Enquête ouvrière : Amazon à Marseille

SUPERNOVA n.9 2025

nouveau capitalisme et vieille lutte des classes

Pour organiser l’autonomie prolétarienne, il faut aussi mener des enquêtes, comprendre où travaille et vit la classe ouvrière, quelles sont les formes de contrôle politico-social auxquelles elle est soumise et quelles contradictions elle rencontre dans son action collective.

Enquêter, ce n’est pas faire de la sociologie, mais saisir le lien entre politique et classe, entre domination et résistance.

Il existe des secteurs du mouvement ouvrier qui, en raison de leur place dans l’organisation du travail et de leur dimension sociale, peuvent agir comme des forces de recomposition sociale pour l’ensemble du prolétariat métropolitain, ou plus simplement ont une spécificité dans la lutte de classe à utiliser dans la résistance contre la domination du travail salarié1. En ce sens, pour nous, organiser l’autonomie prolétarienne au sein de la métropole impérialiste signifie comprendre le rôle des ouvriers dans la logistique, leur « importance » dans l’organisation du travail, au sein des nouvelles chaînes de valeur.

Ce matériel part de la confrontation avec un groupe d’ouvriers de l’entrepôt Amazon à Bouc Bel Air (Marseille) et de leur action syndicale (SUD-Solidaires), contact né grâce à la grève des ouvriers d’Amazon à Marseille fin avril 2025.

L’entrepôt de Bouc Bel Air, qui emploie environ 200 ouvriers, est le deuxième en France et le troisième en Europe. Le volume de colis traités par heure est d’environ 2 000. Mardi/mercredi, entre 40 000 et 50 000 colis sont expédiés, mercredi/jeudi entre 50 000 et 60 000 colis, avec un pourcentage de colis par équipe variant entre 23 000 et 25 000. Il est question d’un projet d’agrandissement du site afin de devenir le premier en Europe avec plus de 100 000 colis expédiés chaque nuit. Un seul colis peut peser jusqu’à 40 kg, et le déplacement des colis à l’intérieur de l’entrepôt est essentiellement humaine.

L’entrepôt est lié à la distribution de 8 entreprises sous-traitantes, dont 4 grandes entreprises, où les travailleurs, bien qu’ils ne travaillent pas directement pour Amazon, font partie de la même “organisation du travail”. Les colis sont transportés uniquement par route et sur le site de Lyon. L’entrepôt est sous étroite surveillance technologique et humaine, avec des caméras et des agents de sécurité omniprésents.

Dans l’entrepôt de Marseille, près de 50 % des travailleurs sont victimes chaque mois d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Les contrats à durée indéterminée sont très répandus, même si les travailleurs sont généralement licenciés après trois ans, les motifs les plus fréquents étant l’abandon du poste, l’accusation de vol, etc. Le secteur le plus précaire est celui des femmes, où les cas de harcèlement et de chantage de la part des « chefs » ne sont pas rares. Jusqu’à récemment, l’entreprise s’opposait à l’embauche de femmes, les considérant comme une « distraction ». Aujourd’hui, les pourcentages s’équilibrent, même si elles subissent un traitement « péjoratif » par rapport aux hommes.

30 % ont un contrat précaire. À ce jour, ces 30 % sont tous des CDD (contrats à durée déterminée), alors qu’auparavant, il y avait aussi des intérimaires, mais toutes les agences ont été supprimées en raison des coûts de gestion. La plupart de ces CDD refusent le renouvellement de leur contrat, ce qui entraîne un taux de rotation élevé.

Pour être embauché, il n’est pas nécessaire d’avoir un CV ni un casier judiciaire. Cela fait que beaucoup de personnes ayant un casier judiciaire postulent et sont embauchées dans cet entrepôt. Même si rien n’est demandé à l’entrée, cela n’empêche pas l’entreprise de rechercher les antécédents judiciaires lorsqu’elle souhaite licencier quelqu’un. La plupart des ouvriers vivent dans les quartiers nord de Marseille et à Vitrolles.

LA LOGISTIQUE

À l’origine, la logistique était perçue comme la capacité d’organiser le mouvement des personnes et des marchandises et de disposer des ressources de manière fonctionnelle dans un espace défini, un concept qui puise ses racines tant dans les mathématiques grecques que dans l’expérience militaire, où elle se présentait comme un outil pour le ravitaillement et la mobilisation des troupes.

Avec le temps, cette discipline a évolué pour devenir une science managériale intégrée, capable d’optimiser l’ensemble du cycle productif et d’établir des liens entre production, transport et distribution dans un système global. La logistique et ses innovations, comme la conteneurisation, ont radicalement transformé le commerce international et la manière de concevoir les transports. Ce processus a permis une réduction significative des coûts et une accélération des flux commerciaux, tout en introduisant de nouveaux défis, tels que la standardisation des infrastructures et la complexité de la gestion des systèmes intermodaux.

Parallèlement, la logistique a pris une dimension politique, influençant la répartition du pouvoir économique et le contrôle des territoires, modifiant les relations traditionnelles entre l’État, les entreprises et les communautés locales. La création de corridors infrastructurels, de zones économiques spéciales et de systèmes de gouvernance hybrides a en effet donné naissance à de nouvelles formes de domination qui remettent en cause les conventions étatiques traditionnelles.

La logistique n’est pas exempte de contradictions, comme en témoigne la tension entre centralisation et flexibilité, entre l’automatisation des processus et le maintien d’une main-d’œuvre humaine qui, bien que réduite à de simples exécutants, reste indispensable pour assurer la résilience du système. Cette dynamique a produit des effets ambivalents : d’un côté, la création de systèmes hautement efficaces et contrôlés ; de l’autre, la détérioration des conditions de travail et la précarisation des relations d’emploi, des phénomènes qui ont alimenté des résistances et de nouvelles formes d’organisation syndicale.

Les luttes des ouvriers dans la logistique contre les rythmes de travail, pour les salaires, contre l’autoritarisme de l’entreprise, leur résistance contre le travail, ont un impact direct sur toute la métropole impérialiste, ceci en particulier pour deux facteurs :

– la centralité de la logistique dans l’organisation actuelle du travail basée sur la flexibilité productive, dans un monde où domine l’élément financier du capitalisme impérialiste.

– le rapport direct de la société avec ce « produit » : tout le monde connaît et utilise Amazon…

NOUVEAU ET ANCIEN

Parler d’Amazon, c’est se confronter à un capitalisme « numérique » qui reproduit des formes de despotisme entrepreneurial similaires à celles du capitalisme « industriel », où le contrôle s’exerce à travers la surveillance technologique et la concurrence interne. Les employés, souvent précaires et sous-payés, sont soumis à une rotation du personnel exaspérante, qui rend leur situation professionnelle instable. En atteignant une vitesse logistique sans précédent, Amazon sacrifie la dignité et le bien-être des travailleurs, contraints à des rythmes épuisants et soumis à une surveillance continue. La modernité d’Amazon repose sur des formes de domination « anciennes ». C’est le paradoxe que Marx avait déjà identifié dans Le Capital lorsqu’il établissait un parallèle entre l’esclavage dans les États du sud des États-Unis et l’industrie cotonnière de Manchester. C’est le téléphone portable, devenu une extension de notre corps, et les mines de silicium à ciel ouvert en Afrique, où de jeunes et très jeunes mineurs creusent à mains nues.

L’une des sources de richesse d’Amazon est la marchandise qui transite sans relâche dans ses entrepôts. Ce travail est effectué par une main-d’œuvre organisée à l’aide de systèmes technologiques qui l’obligent à travailler rapidement, rendant ces emplois très précaires et instables. Le point central de tout ce système est le rôle central du travail humain dans la circulation des marchandises, même si celui-ci est dirigé par une infrastructure complexe composée de logiciels et de machines. Ces activités se déroulent dans les « centres de distribution », qui sont environ 300 dans le monde et occupent chacun une superficie de plusieurs centaines de milliers de mètres carrés, où travaillent des milliers d’employés appelés « associés » ou « Amazoniens » par l’entreprise. Au début de l’année 2023, ils sont 1,5 million, ce qui fait d’Amazon la deuxième entreprise privée au monde en termes d’effectifs, derrière Walmart, qui compte plus de 2 millions de salariés. Les travailleurs sont répartis dans le monde entier au sein d’un réseau mondial composé de bureaux, de campus, de centres de données et d’entrepôts qui s’articulent autour du siège social de Seattle.

Partout dans le monde, le travail d’un centre de distribution est structuré à partir de l’utilisation des technologies les plus avancées d’Amazon, auxquelles s’ajoutent des formes archaïques de despotisme, similaires à celles des usines du passé. Cette fusion donne naissance à un entrepôt où la robotisation est largement répandue et où des algorithmes surveillent les employés tout en extrayant des données sur leur travail. Cette façon d’organiser le travail est progressivement copiée par d’autres entreprises pour rester dans la course face à Amazon et tenter de grignoter des parts de marché au géant de Seattle. Il est intéressant de souligner qu’une grande partie de l’organisation du travail chez Amazon repose sur l’automatisation liée au modèle industriel toyotiste de la fin des années 80-90. Cette philosophie du travail partait d’un principe de base : la destruction de toute forme d’organisation de classe par les travailleurs et une interaction toujours plus rapide entre l’automatisation, la robotique et le travail humain, dans un contexte de « financiarisation » de l’économie, liée à une précarité sociale et à une flexibilité de la production et de la distribution.

LES MACHINES ET L’ORGANISATION DU TRAVAIL

Dans les entrepôts d’Amazon, des milliards de marchandises circulent et y restent pendant une période allant de quelques heures à plusieurs semaines avant de partir vers d’autres destinations. Le mouvement des marchandises est rapide, efficace et sans friction. Dans ce schéma, le problème le plus important pourrait provenir uniquement de la main-d’œuvre, qui doit être soigneusement contrôlée et gérée afin d’éviter un ralentissement ou un arrêt du flux. Amazon est donc à la pointe de l’utilisation de la technologie pour maximiser l’accumulation. L’infrastructure technologique vise à exploiter la main-d’œuvre et non à l’émanciper, comme le sait tout ouvrier conscient. Les logiciels conçus par Amazon visent à garantir une gestion rapide et efficace des commandes, mais aussi à maintenir un contrôle minutieux sur les employés.

Pour produire de l’accumulation capitaliste, il faut un contrôle, une intégration de la classe ouvrière. Ainsi, derrière toutes les machines, les innovations technologiques, le développement de l’industrie, le sous-développement même de certaines régions, il y a aussi l’utilisation de ces technologies pour contrôler politiquement la classe ouvrière elle-même.

Le modèle Amazon normalise des bureaux où règne une terreur qui stresse les employés. Il n’est pas difficile de trouver des employés qui pleurent derrière leur bureau ou de découvrir qu’Amazon utilise des mesures de productivité pour évaluer les employés et les monter les uns contre les autres. Pour ceux qui travaillent directement dans l’entrepôt, la domination de l’organisation du travail est encore pire… Ils doivent subir des rythmes physiquement impossibles, dictés par les algorithmes de l’entreprise qui organisent le travail, et un système de surveillance invasif qui contrôle la productivité des travailleurs à tout moment. Les informations produites pendant le travail des ouvriers sont capturées et monopolisées par les logiciels d’Amazon, alimentant les machines qui gèrent la structure et organisent les processus des centres de distribution. Au sein de ces derniers, le taux de rotation du personnel est élevé et l’entrepôt finit par se débarrasser et remplacer fréquemment la main-d’œuvre épuisée par le rythme qui lui est imposé. La précarité est utilisée par la direction pour ajuster le volume de la main-d’œuvre en fonction de la demande toujours fluctuante du marché. Les techniques de gestion d’Amazon consistent en des chefs qui interagissent avec les travailleurs en personne ou par l’intermédiaire de la technologie, tandis qu’Amazon s’efforce de promouvoir sa culture d’entreprise pour convaincre les travailleurs que travailler dans les entrepôts d’Amazon est quelque chose de spécial et d’amusant.

Le capitalisme numérique d’Amazon modernise l’ancien paternalisme industriel et les rêves de « progrès capitaliste » en présentant Amazon comme une entreprise dont la mission est de changer le monde et de rendre les gens heureux, en créant de la valeur pour tous. Les outils changent peut-être, mais c’est la même merde idéologique : ce sont les patrons qui nous font une faveur en nous donnant du travail, en nous payant un salaire, plus ils s’enrichissent, plus les ouvriers sont riches, qui doivent donc « s’harmoniser » avec l’entreprise…

C’est pourquoi on trouve écrit dans les documents de l’entreprise que toute personne travaillant chez Amazon en est également propriétaire…

L’objectif est le dévouement total à l’entreprise et à ses objectifs. Pour renforcer ce mécanisme, les employés sont appelés«associés » et on leur demande de s’amuser tout en travaillant2 et d’aider Amazon à écrire l’histoire…

Il y a l’idée d’être une créature produite par l’entrepreneur héroïque destiné à vaincre les dieux du passé et toute une série de slogans que l’on retrouve sous forme de peintures à l’intérieur des entrepôts qui font comprendre aux travailleurs la direction prise par l’entreprise. Le plus connu est « La passion pour le client », c’est-à-dire la nécessité de toujours se concentrer sur les besoins du client, tout le reste, c’est-à-dire les profits, viendra tout seul. Un autre message véhiculé est la nature secondaire des employés. D’autres slogans sont « Les leaders ont souvent raison » ou « Voyez grand ».

Dans les entrepôts d’Amazon, l’utilisation d’algorithmes pour organiser le travail s’ajoute aux anciennes méthodes de gestion de la main-d’œuvre. Les nouvelles technologies intensifient le rythme de travail et le rendent plus fatigant, créant ainsi une main-d’œuvre qu’il faut convaincre et motiver dans un environnement despotique et paternaliste. La direction peut s’appuyer sur la surveillance numérique pour contrôler le travail et la productivité des employés dans un environnement où l’horloge est remplacée par l’algorithme, mais où le travailleur doit tout de même s’adapter aux rythmes de travail imposés par la machine. La main-d’œuvre précaire employée dans les entrepôts peut être embauchée et licenciée à volonté, tandis qu’Amazon planifie son obsolescence en encourageant les travailleurs à quitter leur emploi à un rythme toujours plus rapide.

ESSAYEZ DONC DE TRAVAILLER…

Chez Amazon, tout est organisé en fonction de l’efficacité et de la rapidité promises aux consommateurs, et tout cela n’est possible que grâce à des algorithmes qui permettent d’enregistrer la position des marchandises ou de déterminer les heures supplémentaires nécessaires.

Un entrepôt Amazon est immense et sa structure est résolument futuriste. Pensons à la pick tower, une tour à plusieurs étages avec des milliers d’étagères remplies de marchandises de toutes sortes, qui met en évidence l’incroyable quantité de produits stockés et le système d’organisation basé sur des caisses jaunes, élément clé du flux logistique interne. Le travail à l’intérieur dépend entièrement de la technologie et est essentiel pour toute la chaîne d’événements qui se déroule entre la commande d’une marchandise sur notre ordinateur et sa livraison à notre domicile. En effet, les algorithmes d’Amazon permettent de savoir rapidement où la marchandise demandée est stockée et d’y affecter un employé spécifique capable de prélever l’article dans les plus brefs délais tout en dirigeant d’autres personnes pour son emballage, son expédition et sa livraison. Malgré le discours sur l’automatisation complète des entrepôts, c’est une main-d’œuvre qu’Amazon s’efforce par tous les moyens de mettre au second plan qui accomplit tout ce travail. Pour obtenir des livraisons toujours plus rapides, Amazon a besoin d’une main-d’œuvre rendue hautement productive par la technologie, elle a besoin de transformer les marchandises en informations afin qu’elles puissent être gérées par des logiciels, elle a besoin de standardiser les tâches afin de garantir que chaque employé puisse les exécuter sans problème et de faciliter la rotation du personnel en cas de ralentissement de la production, et enfin, elle a besoin de contrôler rigoureusement ses employés afin de prévenir toute forme de conflit et d’organisation de classe.

Dans ces entrepôts, un modèle tayloriste médiatisé par la technologie numérique est proposé. Dans le contexte d’Amazon, les chronomètres et les carnets ont été remplacés par des outils avancés d’analyse des données générées par le travail humain, qui servent à l’optimiser et à le contrôler. L’élément clé de ce système est le scanner de codes-barres. Les scanners, pour la plupart manuels et sans fil, peuvent également être intégrés dans des bracelets électroniques ou connectés aux ordinateurs des postes de travail. Au début de chaque quart de travail, les ouvriers prennent un scanner dans des stations de recharge et l’activent en scannant le code-barres de leur badge, ce qui les connecte au système.

Ce processus transforme les travailleurs eux-mêmes en données, à l’instar des objets qu’ils manipulent. Grâce à ces appareils, les logiciels d’Amazon ne se contentent pas de transmettre les commandes, mais surveillent et optimisent les activités, prenant le contrôle des décisions à la place des responsables sur place. L’automatisation, renforcée par la robotique, est au cœur de ce système, rendant le travail dépendant d’une infrastructure technologique capable d’intégrer les clients, les produits et la main-d’œuvre dans un flux continu et standardisé. Dans l’entrepôt Amazon, chaque produit suit un parcours structuré en quatre étapes principales : réception (receive), stockage (stow), prélèvement (pick) et emballage (pack). Ce processus combine travail humain et automatisation, orchestrés par une infrastructure technologique complexe qui garantit rapidité et efficacité.

LE PARCOURS DES MARCHANDISES

Le parcours de toute marchandise vers notre domicile commence par le travail entrant, c’est-à-dire l’ensemble des activités qui amènent un produit de l’extérieur aux rayons de l’entrepôt. Les opérateurs déchargent les palettes contenant les marchandises, enregistrent leur entrée en scannant le code-barres et les transfèrent sur des bandes transporteuses dirigées vers les stations de stockage. Là, les employés organisent les produits dans des caisses jaunes, qui sont transportées vers la tour de prélèvement. Les magasiniers, équipés de scanners, attribuent chaque produit à un emplacement précis dans les rayonnages et mettent à jour en temps réel le système d’inventaire avec son emplacement. À ce stade, le travail sortant commence, qui est activé lorsqu’un client passe une commande. Le système algorithmique identifie l’entrepôt le plus proche contenant le produit demandé et attribue à un opérateur la tâche de prélever la marchandise. L’appareil fourni aux préparateurs indique l’emplacement exact du produit, qui est récupéré et acheminé vers les stations de tri. Là, les articles sont triés par commande : si le client a acheté d’autres produits, chaque article peut être récupéré par différents préparateurs. Ensuite, les emballeurs reçoivent des instructions précises du système sur la manière d’emballer les articles : quel type de boîte ou d’enveloppe utiliser, comment la sceller et quelle étiquette apposer. Cette étiquette, générée automatiquement, contient les informations d’expédition et un code-barres, mais les données personnelles du client restent invisibles pour les employés. Enfin, le colis, acheminé sur des bandes transporteuses, est attribué à un transporteur pour la livraison. L’ensemble du processus repose sur une interaction étroite entre le travail humain et l’automatisation. Les algorithmes d’Amazon prennent des décisions qui relevaient traditionnellement des superviseurs humains, telles que l’attribution des tâches et l’optimisation des itinéraires.

Ces logiciels enregistrent chaque action et la transforment en données qui sont ensuite utilisées pour améliorer encore les processus au sein des centres de distribution et renforcer le contrôle sur la main-d’œuvre. L’intégration entre la technologie et le travail humain n’est pas une nouveauté, mais le cycle de rétroaction rigide activé par les algorithmes d’Amazon représente une évolution sans précédent, la dimension quantitative modifiant la donnée qualitative. Les travailleurs ne fournissent pas seulement une force physique – en déplaçant des marchandises, en scellant des colis ou en chargeant des camions – mais aussi des données. Chaque scan, chaque mouvement contribue à un flux d’informations qui alimente les systèmes numériques, rendant le travail de plus en plus standardisé et contrôlable.

L’efficacité ainsi obtenue n’est pas neutre, mais fonctionnelle aux objectifs du capital : maximiser la productivité et réduire au minimum les marges d’erreur, tout en consolidant le pouvoir de la technologie sur l’organisation du travail. Cette transformation accentue la précarité de la classe ouvrière.

Amazon exige une flexibilité extrême de ses travailleurs afin de pouvoir répondre rapidement aux variations de la demande. Les ouvriers doivent accepter des heures supplémentaires imposées à court terme, des horaires qui peuvent être communiqués la veille au soir et des variations saisonnières qui prévoient, par exemple, un doublement des effectifs en décembre suivi d’une réduction drastique en janvier. Ce système rend impossible toute planification de la vie personnelle et oblige les travailleurs à être constamment disponibles, même si le travail est formellement organisé en équipes. La dynamique de l’entreprise montre clairement que le maintien de l’emploi ne dépend pas entièrement de leurs performances. En Europe, Amazon teste dans ses entrepôts en Pologne, où le droit du travail est pratiquement inexistant depuis 1989… une organisation du travail qui est étendue à l’ensemble des autres entrepôts.

L’ORGANISATION OUVRIÈRE

Amazon, son organisation du travail flexible et numérique, sa chaîne d’approvisionnement mondiale, ses méthodes de contrôle des marchandises (et donc des travailleurs eux-mêmes), posent à la classe ouvrière les mêmes problèmes et les mêmes besoins : la lutte pour les garanties sociales (contrats, horaires et salaires, rythmes de travail, etc.), la lutte politique contre le contrôle (humain et numérique) auquel sont soumis les travailleurs. Les formes de résistance sont les mêmes depuis que la lutte des classes existe, du sabotage à la grève, de la manifestation interne au piquet de grève devant l’entreprise, à l’utilisation politique de la maladie, à la réappropriation des biens…

La précarité sociale et la domination patronale rendent difficile la constitution de noyaux ouvriers organisés, et le rôle même du syndicat (intégration, opportunisme, mafia, gauche bourgeoise, etc.) ne facilite pas la syndicalisation. Il existe un problème d’alphabétisation politique des ouvriers. Nous vivons dans un monde où la formation est un « dogme », mais jamais autant qu’aujourd’hui la transmission des connaissances et de l’organisation de ce qu’a été et de ce qu’est le mouvement ouvrier fait défaut.La lutte pour construire le syndicat, forme « naturelle » de défense des ouvriers, est la condition de base à partir de laquelle il faut partir: le syndicat comme outil d’organisation, de solidarité, de coopération et d’action ouvrière. Là où le travail, dans les contextes capitalistes actuels, est une « prison » pour survivre, où les machines et l’organisation du travail contrôlent les vies et le temps des hommes. Les ouvriers n’ont jamais été contre les machines, mais contre ceux qui les utilisent pour les faire travailler. Quand un ouvrier détruit une machine (ou s’oppose simplement à son utilisation), il commet un acte de sabotage. Mais s’il détruit matériellement (ou s’oppose) à la machine, le sens profond n’est pas le désir d’un retour au travail artisanal, car la socialisation et l’internationalisation de la production ne le permettent pas, mais une lutte « inconsciente » contre le temps du capital. Et cela vaut également pour les explosions dans les banlieues, où les prolétaires détruisent les bâtiments publics : écoles, gymnases et, plus généralement, les marchandises qui les étouffent ou les affament. Il faut renverser ce qui apparaît pour obtenir la réalité. Ce qui a motivé les ouvriers à faire grève en avril dans l’entrepôt de Marseille, c’était d’une part la gestion agressive de managers et d’autre part les modifications des horaires de la nuit, qui est le quart essentiel pour traiter le plus grand nombre de colis afin qu’ils puissent être livrés le lendemain, ce qui implique le déplacement des ouvriers de nuit, une opération appelée « sun rise ». En fait, le travail de nuit commence plus tard et finit plus tard, et dure plus longtemps. Les conséquences pour les ouvriers sont la perte des heures « supplémentaires » de nuit sur leur salaire, une augmentation du nombre de colis à traiter (sans compensation financière) et l’impossibilité pour beaucoup de se rendre sur leur lieu de travail en raison du manque de transports (transports publics).

La grève a vu une participation massive des trois tour de travail. L’entreprise a réagi immédiatement en appelant un huissier de justice (qui s’est rendu sur place pendant la nuit et est resté pendant toute la durée de la grève) et la gendarmerie, qui s’est immédiatement présentée à l’intérieur de l’entrepôt.

Les revendications et les besoins des travailleurs d’Amazon à Marseille sont communs à une grande partie de la classe ouvrière, ainsi que les luttes contre:

– des rythmes et temps de travail toujours plus infernaux

– des salaires toujours plus bas

– le temps de transport considéré comme temps de travail

– l’autoritarisme des managers et des chefs

Où les éléments économiques deviennent dans certains cas explicitement politiques, comme par exemple le problème du « management agressif » qui touche à la dignité même des ouvriers.

La capacité à se concevoir à l’échelle internationale (les syndicats et les travailleurs d’Amazon se sont dotés de plateformes de coordination à l’échelle continentale), la perception de la fragilité de l’organisation du travail flexible de l’entreprise, indiquent qu’il existe une capacité de résistance ouvrière et que, sur cette base, il est possible d’envisager des formes organisées.

La lutte ouvrière chez Amazon, comme dans le monde du travail en général, est entravée par une culture d’entreprise antisyndicale, qui met l’accent sur la réussite individuelle, fragmente la main-d’œuvre et impose une surveillance constante pour réprimer toute activité politique.

Mettre en évidence la tentative des travailleurs d’Amazon de s’organiser et de se doter de formes de lutte est certainement un signal important, qui doit concerner tout le prolétariat métropolitain.

1 Lénine rappelait, lors des journées révolutionnaires qui ont conduit à la chute du tsar, l’importance des ouvriers du bâtiment. Cette importance était due à leur condition sociale « mobile ». Les ouvriers du bâtiment n’étaient pas liés à un lieu fixe, ce qui les rendait moins statiques que la classe ouvrière industrielle, plus naturellement liée à la défense de l’usine elle-même. Cela ne signifie pas que les ouvriers des usines n’étaient pas essentiels, mais simplement que Lénine considérait la mobilité des ouvriers du bâtiment comme un élément à exploiter (leur connaissance du territoire de la ville) comme une arme dans les affrontements et les combats de rue.

2 Prenons l’exemple de la « gamification » pour rendre le travail dans les entrepôts apparemment plus stimulant et amusant… Il s’agit de l’application de jeux au travail, en travaillant comme si l’on jouait à travers des modèles spécifiques ou à l’aide de véritables jeux électroniques. On veut cacher la contrainte, presser chaque goutte d’énergie des ouvriers sans leur faire sentir que le contrôle leur est imposé… Un autre exemple est la gymnastique obligatoire et collective avant le début du travail, présentée comme un échauffement musculaire pour aider les ouvriers à ne pas se blesser pendant leur travail.

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