation de l’économie, délocalisation vers des pays tiers.
Dans le capitalisme avancé la tendance principale est: le travail mort (les machines) domine le travail vivant (les hommes). Le capital commence de manière contradictoire a “se nie lui-même”, invalidant la loi de la valeur du travail (cela dit, il ne faut pas oublier que nous assistons aujourd’hui à une augmentation mondiale de la classe ouvrière industrielle), et les États tentent de remédier à cette situation en introduisant de nouvelles formes de bien-être, comme la « prospérité commune » en Chine et le revenu de base ou de citoyenneté en Occident, afin de rééquilibrer le système.
La forme démocratique, la coopération entre les classes, est la meilleure enveloppe pour la bourgeoisie dans la phase impérialiste. La répression est nécessaire mais il ne suffit pas de gouverner un pays, il faut d’abord nourrir la population et soutenir la consommation intérieure. Le contrôle des citoyens par l’État est toujours en cours. Pensez à la surveillance de masse basée sur des réseaux de caméras intégrés à des systèmes d’intelligence artificielle qui, grâce aux expressions des visages et aux mouvements des foules, sont capables de prédire les troubles.
Le réarmement des États et la modernisation des arsenaux de guerre visent à faire face aux ennemis externes et internes, comme l’explique le rapport « Nato 2020 Urban Operations », compilé par des experts de sept pays membres, qui identifie l’espace urbane métropolitain comme le futur champ de bataille entre les masses dé intégrées et l’État.
Ce qui, jusqu’il y a peu, était la dialectique normale entre les partis prend maintenant de nouveaux aspects et peut conduire à des polarisations sociales inattendues. A droite comme à gauche, on joue avec le feu : les données économiques montrent que la marge de manœuvre se réduit de plus en plus, et des réactions en chaîne inquiétantes pourraient être déclenchées par ces épreuves de force.
Nous avons des contre-tendances qui tentent de freiner cette dynamique. Augmenter la plus-value absolue au détriment de la plus-value relative : moins de machines et de technologie et plus d’exploitation esclavagiste. L’Allemagne et le Japon ont réussi, même si ce dernier est dans une phase dépressive de croissance zéro depuis vingt ans. Les États-Unis ne sont pas un exportateur et pourtant ils vendent des obligations d’État à la moitié du monde, collectant des milliards de dollars qu’ils versent ensuite aux banques. Ces dernières, qui devraient les utiliser pour donner de l’oxygène à l’économie, les réinvestissent dans des titrisations, des hypothèques et de la camelote financière. C’est un cercle vicieux qui, de toute évidence, ne peut durer longtemps. D’un point de vue capitaliste, les Républicains ont raison de ne pas vouloir d’une administration qui continue à aider la population. L’alternative du diable est de stimuler la consommation en distribuant de l’argent à tout le monde, ou de faire marche arrière et de se concentrer sur l’emploi massif des chômeurs mal payés et surexploités. Milton Friedman a proposé de répartir la valeur dans la société en agissant sur la consommation; il n’a pas été écouté car le Capital est suffisamment autonome pour se foutre des gouvernements. Les mécanismes de la mondialisation obligent les acteurs étatiques à s’approvisionner d’abord auprès des banques, puis, finalement, auprès de la population appauvrie.
La classe dirigeante ne peut plus s’unir autour d’intérêts communs. Le système est hors de contrôle et tous les indicateurs économiques montrent que la situation s’est aggravée. Anonyme, le capital mondialisé fait danser les États à sa guise et les exécutifs nationaux sont de plus en plus inadaptés à la gestion des crises mondiales :
Dans une situation qui tend à échapper aux bourgeoisies nationales du fait de l’internationalisation et de l’autonomisation du Capital, le système aurait un besoin vital de contrôle économique et social planétaire. Ce qui se passe en Europe avec la compétition insensée et suicidaire pour sauvegarder l’intérêt national reflète ce qui se passe dans le monde, seulement en dehors de l’Europe aucune unité supranationale n’est à l’ordre du jour plutôt. Ainsi, un niveau supplémentaire de contradiction est ajouté : le contrôle planétaire est précisément ce qui est nécessaire, mais lorsque des tentatives sont faites pour obtenir au moins des substituts de ce contrôle, le nationalisme prend le dessus.
L’Amérique ne peut pas se permettre de nationaliser davantage l’économie… d’où la lutte entre la tendance démo-corporatif qui vise à augmenter les dépenses sociales (les plus réactionnaires sont les démocrates, avec Roosevelt comme principale figure historique), et la tendance » libérale » qui vise à appauvrir de larges pans de la population.
En ce qui concerne les luttes aux États-Unis, la pierre angulaire reste la politique du New Deal rosveltien. C’est la pierre angulaire des propositions que font encore aujourd’hui toutes les anciennes et nouvelles gauches réformistes. La bataille qui se joue autour de la revendication des 15 dollars de l’heure se confond inévitablement avec l’appareil législatif fédéral américain. Comprendre quels ont été les avantages et les limites du réformisme historique en Amérique, nous permet de comprendre les limites de celui ci aujourd’hui.
Avec la crise de 29, la société américaine s’est effondrée, la nécessité de fournir une communauté sociale cohésive a été ressentie par des secteurs importants de la bourgeoisie. De manière significative, le grand cycle de luttes s’est déroulé après des mesures sociales visant à garantir cette cohésion. Souvent, cependant, ce cycle de lutte des travailleurs aux États-Unis est lu à l’envers. Présenter la « nouvelle cohésion sociale » comme le résultat de la lutte des travailleurs …
Les mesures introduites aux États-Unis par Roosevelt, appelées « New Deal », visaient à remédier au chômage de masse dû à la crise économique qui avait débuté en 1929. On pensait que grâce à une croissance de la demande induite par les dépenses publiques, les investissements privés pourraient redémarrer. En outre, compte tenu des conséquences sociales du chômage, il s’agissait d’atténuer les éventuelles tensions sociales. Indépendamment du fait que ces mesures aient pu ou non ramener l’économie à un développement plus adéquat de la production, l’objectif principal de l’introduction de l’aide sociale était exclusivement de remédier à la défaillance du marché.
Une telle politique a toutefois entraîné un court-circuit inhérent à la politique keynésienne, dont les effets ont été clairement visibles. En effet, on pensait que l’intervention de l’État dans l’économie permettrait de surmonter la crise attribuée à l’offre excédentaire. Cependant, ces types de « politiques économiques » ne tiennent pas compte du fait que, pour que le processus de production capitaliste ait lieu, il ne suffit pas qu’il y ait une demande insatisfaite à laquelle vendre la production, mais il faut aussi que des profits soient créés une fois la production vendue sur le marché.
Les politiques d’endettement de l’État visant à relancer l’économie, auxquelles on peut rattacher la théorie keynésienne, augmentent la demande, à laquelle correspond une augmentation réelle de la production du secteur privé, mais ce cycle conduit nécessairement à une nouvelle croissance de la dette publique qui ne peut être récupérée que par davantage de dette publique ou d’impôts. Dans les deux cas, la croissance de la dette publique hypothèque les bénéfices et l’argent (capital liquide) disponibles pour le capital privé. Les politiques de croissance de la dette publique sont donc encore plus inefficaces dans des situations comme celle que nous connaissons actuellement, avec des niveaux d’endettement élevés, des bénéfices et une croissance de la productivité faibles, de sorte qu’il est facile qu’une croissance des dépenses publiques ne déclenche que des phénomènes inflationnistes. D’où la nécessité de réduire les « coûts » du travail et l’exploitation de la main-d’œuvre, grâce à laquelle les espoirs du capital permettent de rétablir des taux de profit suffisants. Dans le cas des États-Unis dans les années 1930, il a fallu produire une « destruction de capital » productif en transférant des ressources, récupérées par la croissance de la dette publique, du secteur privé au secteur public pour les armements nécessaires à la Seconde Guerre mondiale. La grande réforme du new deal a été payée par la Seconde Guerre mondiale…..
En Europe, des mesures similaires à celles décrites ci-dessus ont été adoptées. En Angleterre, des « programmes de développement » ont été adoptés, qui utilisaient des crédits et des concessions fiscales pour orienter la production vers les objectifs fixés par le gouvernement. En Allemagne et en Italie, où les régimes politiques sont différents, l’État exerce un contrôle encore plus important sur l’économie, ce qui conduit à la nationalisation de certaines industries jugées « stratégiques ».
C’est dans cet esprit qu’en Italie, le régime fasciste a institué le système public de sécurité sociale, bien que sous une forme limitée par rapport à aujourd’hui : le 22 avril 1927, la « Carta del Lavoro » a été publiée. Le point XXVI établit la sécurité sociale en la définissant comme « une haute manifestation du principe de collaboration », aux charges de laquelle l’employeur et le travailleur doivent « contribuer proportionnellement ».
Derrière l’idée que l’État-providence est une amélioration des conditions des salariés se cache le préjugé d’un État capable de concilier les différents intérêts de classe dans une société « corporatiste » ou démocratique.
Ce point de vue est amplement confirmé lorsqu’on analyse le cas français, à l’époque du Front populaire, qui reste pour l’imaginaire de gauche l’un des points culminants de la stratégie et de la pratique social-démocrate, visant à l’expansion de la sécurité sociale. En 1936, sous l’impulsion d’un fort mouvement ouvrier, l’Etat français et les patrons autochtones ont choisi une politique visant à détruire ce mouvement, favorisant un élargissement de l’Etat dans l’économie. Exactement comme en Allemagne et en Italie dans l’immédiat après-guerre, en France, avec une classe ouvrière à l’attaque, le capital a dû renoncer temporairement à sa poursuite de l’augmentation du taux de profit, se limitant à maintenir l’exploitation des travailleurs. Le capital a pu confier au gouvernement français du Front populaire la tâche essentielle de briser les bases de la lutte ouvrière et de mobiliser les masses vers la guerre impérialiste (tâche qui incombait au fascisme en Italie et au nazisme en Allemagne), parce qu’il possédait une puissante masse de manœuvre (la plus-value nationale et coloniale) qui lui permettait de ne plus subordonner la vie économique du régime à la transformation immédiate du profit en capital. C’était là tout le sens du slogan du frontisme français concernant sa politique de « billet à ordre sur l’avenir » qui puisait dans les milliards de plus-value accumulés dans les banques, tandis que les capitaux partaient à l’étranger pour profiter de conditions plus favorables, pour ne revenir sur le sol français qu’après l’affaiblissement de la classe ouvrière par le syndicat et le soutien à l’économie de guerre.
Ainsi, même lorsque l’introduction de l’État-providence dans l’économie a été motivée par une intensification des luttes ouvrières, inutile de préciser que ce n’était pas le cas partout, voir par exemple l’Allemagne où les patrons ont opté pour une redistribution créée par la croissance de la productivité avec de simples politiques de concertation entre syndicats En effet, si elle a permis aux organisations patronales et au gouvernement d’agir sans faire une heure de grève, elle a surtout servi à freiner les revendications des travailleurs et à les ramener dans les cercles syndicaux, où une « soumission » des patrons correspond à un retour à la « normalité » des relations sociales.
Le pouvoir de l’État est une violence de classe, mais aussi un régulateur des intérêts généraux contre les pulsions monopolistiques, car les revendications des travailleurs élèvent le niveau historiquement donné des besoins et la menace des tensions de classe.
Les réformes sociales ne sont donc pas un cadeau ou une ruse des capitalistes en tant que classe, mais une médiation de l’État dans l’intérêt du système et parfois sous l’impulsion d’une lutte acharnée des travailleurs.
Il n’y a pas de « neutralité » de la forme étatique. Marx avait déjà montré comment la forme » démocratique » et » libre » de l’État sert de médiateur entre les contradictions du système de différentes manières : bonne planification capitaliste, anticrise autant que possible, où certains intérêts corporatistes prolétariens sont également conciliés. C’est l’instrument idéal pour une bourgeoisie qui veut se poser en « classe générale ». Si l’État » démocratique » exprime donc les besoins les plus profonds du mode de production capitaliste et son besoin de médiation social, il génère également le réformisme du mouvement ouvrier, tout aussi fonctionnel au bon fonctionnement du système. L’illusion de la neutralité de l’État (et son utilisation par les ouvriers) permet ainsi de contrôler toutes les formes d’insubordination prolétarienne.
L’empressement apparemment illimité de l’État moderne à reconnaître les « droits sociaux et civils » codifie essentiellement un équilibre corporatiste d’intérêts de classe conflictuels, qui trouvent un équilibre précaire et provisoire face au pouvoir objectif de l’État « libre et démocratique », source de la loi et de l’entreprise, incarnation du « progrès ».
L’autoritarisme de l’État moderne (démocratique et social) est la synthèse du régime parlementaire et du pouvoir technocratique (si l’on veut appeler cela une bureaucratie fortement influencée par des experts financiers et des gestionnaires techniques), deux faces d’une même réalité.
Cependant le développement du capitalisme conduit à son internationalisation. C’est la tendance historique et Engels la précise : « Le pouvoir de l’État se renforce dans la mesure où les antagonismes de classe au sein de l’État s’accentuent et où les États voisins deviennent plus grands et plus peuplés”. Par conséquent, même si dans un marché national, en raison de conditions spécifiques, les antagonismes de classe ne conduisent pas à un renforcement rapide de la machine étatique, ce renforcement sera accéléré par le marché international et le développement conséquent des grands États qui y opèrent. Ainsi, même le plus petit et le moins centralisé des États est déterminé dans son évolution interne par l’action de facteurs internationaux qui interviennent, comme le marxisme et l’histoire nous l’enseignent, en influençant les formes spécifiques de la dictature bourgeoise dans chaque pays individuel. Cette dynamique est présente dans tous les États, même si elle prend des formes et des délais différents par rapport au développement inégal de l’impérialisme.
Face à l’État démocratique-corporatif moderne, il est facile pour ceux qui posent le problème de briser les rouages de la structure de commandement de la bourgeoisie de tomber dans un absolutisme stérile : toute lutte pour les garanties sociales est ainsi vouée à être résorbée par l’État…
Les luttes pour un salaire pour les chômeurs et un pacte de salaire minimum, sont évidemment des revendications économiques mais elles ont la capacité de jouer une fonction politique comme les luttes pour la réduction du temps de travail pour les 8 heures a fin 1800. Chaque revendication en soi n’est pas « révolutionnaire » mais s’inscrit dans les conventions de la lutte des classes.
C’est sur le terrain politique (relations entre tous le classes), sur le terrain de l’État (le monopole de la violence), que la classe ouvrière peut arriver à sa conscience politique, c’est-à-dire à avoir sa politique. Mais c’est à partir de la lutte économique que la classe ouvrière arrive au champ politique et non l’inverse, car toute lutte économique a un contenu politique, elle est un mouvement dans les relations sociales, elle est une dynamique des relations entre les classes et elle affecte le champ des relations réciproques de toutes les classes, dans le champ de l’État.
Il appartient à tous ceux qui défendent le communisme de lutter pour exploiter au maximum les mobilisations ouvrières et prolétariennes, pour donner solidarité, force, organisation et direction à la classe en lutte, contre tous ceux qui défendent l’ancien monde. Il est clair que la guerre des classes se joue à plusieurs niveaux, imbriqués les uns dans les autres.
Mu’ammar G. et Mateo F.