L’une des nouvelles qui a marqué ces derniers jours dans le monde de la gauche révolutionnaire basque a été la publication sur les réseaux sociaux du manifeste de Bultza, manifeste dans lequel il appelle à s’organiser autour du marxisme-léninisme en Euskal Herria. Bultza, dans son histoire, comme ils nous le raconteront eux-mêmes, a été un collectif de la région de Bilbao qui luttait contre une multitude de problèmes.
Ils nous expliqueront eux-mêmes dans leurs réponses s’ils ont décidé de sortir du cadre du « botxo » et d’essayer de s’étendre à l’échelle nationale du Pays basque.
Tout d’abord, merci beaucoup d’avoir accepté de parler avec Haize Gorriak et de répondre aux questions que nous allons vous poser… La première chose est incontournable. Vous êtes connus depuis des années dans la région de Biscaye… mais pour ceux qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous nous expliquer ce qu’est Bultza et nous raconter un peu votre histoire ?
Tout d’abord, merci de nous donner la parole. BULTZA a vu le jour en 2019 en tant qu’organisation de quartier, plus précisément dans les quartiers d’Olabeaga, Basurto et Indautxu à Bilbao. Elle a ensuite rejoint la coordination JARDUN, qu’elle a quittée par la suite en raison de divergences.
BULTZA concentre alors ses efforts à Bilbao sur les luttes pour le socialisme, la libération nationale, l’anti-impérialisme, l’antifascisme… en organisant des actions, des journées, etc. dans ces domaines.
C’est là qu’a également démarré le projet de radio Bultzaka irratia, sur la fréquence 97 FM, et que nous avons participé à des plateformes telles que Herri Ekimena contre l’OTAN, ou actuellement Palestinarekin Elkartasuna.
Au niveau international, nous collaborons avec l’Antiimperialist Front et entretenons de bonnes relations avec des organisations communistes ou anti-impérialistes d’Irlande, de Turquie, d’Argentine… C’est ainsi que nous avons progressé jusqu’à la situation actuelle.
Ce manifeste que vous avez rendu public représente-t-il une sortie du cadre bilbotaire et une tentative d’étendre votre présence à l’ensemble du Pays bas basque ?
Je te remercie de nous poser cette question qui nous permet d’expliquer clairement cela. À Bultza, nous ne proposons pas de nous autoproclamer organisation marxiste-léniniste des Pays basques, et nous n’appelons pas à nous rejoindre, non, cette pratique ne nous correspond pas. Bultza met sur la table un appel à l’unité de tous les marxistes-léninistes d’E.H. afin de nous asseoir, de débattre et de construire ensemble cette organisation que nous estimons absolument nécessaire, et dont émergera par la suite le Parti communiste M-L d’E.H. À partir de là, nous pourrons développer une praxis révolutionnaire qui commencera à œuvrer parmi les masses du peuple basque travailleur afin d’essayer de les influencer, briser leur aliénation actuelle et les conduire vers la construction d’un mouvement populaire fort qui nous mènera vers la libération nationale et sociale d’Euskal Herria.
Bien sûr, que cette proposition aboutisse ou non, Bultza adopte ce txosten comme programme politique qui guide notre praxis quotidienne et nous avançons vers ces objectifs en tant qu’organisation, à laquelle nous invitons bien sûr également à militer. En effet, parmi les personnes qui nous contactent à propos du txosten, nous commençons à préparer avec certaines d’entre elles ces réunions de création de l’EHM-L, mais en dehors de cela, certaines sont intéressées à rejoindre Bultza dès maintenant et à aller dans cette direction avec nous dès maintenant, comme vous le dites bien, en élargissant notre présence au-delà de Bilbo. Mais comme nous le disons dans le document, nous ne sommes pas attachés aux sigles, Bultza cessera d’être notre outil dès que l’outil unitaire EHM-L (ou quel que soit le nom que nous lui donnerons) sera forgé, sans aucun ego de notre part.
Vous parlez ouvertement de la construction d’une organisation communiste, marxiste-léniniste… Pensez-vous de manière organisée à un parti communiste ? Quel type d’organisation pensez-vous nécessaire à la classe ouvrière basque et à l’ensemble du pays pour sa libération ?
Oui. Comme nous l’avons mentionné, c’est « la fin du début du chemin », c’est-à-dire qu’en tant que communistes, nous sommes convaincus que la création du Parti est une tâche fondamentale que nous devons assumer. Sans Parti, il n’y a pas de révolution, car c’est lui qui influence, gagne les masses et les conduit vers la réalisation de celle-ci.
C’est donc l’objectif à court/moyen terme, sachant bien qu’un PC n’est pas une fin en soi, mais un moyen, l’outil nécessaire pour atteindre les buts, les objectifs.
En ce qui concerne le type d’organisation, en tant que M-L, nous proposons un Parti d’un nouveau type, de type léniniste, une organisation de cadres forgés pour le combat, qui s’éloigne des modèles de partis larges et ouverts de type mentxebike, trotskiste ou social-démocrate. Avec E.H. comme cadre national et le peuple travailleur basque comme sujet politique qui mènera à bien sa propre libération nationale et sociale.
Nous ne voyons pas de cadre étatique pour la construction d’un parti, et encore moins d’autres cadres supra-étatiques. Bien sûr, cela repose sur le centralisme démocratique, le matérialisme dialectique et historique et le socialisme scientifique.
Personnellement, je me réjouis de voir que vous défendez tant l’héritage idéologique et pratique de Staline que les autres expériences révolutionnaires du siècle dernier.
Oui, nous estimons que cette défense est nécessaire à l’heure actuelle et nous avons jugé important de nuancer notre ligne, car le marxisme est une science et non une idée. En d’autres termes, le marxisme-léninisme repose sur une série de lois et de principes intrinsèques qui, si vous vous en écartez, si vous les déformez, les révisez et les adaptez à une praxis révisionniste, cessent d’être marxistes-léninistes. Bien sûr, sans tomber dans le dogmatisme et en comprenant le marxisme comme un guide pratique et théorique pour l’action.
Autrement dit, non seulement nous nous éloignons du trotskisme, du postmodernisme et de toute forme de révisionnisme, mais nous les combattons. Et nous savons que Staline et la défense du socialisme réel constituent une ligne de démarcation claire qui empêche les gens de répondre à cet appel qui nous fait perdre notre temps. Sans défendre la figure de Staline, malgré ses erreurs, il est impossible d’être M-L.
Nous le défendons, nous le revendiquons et nous suivons ses enseignements théoriques et surtout pratiques sans aucun complexe. Il en va de même pour la défense du socialisme réel et des expériences historiques, que nous défendons contre ceux qui les calomnient et tentent de leur ôter leur importance historique, car elles prouvent dans la pratique que la théorie appliquée est correcte.
En faisant de la politique-fiction, si vous parvenez à mettre en place l’organisation telle que vous l’avez décrite… envisagez-vous d’avancer vers une Unité populaire ?
Oui, bien sûr, un mouvement populaire basque fort, cohésif et organisé est l’un de nos principaux objectifs à moyen/long terme. Comme nous le disons, la révolution est faite par les masses, pas par les partis. Les communistes se placent simplement à l’avant-garde de ce mouvement pour essayer de mener ce navire à bon port. Puisque nous parlions tout à l’heure de Staline, il disait que « la tâche principale des partis communistes consiste à se frayer un chemin vers les masses, à renforcer les liens avec elles, à conquérir les organisations ouvrières de masse pour les futurs affrontements révolutionnaires » et c’est ce que nous faisons et c’est pour cela que nous voulons créer l’outil que nous proposons dans E.H.
Se placer à l’avant-garde ne signifie pas s’autoproclamer et essayer de donner pédamment des leçons sur ce qu’il faut faire. Être à l’avant-garde, c’est se placer en tête par l’exemple, avec une discipline bolchevique, avec les armes théoriques que nous donne le socialisme scientifique, en étant le premier à avancer, le dernier à se retirer et le premier à recevoir les coups et la répression. c’est ce qui fait que les masses vous considèrent digne d’être appelé avant-garde, l’effort, la persévérance et surtout une ligne et une stratégie justes et judicieuses que le peuple identifie également comme telles. À ce moment-là, la fusion parti-masses est possible et la révolution, du moins ses conditions subjectives, sera déjà prête.
Si par unité populaire vous entendez l’unité avec d’autres organisations et partis, nous la considérons également nécessaire, surtout dans la lutte contre le fascisme, contre la répression…
Mais cette unité sera toujours une unité d’action, fondée sur des principes. Nous ne voyons pas l’intérêt d’une unité qui réduit les objectifs ou les principes pour rassembler plus de personnes. Nous privilégions la qualité à la quantité, avec des principes clairs et révolutionnaires, la quantité viendra si nous faisons des efforts.
Je ne vais pas vous interroger sur l’avenir de la gauche abertzale officielle, car 14 ans après, on voit bien ce qu’elle est devenue… Que pensez-vous du tandem Sortu-Bildu ? S’ils remportaient les élections régionales, que peut-on attendre d’eux ?
Comme tu le dis si bien, après tout ce temps depuis sa démission historique et son passage à la social-démocratie autonomiste, ce n’est plus une évolution, c’est sa réalité politique, visible par tous, et ceux qui ne veulent pas le voir sont soit aveugles politiquement, soit ils le voient mais préfèrent suivre cette voie en avalant toutes les couleuvres.
Politiquement, nous savons ce que cela a signifié pour E.H. Je ne pense pas que nous devions nous étendre longuement sur ce sujet, ils sont devenus le pilier gauche de l’autonomisme et, avec d’autres de leur acabit comme Podemos, ERC, Sumar, BNG, etc., le pilier gauche qui soutient l’État impérialiste espagnol.
Nous n’attendons donc absolument rien d’eux. Si, comme vous le dites, ils remportent les élections régionales, ce serait positif pour nous, car ils seraient démasqués, car à part quatre petits changements esthétiques, tout resterait « bien ficelé » aux intérêts de la bourgeoisie basque et espagnole et de l’État impérialiste espagnol.
La social-démocratie est en outre généralement meilleure gestionnaire des intérêts oligarchiques, car ses appendices tels que les syndicats, les bases, les ONG, les associations, etc. maintiennent la paix sociale lorsqu’elle gouverne, ce qui génère moins de frictions pour le capital. Par conséquent, nous ne voulons ni n’attendons rien de la social-démocratie autonomiste qui trahit les intérêts de la libération nationale et du socialisme réel.
Quel type de relations entretenez-vous avec d’autres collectifs ou organisations communistes au niveau national ?
C’est au niveau régional que nous nous sommes le moins projetés, au niveau national, ces contacts internationaux se sont développés naturellement. Mais nous entretenons de bonnes relations avec, par exemple, le Réseau anti-impérialiste, le Mouvement anti-répressif MAR, etc. Nous souhaitons toutefois commencer à établir des relations bilatérales avec d’autres organisations une fois que nous aurons dépassé le cadre très local de Bilbao.
Par exemple, nous essayons d’établir des contacts avec le PCRG galego et nous établirons des contacts avec tous ceux avec qui nous voyons une possibilité de nous unir dans la lutte contre l’État impérialiste espagnol, l’OTAN, l’UE, etc. À condition qu’ils comprennent ce que disait Argala : « Nous, les travailleurs basques, nous ne sommes ni espagnols ni français, nous sommes seulement basques ; et ce qui nous unit, ce n’est pas d’appartenir à la même nation, mais à la même classe », et à condition que notre droit à l’autodétermination jusqu’à l’indépendance soit respecté.
Pour nous, notre cadre d’organisation et d’action pour le développement de la lutte des classes est Euskal Herria, puis, au niveau international, nous lutterons bien sûr aux côtés des Espagnols, des Français, des Irlandais, des Galiciens, des Catalans, etc. contre nos ennemis communs.
Pourriez-vous nous faire une analyse de la situation mondiale avec cet impérialisme si agressif, meurtrier, dirais-je ?
L’impérialisme, comme nous l’enseigne le matérialisme dialectique, suit une série de lois, tout comme le capitalisme, dont il est la phase supérieure et agonisante. L’impérialisme évolue et, tout comme le capitalisme, passe par différentes phases. Beaucoup de temps s’est écoulé depuis que Lénine l’a analysé avec tant de certitude dans son célèbre ouvrage, et tant les conditions que l’échiquier politique ont évolué. Lénine lui-même, dans ses écrits de 1920-1923, a déjà actualisé ses analyses, surtout après avoir pris connaissance, comme il le dit, des réalités exposées par les camarades venus du Sud global lors des réunions de l’Internationale communiste. Des discours tels que ceux de Ho Chi Minh ont ouvert les yeux de nombreux communistes occidentaux et ont bouleversé de nombreuses mentalités et pratiques eurocentristes concernant les relations de dépendance et d’exploitation du Sud global par rapport au Nord global impérialiste. En fait, ces nouvelles perspectives ont conduit à changer le slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » en « Prolétaires et peuples opprimés du monde, unissez-vous ».
Ces réflexions ont ensuite donné naissance aux théories économiques de l’échange inégal, du système-monde, etc. qui, malgré nos divergences politiques avec certains de leurs auteurs, constituent selon nous une mise à jour des analyses léninistes de l’impérialisme.
Sans connaître cette dynamique, il est impossible de savoir comment la briser, comment la combattre. Sans une analyse correcte, il est impossible de trouver une solution correcte. Ces erreurs d’analyse entraînent des problèmes tels que le fait que des organisations et des partis qui se disent communistes, suivant des thèses révisionnistes erronées comme celle de la « pyramide impérialiste » du KKE grec et de son internationale d’acolytes, qualifient la Chine, la Russie ou d’autres pays du même type d’impérialistes et considèrent, par exemple, que la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie dans le Donbass est une guerre interimpérialiste entre la Russie et l’Occident.
Avec une boussole mal orientée, le navire ne naviguera jamais dans la bonne direction et sans comprendre comment fonctionne le transfert de plus-value sud/nord, l’enchaînement et la perte de souveraineté nationale qu’implique l’échange inégal, etc. Il en va de même pour des phénomènes tels que les BRICS, dont il ne faut pas attendre de politiques socialistes, car ils ne le sont pas,
il faut savoir apprécier ce que la multipolarité signifie pour l’impérialisme, la fissure qu’elle ouvre en son sein, grâce à laquelle les peuples exploités du Sud global peuvent reprendre leur souffle, briser les dynamiques de dépendance, créer une souveraineté nationale, tout cela affaiblissant l’impérialisme et permettant aux peuples opprimés et au prolétariat mondial d’attaquer ensemble, rendant possible le slogan susmentionné du Komintern.
De même, l’impérialisme génère des synergies dans les pays du centre impérialiste, telles que la création continue d’une aristocratie ouvrière grâce au partage entre elle des bénéfices et de la plus-value extraite de la périphérie, avec le conformisme et l’aliénation que cela génère dans le reste de la classe ouvrière et qui rend son émancipation plus difficile.
Nous pensons que la contradiction principale se situe aujourd’hui entre l’impérialisme et les nations qu’il soumet. C’est pourquoi, sans briser ce système mondial de domination impérialiste globale entre tous, il sera beaucoup plus difficile de mener d’autres combats que nous menons simultanément, comme la lutte des classes au sein de nos nations et de nos États contre notre propre bourgeoisie.
Nous pensons que la lutte pour la libération nationale basque, pour le socialisme et contre l’impérialisme doivent être unies et c’est pourquoi nous affirmons représenter le patriotisme révolutionnaire internationaliste et anti-impérialiste basque.
Son agressivité actuelle ne fait que démontrer qu’il se sent acculé, et les tigres, lorsqu’ils se sentent acculés, donnent leurs pires coups de griffes, même si ce sont les derniers, car bien qu’il soit un tigre, c’est un tigre de papier, comme le disait Mao, et ses jours sont comptés. Nous pensons que les enseignements léninistes selon lesquels l’impérialisme est le prélude à la révolution communiste sont toujours d’actualité.
Dernière question… Je ne veux pas vous assommer de questions… Quel est l’état de santé des idées marxistes, que certains qualifient d’anciennes et totalement dépassées ?
Les idées marxistes-léninistes dépendent du point de vue. Nous pouvons considérer qu’aujourd’hui, la soi-disant « gauche » est théoriquement pourrie, inondée de bouillie postmoderne, que le MCI est au plus bas, avec une infinité de théories qui dévalorisent, décontextualisent ou révisent et modifient directement les bases du M-L, comme l’école de Francfort, Negri, Gramsci, etc. De plus, il n’y a pas de phare révolutionnaire comme l’était l’URSS, ni d’internationale… Si l’on considère tout cela, le marxisme-léninisme est en déclin et beaucoup le considèrent comme obsolète ou révolu.
Mais il existe une autre vision, plus positive, selon laquelle après la guerre continue menée par la bourgeoisie et l’impérialisme contre le communisme, à coups de fascisme, d’emprisonnement, d’assassinats, de mensonges, et après avoir déversé des montagnes de détritus sur nous, le vent les disperse encore et encore, comme le disait Staline, et la résistance continue, et il y a des cas, comme le disent les Palestiniens, où le simple fait de résister, c’est déjà vaincre. Après la trahison révisionniste et la chute du camp socialiste, nous avons connu des années de repli, où il fallait garantir la continuité du combat en attendant des temps meilleurs, mais nous, les communistes, nous sommes toujours debout et nous continuons à lutter, et tôt ou tard, les conditions objectives, crise capitaliste après crise capitaliste, seront réunies et nous devrons être prêts à nouveau, avec les conditions subjectives en place, et la meilleure préparation pour cela est d’avoir un Parti communiste cohésif, discipliné et prêt à reprendre le combat, et c’est ce que nous faisons et c’est la raison d’être de cette proposition d’Euskal Herriko Marxista-Leninistak.
Il n’y a pas d’autre choix que de nous relever et de reprendre la lutte des classes et la libération nationale, et nous sommes prêts à le faire.
Il ne me reste plus qu’à vous remercier d’avoir pris le temps de répondre à mes questions et à vous souhaiter sincèrement bonne chance dans cette noble entreprise, d’autant plus qu’aujourd’hui, même si les moches et les moches l’ont oublié, c’est le 108e anniversaire de la Révolution d’octobre. À bientôt !
interview réalisée par Haize Gorriak
novembre 2025
