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les zombies arrêteront-ils  la vague hégémonique de droite?

Supernova n.6 2024

Lorsqu’on désigne un pouvoir, un mouvement fasciste, il ne faut jamais s’arrêter aux aspects immédiats : violence, racisme, criminalisation de la pauvreté, etc. Dégager une définition claire, simple et précise semble être bien difficile ; historiens, intellectuels de tous bords s’accordent sur ce fait.

Antonio Gramsci a analysé la montée du fascisme en Italie et ne s’est pas contenté de dénoncer les violences et les prévarications perpétrées par les fascistes, mais l’a considérée comme la dégénérescence ultime de la petite et moyenne bourgeoisie contre le prolétariat organisé.

Et ce afin de prendre le pouvoir et d’agir pour défendre les intérêts de la classe dominante – en particulier la propriété industrielle au Nord et la grande propriété agraire au Sud – contre le bloc révolutionnaire de la classe prolétarienne.

Ainsi, la violence fasciste, d’abord tolérée puis approuvée par le gouvernement libéral, n’était rien d’autre qu’une réaction d’abord désorganisée puis progressivement organisée contre la conscience de classe de plus en plus évidente du prolétariat le plus avancé. En d’autres termes, le pouvoir en place avait peur de la lutte des classes déclenchée par les masses populaires.

Le fascisme historique n’a pas été et ne sera jamais un mouvement idéologisé, parce qu’il manquait de fondements, étant né d’une réaction du capital contre les masses populaires organisées1.

La petite bourgeoisie elle-même n’aurait jamais agi comme une « classe hégémonique », mais plutôt de manière servile par rapport au pouvoir patronal, puisque les idéologies ou pseudo-idéologies qui l’animaient étaient incapables d’exprimer un point d’indépendance.

Cela n’enlève rien au fait que l’action du mouvement fasciste a pénétré le ventre mou du parlementarisme, ainsi que les structures de l’État : le pouvoir judiciaire, la police, les administrations centrales et périphériques, par lesquelles il a consolidé son pouvoir2.

Le fascisme, puis le nazisme, ont « encouragé » la participation et l’action. Il a créé, sur le modèle du mouvement ouvrier et socialiste, des organisations de masse pour structurer et diriger des blocs sociaux précis.

Cependant, les contradictions d’un tel modèle se sont brisées sur les mécanismes de l’impérialisme et de la lutte des classes.

Le capital, à travers ses propres structures et superstructures, s’est rapidement rendu compte que l’expérience historique du fascisme était dépassée et ne produisait pas les résultats escomptés, d’autant plus que le véritable vainqueur de la Seconde Guerre mondiale était l’URSS.

La guerre froide ne s’est pas seulement jouée dans la confrontation et la tactique entre les États-Unis et l’URSS. Elle s’est aussi développée à travers le contrôle planifié des pays européens qui ont adhéré au Pacte atlantique et au Plan Marshall (y compris la Turquie, en vue de l’expansion au Moyen-Orient).

La philosophie américaine, avec les concepts de « libre entreprise », de « concurrence », d' »État allégé « 3 , de « maximisation du profit »,… a soutenu ce processus. Autrement dit sur les principes fondamentaux du libéralisme économique – s’est développée cette idéologie en Europe, qui jusqu’alors ne connaissait que relativement bien de tels concepts.

Il va sans dire que des années de courte prospérité économique, (les crises sont inhérentes au mode de production capitaliste), suivront en Europe sous l’impulsion du “libéralisme”, grâce au financement et à la reconstruction. Elles favoriseront la diffusion de la « philosophie de la consommation ».

L’émergence de groupes néo-fascistes (tels que les groupes para-militaires) était en grande partie une réaction de peur du capital contre les masses populaires qui adhéraient à l’idéologie socialiste et sapaient la diffusion de la pensée libérale ainsi que l’enracinement du consumérisme qui en découlait.

En fait, l’explosion de la force libérale domininante, combinée à la faiblesse politique de l’URSS, minée par l’usure de la guerre froide et les gestions politiques douteuses, en commençant par Khrouchtchev, en passant par Brejnev et en finissant par Gorbatchev, a conduit à la défaite de l’URSS.

Il est clair, en effet, que l’idéologie marxiste avait mis en évidence les distorsions du capitalisme et, dans l’affrontement avec ce dernier, avait produit des effets sur le progrès de l’Humanité : recherche scientifique, lois protégeant les garanties des travailleurs, l’antiracisme, les luttes anticoloniales… etc, jusqu’à des tentatives de socialisme réel.

Aujourd’hui, les effets produits par la domination capitaliste mondiale sont visibles, qui en moins de 40 ans environ (si l’on prend la date de l’effondrement du mur de Berlin) a remis en cause (voire supprimé) toutes les conquêtes sociales obtenues par les communistes dans leurs affrontements avec le bloc de pouvoir capitaliste. Il suffit de penser à la déconstruction des services publics, à la réapparition de la haine raciale, de la violence de genre, de l’exploitation du travail – pour ne citer que quelques exemples – pour comprendre comment l’absence d’action prolétarienne conséquente conduit à la remise en cause des principes les plus élémentaires de la vie sociale.

Si l’ancien régime fasciste n’existait plus, la tendance à la fascisation prenait forme. Nous pourrions dire qu’un élément fondamental de la fascisation est son côté « hédoniste » et « consumériste ». Dans la matrice capitaliste, cela désintègre toute forme de critique, pour passer à un niveau du processus dialectique collectif à celui de l’hédonisme individuel.

L’individu a été isolé de sa communauté de référence par le marché. Il a avalé toute forme d’alternative culturelle à l’hégémonie dominante. Celui-ci a transformé ces formes en produit commercial (le cas des cultures populaires est emblématique4), persuadé les masses que les classes ont disparu, parlant d’interclassisme, pris les éléments essentiels de la philosophie existentialiste, humaniste et nietzschéenne. Il a produit un système coordonné de règles dictées par des superstructures telles que les industries cinématographiques, télévisuelles, musicales et littéraires, la publicité, la mode, les médias-virtuels, etc. afin de générer puis de satisfaire de nouvelles formes de critique, de nouveaux besoins, entièrement individuels.

Ces besoins comprennent non seulement la possession de biens au sens « positif », tels que les symboles de statut ou les produits de consommation et de haute technologie, mais aussi les biens « négatifs », c’est-à-dire les produits et services liés à la sécurité pour se défendre contre les peurs induites, qui sont intimement liées à la dictature du consumérisme (peur de l’autre, de la criminalité commune, de la spoliation des biens, etc.)5.

Dans la dictature consumériste, l’individu est isolé et vit (souvent) inconsciemment le drame de la déconstruction systématique des institutions éducatives et sociales (également fonctionnelles au consumérisme hédoniste) et peut difficilement agir efficacement contre les ravages du modèle économique actuel. C’est pourquoi toute tentative de collectivisation des actions pour contrer les effets de l’exploitation capitaliste s’auto-implose, disparaît en peu de temps, reste reléguée au niveau local ou se limite à une simple critique thématique. Il s’agit au fond d’une somme d’individus dépourvus de processus dialectique et de vision d’ensemble, alors qu’il faudrait construire un « front » unique et large, capable d’orienter les masses.

Le livre anticommuniste « 1984 » de G. Orwell, écrit pour critiquer l’avancée du pouvoir rouge, de la dictature des classes laborieuses, dans un destin moqueur de l’histoire, va à l’encontre des aspirations de son auteur lui-même, car il parle davantage du capitalisme actuel.

Pour autant, il ne faut pas croire que nous sommes face à un processus inéluctable. Ces mécanismes peuvent fonctionner à travers des processus de consensus et d’intégration. C’est précisément dans ces mécanismes que se trouvent les plus grands problèmes du processus fasciste : d’une part, il doit promouvoir des mécanismes homologants et conformistes, mais d’autre part, il développe la désintégration. Les structures intermédiaires (syndicats, partis, volés par les fascistes au mouvement ouvrier) ne peuvent être utilisées dans ce mécanisme.

Le fascisme était un « socialisme sans prolétaires », mais il conservait, même de façon opportuniste, une dimension « socialiste » ; maintenant est sans prolétaires et sans socialisme.

Les appels au nationalisme, à l’amour de la patrie, même s’ils ont une retombée effective (le racisme) ne sont plus des catalyseurs de l’énergie sociale dans la métropole impérialiste6. Les mouvements réactionnaires de masse sont paradoxalement parfois combattus par les classes dirigeantes elles-mêmes lorsqu’elles revendiquent leur « autonomie », leur « participation ». Les manifestants du Capitol HIll, leur répression, sont là pour nous le montrer. C’est précisément sur cet aspect qu’il faut identifier les fissures et les contradictions dans les mécanismes de consensus de l’hégémonie culturelle de droite.

Nous vivons une période historique marquée par des processus socio-économiques qui poussent les masses humaines vers des mécanismes de dé-intégration, une nouvelle masse de “zombies”.

L’accumulation capitaliste créée une diminution de l’offre de travail et en conséquence une augmentation de l’armée industrielle de réserve7. Ce processus s’accélère avec la crise. C’est dans cette armée de réserve qu’on trouve la partie excédentaire du prolétariat migrant. Les métropoles deviennent les centres de ce prolétariat. Diverses représentations de la réalité par la littérature ou le cinéma ont comparé les nouveaux damnés et condamnés des métropoles aux zombis, comme dans le film “Le territoire des morts” de George Andrew Romero. Le film raconte que, suite à une invasion massive de zombis, la société humaine s’effondre et que les morts-vivants se déplacent sur toute la planète. Les survivants se sont organisés en villes fortifiées réparties sur le territoire des États-Unis. Une de ces villes est Pittsburg, protégée contre les morts-vivants, de deux côtés par des fleuves et d’un troisième côté par une barrière électrique. A l’intérieur de la ville, on trouve un sanctuaire où les riches se sont installés dans un luxueux gratte-ciel appelé Fiddler’s Green tandis que le reste de la population croupit dans la misère. On retrouve ici la subdivision de la société capitaliste moderne entre une partie de la population qui vit, dans la même zone de protection que les riches, mais dans une extrême pauvreté, tandis qu’une masse énorme (les zombis) est, quant à elle, expulsée aux marges de la ville. Une sorte de figuration des conditions de ceux qui travaillent (toujours plus dans les conditions infernales des working-poor) et de la masse condamnée au chômage.

Ces zombies, les nouvelles « classes dangereuses », sont le signe de cette crise du consensus. Un programme politique pour ce nouveau prolétariat “sans réserve”8 doit être défini et rendu actif.

O.R.

1 Leçons sur le fascisme, P.Togliatti 1933

2 Hitler l’irresistible ascension?, Hurt Gossweile, 1988

3 Mais toujours militarisés

4 Aujourd’hui, il existe un intérêt bourgeois pour la récupération des expériences populaires des « opprimés », opération culturelle visant à nier les bases de classe et les ruptures qui ont été établies localement et internationalement.

5 Produisant inévitablement aussi un phénomène miroir, un retour au mythe du passé, de l’archaïque. Le retour à la famille, à l’abstinence sexuelle, à la religion sont des signaux que nous pouvons discerner dans les nouvelles tendances culturelles. Il s’agit d’un phénomène qui n’est pas nécessairement lié aux anciennes traditions religieuses, mais qui se présente comme un mouvement contre la modernité, présentant parfois des syncrétismes curieux et tragiques (mécanique quantique et apparition de la Madone, Islam et IA….).

6 Le déclin démographique est un fait souvent négligé.

7 Le prolétariat n’est pas plus misérable si le salaire baisse, comme il n’est pas plus riche si celui-ci augmente et que les prix baissent. Il n’est pas plus riche quand il travaille que lorsqu’il est chômeur.

Quiconque est entré dans la classe des salariés est pauvre au sens absolu (ceci n’empêche pas que, dans des cas particuliers, certains puissent en sortir, surtout si les guerres et les invasions “démocratiques” leur fournissent l’occasion de devenir cireurs de bottes ou maquereaux). Il n’y a pas de relativisme ni de progressisme qui tiennent. Ce qui définit le régime du salariat, c’est que celui qui travaille n’accumule pas, et celui qui ne travaille pas accumule. Ce n’est pas par hasard que le Manifeste du Parti Communiste (Marx et Engels) dit, à propos de la crise que le salaire devient toujours plus incertain, et la condition de vie de l’ouvrier toujours plus précaire. Salaire incertain, et non plus bas; condition précaire et non plus modeste. Plus d’accumulation, moins de bourgeois. Plus d’accumulation, plus de travailleurs, encore plus de prolétaires semi-employés et chômeurs, et le poids mort d’une surpopulation sans ressources. Plus d’accumulation, plus de richesse bourgeoise, plus de misère prolétarienne….

8 Marxisme et misere, 1949, Battaglia Comunista

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