Le rebus Ukraine

La guerre actuelle en Ukraine, et les divisions et fractures qu’elle a créées au sein même de la gauche prolétarienne française, est l’un des symptômes de la sous-estimation et de la méconnaissance du sens réel de la lutte anti-impérialiste en France.

Le conflit en Ukraine, s’inscrivant dans le cadre stratégique marqué par l’accumulation de forces économiques, politiques et militaires de l’impérialisme européen, par la montée en puissance de la Chine et le déclin relatif des États-Unis d’Amérique, revêt une nature éminemment inter-impérialiste. Cela signifie que la « question nationale » doit également être redéfinie sur cette base. Le conflit idéologique entre le principe de souveraineté nationale et le droit à l’autodétermination des peuples est inévitable. Dans la guerre en Ukraine, l’élément dominant est l’affrontement entre puissances et forces continentales : un affrontement dans lequel les principes de souveraineté nationale et d’autodétermination ont été proclamés par les deux camps, et où seule la violence de la guerre peut en décider l’issue.

Après le processus chaotique de la dissolution de l’Union soviétique, certaines fractions de la bourgeoisie ukrainienne ont mis en avant le principe d’autodétermination pour définir la nouvelle Ukraine. Ces mêmes fractions (ou les courants nationalistes qu’elles exprimaient) ont ensuite nié l’autodétermination aux régions russophones du Donbass, déclenchant une guerre civile qui, en 2014, a conduit à la sécession de la Crimée et à la création des républiques de Donetsk et de Lougansk. Parallèlement et en lien avec cela, nous avons assisté ces dernières années au développement continu de l’hégémonie américaine et de l’OTAN dans les pays de l’Est. Il n’est pas difficile pour le gouvernement russe d’accuser les États-Unis et l’OTAN d’expansionnisme : une simple carte géographique montrant le nombre de pays ayant adhéré à l’OTAN dans une fonction anti-russe suffit à démontrer cette thèse…

Il faut noter que le principe de souveraineté, héritage historique de la Russie tsariste, a été invoqué par les principales fractions du capitalisme russe soutenant Vladimir Poutine, niant ainsi toute légitimité historique à l’autodétermination ukrainienne, bien que ce même principe d’autodétermination ait été utilisé par la Russie en 2014 pour l’annexion de la Crimée et aujourd’hui pour la reconnaissance des républiques du Donbass. D’un autre côté, les États-Unis et l’Union européenne, qui ont reconnu en 1991 l’Ukraine née de la désintégration de l’Union soviétique sur la base de l’exercice de l’autodétermination, défendent aujourd’hui la souveraineté ukrainienne mais refusent l’autodétermination au Donbass…

Il faut également rappeler que, en agissant en sens inverse, ces mêmes puissances ont nié par la guerre de 1999 la souveraineté serbe et reconnu l’autodétermination du Kosovo : la question, comme on le sait, a été tranchée par l’intervention des chasseurs-bombardiers de l’OTAN sur Belgrade, une intervention qui a duré 78 jours.

À Kiev et dans le Donbass, deux principes nationaux antinomiques ont été défendus, et il n’est pas moins révélateur que ces deux principes soient invoqués par les belligérants sur le terrain grâce au soutien de l’organisation militaire (l’OTAN) dominée par la plus grande puissance impérialiste, les États-Unis, et par une guerre anti-OTAN de défense menée par la Russie. Ainsi, Kiev revendique son adhésion à l’Union européenne, tandis que les républiques du Donbass se tournent vers la Russie.

Lire ces processus en utilisant mécaniquement l’histoire est une erreur. Ce n’est ni la Première Guerre mondiale ni la Seconde. Les courants politiques qui ont superposé les deux guerres sont restés « indifférents » à la bataille politique et à la lutte des classes elle-même. Mais il est faux de penser que la Russie d’aujourd’hui soit l’URSS…Ou bien penser, à travers une mentalité raciste et néo-coloniale, à une prétendue suprématie des démocraties impérialistes occidentales… contre le prétendu «totalitarisme» oriental.

La compétition globale accélère les processus de crise traversant le capitalisme-imperialisme. Défendre le multipolarisme, à travers un éventuel équilibre entre puissances capitalistes-impérialistes, c’est revenir au vieil opportunisme et au révisionnisme de gauche. Le slogan pour lapaix” est donc inutile pour deux raisons :

1) La compétition mondiale capitaliste-impérialiste actuelle crée l’état de guerre, et non la politique d’un gouvernement spécifique.Que l’impérialisme soit un capitalisme parasitaire ou pourrissant, c’est ce qui apparaît avant tout dans la tendance à la putréfaction qui distingue tout monopole sous le régime de la propriété privée des moyens de production.” Lenine

2) On pense l’impérialisme invincible, sous-estimant le rôle central de la résistance des masses populaires.l’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres en papier” Mao

Ne pas considérer les États-Unis, l’UE, l’OTAN et notre bourgeoisie monopoliste française comme les principaux ennemis à combattre revient simplement à adhérer à la soi-disant « gauche de l’OTAN ». Lorsque l’agenda de notre gouvernement coïncide avec la propagande et la stratégie des une parte de groupes de la gauche révolutionnaire, il y a un problème… À plusieurs reprises, dans la propagande et l’analyse de une parte de la gauche « révolutionnaire », on l’a constaté : depuis la critique opportuniste et raciste contre les révoltes des jeunes des quartiers populaires (les bourgeoisies « ethniques » sont acceptables, mais pas la « canaille »…), jusqu’au soutien aux campagnes de l’OTAN contre les prétendus pays et peuples « voyous » (Irak, Libye, Syrie, Yémen, Iran et bien sûr la résistance armée en Palestine).

C’est sur ces bases que doit être défini notre intervention en France concernant la question ukrainienne :

1 Sabotage de la guerre impérialiste des États-Unis, de l’UE et de l’OTAN

2 Soutien et solidarité avec les communistes et la gauche révolutionnaire en Ukraine qui luttent contre la guerre

3 Lier le combat pour les garanties des masses populaires en France à la lutte anti-impérialiste, en rompant ainsi avec toutes les visions souverainistes francais!

SUPERNOVA, revue communiste

avril 2025

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