Interview: Nazariya Magazine (inde)

SUPERNOVA n.9 2025

classes, capitalisme et fascisme en inde

1 – POURRIEZ-VOUS NOUS PARLER DE VOTRE MAGAZINE ?

Nazariya est un magazine indépendant marxiste-léniniste-maoïste (MLM) lancé en 2022. À ses débuts, nous l’avons défini comme une publication « anti-impérialiste, anti-féodale et anti-fasciste ». Bien que nos écrits aient toujours reflété une perspective majoritairement marxiste-léniniste-maoïste, Nazariya a vu le jour à une époque où l’équipe éditoriale était encore en formation – en particulier des membres ayant récemment commencé leur parcours politique, s’initiant tant aux fondements théoriques du marxisme qu’aux aspects pratiques du travail politique. Ce n’est qu’au début de l’année 2024, avec un approfondissement de notre clarté idéologique et politique, que nous nous sommes officiellement déclarés comme un magazine marxiste-léniniste-maoïste. La conceptualisation de Nazariya a été initialement motivée par l’idée de lancer un magazine marxiste. À partir de là, Nazariya a évolué d’un simple idéal — le désir de créer un magazine — vers un plan d’action concret qui a jeté les bases de ce qu’il est aujourd’hui. Nous avons commencé comme un cercle d’études dans un cadre universitaire, d’où les membres les plus engagés et enthousiastes ont formé le premier comité éditorial du magazine. De cette équipe d’origine, seuls quelques-uns continuent aujourd’hui à participer activement au travail de Nazariya. Notre objectif initial était large mais clair : organiser et intervenir idéologiquement, principalement parmi les intellectuels et les étudiants petits-bourgeois. Notre but n’était pas seulement de propager la nécessité du mouvement révolutionnaire, mais aussi de forger un lien entre cette classe et les luttes populaires plus larges en Inde — d’agir comme un pont entre le peuple et le programme de la Révolution Démocratique Nouvelle. Dans cet esprit, Nazariya a été conçu dans la tradition des publications révolutionnaires telles que People’s March (interdit par le gouvernement indien en 2008) et Towards a New Dawn (ayant subi une forte répression, y compris des cyberattaques étatiques visant à désactiver leur site web). Notre objectif reste simple : élever la conscience politique des masses et offrir un point de vue idéologique et politique sur les enjeux cruciaux du mouvement révolutionnaire en Inde. Comme l’a dit Lénine : “Un journal n’est pas seulement un propagandiste collectif et un agitateur collectif ; c’est aussi un organisateur collectif.” Si nous prétendons être un organisateur collectif, alors la question simple serait : autour de quoi, et pour quoi organisons-nous ? De “magazine anti-impérialiste, anti-féodal et anti-fasciste”, Nazariya est devenu aujourd’hui une revue marxiste-léniniste-maoïste, “anti-impérialiste, anti-féodale, anti-fasciste, anti-révisionniste et opposée à la pensée postmoderne”. Il est important de comprendre pourquoi nous avons choisi ces termes précis, et dans le contexte dans lequel nous écrivons. Depuis le transfert formel du pouvoir en 1947, l’Inde est restée une société semi-coloniale et semi-féodale, où le capital financier impérialiste, les propriétaires terriens locaux et la bourgeoisie compradore exploitent et oppriment conjointement les masses indiennes. Le lien entre impérialisme, féodalisme et capitalisme bureaucratique compradore s’est approfondi, assurant que chaque projet de “développement” — des ZES (zones économiques spéciales) aux corridors à grande vitesse — serve les intérêts de la classe dirigeante mondiale et de ses laquais. Cela constitue l’aspect matériel de l’économie politique de l’Inde. C’est soutenu par diverses formes de fascisme indien, que sont la bureaucratie compradore dans l’économie politique et l’hindutva brahmanique dans la sphère politique. L’utilisation du conflit de basse intensité signifie que l’assaut impérialiste ne se limite pas à l’économie politique, mais est aussi idéologique. Afin de fragmenter et démobiliser les masses, celles-ci sont inondées de la diffusion des idées et philosophies de la classe dirigeante, pour affaiblir l’idéologie révolutionnaire prolétarienne et semer le mécontentement et le défaitisme dans la société. L’attaque du système des castes et de l’islamophobie s’intensifie sous l’assaut du Fascisme Hindutva Brahmanique (la forme politique du fascisme en Inde). Tout en criminalisant le marxisme-léninisme-maoïsme, l’État permet et même promeut le révisionnisme et la pensée postmoderne à travers ses institutions, afin de semer la confusion au sein des rangs révolutionnaires. En “créant des divisions parmi les opprimés à propos de l’idéologie par des tendances identitaires”, l’État s’assure que les ouvriers, les paysans, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationale restent aveugles à leurs intérêts de classe communs et soient donc incapables de former un front uni révolutionnaire. La petite bourgeoisie en particulier reste une classe fondamentalement instable et contradictoire. En période de calme, elle réclame des réformes limitées qui laissent le système intact. Mais en temps de crise — guerre impérialiste, effondrement économique, chômage massif, violences étatiques fondées sur la caste et la religion, pour n’en citer que quelques-unes — elle gravite vers la classe dirigeante et ses forces fascistes comme le RSS-BJP, cherchant à défendre ses privilèges étroits. Cela confirme l’analyse marxiste selon laquelle seuls le prolétariat et les paysans sans terre et pauvres, sous la direction d’un parti révolutionnaire discipliné, peuvent former le noyau inébranlable de l’avant-garde révolutionnaire. Au sein de nos propres rangs, deux déviations idéologiques sabotent activement la ligne révolutionnaire. Le révisionnisme réduit la stratégie révolutionnaire à la participation électorale, au légalisme et à l’économisme syndical. Il nie la nécessité de prendre le pouvoir d’État par la lutte armée et promeut à la place l’illusion d’une réforme graduelle sous domination bourgeoise. D’autre part, le postmodernisme rejette l’existence de contradictions de classe objectives et remplace le matérialisme historique par l’idéalisme subjectif petit-bourgeois et le relativisme. Il nie la centralité de la lutte des classes, fragmente l’unité des masses et affaiblit la conscience révolutionnaire. C’est pour cette raison que Nazariya adopte sa ligne politique consistant à être “anti-impérialiste, anti-féodal, anti-fasciste, anti-révisionniste et opposé à la pensée postmoderne” : il est nécessaire de purger le mouvement révolutionnaire de la classe dirigeante et de ses agents, ainsi que des idéologies et philosophies qui servent leurs intérêts. Cela n’est possible que par l’identification claire de nos ennemis, et Nazariya remplit ce rôle, car ce n’est qu’en identifiant et en écartant ces éléments que le programme de Révolution Démocratique Nouvelle peut progresser. Le marxisme-léninisme-maoïsme est la seule idéologie scientifique qui a systématiquement et concrètement transformé la société de classes en faveur des opprimés — des révolutions soviétique et chinoise jusqu’au mouvement de guérilla armée toujours en cours en Inde. La Révolution Démocratique Nouvelle n’est pas un appel utopique — c’est une question de survie. Il s’agit d’une voie stratégique qui unit la grande majorité du peuple indien — les ouvriers, les paysans pauvres et sans terre, les étudiants, les castes et nationalités opprimées — contre la triade de l’impérialisme, du féodalisme et du capitalisme bureaucratique-compradore. Sans changement révolutionnaire, les peuples continueront de subir déplacements massifs, terreur d’État, atrocités liées au système des castes et exploitation capitaliste extrême, masquée sous le terme de “développement”. C’est dans cette compréhension que Nazariya Magazine intervient sur le front idéologique. Comme nous le rappelle Mao : “les idées justes ne tombent pas du ciel” — elles émergent à travers la lutte des classes et se forgent dans la pratique idéologique. Notre tâche est donc de former des cadres révolutionnaires — non pas de simples individus politisés, mais des personnes profondément ancrées dans le MLM, capables de mener la lutte des deux lignes, de combattre le révisionnisme et le postmodernisme, et de fusionner avec les masses pour contribuer à l’avant-garde capable de mener la révolution indienne.

2 – AGIR EN TANT QUE COMMUNISTE SIGNIFIE ASSUMER LE SOCIALISME SCIENTIFIQUE COMME FONDEMENT TOUT EN CONSERVANT LA CAPACITÉ D’INTERVENIR DANS DES SITUATIONS SPÉCIFIQUES. L’INDE A SON PROPRE CONTEXTE PARTICULIER (COMME LA QUESTION DES CASTES, PAR EXEMPLE). QUELLES SONT LES CLASSES QUI COMPOSENT L’INDE ?

C’est l’une des questions les plus fondamentales pour tout communiste œuvrant dans le contexte indien. La formation sociale et économique actuelle de l’Inde est celle d’une société semi-coloniale et semi-féodale. Bien que le capitalisme existe, il fonctionne en alliance avec le capital impérialiste et repose sur des bases féodales. Cela rend la structure de classe indienne distincte de celle des pays où la transition du féodalisme au capitalisme a été plus complète. C’est pour cette raison que nous parlons du “développement inégal du capitalisme” en Inde, et que nous qualifions la nature du capitalisme indien de “capitalisme bureaucratique-compradore”. Après 1947, l’Inde n’a pas déraciné le féodalisme ni détruit les structures coloniales. Le contrôle impérialiste a été maintenu à travers un passage à une domination indirecte, qui a préservé les relations féodales et instauré une bourgeoisie compradore au service du capital étranger. Comprendre les différentes classes dans cette formation nécessite une analyse concrète de ces conditions historiques et sociales. Aujourd’hui en Inde, les classes dirigeantes se composent des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie bureaucratique-compradore (BBC). Ces deux classes sont centrales dans le maintien de la structure semi-coloniale et semi-féodale de l’Inde. La classe des propriétaires terriens continue de dominer les campagnes à travers de grandes propriétés et le maintien de relations sociales féodales. Malgré les réformes agraires formelles, la terre reste concentrée, et les hiérarchies fondées sur les castes persistent. Les propriétaires extraient des rentes et du surtravail des paysans pauvres, utilisant à la fois la machine d’État et la violence extralégale pour réprimer toute résistance. Leur pouvoir est non seulement économique, mais aussi profondément social et politique, ce qui en fait des piliers majeurs de la réaction rurale. La bourgeoisie compradore-bureaucratique, quant à elle, agit comme un agent interne du capital impérialiste. Plutôt que de développer une industrie nationale, cette classe facilite l’entrée du capital étranger et soutient des politiques favorables au capital monopoliste mondial. Les compradors tirent profit des privatisations, de la dérégulation et de l’intégration dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, au lieu de construire une production nationale autonome. Ils exercent une influence considérable sur la politique et la gouvernance de l’État, agissant comme des facilitateurs clés de l’impérialisme à travers des politiques néocoloniales. Dans cette société semi-coloniale et semi-féodale, les classes en Inde sont les suivantes :

Prolétariat : Cette classe est composée de ceux qui vendent leur force de travail contre un salaire et ne possèdent pas les moyens de production. Le prolétariat inclut largement les ouvriers industriels, qu’ils soient dans le secteur formel ou informel, sans possession de moyens de production. Bien qu’ils soient les plus exploités par le capitalisme, ils représentent aussi la force dirigeante de la révolution en raison de leur rôle central dans la production, ce qui les rend essentiels au fonctionnement de la société. Malgré la fragmentation, l’insécurité et l’instabilité de l’emploi, leur confrontation directe avec l’exploitation capitaliste les place au cœur du mouvement révolutionnaire.

Semi-prolétariat : Ce groupe comprend des individus oscillant entre le salariat et des activités informelles ou de subsistance. Leur existence est instable et fluide, les rendant particulièrement réceptifs aux idées révolutionnaires. Cela inclut les vendeurs de rue, les travailleurs à temps partiel et bien d’autres vivant aux marges de l’emploi formel et de la subsistance rurale. Malgré leurs conditions précaires, ils constituent une base importante pour le soutien révolutionnaire, car leurs luttes quotidiennes mettent souvent en lumière les contradictions du système existant.

Paysannerie : La paysannerie est divisée en paysans pauvres et sans terre, paysans moyens, et paysans riches. Les paysans pauvres et sans terre sont les alliés les plus fiables de la révolution, car ils subissent les formes d’exploitation féodale les plus brutales. Les paysans moyens peuvent pencher vers des positions révolutionnaires ou réformistes selon le contexte. Les paysans riches, bien qu’ils exploitent parfois le travail d’autrui, peuvent temporairement s’allier aux classes opprimées lors de luttes plus larges contre l’impérialisme, comme cela fut observé lors du mouvement des agriculteurs de 2021-2022, où ils protestaient contre l’intrusion des entreprises dans l’agriculture, et à nouveau en 2024-2025 quand les agriculteurs protestaient avec des revendications claires telles que le retrait de l’Inde de l’OMC et d’autres forums impérialistes multinationaux.

Lumpen-prolétariat : Le lumpen-prolétariat comprend les individus marginalisés de l’économie formelle, tels que les mendiants, petits criminels, et autres qui ne trouvent pas leur place dans les structures d’emploi conventionnelles. Bien qu’ils soient souvent perçus avec méfiance, ils peuvent être mobilisés pour l’action révolutionnaire, surtout lorsqu’ils sont poussés par l’oppression, l’aliénation ou le désespoir économique. Même s’ils ne sont pas toujours considérés comme faisant partie du noyau révolutionnaire, leur participation peut influencer significativement le mouvement, en particulier lorsque leurs conditions s’alignent avec la lutte révolutionnaire.

Petite bourgeoisie : la petite bourgeoisie comprend les artisans (ceux engagés dans la production à petite échelle), les petits commerçants, les échelons inférieurs des intellectuels tels que les étudiants, les enseignants du primaire et du secondaire, les chargés de cours à l’université, les employés de bureau, les fonctionnaires non-gazettés, les ingénieurs, les médecins, les avocats, ainsi que ceux exerçant diverses autres professions dont les revenus, largement de classe moyenne, proviennent principalement de leur propre travail manuel ou intellectuel. La classe petite-bourgeoise se compose de trois sections. La première section est constituée des éléments relativement aisés, c’est-à-dire ceux dont les revenus annuels leur permettent d’avoir un certain excédent après avoir satisfait leurs besoins de consommation. La deuxième section est constituée de ceux qui, dans l’ensemble, sont économiquement autosuffisants. La troisième section regroupe ceux dont le niveau de vie ne cesse de décliner et qui peinent à joindre les deux bouts. La première section aspire toujours à gravir l’échelle sociale, est plus proche de la bourgeoisie nationale, a beaucoup de foi dans la propagande libérale bourgeoise et se montre méfiante à l’égard de la révolution. Cette section, minoritaire au sein de la petite bourgeoisie, en constitue l’aile droite. La deuxième section ne s’oppose jamais à la révolution mais hésite à s’y rallier, car elle nourrit des doutes quant à la victoire finale de celle-ci. La troisième section soutient ouvertement la révolution et y joue un rôle actif. Bien que ces trois sections diffèrent dans leur attitude vis-à-vis de la révolution en temps normal, lorsque le mouvement révolutionnaire progresse vers la victoire, l’ensemble de la classe petite-bourgeoise, y compris même son aile droite, se rallie à la vague révolutionnaire. Cela est dû à sa position dans la société, c’est-à-dire à sa condition de classe opprimée par l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique comprador, avec un nombre croissant de ses membres confrontés à l’insécurité sociale, sombrant dans la paupérisation et étant poussés vers les rangs du prolétariat ou du chômage à mesure que la crise économique s’aggrave. Ainsi, en tant que classe, cette partie de la petite bourgeoisie constitue l’une des forces motrices de la révolution et un allié fiable du prolétariat.

Bourgeoisie nationale : La bourgeoisie nationale possède un caractère dual, issu de sa position économique. C’est une classe politiquement très faible et hésitante. D’un côté, elle est opprimée par l’impérialisme, le capitalisme bureaucratique-comprador et entravée par le féodalisme. Elle a donc une contradiction avec ces trois ennemis de la révolution démocratique populaire en Inde. Elle ne détient ni pouvoir d’État ni contrôle sur les fonds publics. Elle a relativement peu de liens avec l’impérialisme. Son marché est continuellement grignoté par le nexus impérialiste-BBC, sa croissance est freinée et certaines de ses fractions sont même liquidées sous l’offensive croissante de l’impérialisme. Elle constitue donc une des forces révolutionnaires à ce stade de la révolution indienne. Cependant, étant une classe capitaliste, elle est inconsistante et manque de courage pour s’opposer de manière décisive à l’impérialisme et au féodalisme, car elle est économiquement et politiquement fragile, dépendante de l’État pour les licences, les matières premières et le financement. Elle maintient encore certains liens économiques avec l’impérialisme et le féodalisme, et craint la révolution prolétarienne. Elle aspire aussi à établir un État sous son propre contrôle et à devenir une grande bourgeoisie. Elle exploite le travail et tire ses revenus principalement de cette exploitation. En raison de ce caractère dual, elle peut participer à la révolution contre l’impérialisme et les classes dirigeantes indiennes à certaines périodes et dans une certaine mesure. Mais à d’autres moments, il existe le risque qu’elle suive la BBC et prenne part à la contre-révolution. Le prolétariat, le semi-prolétariat, les paysans pauvres, sans terre, moyens et riches, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationale forment les forces motrices de classe de la Révolution Démocratique Nouvelle en Inde, tandis que les grands propriétaires fonciers et la bourgeoisie bureaucratique-comprador sont les cibles de la révolution.

3 – EN OCCIDENT, LA QUESTION PAYSANNE EST HISTORIQUEMENT CLOSE, MÊME SI LA QUESTION FONCIÈRE (RENTE) RESTE CENTRALE. LA QUESTION PAYSANNE EST-ELLE ENCORE D’UNE IMPORTANCE VITALE DANS LE CONTEXTE INDIEN AUJOURD’HUI ? QUELLE STRATÉGIE RÉVOLUTIONNAIRE SERAIT APPROPRIÉE POUR CE SECTEUR SOCIAL ?

Le mode de production en Inde est semi-colonial et semi-féodal.

Semi-colonial, parce que même si l’Inde a obtenu son indépendance formelle du colonialisme britannique en 1947, l’appareil d’État, l’économie, la politique, l’armée et la culture indiennes sont restés sous le contrôle indirect des impérialistes à travers des méthodes néocoloniales.

Semi-féodal, parce que les relations féodales n’ont jamais été transformées ni par une révolution démocratique bourgeoise qui les aurait écrasées (connue comme la “voie américaine”), ni par une lente transformation progressive vers des relations capitalistes (connue comme la “voie prussienne”). Les colonialistes britanniques ont maintenu les structures féodales lorsqu’ils ont colonisé l’Inde, tout en imposant une forme de capitalisme au service des impérialistes, favorisant une section de capitalistes indiens loyaux aux impérialistes (la bourgeoisie bureaucratique-compradore).

En conséquence, la question paysanne, concrétisée dans le slogan “La terre à celui qui la cultive !”, n’a jamais été résolue en Inde. Les relations foncières restent essentiellement féodales. L’exploitation féodale fondée sur les castes existe toujours, coexistant avec des relations capitalistes déformées — c’est-à-dire un développement inégal du capitalisme.

Les quatre contradictions principales en Inde sont :

1. Le féodalisme contre les larges masses populaires

2. L’impérialisme contre le Peuple Indien

3. Le capital contre le travail

4. Les contradictions au sein des classes dirigeantes

Parmi elles, le féodalisme contre les masses populaires est la principale contradiction. Même l’exploitation impérialiste est façonnée par les relations féodales. En raison du semi-féodalisme, le prolétariat représente encore une petite partie de la population comparée à la paysannerie. De plus, la contradiction liée au féodalisme est concentrée dans les campagnes, qui sont le principal foyer d’exploitation semi-féodale et pré-capitaliste. Ainsi, la stratégie révolutionnaire pour l’Inde reste proche de la voie chinoise. Le type de révolution en Inde est donc une Révolution Démocratique Nouvelle avec la révolution agraire comme son axe principal. La révolte du Telangana (1946-1951) fut la première tentative d’application de cette voie en Inde. À cette époque, la direction du Parti Communiste d’Inde (CPI) était déjà dominée par des révisionnistes qui cherchaient à liquider le Parti Communiste et à suivre le Congrès National Indien, un parti des grands propriétaires et de la bourgeoisie compradore. Le CPI n’avait ni une analyse claire du mode de production, ni de stratégie ou de programme pour la révolution indienne. Il tenta de reproduire mécaniquement l’expérience soviétique sans analyse concrète des conditions concrètes de l’Inde. La direction du CPI était extrêmement hostile à la Révolution Démocratique Nouvelle chinoise, à Mao Zedong et à la Pensée Mao Zedong. Pourtant, certains révolutionnaires tentèrent de mener une lutte des deux lignes sur ces questions (la TN Reddy Memorial Trust a publié une série d’ouvrages compilant ces polémiques et débats internes au CPI). À cette époque, le Telangana faisait partie de l’État princier de Hyderabad. Le souverain de Hyderabad était le Nizam. Le Telangana subissait une exploitation féodale et impérialiste brutale. En 1946, une insurrection armée paysanne éclata sous la direction des révolutionnaires au sein du CPI. Les slogans “La terre à celui qui la cultive !” et “La voie de la Chine est notre voie !” furent lancés. Bientôt, un million d’acres de terres furent libérées et redistribuées aux paysans. Mais en 1951, la direction révisionniste trahit la lutte en retirant l’insurrection armée, en entrant au parlement et en promouvant la voie révisionniste du “parlementarisme vers le socialisme”. Cela entraîna l’écrasement des acquis de la lutte et une violente répression de la part de l’État. Cela montre que le peuple ne peut rien obtenir sans mouvement révolutionnaire militant. En 1967, une autre révolte agraire armée éclata à Naxalbari, un village du Bengale occidental, sous la direction de communistes révolutionnaires au sein du CPI(Marxiste), notamment du camarade Charu Mazumdar. Naxalbari devint un tournant majeur dans l’histoire du mouvement communiste en Inde. Pour la première fois, les communistes révolutionnaires traçaient une ligne de démarcation claire avec les révisionnistes, proclamaient que la société indienne était semi-coloniale et semi-féodale, déclaraient que la voie révolutionnaire était celle de la Révolution Démocratique Nouvelle avec la révolution agraire comme composante centrale, et reconnaissaient le marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong (aujourd’hui marxisme-léninisme-maoïsme) comme idéologie directrice. L’histoire de 58 ans du mouvement révolutionnaire de type Nouvelle Démocratie en Inde a prouvé sans aucun doute que seule la Révolution Démocratique Nouvelle, sous la direction du prolétariat, avec les paysans pauvres et sans terre comme principaux alliés, peut vaincre les trois ennemis principaux — l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique-comprador, les trois grandes montagnes pesant sur le peuple indien.

4 – CES DERNIÈRES ANNÉES, NOUS AVONS ASSISTÉ À UN DÉVELOPPEMENT URBAIN MASSIF, BALAYANT DES CONTINENTS ENTIERS COMME L’ASIE ET L’AFRIQUE. CE DÉVELOPPEMENT A ÉTÉ ACCOMPAGNÉ D’UN ESSOR INDUSTRIEL ET, SURTOUT, FINANCIER. COMMENT CES FACTEURS INFLUENCENT-ILS LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DANS VOTRE PAYS ?

En Inde, les dernières décennies ont vu un développement rapide sur les plans urbain, industriel et financier. Toutefois, ce développement s’est entièrement déroulé au service et selon les besoins du capital financier impérialiste. L’urbanisation et l’industrialisation n’ont pas été dictées par les besoins internes de la population, mais par les exigences externes du capital financier impérialiste. Le résultat est un développement inégal et déformé qui profite aux capitalistes bureaucratiques-compradores et aux grands propriétaires fonciers, tout en marginalisant l’immense majorité des travailleurs et des pauvres urbains.

La population urbaine de l’Inde dépasse aujourd’hui 36,4 % — soit plus de 519 millions de personnes, un chiffre supérieur à la population totale des États-Unis. Cela fait de l’Inde urbaine un site majeur de la lutte des classes. Cependant, l’urbanisation de l’Inde n’est pas le fruit d’une expansion industrielle planifiée, mais un sous-produit de la pénétration du capital financier. La libéralisation de l’économie indienne après 1991 marque un tournant : les entreprises du secteur public ont été démantelées, la production manufacturière a décliné, et les terres ont été transformées en marchandises pour la spéculation immobilière. Les villes sont devenues des véhicules de profit pour les multinationales, les monopoles nationaux et la finance mondiale. Les données agrégées sur l’emploi illustrent cette transformation. Entre 1983 et 1993-94, la proportion des hommes urbains travaillant dans l’industrie manufacturière a chuté de 27 % à 23,6 %, et celle des femmes de 26 % à 23,6 %. Pendant ce temps, la part des hommes employés dans le secteur des services est passée de 24,8 % à 26,4 %, et celle des femmes de 31,4 % à 38,8 %. Ces services incluent la finance, les assurances, les services aux entreprises et les services communautaires ou sociaux. Cette tendance indique un rétrécissement du prolétariat industriel et une croissance de la main-d’œuvre urbaine engagée dans des emplois de services informels et mal payés — vendeurs ambulants, livreurs, travailleurs de l’hôtellerie, employés de centres d’appels. Le chômage a augmenté, et le travail ouvrier est devenu plus précaire et occasionnel. La structure spatiale des villes a également connu de profondes transformations. Historiquement, les villes indiennes portaient l’empreinte coloniale, avec une séparation stricte entre l’élite britannique et les pauvres indiens. Après l’indépendance, cette séparation s’est quelque peu atténuée — les bidonvilles se développaient à côté des gratte-ciels, et les vendeurs ambulants opéraient devant les bureaux des multinationales. Mais depuis les années 1990, surtout sous l’effet des programmes d’aménagement urbain dictés par la Banque mondiale, cette cohabitation est systématiquement démantelée. Dans les grandes villes comme Delhi, Mumbai, Bangalore, Hyderabad, Kolkata et Chennai, et de plus en plus dans les villes moyennes, une restructuration urbaine basée sur les classes sociales est en cours. Les bidonvilles sont détruits, les vendeurs ambulants expulsés, les petites industries dites “polluantes” fermées, et les communautés ouvrières repoussées en périphérie. En même temps, des quartiers de luxe avec centres commerciaux, autoroutes, bureaux d’affaires et logements fermés sont construits au cœur des villes. Cette segmentation urbaine est imposée par des lois foncières, des réglementations environnementales, des interdictions de manifester dans les centres-villes, et une répression policière. L’État joue un rôle central dans ce processus. Les bureaucrates urbains et les urbanistes, suivant les prescriptions de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement et d’autres agences impérialistes, ont redéfini la politique urbaine autour des notions d’”efficacité”, de “propreté” et de “compétitivité mondiale”. C’est en réalité un code pour créer des zones aseptisées destinées au capital mondial tout en expulsant les pauvres. Des programmes comme le National Capital Region Plan pour Delhi ou le projet Mega-City de 1993 pour les grandes métropoles ont institutionnalisé cette logique. Même la justice a joué un rôle réactionnaire : les hautes cours et la Cour suprême, alignées sur les intérêts des classes dominantes, ont utilisé des “recours d’intérêt public” pour légaliser les expulsions et démolitions — souvent avec le soutien d’ ”environnementalistes” anti-populaires qui accusent les pauvres d’être responsables de la pollution. La région de Delhi illustre clairement ce phénomène. Des zones comme Gurgaon, NOIDA, Manesar et Kundli ont connu un essor lié aux investissements dans les services et la finance. Désormais, l’État indien se concentre sur des villes comme Hisar, qu’il veut transformer en « ville mondiale » en y attirant des investissements multinationaux. Ce développement est profondément biaisé en faveur du capital financier et immobilier, au détriment des classes populaires. Les emplois ouvriers y sont rares, tandis que l’emploi informel et le déplacement forcé sont la norme.

D’autres grands pôles industriels et urbains présentent les mêmes contradictions :

1-Le Corridor Ahmedabad–Pune : la zone la plus concentrée de développement urbain-industriel, combinant spéculation immobilière, automobile, pharmacie et industrialisation basée sur les zones économiques spéciales (SEZ).

2-Bengaluru : la « Silicon Valley de l’Inde », centre mondial des services informatiques, avec des emplois précaires et quasiment aucune industrie lourde ni pouvoir ouvrier.

3-Hyderabad et Visakhapatnam : croissance alimentée par les investissements en électronique et en informatique, mais largement financée par des partenariats public-privé qui déplacent les pauvres urbains.

4-La Ceinture Coimbatore–Erode : zone en urbanisation rapide reposant sur le textile et l’ingénierie légère, avec une exploitation intense de la main-d’œuvre et une forte informalisation.

Malgré cette croissance urbaine, l’industrie manufacturière stagne. La part de l’industrie dans le PIB est passée de 29 % en 1989 à 27,6 % en 2024. En revanche, les services sont passés de 41 % à 54,7 %. L’agriculture, quant à elle, est tombée à 17,7 %, bien qu’elle fournisse encore un moyen de subsistance à près de la moitié de la population. Ce modèle de croissance déséquilibré a produit une économie fragile dominée par la finance spéculative, vulnérable aux crises économiques et politiques. Sur le plan économique, cela signifie une croissance sans création d’emplois, une inégalité croissante et une dépendance accrue au capital étranger. Cela a conduit à l’essor du fascisme bureaucratique-compradore. Des groupes comme Adani prospèrent grâce aux faveurs étatiques, à l’accaparement des terres et aux lois répressives. Une gouvernance urbaine autoritaire va de pair avec la politique fasciste brahmanique hindutva, qui réprime les contestations, expulse les manifestants et criminalise les travailleurs et les pauvres. En résumé, le développement industriel et financier de l’Inde n’est pas la cause de l’urbanisation, mais l’urbanisation et l’industrialisation se sont faites au service du capital financier. Le développement industriel reste limité, les pauvres urbains sont exclus de force des villes, et la classe ouvrière est de plus en plus fragmentée et précarisée. Pourtant, ces contradictions donnent naissance à de nouveaux foyers de lutte, des bidonvilles aux syndicats de travailleurs informels. Les forces révolutionnaires doivent intensifier leurs efforts pour organiser le prolétariat urbain et semi-prolétariat en lien avec la révolution agraire, afin de confronter et renverser cet ordre semi-colonial et semi-féodal.

5 – LES ÉTATS-UNIS ET LE « PÔLE ATLANTIQUE » CONSTITUENT LA PRINCIPALE FORCE POLITICO-ÉCONOMIQUE MONDIALE. CEPENDANT, NOUS ASSISTONS À L’ÉMERGENCE DE NOUVEAUX BLOCS ÉCONOMIQUES COMME LES BRICS. COMMENT LA BOURGEOISIE DE VOTRE PAYS SE POSITIONNE-T-ELLE PAR RAPPORT À CETTE DIVISION ?

Depuis l’époque du non-alignement nehruvien, la classe dirigeante indienne a toujours pratiqué une politique de manœuvre opportuniste entre blocs impérialistes concurrents. Le prétendu Mouvement des non-alignés (NAM) n’a jamais été réellement non-aligné — il servait simplement à dissimuler les tentatives de l’Inde d’exploiter les contradictions inter-impérialistes pour avancer son propre agenda bourgeois. Dès le départ, l’État indien a oscillé entre les camps, s’alignant là où il voyait un bénéfice tactique, sans jamais adopter une position de principe ou anti-impérialiste. Cet opportunisme persiste aujourd’hui, bien que dans de nouvelles configurations mondiales. À mesure que les contradictions inter-impérialistes s’intensifient, sur fond de déclin de la domination unipolaire des États-Unis et de montée de formations multipolaires comme les BRICS, le système impérialiste mondial entre dans une phase plus instable et conflictuelle. Dans ce contexte, la classe dirigeante indienne montre des signes de divisions internes. Certains segments de la bourgeoisie sont attirés par le bloc atlantiste, tandis que d’autres flirtent avec les BRICS ou d’autres alternatives pour se protéger contre les turbulences mondiales. Toutefois, ces contradictions restent non antagonistes : elles reflètent des stratégies concurrentes visant à préserver la domination comprador et à étendre la suprématie régionale de l’Inde. Nous vivons une période où la possibilité d’une troisième guerre mondiale, bien que lointaine, ne peut être totalement écartée. Elle ne découlerait pas nécessairement des contradictions entre puissances impérialistes, mais d’une menace révolutionnaire grandissante — telle qu’une résurgence du communisme mondial. L’histoire montre que face à de telles menaces, les puissances impérialistes mettent de côté leurs rivalités pour écraser leurs ennemis communs, comme ce fut le cas durant les deux guerres mondiales ou dans la répression des mouvements révolutionnaires. On observe déjà des signes de cette dynamique dans les zones de conflit actif : en Ukraine, où l’OTAN et le bloc atlantique affirment leur domination ; en Birmanie, où les intérêts indiens, chinois et américains s’affrontent ; ou encore en Algérie, théâtre de la rivalité entre les impérialismes français, chinois et américain. Dans ce paysage mouvant, la classe dirigeante indienne ne pourra pas indéfiniment maintenir sa politique historique de “stratégie de couverture”. Tôt ou tard, elle devra choisir un camp de manière plus décisive. La logique de l’expansionnisme indien — fondée sur l’ambition de dominer économiquement l’Asie et de contrebalancer des rivaux comme la Chine et le Pakistan — oriente clairement l’Inde vers un alignement avec l’impérialisme américain. Cette trajectoire est visible à travers la coopération militaire croissante (QUAD, exercices conjoints, accords d’armement), la dépendance technologique (semi-conducteurs, infrastructures de surveillance numérique), et l’alignement diplomatique sur les grandes questions mondiales. La grande bourgeoisie indienne voit dans le bloc américain le moyen le plus immédiat d’avancer ses ambitions expansionnistes, en Asie du Sud et au-delà. Cependant, cet alignement n’est ni total ni irréversible. La grande bourgeoisie indienne continuera d’exploiter les contradictions là où cela est possible, mais sa dépendance structurelle — économique, militaire et politique — envers le bloc dirigé par les États-Unis rend un basculement vers les BRICS peu probable à court terme. En fait, la composition même des BRICS, avec la Chine en son centre, rend ce bloc inconfortable pour l’État indien, qui considère l’impérialisme social chinois comme une menace stratégique, et non un allié. En conclusion, bien que la classe dirigeante indienne continue de naviguer entre les blocs impérialistes, sa trajectoire s’oriente de plus en plus vers l’impérialisme américain et le pôle atlantique. Cela ne découle pas d’une affinité idéologique, mais d’un alignement d’intérêts en faveur du maintien de la stabilité capitaliste mondiale et de la répression des mouvements révolutionnaires, tant en Inde qu’à l’échelle internationale. À mesure que la crise de l’impérialisme s’approfondit, les contradictions s’intensifieront — et avec elles, les enjeux pour le prolétariat et la paysannerie indienne. Seule la construction d’un fort mouvement communiste révolutionnaire permettra aux masses laborieuses de se libérer de cet enchevêtrement impérialiste et d’avancer vers une véritable émancipation.

6 – COMBINER LUTTE DES CLASSES ET LUTTE ANTI-IMPÉRIALISTE A TOUJOURS ÉTÉ UNE CARACTÉRISTIQUE DISCRIMINANTE DU MOUVEMENT COMMUNISTE. DÈS LORS, COMMENT PENSEZ-VOUS QU’UN MOUVEMENT COMMUNISTE PUISSE RÉÉMERGER, EN DONNANT LA PRIORITÉ AUX INTÉRÊTS DES MASSES POPULAIRES, TOUT EN REJETANT UNE VISION DU MONDE FONDÉE UNIQUEMENT SUR LES INTÉRÊTS GÉOPOLITIQUES ?

La lutte des classes est le moteur de l’histoire, et pour qu’un véritable mouvement révolutionnaire émerge — ou réémerge —, elle doit en être l’orientation fondamentale. Notre position sur toute question politique, qu’elle soit locale ou internationale, doit être fondée sur son impact sur les intérêts du prolétariat et des masses opprimées. L’anti-impérialisme n’est donc pas un simple postulat moral ou un slogan de circonstance — il est une nécessité politique, directement issue de la réalité de la lutte des classes dans le capitalisme contemporain. Comme José Carlos Mariátegui l’a justement souligné, nous sommes anti-impérialistes parce que nous sommes communistes, et non l’inverse. Notre anti-impérialisme n’est ni secondaire, ni un réflexe éthique face à la guerre ou au pillage ; il découle d’une analyse matérialiste du capitalisme à son stade suprême — l’impérialisme — et de la nécessité de le renverser. C’est en s’ancrant dans les masses, en apprenant d’elles, et en guidant leurs luttes vers des objectifs révolutionnaires que notre anti-impérialisme devient concret, et non simplement déclaratif. L’un des théorèmes révisionnistes qui gangrène les forces de gauche aujourd’hui au sujet de l’anti-impérialisme est celui du campisme. Selon cette idée, la lutte contre l’impérialisme occidental exigerait de soutenir les actions ou les politiques d’autres puissances impérialistes, comme la Russie ou la Chine. Cette approche abandonne les principes révolutionnaires au profit d’un jeu géopolitique cynique. Elle réduit la lutte des peuples à des mouvements d’armées, à des alignements d’États et à des stratégies de blocs, en effaçant totalement le rôle des masses. Cette vision campiste est particulièrement portée par les révisionnistes qui soutiennent l’impérialisme russe ou le social-impérialisme chinois comme prétendues alternatives à l’impérialisme américain ou européen. C’est une position profondément opportuniste, qui ne vise pas l’abolition de l’impérialisme, mais sa recomposition interne. Elle ignore que la Russie et la Chine, malgré leurs tensions avec les États-Unis ou l’OTAN, sont elles-mêmes des puissances impérialistes, reposant sur l’extraction de valeur dans le Sud global, la domination financière des pays opprimés, et la répression des mouvements révolutionnaires dans leurs propres pays comme à l’étranger. Ce n’est pas une alternative à l’impérialisme — c’est l’impérialisme sous d’autres couleurs. Elle occulte la nature même de l’impérialisme, qui est le stade suprême du capitalisme, fondé sur la surexploitation des ressources, des terres et de la force de travail des colonies et semi-colonies. Une stratégie révolutionnaire communiste contre l’impérialisme doit donc centrer la lutte des classes et viser le renversement total du système impérialiste. Pour mener une lutte anti-impérialiste sous direction communiste, il faut construire l’unité entre les masses laborieuses des pays impérialistes et celles des colonies et semi-colonies. Dans ces dernières, la lutte anti-impérialiste ne peut être séparée de la question de classe. La bourgeoisie bureaucratique-compradore et les grands propriétaires féodaux sont les agents locaux de l’impérialisme. Ils profitent de la subjugation de leur propre peuple et répriment toute tentative d’émancipation authentique. Un mouvement qui n’affronte pas ces forces internes, qui ne fait de l’anti-impérialisme qu’un slogan vide, ne libérera jamais le peuple de l’exploitation. Ainsi, être anti-impérialiste, les forces révolutionnaires doivent adopter un programme anti-féodal, car la transition du semi-féodalisme et semi-colonialisme vers le socialisme ne peut se faire que par une Révolution Démocratique Nouvelle, en tant que phase transitoire nécessaire. La lutte anti-impérialiste doit également impliquer les communistes des pays impérialistes, qui doivent s’opposer à l’intensification de l’exploitation des colonies, à la guerre impérialiste contre les peuples (comme l’opération Kagaar en Inde, les attaques contre les maoïstes aux Philippines, ou l’agression sioniste à Gaza). Pour les révolutionnaires des pays impérialistes cela signifie retourner la lutte vers l’intérieur, contre leur propre impérialisme. La réémergence d’un mouvement communiste capable de mener cette lutte exigera non seulement une clarté idéologique, mais aussi un retour inébranlable vers les masses, vers leurs réalités, leur résistance et leur conscience. Cela nécessitera une lutte longue et prolongée — politique, idéologique, militaire — pour écraser non seulement l’impérialisme extérieur, mais aussi les structures internes qui le soutiennent. Seul un tel mouvement — fortement ancré dans la lutte des classes, rejetant tous les blocs impérialistes, et favorisant l’unité des opprimés au-delà des frontières — pourra réorienter la politique autour des besoins des masses plutôt que des calculs des États. Seul ce chemin ouvre la voie à une véritable libération.

7 – LES TENDANCES DE GAUCHE BOURGEOISES EN OCCIDENT ONT TOUJOURS ÉTÉ DE PUISSANTES EXPRESSIONS DE LA DÉMOCRATIE IMPÉRIALISTE ELLE-MÊME. LA DERNIÈRE VAGUE EN DATE EST CELLE DE LA VISION POSTMODERNE DU MONDE, CELLE DE LA “FIN DES MÉTA-THÉORIES”. EN OCCIDENT, MÊME DES MILITANT·E·S HONNÊTES SONT VICTIMES DE CETTE VISION DU MONDE ANTICOMMUNISTE, QUI LES EMPÊCHE D’AVOIR UNE VUE D’ENSEMBLE ET UNE PERSPECTIVE COLLECTIVE. LEUR REJET DU “POUVOIR” ET DE L’ACTION ARMÉE REVIENT ESSENTIELLEMENT À REFUSER D’ENVISAGER LES MASSES POPULAIRES AU POUVOIR. QUELLES INFLUENCES CES IDÉOLOGIES ONT-ELLES EUES DANS VOTRE PAYS, ET QUELS COMBATS AVEZ-VOUS DÛ MENER POUR Y FAIRE FACE ?

Nous souhaitons commencer par une citation tirée de l’écrit de Lénine “Marxisme et révisionnisme”, qui est importante pour historiciser et comprendre la lutte que le marxisme a toujours menée, et continuera de mener, contre les courants philosophiques de la classe dirigeante : “Après que le marxisme eut évincé toutes les doctrines plus ou moins intégrales qui lui étaient hostiles, les tendances exprimées dans ces doctrines commencèrent à chercher d’autres canaux. Les formes et les causes de la lutte changèrent, mais la lutte continua.” À chaque étape de son avancée, dans des contextes historiques, géographiques et temporels différents, le marxisme a dû se confronter à des idéologies non prolétariennes. Cela reste vrai encore aujourd’hui, et la pensée postmoderne est une philosophie petite-bourgeoise, relevant du camp de la classe dirigeante, et constitue donc une autre manifestation de la lutte du marxisme contre les tendances non prolétariennes dans la société. Il ne fait aucun doute que la pensée postmoderne a eu un effet dévastateur sur les populations de ce pays, tout comme sur le communisme à l’échelle mondiale. En réalité, nous sommes en train de publier une brochure sur la perspective marxiste-léniniste-maoïste de la pensée postmoderne, que nous espérons pouvoir diffuser aussi largement que possible auprès des organisations marxistes et des militant·e·s révolutionnaires, afin d’apporter une analyse et une perspective plus approfondies sur cette question. Cela fait partie de notre lutte pour aider à combattre la pensée postmoderne – la définir, l’identifier, en étudier les implications, puis l’isoler. Bien entendu, ce n’est qu’une petite étape vers une solution, mais nous espérons qu’elle sera précieuse dans le processus de lutte contre les philosophies contre-révolutionnaires, permettant la purge de la pensée postmoderne du mouvement révolutionnaire, et donc de faire avancer le mouvement en accord avec l’évolution des conditions matérielles. L’économie politique de la pensée postmoderne est petite-bourgeoise et sert les intérêts de la classe dominante. Il s’agit d’une philosophie qui a émergé de la crise du capital impérialiste, une manifestation de la nature vacillante de classe de la petite bourgeoisie, à un moment où celle-ci doutait du succès de la révolution, alors que les mouvements ouvriers connaissaient un recul et faisaient face à une répression étatique sévère. Les mouvements révolutionnaires connaissent des flux et des reflux, et à cette période particulière (l’ère de l’impérialisme et des mouvements prolétariens) où les conditions révolutionnaires sont favorables mais où le mouvement prolétarien est en difficulté et limité, les classes dominantes ont déchaîné la pensée postmoderne afin de rallier la petite bourgeoisie à leur camp (comme elles ont tendance à le faire en période de crise). La pensée postmoderne émerge du pessimisme et du défaitisme petits-bourgeois – lorsqu’il y a une crise impérialiste, le fascisme surgit pour défendre le capital financier étranger. Par conséquent, la répression s’intensifie à mesure que la crise s’aggrave. La petite bourgeoisie, impatiente face à la nécessité d’une lutte prolongée et incertaine de sa propre position de classe maintenant que la victoire des mouvements ouvriers semble prendre du temps, change de camp en faveur de la classe dominante pour préserver ses intérêts (de classe) immédiats. La petite bourgeoisie est une classe timorée – elle prend parti pour la classe qu’elle juge la plus susceptible de l’emporter, au lieu de comprendre que la victoire du prolétariat est inévitable. La vision philosophique de la pensée postmoderne est celle de l’idéalisme subjectif. Elle accorde la primauté à la phénoménologie, c’est-à-dire à une connaissance basée sur l’expérience, ce qui s’oppose au principe scientifique du matérialisme historique. La pensée postmoderne soutient que l’expérience de chaque individu est unique, différente d’une personne à l’autre, d’une expérience à l’autre. Si l’expérience ne peut pas avoir de base commune (alors même qu’elle est définie comme fondement de la société), il ne peut y avoir de vérité objective. C’est ainsi que l’idée de l’absence de méta-récit est consolidée dans la pensée postmoderne. La vérité (les conditions matérielles objectives) est alors réduite à des fragments, des discours et des symboles. La réalité est subvertie au profit de l’idéalisme subjectif. Cette vision du monde est le terrain de jeu idéal des classes dirigeantes impérialistes, qui ont joué un rôle décisif dans la propagation de cette philosophie. Elle leur permet d’induire les masses en erreur en leur faisant croire qu’il n’existe pas de solution – puisque dans la pensée postmoderne, la cause est l’objet, et l’objet est la cause. Siraj explique cela très bien dans son livre “Sur le postmodernisme”. Nous avons également formulé ce problème dans l’une de nos polémiques contre une militante exclue de nos rangs et ses partisan·e·s : “Après les revers du mouvement ouvrier et l’assaut croissant de la classe dirigeante impérialiste, la question de l’oppression est devenue une question d’expérience, c’est-à-dire une série d’expériences individuelles isolées tout au long de la vie. C’était peut-être à l’opposé du changement révolutionnaire qu’avait permis la classe capitaliste en sortant du féodalisme – l’appel à la compréhension et à l’analyse scientifique fondées sur l’objectivité a été remplacé par la primauté accordée à l’expérience subjective des individus.” Ce cas nous a alerté·e·s sur plusieurs tendances qui peuvent potentiellement émerger dans n’importe quel mouvement communiste – ce qui a effectivement eu lieu en Inde. De Balraj (exclu du Comité central du CPI [maoïste]) à l’expulsion de Ramnit par Nazariya, jusqu’au cas de Sumit, il y aura toujours des éléments antirévolutionnaires qui chercheront à tirer le mouvement vers l’arrière – qu’ils·elles soient en position de direction au sein de l’avant-garde ou membres d’organisations de masse. L’assaut de l’offensive de Surajkund repose sur la stratégie des « cœurs et des esprits », qui a infiltré le peuple et sa conscience. Premièrement, la pensée postmoderne encourage la call-out culture (culture de la dénonciation) ; elle réduit les questions de classe à des problématiques interpersonnelles, réduisant ainsi les questions idéologiques et politiques à de simples relations de pouvoir ou d’intersubjectivité. Cela conduit à une compréhension foucaldienne du pouvoir et de l’autorité, sapant ainsi les principes fondamentaux de l’organisation révolutionnaire fondée sur le centralisme démocratique. Si le centralisme démocratique est violé, c’est toute l’organisation révolutionnaire qui en pâtit – son unité est brisée, ce qui affaiblit le mouvement. Quand sfPD (les étudiants pour la Démocratie Populaire) accuse Nazariya de “ne pas avoir répondu de manière factuelle” à leur dénonciation, ils relèguent l’idéologie au second plan et avec elle, l’analyse de classe. Pourtant, une question simple se pose : comment un·e marxiste peut-il·elle justifier ses actions autrement que par une analyse de classe, autrement que par l’idéologie ? Les actions ne sortent pas de nulle part, elles émanent de conditions matérielles qu’il faut analyser dans une relation dialectique. Cela ne vaut que pour un·e marxiste, pas pour un·e postmoderne ! Dans un article, Rockhill soutient que des penseurs comme Foucault, Derrida et Deleuze ont émergé dans le cadre d’une stratégie plus large visant à éroder l’influence du marxisme. Il pointe du doigt le financement par des organisations telles que la Fondation Ford, ainsi que l’aveu même de la CIA selon lequel le structuralisme et la pensée postmoderne ont permis de détourner l’attention de la lutte des classes. C’est exactement ce qui se passe en Inde. La pensée postmoderne non seulement affaiblit l’analyse de classe, mais elle renforce également le fascisme. La pensée postmoderne est anti-scientifique, elle est anti-raison — quels que soient les idéaux démocratiques bourgeois de rationalité que nous avons reçus de la période des Lumières, même ces progrès sont sapés par la pensée postmoderne. Par exemple, prenons la déclaration des fascistes du BJP-RSS et de leurs diverses milices : “Hindu khatare mei hai” (L’hindou est un danger). C’est un ressenti, une analyse subjective de l’état des choses. En réalité, la nature politique du fascisme en Inde est celle de l’Hindutva brahmanique, et par conséquent il ne fait pas seulement préserver l’Hindutva, il le renforce, car il est fondé sur la philosophie de classe de la classe dirigeante en Inde — souvent l’hindou de caste dominante. Cependant, l’expérience subjective et individuelle de ces fascistes détermine leur “vérité unique” qui est ensuite utilisée pour justifier et intensifier le fascisme en Inde. Cela représente une menace significative pour le mouvement indien. Il y a aussi une intériorisation de la pensée postmoderne parmi les ouvriers et les paysans. Il faut clarifier que bien que l’influence de la pensée postmoderne soit particulièrement forte dans la petite bourgeoisie urbaine (en raison du développement inégal du capitalisme), cela ne signifie pas que seule cette classe en est affectée. Parmi les ouvriers et les paysans, la pensée postmoderne se manifeste principalement en fragmentant leur compréhension de la lutte des classes et en détournant l’attention de leurs conditions matérielles d’exploitation. En mettant l’accent sur la politique identitaire, l’individualisme et le relativisme, le postmodernisme affaiblit le potentiel d’unité de classe. Cette tendance à la fragmentation se manifeste également d’autres manières, notamment dans le contexte des politiques de néo-libéralisation, qui ont propagé le consumérisme parmi les masses afin de créer un espace pour le capital impérialiste. La valorisation par le postmodernisme du “choix” et des identités fragmentées transforme les revendications sociales, économiques, politiques et culturelles du peuple en marchandises commercialisables : dans le contexte semi-colonial et semi-féodal de l’Inde, cela pousse autant la petite bourgeoisie que certaines franges de la paysannerie et du prolétariat urbain à se définir par la consommation — modes de vie de marque, produits “éthiques”, gadgets technologiques et bien-être de marque — plutôt que par la lutte de classe collective. En reformulant la solidarité, les droits et la résistance comme des actes individualisés de pouvoir d’achat, cela canalise la frustration des ouvriers et paysans dans l’alimentation de bulles immobilières, d’économies de plateformes et de marchés de luxe, approfondissant ainsi la polarisation de classe et renforçant l’alliance de l’État comprador avec le capital financier impérialiste. Enfin, nous devons parler de la relation entre la pensée postmoderne et le révisionnisme, et de la manière dont elle freine le mouvement. On peut prendre les exemples de Balraj (qui a été expulsé du Comité central du CPI (maoïste) en 2021) ainsi que de Sumit, expulsé il y a seulement quelques semaines d’un syndicat révolutionnaire basé à Kundli, Haryana. Nazariya a publié des articles sur les deux sur notre site pour ceux qui souhaiteraient analyser ces cas plus en profondeur. La célébration par le postmodernisme de « l’impuissance » et son rejet en bloc de la lutte armée sapent la possibilité même pour les masses de prendre le pouvoir, ouvrant la voie au révisionnisme moderne dans une Inde semi-coloniale et semi-féodale. En insistant sur le fait qu’aucun récit — et surtout pas celui de la dictature du prolétariat — ne peut revendiquer la légitimité, la pensée postmoderne fragmente la conscience de classe en niches identitaires concurrentes et promeut le confort petit-bourgeois du « travail de masse » ou de la « lutte légale » au détriment de la violence révolutionnaire. L’appel de Balraj à remplacer le parti clandestin par des organisations de masse ouvertes est un produit direct de cette vision : en déclarant que l’« organisation de masse » suffit à elle seule, il évite la « tâche difficile de la révolution agraire armée » et abandonne le principe central du marxisme : la prise de pouvoir par la force via la dictature du prolétariat. Dans le Haryana, le révisionnisme de Sumit reflète de manière similaire un recul postmoderne face au pouvoir : il canalise le mécontentement paysan et ouvrier vers des pétitions réformistes sur la base d’une unité féodale (une unité fondée sur l’appartenance à une même caste ou communauté), plutôt que de les mobiliser pour la lutte armée, laissant la « vaste population flottante » piégée entre le loyer féodal et le travail précaire en usine. Dans les deux cas, le refus postmoderne des grands récits et de la violence révolutionnaire devient le terreau idéologique dans lequel prospère le révisionnisme, approfondissant la polarisation de classe et assurant la domination de l’État comprador. Pour être honnêtes, la pensée postmoderne est encore quelque chose que nous étudions en Inde — c’est pourquoi nous prévoyons de publier prochainement une brochure à ce sujet. Ce ne sont là que quelques-unes des manifestations qui sont apparues récemment, et peut-être pourrons-nous en identifier d’autres à mesure que nous étudions plus en profondeur sa nature de classe, sa philosophie et ses manifestations. Ce que nous pouvons dire pour le moment, c’est que le processus de lutte contre la pensée postmoderne sera long — nous devons d’abord l’identifier et l’étudier correctement, puis mener une campagne de rectification approfondie conformément à l’unité-lutte-unité. Étant donné à quel point les gens ont intériorisé cette pensée sous l’assaut idéologique de l’impérialisme et de ses agents, cela pourrait être un processus douloureux. Néanmoins, une chose est claire : si le mouvement veut survivre, la pensée postmoderne doit être isolée puis purgée dans le cadre de la lutte. Nous devrons être vigilants, en nous rappelant de distinguer entre les tendances et la nature : les tendances postmodernes chez les camarades peuvent être combattues, la pensée postmoderne doit être purgée. À ce sujet, Mao dit : “Coupez la tumeur, pas le patient.” 

8 – QUEL EST L’ÉTAT ACTUEL DU MOUVEMENT COMMUNISTE EN INDE, QUELS SONT LES DÉFIS MAJEURS AUXQUELS IL FAIT FACE ?

La guerre populaire en Inde est actuellement dans la phase de défense stratégique sous la direction du CPI (maoïste). La théorie maoïste de la guerre populaire prolongée décrit trois étapes de la guerre : la défense stratégique, l’impasse stratégique et l’offensive stratégique. Lors de la défense stratégique, les forces révolutionnaires sont plus faibles que l’ennemi et doivent se concentrer sur le renforcement de leurs capacités par la guerre de guérilla, la mobilisation des masses, et l’établissement de zones de base dans des régions reculées et opprimées — notamment parmi la paysannerie et les communautés adivasis. À ce stade, l’ennemi est à l’offensive, utilisant des campagnes d’encerclement et de répression (par exemple, l’Opération Green Hunt, Kagaar), tandis que les forces populaires utilisent des tactiques flexibles, des embuscades et la mobilité pour éviter l’anéantissement, étendre leur influence et accumuler une force politique et militaire. L’objectif du Parti est de transformer progressivement le rapport de forces jusqu’à ce que le mouvement puisse passer à une impasse stratégique, où les forces révolutionnaires et ennemies sont à égalité. Dans la défense stratégique, l’initiative repose sur la construction du soutien de masse, l’expansion de l’Armée de guérilla populaire de libération (PLGA) et l’affaiblissement de l’appareil d’État par la lutte armée persistante et le travail de masse. Mao écrivait : “Ne livre aucune bataille sans préparation, ne livre aucune bataille dont tu n’es pas sûr de gagner” — et à ce stade, chaque action vise à poser les fondements matériels et idéologiques d’une future supériorité stratégique. Près de 560 personnes, y compris des membres du CPI (maoïste), des villageois et des membres de la PLGA, ont été tuées au cours des quinze derniers mois seulement, dans le cadre des politiques de terre brûlée de l’Opération Kagaar, de “fausses redditions” et de tactiques de guerre psychologique visant à liquider la solidarité et à tenter d’anéantir le Parti communiste. Le 21 mai 2025, le secrétaire général du CPI (maoïste), N. Kambala Rao alias Basav Raj, ainsi que 26 autres camarades, ont été martyrisés par l’État indien au cours d’une opération de 50 heures. Lors d’une autre opération dans les collines de Karregutta, 31 révolutionnaires ont été tués. Cela signifie qu’en une seule semaine, 58 révolutionnaires ont perdu la vie. Cependant, nous ne devons pas laisser ces faits nous entraîner dans le pessimisme ou le défaitisme à l’égard du mouvement. Comme la logique le dicte et comme les maoïstes l’ont toujours affirmé : dans une guerre, la mort est inévitable. Un élément essentiel à noter ici est que le CPI (maoïste) et le mouvement qu’il dirige sont interdits et criminalisés par l’État indien, ce qui signifie que le Parti ne peut pas communiquer ouvertement avec les masses. Cela implique que ce que les masses reçoivent dépend fortement de la propagande et des rapports sponsorisés par l’État, dans lesquels nous savons que les tactiques de faux affrontements et de fausses redditions sont utilisées pour démoraliser à la fois le CPI (maoïste) et les masses qui le soutiennent. Il faut pourtant comprendre qu’aucun parti communiste menant une guerre populaire prolongée ne peut survivre sans les masses — ce sont elles qui fournissent les membres, les provisions de base et tout ce qui est nécessaire à la survie. C’est un principe fondamental de la révolution armée de guérilla. Le fait que le Parti existe toujours, et qu’il ait continué à s’adapter et s’étendre face à l’agression de l’État, tout en ayant perdu des dirigeants majeurs, de Charu en 1972 à Azad en 2010, Kishenji en 2011, jusqu’à Basav Raj le 21 mai 2025, prouve clairement que “Naxalbari n’est pas mort, et Naxalbari ne mourra jamais !” Un revers majeur auquel est confronté le mouvement aujourd’hui est l’intensification du fascisme hindutva brahmanique, alimentée par la crise croissante de l’impérialisme, qui s’appuie sur l’État comprador-bureaucratique (ainsi que sur la classe dirigeante indienne des féodaux et capitalistes bureaucratiques) comme instrument de première ligne pour écraser les forces révolutionnaires et liquider le mouvement révolutionnaire. Des milices de type Salwa Judum à l’Opération Green Hunt, du programme Surajkund à Kagaar, les forces de l’État ont eu recours au viol, à la torture, à l’incendie criminel, au meurtre de sang-froid et aux déplacements massifs pour déraciner le pouvoir révolutionnaire à la campagne et rompre les liens entre la PLGA et les paysans pauvres ainsi que les masses tribales. Ces tactiques de “terreur blanche” visent non seulement à tuer les combattants, mais aussi à instiller une peur si profonde que des communautés entières abandonnent leur soutien à la Révolution Démocratique Nouvelle. L’intensification des attaques contre le mouvement communiste a également conduit à une forme de doute petit-bourgeois au sein du mouvement, certains estimant que la lutte est trop difficile ou demande trop d’efforts. C’est la racine des tendances croissantes d’opportunisme, de révisionnisme et de liquidationnisme que l’on observe aujourd’hui. L’ancien membre du Comité central Balraj, expulsé, a renié l’avant-garde clandestine au profit d’organisations de masse ouvertes, tandis que Sumit prône une voie “légale et armée” à double tranchant, tous deux trahissent le principe marxiste-léniniste-maoïste selon lequel seule la dictature du prolétariat — conquise par la violence révolutionnaire et dirigée par un parti d’avant-garde discipliné — peut démanteler la structure semi-coloniale, semi-féodale. La ligne révisionniste moderne de Balraj réduit la révolution à de simples campagnes de masse ou à un réformisme parlementaire, capitulant de fait à l’hégémonie politique de l’État comprador. Une fragmentation organisationnelle constitue un autre obstacle majeur. Des décennies de divisions sur les stratégies et tactiques, le régionalisme et le révisionnisme ont engendré une myriade de petites factions dépourvues de direction politico-militaire centralisée. Par exemple, le CPI (ML) Libération a depuis longtemps abandonné la lutte armée au profit de l’opportunisme parlementaire au sein de l’État semi-colonial, semi-féodal, fonctionnant comme une opposition loyale qui amortit les antagonismes de classe au lieu de les approfondir. CPI (ML) Red Star et CPI (ML) New Democracy, bien qu’ils maintiennent une rhétorique révolutionnaire, hésitent sur la nécessité de la lutte armée et privilégient le travail de masse légal, substituant une mobilisation réformiste à la tâche de construire une avant-garde clandestine capable de diriger la guerre populaire. Cette désunion entrave la coordination et l’unité nécessaires à un mouvement puissant. Bien que la terreur fasciste, la guerre psychologique et les trahisons révisionnistes aient temporairement affaibli le mouvement révolutionnaire, elles ne peuvent arrêter la marche de l’histoire. Comme Lénine l’a souligné pendant la période de réaction entre 1907–1913, lorsque la vague révolutionnaire en Russie était en repli : “Le parti révolutionnaire ne doit pas se décourager ; il doit apprendre, se renforcer et se préparer à la prochaine vague.”. De même, Mao a enseigné que “Une seule étincelle peut mettre le feu à toute la plaine”, et que les revers sont des étapes dialectiques dans l’avancée de la guerre de classe juste et révolutionnaire. Pour surmonter ces défis, les communistes indiens doivent s’inspirer de la pratique léniniste entre 1907 et 1913, période durant laquelle il a consolidé la théorie bolchévique et bâti une avant-garde disciplinée. Premièrement, le parti communiste doit être réaffirmé comme le “parti du peuple” et unifié sur le plan idéologique, politique et organisationnel afin de renforcer sa capacité à diriger à la fois la lutte légale et clandestine, et à garantir l’unité de ligne et d’action armée. Deuxièmement, la ligne politique doit être clarifiée en rejetant à la fois les dérives droitières et gauchistes, ainsi que le parlementarisme, en restaurant le centralisme démocratique et l’étude idéologique rigoureuse. Troisièmement, la ligne de masse doit être reconstruite par une lutte de classe militante intense : les cadres doivent approfondir leurs liens avec les paysans et les semi-prolétaires par des campagnes de réforme agraire et des programmes coopératifs de santé et d’alphabétisation. En ce moment, réaffirmer le marxisme-léninisme-maoïsme n’est pas une question de croyance, mais une nécessité scientifique. La loi de l’histoire, fondée sur la contradiction de classe et la crise mondiale de l’impérialisme, est du côté des opprimés. La victoire de la révolution indienne n’est pas seulement possible — elle est inévitable.

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