Parti communiste marxiste du Kenya (CPMK)
La mort de Raila Amolo Odinga, figure de longue date de l’opposition et symbole de la politique libérale-réformiste du Kenya, marque un tournant dans l’histoire politique de notre nation. Elle met fin à une ère politique dominée par des personnalités charismatiques, des programmes de réforme populistes et des pactes cycliques avec la bourgeoisie au pouvoir. Pourtant, camarades, si les individus périssent, la lutte des classes ne meurt pas. Le décès d’un leader réformiste n’efface pas les contradictions qui ont fait sa notoriété ; au contraire, il les expose avec une brutalité saisissante.
Comme Lénine nous le rappelle dans L’État et la révolution : « Le remplacement d’un gouvernement bourgeois par un autre ne change en rien la nature de l’État bourgeois. Seule la destruction de cet appareil d’État peut libérer le prolétariat. »
La longue vie politique de Raila Odinga a finalement représenté les limites du réformisme dans un ordre néocolonial et semi-féodal. Son parcours dans la politique d’opposition – des luttes contre la dictature du parti unique dans les années 1980 aux réformes constitutionnelles de 2010 – était ancré dans les aspirations sincères des masses à la démocratie et à la justice. Pourtant, sous la domination de l’impérialisme, ces aspirations sont restées confinées dans la légalité bourgeoise, la compétition électorale et l’accommodement avec le capital impérialiste.
Le Parti communiste marxiste du Kenya (CPMK) reconnaît cette dualité. Raila Odinga était à la fois un symbole de résistance et un pilier de l’ordre néocolonial. Ses contradictions reflétaient celles du courant réformiste petit-bourgeois qui a émergé des ruines du projet nationaliste post-indépendance. Il incarnait l’échec inévitable de la petite bourgeoisie kenyane à mener la révolution démocratique à sa conclusion logique : la destruction de l’État comprador et l’établissement du pouvoir des travailleurs et des paysans.
Quand le grand arbre tombe, la forêt tremble. La mort de Raila Odinga a secoué la forêt bourgeoise – les factions, les ONG et les alliances compradores qui s’appuyaient sur son autorité pour arbitrer les contradictions entre les masses et l’élite dirigeante. Elle a également secoué l’imagination de millions de personnes qui voyaient en lui le dernier lien entre la lutte populaire et le pouvoir d’État.
Mais, camarades, c’est précisément dans ces moments de rupture historique que le parti révolutionnaire doit intervenir avec clarté idéologique et fermeté politique. La mort d’un réformiste ouvre la voie à l’avancée de la conscience révolutionnaire, à condition que la classe ouvrière possède sa propre avant-garde organisée, guidée par le socialisme scientifique.
Raila Odinga dans le contexte de l’économie politique néocoloniale du Kenya
Pour comprendre la signification de la vie et de la mort de Raila, il faut le situer dans l’évolution historique de la formation sociale néocoloniale du Kenya. Depuis 1963, le Kenya est resté une économie capitaliste dépendante, structurée autour de la domination étrangère, de relations agraires semi-féodales et d’une bourgeoisie compradore-bureaucratique liée à l’impérialisme.
Au sein de cette structure, les régimes successifs – de Kenyatta à Moi, de Kibaki à Ruto – ont géré un système d’accumulation fondé sur le monopole foncier, le commerce comprador et le capital financier impérialiste.
La famille Odinga elle-même est issue de ce terrain contradictoire. Jaramogi Oginga Odinga, le père de Raila, représentait une tendance nationale-démocratique qui contestait le compradorisme dans les premières années de l’indépendance. Mais dans les années 1990, ce courant a été dépassé par un nouveau réformisme petit-bourgeois, ancré dans la démocratie libérale, les élections multipartites et la politique des ONG. C’est sur ce terreau réformiste que la politique de Raila s’est développée.
L’ODM et Azimio la Umoja reflétaient cette évolution. Ils mobilisaient les griefs des pauvres, mais les canalisaient dans des cadres bourgeois. Le slogan « Baba » est devenu un substitut populiste à l’analyse de classe. Lorsque la crise a éclaté, Raila a oscillé entre opposition et compromis, de la coalition de 2008 à la « poignée de main » de 2018. Il ne s’agissait pas de pas vers le pouvoir du peuple, mais de mécanismes de réconciliation bourgeoise.
Comme l’avait averti Amílcar Cabral : « La petite bourgeoisie, même lorsqu’elle se proclame révolutionnaire, n’est révolutionnaire qu’en paroles, pas en actes. Sa peur de perdre ses privilèges la conduit à trahir la révolution lorsque les masses exigent une transformation radicale. »
Les choix politiques de Raila ont confirmé cette vérité. Ses alliances répétées avec les blocs au pouvoir ont révélé l’illusion selon laquelle l’État bourgeois peut être réformé de l’intérieur, plutôt que renversé par une lutte de classe organisée.
La trajectoire politique de Raila Odinga a été marquée par une série de compromis qui ont progressivement émoussé son côté réformiste. Après des années d’opposition farouche à la dictature de Moi et d’agitation inlassable en faveur de la démocratie multipartite, Raila a capitulé devant le système même qu’il avait dénoncé en dissolvant le Parti national du développement (NDP) et en le fusionnant avec le KANU en 2001. Cet acte symbolisait la transformation de la résistance en accommodation — un abandon de la lutte démocratique au profit des attributs du pouvoir bourgeois. En échange d’un siège ministériel dans le cabinet de Moi, la politique de réforme a été subordonnée à la logique du clientélisme. L’énergie révolutionnaire des années 1990 a été absorbée par la machine de l’ancien ordre. À partir de ce moment, le parcours politique d’Odinga reflète la tragédie du courant réformiste kenyan : un cycle de mobilisation et de compromis, de protestation et de cooptation, le tout dans les limites fixées par l’État comprador.
La fusion entre le KANU et le NDP a jeté les bases idéologiques et politiques des réalignements ultérieurs, du NARC à l’ODM en passant par l’Azimio. Chaque changement apparaissait comme un renouveau, mais il s’agissait en substance d’une continuation de la même logique réformiste : rechercher le changement dans les limites de l’État néocolonial. En 2002, Raila a rompu avec le KANU et a rejoint la coalition NARC, non pas pour faire avancer la lutte des classes, mais pour se repositionner dans le cadre bourgeois. L’ODM est ensuite apparu comme un véhicule populiste qui canalisait la colère des masses sans s’attaquer au système d’exploitation lui-même. Au moment de la formation d’Azimio, le courant réformiste s’était complètement intégré à la politique compradore, transformant ce qui était autrefois une résistance en une opposition loyale. Ainsi, le long parcours politique de Raila reflète la dégénérescence du réformisme petit-bourgeois au Kenya : de l’opposition à l’absorption, de la protestation au partenariat avec les forces mêmes qu’il prétendait autrefois combattre.
Ainsi, camarades, l’ère Odinga doit être comprise non pas en termes personnels, mais en termes de classe, comme l’ascension et l’épuisement du courant réformiste petit-bourgeois. Sa fin ouvre un vide qui peut être comblé soit par de nouvelles formations réactionnaires, soit par un mouvement révolutionnaire fondé sur le marxisme-léninisme.
L’ordre politique bourgeois en plein désarroi
Lorsqu’un pilier de l’ordre bourgeois s’effondre, l’édifice tremble. La fragile démocratie du Kenya, fondée sur des coalitions ethniques, l’accumulation compradore et la tutelle impérialiste, a perdu l’un de ses agents stabilisateurs. Pendant des décennies, Raila a fonctionné comme la soupape de sécurité de la politique néocoloniale, un canal par lequel la colère des masses était redirigée vers des illusions réformistes. Aujourd’hui, cette soupape de sécurité a éclaté.
L’ODM n’est pas seulement sans leader, il est idéologiquement à la dérive. Les politiciens opportunistes, qui hier criaient « Baba pour toujours », rampent aujourd’hui vers la machine étatique Kenya Kwanza, à la recherche des miettes du pouvoir comprador.
La scène politique se reconfigure désormais autour de trois tendances :
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Consolidation du bloc au pouvoir — Le régime Ruto, qui représente les intérêts compradors et capitalistes agraires, cherchera à monopoliser la légitimité sous le slogan « l’unité après Baba ». Mais sous l’impérialisme, une telle unité est une chaîne, pas une libération.
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Fragmentation du bloc réformiste — L’ODM est confronté à une crise de succession. Aucun de ses dirigeants n’a l’autorité ou la capacité de Raila pour arbitrer les contradictions de classe. Les partis constitutifs d’Azimio sombrent dans l’insignifiance ou l’absorption. Cette désintégration ouvre un espace idéologique pour la politique révolutionnaire.
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Le réveil de la désillusion des masses — Parmi les travailleurs, les paysans et les jeunes chômeurs, le chagrin se mêle à la confusion. Le cri « Baba est parti ! » s’accompagne également de la question « Et maintenant ? ». C’est à cette question que la gauche doit répondre, non pas avec de la sympathie, mais avec une stratégie.
L’impérialisme et la crise politique au Kenya
L’impérialisme observe chaque convulsion dans la néocolonie avec un regard calculateur. Les États-Unis, l’Union européenne et leurs agences — USAID, Westminster Foundation, Konrad Adenauer Stiftung — ont tous investi dans l’architecture de la politique réformiste.
Le réformisme de Raila Odinga était toléré parce qu’il ne menaçait pas les intérêts impérialistes. Aujourd’hui, l’impérialisme est confronté à un dilemme : qui jouera le rôle d’opposition contrôlée ? Il tentera de fabriquer de nouveaux réformistes à partir des élites des ONG et des technocrates des médias sous le slogan « poursuivre l’héritage de Raila ».
Le CPMK dénoncera sans pitié ces machinations, se souvenant de l’avertissement de Lénine : « L’impérialisme n’opprime pas seulement les nations ; il corrompt des sections de la petite bourgeoisie et de l’aristocratie ouvrière, les transformant en agents de la réaction. »
L’ouverture pour l’avancée révolutionnaire
Camarades, là où la bourgeoisie voit une crise, le prolétariat doit voir une opportunité. L’effondrement du bloc réformiste et la confusion des masses créent un nouveau terrain révolutionnaire. C’est le moment pour le Parti communiste marxiste du Kenya d’affirmer son leadership idéologique, de tracer une ligne de classe claire et de mener la transition du réformisme bourgeois à la révolution prolétarienne.
La mort de Raila Odinga doit devenir une école de conscience révolutionnaire. Du deuil à la mobilisation. De la confusion à la clarté. De l’illusion à la révolution. Comme l’enseignait Pio Gama Pinto : « Ceux qui contrôlent la richesse et le pouvoir ne les abandonneront jamais volontairement. Seule une lutte politique organisée, enracinée dans les masses, peut apporter la liberté. »
Les tâches qui attendent le Parti communiste marxiste du Kenya
1. Idéologique — Construire une clarté révolutionnaire
Nous devons transformer le deuil en une salle de classe collective. Chaque cellule rouge, chaque cercle étudiant, chaque coopérative paysanne doit répondre à la question suivante : pourquoi le réformisme a-t-il échoué ?
Par l’intermédiaire de l’Institut idéologique Pio Gama Pinto, de la Commission révolutionnaire des étudiants et de la Ligue révolutionnaire des femmes, nous devons clarifier :
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La nature de classe de la démocratie bourgeoise ;
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Les limites du populisme dans une économie semi-féodale et néocoloniale ;
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La nécessité d’une organisation révolutionnaire.
Que notre slogan résonne : « De la réforme à la révolution — Des masses, pour les masses ! »
2. Politique — Construire le front révolutionnaire uni
Le bloc réformiste s’est effondré, mais le capital comprador reste solide. Pour y faire face, nous devons forger un front révolutionnaire uni sous la direction du prolétariat — ouvriers, paysans, femmes, jeunes, intellectuels progressistes — unis par l’idéologie, et non par opportunisme.
Nous devons :
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Mener une analyse de classe pour cartographier les alliances émergentes ;
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Mener des campagnes de masse sur la terre, le travail, l’éducation et la souveraineté ;
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Forger la solidarité avec les mouvements fraternels en Afrique, aux Philippines, en Palestine, à Cuba et en Haïti.
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3. Organisationnel — Renforcer le parti, faire progresser la ligne de masse
Le CPMK doit émerger plus discipliné, plus enraciné, plus uni.
Renforcer les cellules rouges dans les usines, les écoles et les villages.
Développer la formation des cadres.
Approfondir le leadership de la Ligue de la jeunesse révolutionnaire, de la Ligue des femmes révolutionnaires et de l’Assemblée populaire.
Se prémunir contre l’opportunisme et le sectarisme.
Comme l’a averti Mao Zedong : « La faiblesse interne invite les attaques externes. » La force organisationnelle est la garantie que la théorie révolutionnaire devienne pratique révolutionnaire.
Du deuil à la mobilisation — La voie de la clarté révolutionnaire
Camarades, la mort de Raila Odinga clôt un chapitre de la politique bourgeoise. L’ère de l’espoir réformiste touche à sa fin ; l’ère des possibilités révolutionnaires commence. Les réformateurs petits-bourgeois ont appelé au dialogue national ; nous appelons à la libération nationale. Ils ont recherché l’unité de tous les Kenyans ; nous recherchons l’unité des classes exploitées contre les exploiteurs. Ils rêvaient d’un Kenya meilleur dans le cadre du capitalisme ; nous luttons pour un nouveau Kenya au-delà du capitalisme.
Ne pleurons pas cet homme, mais comprenons le moment présent. Transformons le chagrin en force, la confusion en clarté, l’illusion en révolution. Comme l’a déclaré Dedan Kimathi : « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux. » Comme l’a affirmé Pio Gama Pinto : « La liberté doit être conquise par le peuple lui-même. »
Que chaque camarade, chaque travailleur, chaque paysan, chaque étudiant, réponde à l’appel :
Wafanyi kazi, nyakua mashamba — Nyakua !
Wafanyi kazi, komboa chakula — Komboa !
Wafanyi kazi, pigania uhuru — Pigania !
Publié par :
Booker N. Omole
Secrétaire général, Comité central
Parti communiste marxiste du Kenya (CPMK)
Octobre 2025
« L’internationalisme prolétarien est la voie vers la libération de l’Afrique. »
