Thèse sur le fascisme et l’antifascisme

Gil de San Vicente, Euskal Herria, 2 octobre 2025

Article rédigé pour le livre en préparation Le maschere del fascismo nel terzo millennio, sous la direction de Geraldina Colotti et Tania Díaz, édition deiMerangoli.

Ce n’est que lorsque l’inhumanité sioniste a dépassé les limites de l’horreur que le gouvernement italien de droite a fait un geste propagandiste pour la galerie en envoyant, fin septembre 2025, une frégate pour « protéger » la flottille Global Sumud qui se rendait en Palestine avec de l’aide humanitaire et, en même temps, pour sensibiliser l’opinion publique afin de mettre fin au crime de génocide. Peu après, le gouvernement espagnol, qui avait auparavant partiellement rompu ses relations avec l’entité sioniste, mais en laissant une brèche commerciale sous prétexte de répondre aux exigences des « intérêts nationaux » espagnols, a fait de même. Les pirouettes verbales du gouvernement espagnol pour justifier son jeu de bonneteau ont déjà été dévoilées et dénoncées par les groupes de solidarité avec Gaza et la Palestine. La propagande s’est effondrée en très peu de temps lorsque les deux navires sont retournés à leurs ports, abandonnant la flottille à son sort face aux attaques sionistes, qui l’ont encerclée et capturée dans les eaux internationales. La bourgeoisie italienne et espagnole a dû prendre ces mesures pour répondre aux conséquences politico-électorales prévisibles des pressions antisionistes croissantes, et non de sa propre initiative. D’autres pays ont également dû reconnaître un État palestinien sans réel pouvoir après être restés indifférents pendant 80 ans, tout en maintenant des relations économiques et militaires étroites avec l’entité sioniste. En fait, dans ces États et dans d’autres, les justifications, les sympathies et les soutiens explicites au génocide sont très significatifs, non seulement de la part des forces ouvertement fascistes, mais aussi de la part des secteurs conservateurs et même de certaines franges de la classe ouvrière aliénées qui adhèrent aux mythes eurocentriques selon lesquels l’Occident doit serrer les rangs face aux menaces extérieures croissantes, précisément au moment où il est en train de se noyer dans la pire crise mondiale de son histoire. Pourquoi une partie de la population soutient-elle d’une manière ou d’une autre les brutalités bourgeoises, et pas seulement le terrorisme sioniste ? Quel est le rôle du fascisme dans tout cela ? Les fascisme des années 30 et 40 sont apparus dans des situations alors angoissantes pour le capital, mais qui n’étaient en rien comparables à la crise actuelle. Aujourd’hui, l’Occident dans son ensemble considère comme presque inévitable son recul au rang de puissance de second ordre face à l’avancée eurasienne, et même comme une puissance qui pourrait finir dans quelques années au même niveau que les pays dits « émergents », qui se situent au troisième échelon. L’Occident, dirigé par l’oligarchie des grandes entreprises, panique face à ce recul croissant. Il panique surtout à l’idée que les acquis sociaux dans les BRIC+ et dans de nombreux autres alliances et accords multilatéraux, malgré leurs différences et leurs contradictions, accélèrent la prise de conscience et l’organisation des classes et des nations exploitées au cœur de l’impérialisme. Pourquoi y a-t-il des améliorations sociales dans ces pays alors que la répression et la pauvreté croissante frappent les sociétés impérialistes ? La réponse que le prolétariat occidental peut apporter à cette question inquiète de plus en plus la bourgeoisie. Comment le fascisme peut-il l’aider à contrôler la situation ? L’impérialisme sait depuis trois décennies que le fascisme initial ne lui est plus utile dans sa forme classique, mais qu’il doit l’adapter aux conditions actuelles. Depuis 1923, il a été l’instrument fondamental pour tenter d’écraser la lutte des classes et surtout l’URSS. Il a remporté des succès significatifs, mais a échoué dans les moments décisifs. De plus, l’union du fascisme européen et du militarisme japonais était minime par rapport aux besoins de direction stratégique en pleine guerre mondiale. Ayant tiré les leçons de cette expérience, l’impérialisme l’a également utilisé depuis 1945 comme instrument de terreur entre les mains de l’OTAN pour frapper la gauche révolutionnaire politique, syndicale, sociale, médiatique, influencer les élections par la terreur, etc., et pour organiser des coups d’État au sein de l’Union européenne, mais de manière plus camouflée que lors de la phase précédente. L’urgence de donner l’apparence d’une certaine démocratie a conduit l’OTAN à diriger et à coordonner secrètement le terrorisme fasciste, tandis que l’Occident encourageait les dictatures et les fascismes pour « sauver la civilisation ». Cette politique appelée « guerre froide » a réussi à détruire l’URSS en 1991, mais a échoué dans son objectif ultime d’ouvrir un cycle impérialiste éternel : « le siècle américain ». À partir de la fin des années 1990, l’Occident s’est rendu compte que le socialisme, bien que très affecté dans certaines régions par l’implosion de l’URSS, résistait et se développait même dans d’autres, pouvant se rétablir à nouveau car tout indiquait que le capitalisme entrait dans une crise inconnue dont nous commençons seulement à connaître et à subir l’extrême gravité. Tout cela a eu pour effet à la fois le début de la « déconnexion » du Sud global de l’impérialisme du Nord et la reprise progressive de la lutte des classes en Occident, ainsi que le passage du capitalisme à une nouvelle phase économique, militaire et sociopolitique centrée sur la doctrine de la guerre permanente, initialement proposée en 2001 et développée depuis lors. Dans ce contexte, le fascisme devait être adapté à la nouvelle doctrine impérialiste fondée sur la militarisation sociale comme base indispensable à la guerre permanente à l’échelle mondiale. Ce sont les États-Unis qui ont commencé à adapter les idées réactionnaires et fascistes pour promouvoir la guerre permanente au début du XXIe siècle. L’intelligentsia réactionnaire, sous les ordres de l’oligarchie financière et militaire, a vu en Trump l’un de ses principaux promoteurs, et plusieurs églises évangéliques se sont jointes à l’effort en resserrant leurs liens avec les courants sionistes. L’expansion de l’OTAN vers l’Est, en violation des accords de neutralité avec la Russie, de 1997 à 1999 et surtout depuis 2004, s’est accompagnée d’une réorganisation du fascisme européen et mondial. À cette époque, la société bourgeoise intégrait dans son ordre disciplinaire les nouvelles formes de contrôle, d’aliénation et de répression qui se développaient pour compenser les limites de l’ordre néolibéral imposé depuis 1973, ce qui a affaibli les gauches sclérosées et démontré la nécessité d’adapter le fascisme. Mais comme nous l’avons vu plus haut, rien de tout cela n’a assuré la victoire définitive du « siècle américain », bien au contraire, cela n’a pas non plus empêché la « déconnexion » et la lutte des classes et de libération des peuples de progresser. La faiblesse croissante de l’impérialisme était déjà une réalité au début des années 2010 et depuis lors, elle n’a cessé de s’accentuer, ce qui a conduit l’Occident à faire un bond en avant dans la doctrine de la guerre permanente entre 2011 et 2015 qui, pour l’environnement européen, s’est traduite par la destruction de la Libye et le début de la longue guerre qui allait détruire la Syrie, et au coup d’État fasciste en Ukraine pour préparer la guerre ultérieure contre l’Eurasie. Bien sûr, il y a eu d’autres attaques contre d’autres peuples, mais pour des raisons d’espace, nous devons nous limiter à l’Europe. Les États-Unis et l’OTAN ont réorganisé les groupes fascistes pour leur imposer une unité et un objectif dans la guerre permanente, tout en leur permettant de conserver leurs querelles et leurs différences internes tant qu’elles n’entraveraient pas l’objectif stratégique : écraser l’Eurasie et mettre fin à la « déconnexion », étapes indispensables pour vaincre définitivement toute possibilité d’avancées révolutionnaires. C’est pourquoi le fascisme en est venu à soutenir le terrorisme fondamentaliste, à collaborer activement avec les armées privées du capital et ses mercenaires « contractuels », à associer l’islamophobie à la russophobie et, plus récemment, à la sinophobie, à défendre une Union européenne ultraconservatrice et militarisée, à soutenir de toutes ses forces la régression démocratique et la restriction des libertés et des droits sous prétexte de créer une « société forte et sûre ». Surtout, il a commencé à justifier les crimes uchronazis contre les Républiques populaires du Donbass et à applaudir les atrocités commises en Libye et en Syrie. Le fascisme s’est mis à faciliter la domination yankee sur la Méditerranée et c’est pourquoi il soutient de toutes ses forces les victoires conservatrices dans les pays riverains. Ces nouvelles tâches du fascisme se sont concrétisées et amplifiées encore davantage avec la pandémie de 2020-2021, lorsqu’il est devenu une force motrice du déni le plus irrationnel contre les stratégies de santé publique visant à éradiquer la Covid-19. Le fascisme n’a pas hésité à se rallier aux mensonges yankees selon lesquels le Covid-19 avait été créé par la République populaire de Chine pour semer la mort massive en Occident et dans le monde, justifiant ainsi le durcissement du militarisme impérialiste. Simultanément, il a alimenté d’autres négationismes encore plus fantaisistes et destructeurs en soutenant qu’il n’y avait pas de réchauffement climatique ni de crise socio-écologique, en attaquant l’essence même de la méthode de pensée rationnelle et scientifique, en niant la valeur de l’histoire critique comme moyen d’apprentissage libérateur, sans nous étendre à d’autres délires tels que le terraplanisme, etc. L’opération militaire spéciale lancée par la Russie en 2022 pour contrecarrer les préparatifs de l’OTAN visant à envahir la Fédération de Russie comme première étape pour encercler la Chine populaire, a encouragé le fascisme et d’autres organisations réactionnaires à recruter dans de nombreux pays des mercenaires criminels pour les envoyer mourir en Ukraine. Il s’agit d’une activité très lucrative insérée dans le gouvernement ucronazi corrompu, une activité liée à celles des mafias et au pouvoir sinistre de l’industrie sionazi du massacre humain. Dans le même temps, les idéologies militaristes et impérialistes sont renforcées en Asie-Pacifique afin de créer un puissant mouvement réactionnaire qui soutienne la guerre contre la Chine populaire et la Russie organisée par l’Occident, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, etc. La rébellion palestinienne de 2023 et le génocide inconcevable déclenché par le sionazisme ont confirmé le rôle central du fascisme international pour mobiliser, au service du capital, les passions égoïstes les plus primitives et les plus sombres des êtres humains aliénés et terrifiés par une crise effroyable qui menace de faire sombrer l’Occident. Alors que le mode de production capitaliste se dévore lui-même, tel un Ouroboros, pour survivre encore un peu, ses contradictions insolubles et ses lois tendancielles exigent de plus en plus de guerres, chacune plus atroce, plus meurtrière et plus exterminatrice que la précédente. Comparé aux fascisme précédents, confinés à de petits espaces et désunis entre eux, le fascisme actuel est un rouage indispensable de la machine internationale d’exploitation salariale et de pillage impérialiste obsédée par la domination mondiale. C’est un fascisme qui rêve de mondialisation, d’assurer son pouvoir à Washington, Londres, Paris, Berlin, Tokyo… comme bases à partir desquelles il pourra s’implanter à Pékin, Moscou, Téhéran, La Havane, Caracas, Hanoï, Alger… De la même manière que la lutte des classes et la libération nationale ont contraint le capitalisme à réadapter le fascisme pour accroître la puissance meurtrière de sa doctrine de guerre permanente, le mouvement antifasciste doit également améliorer et élargir ses formes de lutte et ses objectifs historiques. Compte tenu de cela, nous osons proposer cinq points pour un débat constructif. Premièrement : l’indépendance politique de l’antifascisme par rapport au démocratisme interclassiste a toujours été, depuis 1923, l’une des rares garanties que la lutte contre le fascisme puisse avoir des chances de victoire. Là où cette indépendance politique a été la stratégie principale, la défaite a été évitée car on a su maintenir des alliances politiques tactiques et transitoires avec des forces démocratiques et réformistes cohérentes là où cette tactique renforçait l’objectif historique recherché. Deuxièmement : outre l’indépendance politique antifasciste, l’indépendance politique par rapport à la ligne internationale de la bourgeoisie nationale est également fondamentale, même si celle-ci n’est pas impérialiste mais seulement obéissante et passive face à l’impérialisme. Cette lutte anti-impérialiste et internationaliste est décisive dans le capitalisme actuel, car il n’existe aucune résistance qui ne soit liée à l’incompatibilité entre l’impérialisme et le fascisme d’une part, et le socialisme et la liberté d’autre part. Cela signifie que le plus petit groupe antifasciste doit avoir une conception internationaliste et anti-impérialiste qui le guide à travers le monde. Troisièmement : étant donné que la militarisation sociale inhérente à la doctrine de la guerre permanente exige la restriction des libertés et des droits et l’augmentation de l’autoritarisme, la subordination des dépenses publiques aux dépenses de réarmement, la subordination de l’industrie civile à l’industrie militaire, etc., la gauche antifasciste doit porter ses actions et ses arguments à toutes les formes d’oppression, d’exploitation et de domination existantes, car le fascisme, sous toutes ses formes, des plus dures aux plus douces, est présent dans chacune d’elles et les renforce. Quatre : La forme organisationnelle appropriée pour mener à bien ce qui précède n’est autre que la dialectique entre organisation et auto-organisation, c’est-à-dire la création partout de groupes, de comités et de collectifs de base qui intègrent toutes les forces antifascistes selon le principe de l’indépendance politique et de la solidarité internationaliste. Cinq : L’antifascisme poussé à sa cohérence maximale est communiste pour la simple raison que le fascisme est essentiellement anticommuniste, et pas seulement antisocialiste. Au milieu des contradictions capitalistes et de la complexité actuelle des tensions internationales, l’antifascisme doit à tout moment mettre en garde contre les dangers qui se cachent derrière les politiques souples et tolérantes des pays du BRIC+ en matière de défense des droits et des libertés dans leurs propres pays, mais aussi dans ceux qui ne font partie ni du BRIC+ ni d’autres dynamiques multilatérales. Dans la plupart de ces forces qui, d’une manière ou d’une autre, s’opposent à l’impérialisme, il existe des secteurs réactionnaires aux tendances fascistes. Il est fondamental de les combattre, et la meilleure façon de le faire est d’unir cette lutte à la lutte antifasciste à l’extérieur.

Iñaki

2 octobre 2025

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