Dans la nuit du 23 octobre 1962, toutes les stations de radio et de télévision cubaines ont diffusé les déclarations de Fidel Castro, alors Premier ministre du gouvernement révolutionnaire et secrétaire de l’ORI (Organisations révolutionnaires intégrées), alors que le monde était au bord d’une guerre nucléaire. Cet événement est aujourd’hui connu sous le nom de « crise d’octobre » ou « crise des missiles cubains ».
S’il manquait encore des preuves que Fidel était à la fois le leader de la Révolution et le leader de sa subversion, il suffirait de relire son célèbre discours du 17 novembre 2005, 60 ans après son entrée à l’Université de La Havane, le lieu où, comme il l’a reconnu ce jour-là, il était devenu révolutionnaire.
Le combattant qui a redéfini tout ce qu’il a touché au cours de sa vie ne voulait même pas que les ennemis de son peuple lui enlèvent les meilleures significations de ce mot, celles avec lesquelles il avait mené la rébellion contre la dictature de Fulgencio Batista.
Fidel, toujours surprenant, était particulièrement inspiré ce jour-là. Avec le recul, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agissait presque d’un testament politique, compte tenu des concepts sur lesquels il s’est attardé : des thèmes élevés tels que la possibilité que l’humanité puisse un jour abandonner la Terre, qu’elle pillait sans cesse, pour chercher un endroit habitable dans le cosmos, à des thèmes terrestres et corrosifs comme la corruption et la corruption des chaînes de distribution de carburant, à partir desquels on pouvait découvrir tout ce qui aurait pu allumer les flammes de ce que l’impérialisme n’aurait jamais pu réaliser : que nous, par nos erreurs, aurions été capables d’autodétruire la Révolution.
Parallèlement à cet appel au réveil de Fidel, je lisais un essai du jeune collègue Raúl Escalona, intitulé « Le discours public dans la révolution : presse et politique à Cuba », dans lequel j’ai trouvé, très bien argumentées, plusieurs des raisons pour lesquelles, en plus d’être le leader de la Révolution, Fidel a fini par être le leader de son « opposition », ce que certains camarades ont souligné lors d’une récente réunion de la Commission idéologique du Comité central du Parti communiste cubain, où ils ont analysé comment approfondir et rendre productif le débat sur cette intervention 20 ans après qu’elle ait eu lieu.
Soulignant les implications extraordinaires de ce discours, prononcé sans surprise devant un public de jeunes étudiants universitaires, la commission susmentionnée a souligné que l’audace politique de Fidel le 17 novembre a démontré qu’il avait enfreint la règle populaire selon laquelle celui qui est « pyromane » à 20 ans finit par être pompier à 40 ans.
Mais deux décennies après ces déclarations singulières, alors que Fidel mène désormais son combat depuis le cimetière de Santiago, la question la plus difficile reste posée : le socialisme peut-il s’autodétruire ?
Cette question est la même qui brûle après avoir fini de lire le texte du jeune Escalona : comment pouvons-nous faire en sorte que cet esprit critique et autocritique de Fidel devienne la chair et le sang de la Révolution, comment pouvons-nous garantir que la pratique corrective du leader s’étende à tout le corps et à la pratique de la Révolution, afin d’atteindre l’invulnérabilité politique consacrée dans le corps de notre Constitution.
La même question a été posée, et nous a été posée, par Díaz-Canel à la fin de l’analyse de la Commission idéologique… Et comme celle-ci, si troublante et curative, nous, révolutionnaires cubains, ne devons pas manquer l’occasion de nous laisser provoquer, bouleverser, par ce discours de Fidel, car comme il l’a lui-même exprimé à ce moment-là, notre pire erreur a été de croire que quelqu’un savait construire le socialisme face à un capitalisme prédateur et moralement décadent, bien que doté d’une énorme capacité de manipulation, qui cherche à anéantir la capacité de penser en créant des réflexes conditionnés.
J’avoue que depuis que je l’ai relu, je n’ai cessé de noter des idées, car il est trop évident que ce 17 novembre, Fidel était au sommet de sa provocation, compte tenu de la signification et des interprétations qui découlent de l’acte lui-même et des idées avec lesquelles, je soupçonne, il entendait déclencher un débat qui se poursuit encore aujourd’hui et pour toujours. J’ose donc partager certaines des préoccupations qu’il a suscitées en moi :
L’importance des liens étroits entre les dirigeants politiques de la Révolution et les étudiants universitaires. L’université comme espace central pour le débat des idées et les luttes révolutionnaires à Cuba.
L’importance de ce débat pour réfléchir au contexte national et international dans lequel se déroule la Révolution cubaine. La complexité de la lutte symbolique et pratique entre le socialisme et le capitalisme et la manière dont Cuba doit y faire face, en collaboration avec les forces progressistes du monde entier.
L’urgence de mettre à jour le débat marxiste sur la construction du socialisme dans les nouvelles conditions mondiales, en accordant une attention particulière à un pays sous-développé. Le rôle de l’État dans ces nouvelles circonstances.
Le passage d’une participation formelle à une participation authentique à la construction socialiste, en particulier pour les jeunes.
La nécessité de systématiser l’analyse et la recherche sur la justice sociale et les inégalités, ainsi que l’ajustement constant des politiques publiques dans ce domaine, sont essentiels dans le socialisme. Cela doit se fonder sur le principe que l’égalité d’accès, même devant la loi, n’implique pas toujours l’égalité des chances.
Le défi de construire une économie socialiste solide, capable de contrebalancer le modèle capitaliste.
Le rôle curatif de la critique et de la capacité délibérative dans la construction du socialisme comme moyen de garantir l’invulnérabilité politique. Le rôle des cadres, des dirigeants et des institutions dans la construction socialiste.
L’importance de l’éthique et de la moralité pour la Révolution et les révolutionnaires. La nature inaliénable de l’utopie et la capacité de rêver, même dans les circonstances les plus difficiles.
Ce qui précède ne sont que les premières notes de l’aspirant révolutionnaire que je souhaite devenir. Granma a fourni un résumé précieux des idées centrales du discours, qui devrait ouvrir la voie à une analyse beaucoup plus approfondie.
Il serait impardonnable que ce 17 novembre passe sans que nous nous laissions provoquer par Fidel, cet homme subversif et rebelle qui voulait réveiller dans son peuple l’idée qu’il devait continuer à l’accompagner dans l’aventure visant à changer Cuba et le monde.
Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons voler vers l’avenir, à bord de leur vaisseau cosmique de la justice.
Ricardo Ronquillo
