En tant que jeunes marxistes du XXIe siècle, nous avons la lourde tâche historique de faire face à l’impérialisme, au révisionnisme, et au fascisme. La longue histoire de la civilisation humaine, en particulier depuis le développement capitaliste jusqu’au développement impérialiste, a vu de profonds changements dans la nature du capitalisme, depuis sa phase progressiste jusqu’à sa situation actuelle de capitalisme monopolistique, impérialiste moribond. Pour autant, se satisfaire d’une généralisation de l’histoire, stricto sensu, n’est en rien une méthode marxiste de compréhension de l’histoire et ce faisant on manquerait la réalité objective d’un temps et d’un espace particuliers dans notre analyse. À l’heure actuelle, alors que les mouvements révolutionnaires sont confrontés à des revers matériels et idéologiques, nous devons être très conscients du postmodernisme, des pièges fascistes, du révisionnisme, du révisionnisme moderne et d’autres tendances réactionnaires non révolutionnaires. Aussi devons-nous faire la différence entre l’apparence et l’essence, la réalité et l’esthétique. À l’ère d’Instagram et des audiences construites à coups de like, la légitimité du travail est justifiée sur la base de ces likes et autres partages. Le mode de communication et les interactions sont sévèrement contrôlés par les forces impérialistes qui s’en prennent continuellement aux contenus révolutionnaires en circulation. La pensée de Samir Amin et la justification du tiers-mondisme est un débat très important dans la scène publique, par lequel les peuples du tiers-monde justifient la révolution du tiers-monde. À travers cette « lutte idéologique » entre le nord et le sud, Samir Amin a proposé une image très large du débat sur le marxisme et le dogme du marxisme.
Au nom du tiers-mondisme
« Tous les peuples du premier monde sont considérés comme des exploiteurs et le potentiel révolutionnaire n’existerait que dans le tiers-monde » voilà la position la plus vulgaire des tiers-mondistes, qui éliminent la relation exploiteur-exploité dans le premier monde. Cette ligne conduit au subjectivisme et à la poursuite de l’impérialisme par le biais du révisionnisme, dont l’objectif principal est passé de la transformation à la réforme. Dans son argumentation contre l’impérialisme, Samir Amin s’est concentré sur l’impérialisme américain et ses répercussions sur le développement des pays du tiers monde. Détaillant ses arguments contre l’impérialisme américain, il a exposé le rôle du FMI et de l’OMC – des institutions similaires à la Banque mondiale qui ont contribué à l’expansion du capital impérialiste des USA et de ses alliés. Les nations sous-développées et leur production manufacturière et agricole pathétique actuelle sont dans cette situation difficile du fait de l’impérialisme américain. Il est tout à fait juste qu’entre l’impérialisme américain et les impérialismes russe et chinois émergents, c’est l’impérialisme américain qui domine. Mais la position tiers-mondiste de Samir Amin pousse l’argument dans la direction que la seule contradiction dans le monde est celle entre l’impérialisme américain et les nations opprimées du tiers-monde. Cette position nie les contradictions internes au sein des pays du tiers-monde, c’est-à-dire la contradiction entre l’impérialisme prolétarien et l’impérialisme des nations opprimées. D’une part, l’Amérique soutient ouvertement l’éradication de la résistance des tribus des différentes régions de l’Inde et, d’autre part, la Chine s’oppose également au mouvement révolutionnaire indien. L’approche héritée de Deng Xiaoping de la révolution a été développée pour restaurer le capitalisme en Chine. Les partis comme le PCIndien, le PCI(marxiste), etc. qui parlent d’une voie “Dengiste” et se concentrent continuellement sur le développement des forces productives autour des mantras tels que « Un jour, les forces productives deviendront révolutionnaires » et “le temps n’est pas à la révolution” formules diplomatiques de Deng Xiaoping visant à dissimuler le véritable agenda anti-révolutionnaire.
Analyse de classe de la direction du Mouvement de non-alignement (MNA) et de sa nature impérialiste
Le Mouvement des pays non alignés fut créé dans le but de ne pas s’aligner sur les deux pôles et de trouver une voie de développement distincte. Cette vision a été soutenue par Samir Amin comme une alternative à l’ordre mondial et comme une force puissante contre l’impérialisme. Mais nous devons évaluer la relation des pays du Mouvement des pays non alignés avec l’Amérique et la Russie et l’impact global de l’impérialisme sur ces nations. L’aspect le plus fondamental de l’enquête pour un marxiste est de comprendre le mode de production qui caractérise un espace, un pays ou une nation. Malheureusement, Samir Amin n’y est pas parvenu. Il s’est contenté de tracer une simple ligne de démarcation entre le nord et le sud, sans examiner la nature de la classe dirigeante et son fonctionnement avec l’impérialisme.Une trop grande simplification peut conduire au subjectivisme: lorsque Samir parle de la paysannerie, il a recours à une généralisation excessive, catégorisant l’ensemble de la paysannerie du Sud comme une classe homogène. Il disposait pourtant d’une analyse de classe de la Chine, mais il s’est contenté d’éviter l’aspect fondamental de la contradiction. De même, si nous voulons comprendre la nature de la classe dirigeante de l’Inde, nous devons étudier les relations de production du pays. Les pays du Mouvement des Non-Alignés étaient largement dépendants de l’impérialisme américain et de l’URSS tant pour la technologie que pour les capitaux. Cette dépendance a été créée par l’alliance entre les capitalistes “compradores” du Sud et la classe dirigeante féodale. En raison du puissant mouvement de libération nationale dans les pays du Sud, il est devenu difficile d’intervenir directement dans le tiers-monde. L’objectif principal des forces impériales de s’allier avec les classes dirigeantes était de limiter le développement indépendant de l’agriculture et de l’industrie et de faire pénétrer le capital “impérial” pour maximiser l’extraction de plus-value. Amin a également refusé la fusion et l’annexion des entreprises des nationalités opprimées et a rejeté la question dans le cadre du capital mondial. Ce processus d’annexion et de fusion a également eu un impact sur les capitalistes des pays du Nord, où les grandes forces impérialistes ont successivement avalé les petites et moyennes entreprises. Dans une interview, Samir a ainsi déclaré que « notre Mouvement des pays non alignés a proclamé notre droit à choisir notre voie vers le développement, a mis en œuvre des lois et a forcé les puissances de l’époque à s’adapter aux exigences de notre développement ». Il nous faut examiner attentivement cette déclaration et voir dans quelle mesure elle a été mise en œuvre sur le terrain. Sous le régime du président égyptien Nasser, le gouvernement avait mis en place un projet, l’usine sidérurgique de Helwan. Ce projet était présenté comme l’épine dorsale de l’industrialisation de l’Égypte. Le principal soutien de ce processus provenait de l’URSS, qui se transformait en pays impérialiste et développait son capital financier par le biais de l’aide. Après les années 1970, lorsque le scénario mondial a changé et que l’équilibre du pouvoir s’est déplacé vers les États-Unis, le gouvernement égyptien a signé un traité d’aide étrangère avec l’Agence du Développement des USA. Dans la même dynamique, nous pouvons facilement retracer la dépendance de l’État indien à l’égard des financements étrangers provenant des blocs impériaux.
Absence d’analyse de classe dans la production agraire des pays en développement
Après l’avènement de l’analyse du post-moderne et sa diffusion parmi les intellectuels, nous avons connu de considérables changements et un glissement de la ligne de classe. La grande révolution chinoise avait alimenté la lutte des classes dans le sud comme dans le nord du monde. Mais après la restauration capitaliste et la transformation de la Chine en pays impérialiste, la politique de lutte des classes s’est trouvée limitée. C’est à ce moment précis que la politique identitaire réactionnaire post-moderne a pris son essor. L’ère de la généralisation et de la compartimentation a couvert les espaces universitaires et, malheureusement, les universités sont devenues des « centres de production de connaissances ». La forme de production de connaissances ainsi imposée par les forces impériales va à l’encontre de la production de connaissances marxistes. La production de connaissances est basée sur la réalité objective et la perception, la réalité objective étant le centre de la production de connaissances. Dans son célèbre article philosophique « De la pratique », Mao reconnaît que la connaissance est produite par la lutte. Chaque phase de développement doit entrer en conflit avec les forces opposées du mode de production existant. Mais à l’ère du « post-colonialisme », du « postmodernisme » et du « post-structuralisme », la production de connaissances a commencé à se faire par le discours et non par la lutte. Samir Amin a proposé sa critique de Lénine sur le développement de la production agraire, dans laquelle il s’oppose à l’idée que la modernisation de la technologie par le biais du capitalisme a résolu le problème de la crise alimentaire. Parallèlement, il apprécie les maoïstes pour leur compréhension de la question agraire. Cette position de Samir provient de sa perspective « marxiste généralisée » qui a perdu sa renoncé à recevoir les éléments dans leur totalité et leurs particularités, ainsi que dans le rapport dialectique qui les lie. Dans « Investigation of Societal Transformation from Feudalism to Capitalism », Rodney Hilton explique le rôle de la formation du marché, du capital mercantile, de la modernisation de la technologie, du développement de l’échange de marchandises, de l’avancement de la technologie agraire et du rôle des protestants, etc., en tant que facteurs ayant contribué au développement de la base industrielle des premiers pays capitalistes, qui ont engagé la paysannerie qui a quitté les fermes pour rejoindre l’usine. Le nombre de personnes occupées à des travaux agricoles a alors diminué de manière drastique. Pour maintenir la production et répondre aux besoins du pays, les progrès technologiques étaient essentiels. L’arrivée du capital dans les pays du tiers monde par le biais de l’impérialisme a également modifié certaines dynamiques de classe dans les relations agraires. Or Samir Amin a négligé l’aspect le plus fondamental de la contradiction, à savoir que la contradiction interne est le facteur dominant. Sur la production agraire et la crise alimentaire dans le Sud, il a négligé de mentionner les contradictions entre les propriétaires terriens et la paysannerie sans terre ou les relations entre les grands propriétaires terriens et les grands capitalistes. Le changement dans les propriétés foncières de la petite et moyenne paysannerie, ces facteurs ont toujours été absents de son analyse. La contradiction interne est la contradiction majeure de tout aspect, c’est la base même de la méthode d’investigation maoïste. Mais à cause de son amalgame entre les contradictions internes et externes et de ses généralisations, il n’a pu proposer aucune solution.
Problèmes liés à la théorie du centre et de la périphérie
La structure des réserves naturelles est divisée en trois parties principales : le cœur, la zone tampon et la périphérie. La zone centrale est une zone interdite où aucun humain (indigène) n’est autorisé. La périphérie est la région où les gens peuvent pratiquer des activités agricoles et d’élevage. De même, selon Samir Amin, toutes les contradictions se situent entre les pays et nations du sud et du nord, ou plus précisément, nous pouvons dire que la pénétration du capital se fait du nord au sud. L’éminent chercheur marxiste Andre-Gunder Frank a proposé la « théorie de la dépendance ».Cette théorie parle du sous-développement des pays du Sud et de ses raisons. « Les habitants des pays moins développés ne sont pas responsables de l’incapacité de leurs sociétés à se développer. Gunder Frank suggère plutôt que les nations occidentales ont délibérément échoué à développer ces pays. » Un simple lecteur pourrait adhérer à cette thèse, une qui donne encore la primauté à l’impérialisme sur les autres contradictions au sein des pays sous-développés. Dans son analyse, Andre-Gunder Frank a nié le rôle des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie bureaucratique compradore dans les pays du tiers-monde. Ce rôle des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie comprador a été détaillée par Yash Tondon dans son célèbre ouvrage Debate on Class, State and Imperialism et par Suniti Kumar Ghosh dans Indian Big Bourgeoisie. Tous deux ont montré que le capitalisme national des pays sous-développés n’a jamais été encouragé et que la production a été monopolisée par une bourgeoisie bureaucratique comprador soumise à l’impérialisme. La position d’Andre-Gunder Frank et de Samir Amin n’est pas non plus dialectique, car il y a négation complète du fait que l’impérialisme s’appuie sur la base du féodalisme dans des pays comme l’Inde et ils se sont donc concentrés sur une seule contradiction fondamentale et ont ignoré la contradiction principale dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux. Samir Amin a réduit la question de la révolution dans les pays du tiers monde à une lutte identitaire où tout peut être nié par les intellectuels du tiers-monde au nom de la pensée anti-coloniale et où toute pratique absurde peut être acceptée par ces intellectuels originaires du tiers monde. Toute cette perception créée par le haut a subverti la position maoïste dans laquelle « la contradiction interne est la plus importante ». Le pire étant qu’aujourd’hui, au nom de l’anticolonialisme et du post-colonialisme, les intellectuels qui guident la voie de la révolution, et non le parti révolutionnaire du prolétariat ou ses militants.
M. Amin, ne confondez pas capital marchand et capital financier
Il est intéressant d’étudier la conception qu’a Samir Amin du développement capitaliste en Angleterre, où il justifie l’idée que le début de la révolution industrielle repose sur l’impérialisme. Pour ce faire, il met en avant certains événements historiques importants tels que le pillage des peuples indigènes américains, le pillage de leurs ressources, la traite des esclaves, etc. Sur la base de ces arguments, il délégitime la théorie de Lénine qui veut qui l’impérialisme est le stade le plus élevé du capitalisme. Ainsi donc selon lui, l’impérialisme a toujours été inhérent au capitalisme. Le capital marchand n’est pour lui rien d’autre que la production de capital dans le processus d’échange de marchandises. Cela signifie que si X est un pays où la valeur des produits de luxe est très élevée et Y un endroit où la valeur des céréales alimentaires est très élevée. La valeur d’une marchandise est réalisée par le temps de travail socialement nécessaire investi pour la produire. Cela signifie qu’un produit techniquement avancé prend plus de temps à produire que des produits alimentaires moins techniques. Le capital financier n’est pas produit par l’échange de marchandises, mais par la fusion du capital bancaire et du capital industriel. Il s’est développé à l’époque de l’impérialisme, dans les années 1870, lorsque les pays capitalistes avancés ont commencé à annexer et à monopoliser les petites entreprises et les banques. À l’époque du développement du capital financier, la capacité de production des pays impérialistes était très élevée en raison de la concentration des excédents et des progrès technologiques. En Inde, de 1750 à 1820, dominait le capital marchand. la Compagnie des Indes Orientales n’est jamais intervenue directement dans le processus production ou de quelque infrastructure que ce soit. En tant que compagnie marchande, son travail principal consistait à acheter des marchandises dont la demande était élevée sur le marché européen et à les vendre sur son marché national. En revanche à l’ère du capital financier, elle a investi des capitaux massifs en Inde dans les chemins de fer, les banques, les industries, les plantations, etc. Grâce à ce procès de production, les biens se sont transformés en marchandises et ont été exportés de la colonie vers leur pays d’origine. Ces défauts fondamentaux de l’analyse d’Amin l’ont éloigné de la position de Lénine sur l’impérialisme. Il s’est écarté de la position léniniste correcte qui guide « l’analyse concrète des situations concrètes » et a adopté la ligne révisionniste qui consiste pour ainsi dire en la « généralisation absolue de situations concrètes ».
Position sur la Chine
Quel doit être l’objectif d’un parti communiste ? La révolution, le changement des relations de production sous la direction du prolétariat. Comment un marxiste peut-il faire l’amalgame entre la Chine maoïste et la Chine post-maoïste ? Samir Amin, dans ses longs écrits sur la crise alimentaire et sur le sous-développement du sud, a justifié l’initiative de Mao dans le domaine agricole. Cela signifie que le parti communiste chinois a pris de nombreuses décisions importantes, a répondu à la demande du pays et a généré des excédents, ce qui est louable. Mais il n’y a aucune justification de la Chine post-Mao, lorsque le capitalisme a été restauré dans le pays. La clique opportuniste contemporaine de Deng Xiaoping venait de détruire le solide système de communes agricoles de la Chine qui avait été développé pendant la Grande révolution culturelle prolétarienne. Deng Xiaoping a ouvert les portes de la Chine aux investissements étrangers et s’est allié à la clique impérialiste en 1980. L’autonomie de l’économie villageoise a été détruite par la privatisation massive des terres et le système des contrats: le gouvernement avait fixé jusqu’alors la limite des achats de céréales et de légumineux. Au-delà, les paysans étaient libres de vendre leur production sur le marché. Tout au long de ce processus de privatisation, le fossé entre les paysans riches et les paysans pauvres s’est creusé et des masses de paysans se sont retrouvés au chômage. Tous ces faits ne jouent pas en faveur de vos pêchés, Samir.
Ces conclusions superflues tirées par Samir Amin sont préjudiciables au mouvement révolutionnaire des masses et des nationalités opprimées, car elles justifient le mode de développement capitaliste et impérialiste, présenté sous la forme d’une « alternative tiers-mondiste ».
Nishant Anand
Nazariya magazine (Inde)