SUPERNOVA n.9 2025
mouvement ouvrier et syndicalisme aux états-unis
– Quelle est la situation actuelle du mouvement ouvrier aux États-Unis, et quelle est sa composition de classe, raciale et de genre ?
Ces dernières années, le mouvement ouvrier américain a connu un essor important, bien que encore relativement modeste, après une longue période de stagnation. Bien que les statistiques officielles soient trompeuses – en raison des manipulations numériques de la classe dirigeante qui s’efforce sans relâche de masquer la réalité de la lutte des classes –, au début des années 1980, le mouvement ouvrier américain a entamé un déclin brutal qui a duré des décennies. La triste réalité est que les conditions favorables des années 1960 et 1970 ont été gaspillées, et le peuple de ce pays, comme celui du monde entier, en a payé le prix fort. Aux États-Unis, une longue période de réaction a suivi les défaites des mouvements communistes, révolutionnaires et populaires de cette époque. Ces défaites ont eu un effet démoralisateur massif sur le prolétariat américain.
Ainsi, la situation des 40 dernières années est, dans un certain sens, analogue à la stagnation qu’a connue le mouvement ouvrier britannique après la défaite du chartisme en 1848. Il convient de noter que l’Empire britannique était alors la puissance impériale la plus puissante et le pays capitaliste le plus développé au monde durant cette période de stagnation. Il y a donc aussi un parallèle à faire ici. Il est utile d’avoir ce cadre historique de référence – à condition de comprendre que ce parallèle n’implique en rien une correspondance exacte – dans la mesure où il rappelle que de telles périodes de stagnation ne sont pas sans précédent, mais qu’elles découlent de circonstances historiques particulières et sont finalement surmontées.
En effet, comme mentionné plus haut, on observe un regain de lutte des classes ces dernières années. Cependant, il est important de ne pas en exagérer la portée. Le nombre de grèves et de nouvelles tentatives de syndicalisation reste relativement modeste par rapport aux périodes passées. Sans surprise, les luttes ouvrières actuelles sont également de nature économique (même si on constate un intérêt croissant pour l’étude du marxisme parmi les éléments avancés du mouvement ouvrier). De plus, il n’est pas encore certain que ce regain se maintienne dans les années à venir. Quoi qu’il en soit, la position du MCU est que la situation actuelle est objectivement et subjectivement plus favorable au travail communiste dans le mouvement ouvrier qu’elle ne l’a été depuis des décennies. Par exemple, l’année 2023 a connu le plus grand nombre d’arrêts de travail aux États-Unis depuis le début du XXIe siècle. De plus, le soutien public aux syndicats est très élevé, autour de 70 %. Et environ 60 millions de travailleurs non syndiqués déclarent qu’ils rejoindraient un syndicat s’ils le pouvaient. Tout cela indique une croissance assez rapide des conditions subjectives favorables parmi les travailleurs pour le développement continu du mouvement ouvrier.
Il est également important de noter que la dernière grande période de regain des luttes de la classe ouvrière américaine, dans les années 1960 et 1970, a coïncidé avec l’effondrement du système de Bretton Woods. Ce n’était qu’un des facteurs ayant influencé la situation de l’époque, mais il a joué un rôle significatif, car les impérialistes américains ont dû procéder à plusieurs ajustements dans leur forme de domination de classe à l’intérieur du pays et dans leur domination impérialiste à l’étranger. On peut ici établir un autre parallèle avec la situation actuelle, dans la mesure où le système impérialiste informel (taux de change flottants, monnaie dite « fiduciaire », marché des eurodollars, etc.), qui a remplacé Bretton Woods, est aujourd’hui en crise majeure – comme en témoignent particulièrement les tarifs douaniers et les politiques commerciales de Trump – une crise provoquée par le déclin relatif des États-Unis face à l’impérialisme chinois en particulier, mais aussi par l’aggravation des contradictions entre les impérialistes américains et leurs alliés européens. Tout cela semble indiquer que les conditions objectives vont continuer à s’améliorer pour une intensification de la lutte des classes aux États-Unis.
Sur le plan subjectif, il est important de noter que de nombreux travailleurs dans ce pays sont de plus en plus désillusionnés par les deux grands partis politiques. Pour certains, récemment déçus par les démocrates, cela s’est traduit par un intérêt accru pour la politique de droite (un phénomène inévitable dans une puissance impérialiste en déclin). Cependant, il est essentiel de voir que la désillusion envers les deux partis ne se réduit pas à cela, et qu’elle ouvre au contraire des opportunités majeures pour les communistes d’éduquer les travailleurs sur le marxisme.
Les éléments les plus avancés du mouvement ouvrier s’intéressent déjà au marxisme, bien qu’ils soient encore peu nombreux et aient tendance à l’étudier de manière éclectique. Mais une large strate intermédiaire de travailleurs syndiqués soutient fortement l’idée de la formation d’un parti ouvrier. D’ailleurs, dans les années 1990, une tentative éphémère de créer un tel parti avait vu le jour, sous l’effet de la colère ouvrière contre les démocrates après l’adoption de l’ALENA. Bien que les dirigeants syndicaux et les opportunistes aient trahi ce mouvement, c’est la pression de cette couche intermédiaire, suivant l’impulsion des travailleurs avancés, qui avait initialement forcé les meneurs réformistes du mouvement ouvrier à soutenir – même timidement et temporairement – une rupture avec les démocrates et la création d’un parti ouvrier.
Bien sûr, nous, au MCU, n’avons aucune illusion sur la capacité d’un tel parti à résoudre les problèmes fondamentaux du prolétariat sous le capitalisme. Mais la frustration des travailleurs envers le système bourgeois et le bipartisme est un baromètre important de leur intérêt pour un changement politique plus large, révélant une conscience grandissante (bien qu’encore embryonnaire) de la nécessité pour le prolétariat d’avoir son propre parti pour défendre ses intérêts de classe. Tout cela est un développement encourageant. À cet égard, nous pensons qu’il est crucial pour les communistes aux États-Unis d’étudier attentivement les conseils que Lénine a donnés aux communistes britanniques sur la question du parti ouvrier dans « Le gauchisme, maladie infantile du communisme ».
Un autre facteur important est l’afflux de jeunes progressistes, révolutionnaires et marxistes dans le mouvement ouvrier. Une partie significative de ce phénomène s’explique par la pression socio-économique exercée depuis la crise financière de 2008 sur la petite-bourgeoisie diplômée. En un sens, Occupy Wall Street a marqué le mécontentement de cette frange de la société en particulier. Ce mouvement a montré qu’elle avait compris que « le rêve américain » leur était inaccessible, qu’elle croulait sous les dettes étudiantes, et que l’administration Obama n’apporterait rien de fondamentalement différent politiquement de celle de Bush, contre laquelle beaucoup avaient milité dans leur jeunesse (Il convient de souligner qu’un élément peu analysé ayant contribué à discréditer Obama (et plus généralement le Parti démocrate) tout en influençant le mouvement Occupy fut la répression du Printemps arabe par Obama. Pour de nombreux jeunes, ce fut une révélation définitive : face aux peuples arabes, l’administration Obama appliquait les mêmes politiques racistes et impérialistes que l’administration Bush.).
Bien sûr, Occupy a été vaincu en quelques mois, incapable de proposer une organisation stable ou une stratégie politique cohérente. Mais son impact idéologique a dépassé de loin les occupations elles-mêmes.
Aujourd’hui, une large partie de la jeunesse américaine s’oppose ouvertement au capitalisme. Confrontés à des perspectives minces de « réussite » dans cette société, beaucoup cherchent des alternatives. Une partie non négligeable se tourne vers le marxisme et le mouvement ouvrier. Si beaucoup restent encore confus sur les bases du marxisme (comme en témoigne la popularité actuelle des groupes sociaux-démocrates ou révisionnistes soutenant l’impérialisme chinois), tout cela a eu un impact sur le mouvement ouvrier. La diffusion d’idées syndicalistes « radicales » ou social-démocrates, teintées de libéralisme et de postmodernisme, a malgré ses faiblesses idéologiques eu un effet positif : elle a soulevé des questions fondamentales sur les intérêts de classe distincts des travailleurs.
En résumé, le mouvement ouvrier fait face aujourd’hui à une situation complexe. Plusieurs facteurs sont favorables, et ceux-ci devraient se renforcer dans les années à venir. Malgré les défis actuels et ce long demi-siècle de réaction aux États-Unis, les récents événements révèlent à la fois le potentiel latent et l’héroïsme de la classe ouvrière. Par exemple, malgré les faiblesses de la grève de l’UAW [United Auto Workers], celle-ci a démontré qu’avec une direction sociale-démocrate timorée, les travailleurs ont tout de même pu arracher des victoires significatives lorsqu’ils se sont mobilisés. (Ces faiblesses étaient particulièrement évidentes, par exemple, dans le fait que le contrat n’a pas complètement supprimé le système à deux vitesses dans l’UAW ni répondu à de nombreuses autres revendications des travailleurs de l’automobile. Cet article (provenant d’une organisation trotskyste sectaire) formule certaines critiques correctes des limitations du contrat (même s’il tend à rejeter à tort les victoires obtenues), malgré la perspective limitée et sectaire de l’auteur : https://www.wsws.org/en/articles/2023/12/08/left-d08.html)
De même, à l’été 2022, lorsque les cheminots ont tenté de faire grève (contre l’avis de leurs dirigeants syndicaux corrompus), l’administration Biden et le Congrès sont intervenus pour leur interdire légalement de cesser le travail. Cette répression de la grève a révélé la peur de la bourgeoisie face au prolétariat américain. Elle montre aussi que le système actuel de direction syndicale corrompue commence à être discrédité, du moins dans certains syndicats. Cet exemple est particulièrement significatif, car la section la plus avancée des cheminots avait avancé, en amont de la grève potentielle, une série de revendications politiques (dont la nationalisation des chemins de fer), ce qui avait particulièrement inquiété la bourgeoisie.
Toute cette analyse peut se résumer par la thèse célèbre de Mao : « L’avenir est radieux, mais la route est sinueuse ».
Quant à la composition démographique du mouvement ouvrier, elle est particulièrement intéressante et ne correspond pas aux idées reçues sur le prolétariat américain. Il faut d’abord distinguer le mouvement ouvrier au sens large (la lutte du travail contre le capital) de l’usage métonymique – et donc plus restreint – du terme « mouvement ouvrier », qui désigne spécifiquement le mouvement syndical. Contrairement aux stéréotypes, ce dernier est en réalité très diversifié. Par exemple, le taux de syndicalisation est de 9,5 % chez les femmes contre 10,2 % chez les hommes, ce qui signifie que les syndicats présentent aujourd’hui une répartition genrée relativement équilibrée. Cela marque un changement majure par rapport à il y a quelques décennies, lorsque le taux de syndicalisation des hommes était près du double de celui des femmes.
Dans les lieux de travail et les industries à fort taux de syndicalisation, une division genrée du travail persiste. Mais comme l’a noté Engels, la participation massive des femmes au travail productif et au mouvement ouvrier constitue une étape cruciale dans la lutte pour leur émancipation. Bien sûr, le patriarcat reste à combattre, mais la présence significative des femmes dans le mouvement syndical représente aujourd’hui un facteur objectif favorable, fruit des victoires arrachées lors des luttes passées.
Sur le plan racial, le taux de syndicalisation est le plus élevé parmi les travailleurs noirs (11,8 %), comparé aux travailleurs blancs (9,6 %) et aux travailleurs asiatiques ou hispaniques (8,5 %). Cette tendance, née durant les luttes pour les droits civiques et la libération noire des années 1960-70, reflète les concessions réelles extorquées à la bourgeoisie. Malgré les difficultés objectives actuelles, cette diversité syndicale constitue un point positif, surtout face à l’historique utilisation du racisme par la classe dominante pour diviser le prolétariat.
Un autre fait marquant : le taux de syndicalisation est bien plus élevé dans le secteur public (32,2 %) que dans le privé (5,9 %). En valeur absolue cependant, le nombre de syndiqués y est quasi équivalent. Ces emplois publics (enseignants, bureaucrates subalternes, éboueurs, etc.), souvent interdits de grève, furent des concessions bourgeoises aux travailleurs urbains issus des groupes opprimés après les révoltes des années 1960-70. Pendant cinquante ans, la bourgeoisie y a vu un outil pour limiter les antagonismes de classe. Aujourd’hui, ces postes sont menacés par les politiques d' »efficacité gouvernementale » de Trump – une évolution notable. Notons qu’une minorité non négligeable de ces syndiqués du public (hauts fonctionnaires, policiers) n’appartient pas à la classe ouvrière.
Dans le privé, les taux de syndicalisation sont élevés dans les services publics (eau, électricité) et la logistique – où nos camarades trouvent un terrain propice à l’organisation communiste. À l’inverse, ils sont très bas parmi les travailleurs agricoles (surtout si l’on compte les sans-papiers) et les employés du commerce.
Chez les jeunes et les travailleurs à temps partiel, le syndicalisme reste faible, bien que des percées récentes aient eu lieu (comme chez Starbucks). Enfin, les disparités régionales sont frappantes : certains États (Hawaii, New York) affichent plus de 20 % de syndiqués, quand d’autres (Caroline du Nord, Caroline du Sud, Dakota du Sud) stagnent sous les 3 %.
Le taux de syndicalisation ne constitue évidemment qu’un élément parmi d’autres pour évaluer le niveau de conscience de classe du prolétariat. Par exemple, une partie significative des travailleurs syndiqués a fait preuve d’une certaine complaisance face aux attaques répétées des capitalistes durant des décennies. À l’inverse, avec l’évolution récente des conditions objectives et subjectives, de nombreux travailleurs sont devenus plus militants, même si les taux de syndicalisation n’ont pas encore connu de changement majeur.
Ceci n’est qu’un aperçu général du mouvement syndical aux États-Unis. Il s’agit d’un mouvement diversifié et complexe, marqué par une riche histoire de luttes, mais aussi par de nombreuses défaites et trahisons. Cela n’a rien de surprenant, car comme le soulignait Mao, la logique du peuple est : « lutter, échouer ; lutter encore, échouer encore ; lutter à nouveau, échouer à nouveau… jusqu’à la victoire finale ». Cependant, il incombe aux communistes d’analyser ces deux aspects de l’héritage syndical pour s’appuyer sur les victoires et éviter de reproduire les échecs.
Il faut également noter que si le mouvement syndical ne représente qu’une partie du mouvement plus large du travail contre le capital, il en constitue une section particulièrement importante.
– Quelles sont les principales organisations syndicales et quelle est leur influence au sein du mouvement syndical aux États-Unis ? Existe-t-il des courants et des organisations syndicales de lutte des classes et d’autonomie ouvrière ?
Aux États-Unis, il existe quelques grandes organisations syndicales. La plus importante est la National Education Association (NEA), qui regroupe les employés des écoles publiques, notamment les enseignants, les chauffeurs de bus, les employés de cantine, les concierges, etc. Elle compte environ 3 millions de membres. La deuxième plus importante est le Service Employees International Union (SEIU), qui compte près de deux millions de membres dans les secteurs privé et public, principalement des concierges, des infirmières et d’autres travailleurs de la santé. Deux autres syndicats importants et de grande taille sont l’International Brotherhood of Teamsters (IBT) et l’United Autoworkers (UAW). Ils comptent respectivement environ 1 400 000 et 1 million de membres. Les Teamsters sont principalement des travailleurs de la logistique et des entrepôts, tandis que l’UAW regroupe des travailleurs de l’automobile et d’autres travailleurs occupant des emplois industriels similaires, mais aussi (et c’est une évolution récente) un grand nombre d’étudiants diplômés qui se sont syndiqués.
Un grand nombre de syndicats américains font partie de l’American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO), qui représente au total environ 15 millions de travailleurs. Pour comprendre ce qu’est aujourd’hui l’AFL-CIO, il est nécessaire de connaître au moins un peu son histoire. Cette organisation trouve ses racines à la fin du XIXesiècle, lorsque le mouvement syndical a vu le jour et que les différents syndicats professionnels ont créé une fédération afin d’accroître leur pouvoir collectif. Cependant, les limites du mouvement syndical professionnel n’ont pas été surmontées par la fédération, et l’AFL, dès sa création, a joué, au mieux, un rôle divisé dans la promotion des intérêts de la classe ouvrière. Par exemple, dès le début, l’AFL était ouvertement favorable à un syndicalisme pro-business. Ses dirigeants, en particulier le tristement célèbre Samuel Gompers (qui avait auparavant été quelque peu socialiste), ont ouvertement collaboré avec la bourgeoisie, adopté des politiques racistes et discriminatoires à l’égard des travailleurs non blancs et s’opposé aux efforts des marxistes et des communistes au sein des syndicats.
Dès sa création, le Parti communiste américain a mené des luttes pour fusionner les syndicats professionnels existants au sein de l’AFL en syndicats industriels. La fusion était en fait un mouvement qui avait précédé la formation du Parti communiste et qui avait été repris, sous diverses formes et de diverses manières, par les éléments avancés du mouvement ouvrier pendant des décennies. La lutte pour la fusion était une lutte contre le syndicalisme corporatiste étroit et la direction collaborationniste de l’AFL. Les dirigeants du Parti communiste, en particulier William Z Foster, s’inspiraient en fait du travail des syndicalistes français et de leur stratégie consistant à « saper de l’intérieur » pour arracher la direction des syndicats aux dirigeants réactionnaires qui égaraient les travailleurs. Cette campagne de fusion et de sape de l’intérieur, que le Parti communiste a menée dès sa création au début des années 1920, était extrêmement populaire parmi le prolétariat, mais elle s’est heurtée à une opposition farouche de la bourgeoisie et de ses agents à la tête de l’AFL.
En raison de certaines erreurs commises par le CPUSA (mais aussi d’une situation objective difficile), le mouvement de fusion a partiellement échoué et n’a pas conduit dans un premier temps à une fusion à grande échelle des syndicats professionnels (ce qui explique que de nombreux syndicats professionnels persistent encore aujourd’hui, en particulier dans les secteurs de la construction et des chemins de fer). Une erreur importante commise par le CPUSA, sous la direction du Komintern, a été de cesser pratiquement toute tentative de sape interne pendant plusieurs années après 1929. Il a plutôt tenté de créer des syndicats « rouges » indépendants au sein d’une organisation qu’il avait créée, connue sous le nom de Trade Union Unity League (TUUL). Bien qu’ils aient connu un certain succès – à son apogée, la TUUL comptait plus de 100 000 membres –, ils ont gravement négligé leur travail au sein de l’AFL (qui était beaucoup plus importante que la TUUL) pendant cette période. Ils ont ainsi tenté prématurément de détacher une grande partie des travailleurs de la direction réactionnaire du syndicat, mais ils n’ont réussi qu’à attirer les travailleurs les plus avancés, qui voyaient là la base d’un syndicalisme semi-révolutionnaire, et se sont ainsi isolés de nombreux travailleurs intermédiaires et arriérés.
Avec le virage vers la politique du Front populaire, le CPUSA et le Komintern ont réalisé leur erreur et la TUUL a réintégré l’AFL. C’était en 1935, alors que le mouvement pour la fusion et la syndicalisation industrielle était très fort au sein de l’AFL. Une partie de la direction syndicale, y compris certains réactionnaires purs et durs, soutenait fermement la poussée vers le syndicalisme industriel. Les raisons de cette situation sont complexes et ne peuvent être analysées en détail dans cet article, mais elles incluent l’immense popularité du syndicalisme industriel parmi le prolétariat, ainsi que la reconnaissance par une partie des capitalistes qu’un syndicalisme industriel réglementé et contrôlé pouvait contribuer à assurer une plus grande stabilité politique et dans la production elle-même.
Le CPUSA, en partie à cause de sa réintégration tardive de la TUUL dans l’AFL, était donc quelque peu mal préparé à diriger le mouvement pour le syndicalisme industriel, compte tenu de son influence limitée parmi les masses ouvrières de l’AFL. Cependant, plus importantes encore étaient les confusions idéologiques et les erreurs de la direction du CPUSA. En partie à cause des erreurs de la politique du Front populaire dans son ensemble, mais surtout en raison des faiblesses politiques internes du CPUSA, le parti s’est contenté de céder non seulement la direction officielle, mais aussi l’initiative générale aux dirigeants syndicaux réactionnaires dans la lutte pour le syndicalisme industriel. Cela fut particulièrement évident lors de la dissolution des fractions communistes dans les syndicats, une politique que Dimitrov avait suggérée lors du 7e congrès de la Comintern comme étant nécessaire pour maintenir l’unité du front avec les sociaux-démocrates. Ainsi, des réactionnaires comme John Lewis finirent par diriger le Congrès des organisations industrielles (CIO) lorsqu’il se sépara de l’AFL. Les communistes, bien qu’étant des organisateurs incroyablement dévoués et compétents et qu’ils aient accompli l’essentiel du travail dans de nombreuses campagnes de syndicalisation industrielle, ont souvent cédé leur initiative indépendante aux dirigeants syndicaux réactionnaires, agissant ainsi comme la queue de la bourgeoisie. Cela a joué un rôle clé dans la consolidation du CPUSA vers le révisionnisme, dont la forme particulière était initialement le browderisme (un pragmatisme vulgaire et l’exceptionnalisme américain).
Le CPUSA avait totalement dégénéré à la fin de la période du Front populaire, pour finalement se dissoudre pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’il se soit reconstitué après la Seconde Guerre mondiale, il n’a jamais résolu ses problèmes idéologiques fondamentaux ni retrouvé sa force politique et organisationnelle. Ainsi, lorsque le Congrès a adopté la loi Taft-Hartley en 1947 et expulsé tous les communistes des syndicats, le CPUSA n’a pas été en mesure de mener une lutte efficace contre cette mesure réactionnaire. C’était pendant l’ère maccarthyste, où non seulement les communistes, mais aussi tous les véritables dirigeants de la classe ouvrière et les progressistes ont été chassés des syndicats et où le gouvernement américain a directement installé des dirigeants réactionnaires dociles, tels que George Meaney, à la tête des syndicats. Cela a préparé le terrain pour que le CIO rejoigne l’AFL en 1955.
Il y a bien sûr beaucoup plus à dire sur cette histoire que je ne peux le faire dans ce bref aperçu, et un certain nombre de luttes importantes ont évidemment eu lieu depuis 1955. Mais cette digression sur l’histoire de l’AFL-CIO vise à clarifier que nous vivons actuellement dans une situation définie par les succès et les échecs du mouvement ouvrier et du mouvement communiste du passé.
En particulier, le mouvement syndical souffre encore aujourd’hui de l’échec de la fusion généralisée. Ainsi, lorsque les cheminots ont tenté de faire grève à l’automne 2022, l’une des principales revendications des travailleurs les plus avancés était la fusion de l’ancien système de syndicats professionnels qui divise encore les cheminots par métier. De même, dans le secteur de la construction, de nombreux travailleurs qui travaillent sur le même chantier sont membres de syndicats différents. La classe dirigeante utilise ce système pour monter les travailleurs les uns contre les autres en fonction de leur métier et affaiblir leur capacité à s’organiser ensemble. La persistance du système des syndicats professionnels témoigne des faiblesses du mouvement ouvrier américain et résulte des échecs des efforts passés en faveur de la fusion. Il va sans dire que la direction actuelle de l’AFL-CIO n’a aucun intérêt à mener une campagne en faveur de la fusion.
Dans un autre sens, notre situation actuelle est également définie par les luttes des années 1930. C’est en effet à cette époque que le New Deal a été adopté par l’administration Roosevelt. Cela a représenté un changement significatif dans la stratégie de la bourgeoisie pour assurer sa domination de classe au niveau national. Une caractéristique importante du New Deal était l’alliance fondamentalement ouverte entre la direction syndicale et le Parti démocrate. C’est à cette époque que des lois importantes telles que la National Labor Relations Act ont été adoptées, qui ont officialisé et codifié dans la loi un nouveau cadre pour les relations entre le gouvernement, les entreprises et les syndicats. Pour être clair, le mouvement ouvrier était devenu suffisamment puissant à cette époque pour contraindre la bourgeoisie à faire des concessions importantes, notamment le droit légal de former un syndicat, de faire grève pour des questions économiques, etc. Mais la bourgeoisie a fait ces concessions afin de coopter le mouvement ouvrier et d’empêcher que la lutte ne devienne ouvertement antagoniste. Cette cooptation n’était pas inévitable, mais les faiblesses politiques et idéologiques du CPUSA l’ont empêché de dénoncer et de s’opposer avec succès aux machinations de la bourgeoisie.
Ce paradigme d’alignement entre le Parti démocrate et la direction syndicale est actuellement en train de s’effondrer. Pendant des décennies, les grands syndicats ont organisé leurs membres, à chaque cycle électoral, pour faire campagne en faveur des candidats du Parti démocrate. Un nombre important d’entre eux le font encore. Cependant, de plus en plus de syndicats s’éloignent des démocrates. Cela ne signifie pas pour autant que la direction syndicale promeut une politique indépendante de la classe ouvrière. La tendance est plutôt, pour certains dirigeants, comme le président des Teamsters Sean O’Brien, de déclarer ouvertement qu’ils travailleront avec le parti qui leur offrira le meilleur accord. En articulant cette approche pragmatique – et il est important de noter que le pragmatisme est une idéologie impérialiste –, O’Brien a ouvertement promu une politique chauvine et « America First », arguant que celle-ci sert les intérêts des travailleurs américains. Cependant, malgré tout cela, le détournement des démocrates est utile dans la mesure où il indique l’affaiblissement du paradigme selon lequel les syndicats doivent soutenir les démocrates parce qu’ils sont le moindre mal et que toute opposition aux démocrates signifierait soi-disant un désastre pour les travailleurs. Tout cela offre une plus grande ouverture aux communistes pour lutter dans les syndicats en faveur d’une politique indépendante de la classe ouvrière.
Aux États-Unis aujourd’hui, il existe également diverses organisations au sein des syndicats. Les organisations réformistes fondées et inspirées par les trotskistes revêtent une importance particulière sur le plan numérique et idéologique. Les plus importantes d’entre elles sont Labor Notes et Teamsters for a Democratic Union (TDU). Ces organisations ont été fondées par des trotskistes qui rejettent explicitement l’analyse de la conscience de classe faite par Lénine dans Que faire ?. Ils affirment au contraire que le simple fait de développer le mouvement syndical conduira automatiquement à une « conscience socialiste » parmi les travailleurs. L’un de leurs dirigeants a déclaré de manière tristement célèbre que « les maoïstes ont ruiné le mouvement ouvrier dans les années 1970 en essayant de parler aux travailleurs de la guerre du Vietnam ». Son argument est que ce type de discussion sur des questions politiques fondamentales est « source de division ». Il est à noter que ces trotskistes rejettent également explicitement l’analyse de Lénine dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.
Le TDU est une organisation réformiste au sein du syndicat des Teamsters. Malgré la politique rétrograde de sa direction, il s’est battu pendant un certain temps pour obtenir de véritables réformes au sein du syndicat contre la direction corrompue et mafieuse de personnes comme Jimmy Hoffa Jr. Cependant, lors des dernières élections de l’IBT, la direction du TDU s’est jointe à une coalition avec Sean O’Brien et a été récompensée par de nombreux postes officiels de direction au sein du syndicat. Depuis, elle a abandonné tout effort de réforme du syndicat et renoncé à une grande partie de son programme de réforme antérieur (comme la suppression des différences de salaire et de niveau entre les travailleurs à temps partiel et à temps plein, etc.).
Malgré cette trahison, TDU (Teamsters for a Democratic Union) et Labor Notes restent extrêmement influents au sein des Teamsters et de la gauche syndicale au sens large. De nombreux jeunes progressistes et semi-marxistes qui s’engagent dans le mouvement ouvrier se tournent initialement vers ces organisations pour y puiser inspiration, conseils et formation. Même les courants réformistes d’autres syndicats, comme l’ancienne tendance UAWD (Uniting All Workers of Democracy) au sein de l’UAW – récemment dissoute –, se sont largement inspirés des méthodes de TDU pour tenter de réformer leur syndicat.
Cependant, les compromis de TDU avec la bureaucratie syndicale réactionnaire ont partiellement entaché sa crédibilité. Par exemple, excédée par ces compromissions, une fraction des Teamsters a quitté TDU il y a quelques années pour former Teamsters Mobilize, une nouvelle organisation ouvrière à laquelle certains de nos camarades ont adhéré. Teamsters Mobilize a joué un rôle central dans l’opposition au contrat de capitulation chez UPS durant l’été 2023, alors que TDU soutenait ce même accord et tentait de discréditer ses opposants. Dans ses principes, Teamsters Mobilize affirme : « Une véritable réforme et une radicalité face aux grandes entreprises sont essentielles pour construire le pouvoir ouvrier et inverser le rapport de forces en faveur d’un syndicat dirigé par les travailleurs, et d’un pays dirigé par les travailleurs. »
Par ailleurs, lors de la convention de TDU en 2023, sa direction a étouffé une résolution – portée par Teamsters Mobilize – appelant les Teamsters à soutenir les syndicats palestiniens et à vendre leurs obligations israéliennes (les fonds de pension des Teamsters investissent massivement en Israël) après le 7 octobre. Ce reniement a discrédité TDU aux yeux de nombreux travailleurs, jeunes progressistes et semi-marxistes, créant un terrain propice à l’influence croissante des communistes dans le mouvement syndical, alors que la « gauche » établie et les groupes réformistes collaborent ouvertement avec les bureaucrates syndicaux pro-capitalistes.
D’autres organisations, comme Teamsters Mobilize, représentent les travailleurs avancés dans certains syndicats et secteurs. C’est le cas de Railroad Workers United (RWU), qui a été la force motrice derrière la poussée vers la grève des cheminots en 2022. Ces dernières années, à travers le mouvement syndical, plusieurs petits groupes ont émergé – souvent avec la participation de communistes et de semi-marxistes – avec pour objectifs :
Chasser la bureaucratie syndicale corrompue
Rompre l’alliance entre les syndicats et le Parti démocrate
Établir une politique ouvrière indépendante
Ces initiatives, bien qu’encore embryonnaires, constituent des signes encourageants pour l’avenir.
Quant à la question que vous soulevez au sujet du syndicalisme de lutte de classe, ce terme a une connotation spécifique dans la gauche américaine. Un livre intitulé Class Struggle Unionism a été écrit par Joe Burns (négociateur syndical) et publié en 2022. Ce livre présente certains aspects positifs et appelle à un syndicalisme plus militant (contrairement au « syndicalisme d’entreprise » typique des États-Unis) et s’oppose nominalement au capitalisme. Cependant, le cadre proposé dans ce livre est extrêmement limité et réduit les objectifs du mouvement ouvrier à une lutte syndicale étroite pour des réformes progressives. Burns et ses partisans ne comprennent absolument pas les leçons de Que faire ?, dans lequel Lénine souligne que « le syndicalisme signifie l’asservissement idéologique des travailleurs par la bourgeoisie ».
Ainsi, s’il est positif que davantage de personnes s’intéressent à la lutte contre la bureaucratie syndicale corrompue et réactionnaire (et mènent une lutte de classe un peu plus intense), le cadre proposé par Burns est extrêmement limité sur le plan politique et idéologique (il se limite souvent littéralement à l’atelier). De plus, nous avons constaté que la plupart des partisans des idées de Burns ne sont même pas des opposants cohérents à la direction réactionnaire des syndicats. Ils ne constituent pas une force solide ou fiable dans la lutte syndicale « pure et simple », malgré leur engagement déclaré en ce sens. En d’autres termes, l’engagement en faveur d’une lutte syndicale pure et simple est en réalité un prétexte non seulement pour renoncer aux tâches idéologiques et politiques importantes qui doivent être accomplies pour élever la conscience de la classe au-delà de la conscience syndicale, mais aussi une justification pour battre en retraite, faire des compromis et se soumettre à la direction syndicale établie.
Contrairement à l’idée d’un syndicalisme de lutte de classe simple, notre point de vue au sein du MCU est que les communistes doivent travailler sans relâche pour constituer le prolétariat en classe pour elle-même. Cela signifie bien plus que simplement promouvoir les luttes syndicales – bien que le travail communiste dans les syndicats soit essentiel –, cela signifie former les travailleurs à la conscience de classe (ce qui nécessite une compréhension de toutes les classes de la société, de la nécessité de la révolution et du but ultime de l’émancipation du travail par rapport au capital) afin que le prolétariat puisse exister en tant que classe en antagonisme ouvert avec la bourgeoisie et diriger les autres sections progressistes de la population dans la lutte révolutionnaire. Cela nécessite, bien sûr, la formation éventuelle d’un parti communiste.
Laissant de côté les opinions de Joe Burns en particulier, je tiens à souligner que notre évaluation est qu’il existe un intérêt croissant pour une politique syndicale plus militante parmi les travailleurs en général, et parmi la gauche et les semi-marxistes en particulier.
À mon avis, le terme « autonomie des travailleurs » devrait également être divisé. Au sein du MCU, nous avons généralement utilisé le terme « indépendance politique du prolétariat » plutôt que celui d’autonomie des travailleurs. Nous avons fait ce choix à la fois pour nous distancier des mouvements autonomes en Italie, avec lesquels nous avons des désaccords idéologiques profonds, et parce que nous ne pensons pas que l’autonomie soit le cadre approprié pour comprendre la contradiction antagoniste entre le prolétariat et la bourgeoisie. Dans La Sainte Famille, Marx et Engels notent :
«Il ne s’agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même l’ensemble du prolétariat, considère actuellement comme son objectif. Il s’agit de savoir ce qu’est le prolétariat et ce qu’il sera historiquement contraint de faire en fonction de cette réalité. Son objectif et son action historique sont visiblement et irrévocablement préfigurés dans sa propre situation de vie ainsi que dans l’ensemble de l’organisation de la société bourgeoise actuelle. »
Leur argument, qui est subtil, est que dans son être, le prolétariat est antagoniste à la bourgeoisie, mais dans son existence dans le monde bourgeois à un moment donné, il n’a pas nécessairement de conscience de classe ni d’organisation. Par conséquent, la forme de lutte entre ces deux classes peut être non antagoniste, même si, dans son essence, la contradiction est antagoniste. Les communistes doivent œuvrer à développer le prolétariat sur les plans idéologique, politique et organisationnel afin que la forme de lutte reflète l’essence de la contradiction.
C’est ce à quoi Marx et Engels faisaient référence dans Le Manifeste communiste lorsqu’ils soulignaient que l’un des objectifs immédiats des communistes était la formation du prolétariat en tant que classe. Ils ne faisaient pas référence à l’existence du prolétariat en tant que classe sociale, mais plutôt à son existence en tant que classe politique en antagonisme ouvert avec la bourgeoisie. C’est la différence entre la classe en soi et la classe pour soi. Cependant, même lorsque le prolétariat se transforme en classe pour soi – et s’engage donc dans une lutte politique active contre la bourgeoisie, se fixant pour objectif de remodeler fondamentalement la société –, il reste influencé par son existence dans le monde bourgeois et doit mener une lutte permanente contre l’impact corrosif et délétère de l’idéologie bourgeoise dans ses rangs.
Cela nous amène à un dernier point sur ce sujet. Comme nous l’avons souligné plus haut, au sein de MCU, nous considérons que le travail des communistes dans les syndicats est indispensable. Cependant, ce n’est pas un travail facile ni simple. Comme l’a souligné Lénine dans « Le communisme « de gauche » », c’est une lutte longue et ardue que de discréditer les dirigeants syndicaux réactionnaires, de les chasser des syndicats et de briser leur influence idéologique et organisationnelle sur les travailleurs arriérés et intermédiaires. À chaque étape, notre travail de communistes est exposé aux dangers des déviations de droite et de « gauche ». Il n’y a aucun moyen d’éliminer complètement les dangers de ces déviations, car elles résultent de la nature dialectique de la réalité elle-même. Ceux qui espèrent en vain éliminer une fois pour toutes tout danger de déviation du travail communiste – souvent par le biais d’une forme d’organisation prétendument parfaite ou par la garantie d’une conception téléologique de l’histoire – tombent dans l’idéalisme. L’une de ces tentatives a été, dans l’histoire, la création de syndicats prétendument purs et révolutionnaires.
Cette fantaisie idéaliste est similaire à l’idéalisme de Hegel. Dans la mesure où Hegel postule que le développement de l’Idée absolue est un cercle et que le Tout est le mouvement de soi de l’Un, il est incapable de penser une déviation. En tant que communistes, nous devons non seulement rejeter l’idéalisme hégélien explicite (qui postule ouvertement l’être de l’Un), mais aussi les tendances au sein du mouvement communiste lui-même à tomber dans une circularité idéaliste, tendances qui s’opposent aux spirales matérialistes de la périodisation. En effet, toute l’histoire du mouvement communiste montre que les déviations abondent au sein du mouvement et que, si elles ne sont pas contrôlées, aucune forme d’organisation ne peut nous sauver des revers qui découlent de ces déviations.
– Dans les pages de notre magazine, nous avons souvent évoqué la « nouvelle » syndicalisation des secteurs précaires et à bas salaires aux États-Unis (Amazon, Starbucks, la campagne Fight for $15, etc.). Quel est le poids de ces secteurs au sein du mouvement syndical américain ?
Pour répondre correctement à cette question, il est nécessaire de rappeler certains événements historiques des dernières décennies aux États-Unis. Les lecteurs intéressés par une analyse plus approfondie peuvent se référer à notre article sur le néomercantilisme, qui traite de ce sujet de manière beaucoup plus détaillée. Après l’effondrement du système de Bretton Woods, les États-Unis sont entrés dans ce qu’on a appelé la stagflation dans les années 1970. Mesurée en dollars, cette période a en fait été inflationniste, avec une croissance économique faible. Cependant, si on la mesure en or, il est clair qu’elle s’est beaucoup plus rapprochée d’une dépression classique, avec une déflation importante. Il est important de comprendre cela, car cette période a été marquée par une dévaluation massive du dollar et l’abandon de l’étalon-or. S’il s’agissait, dans un sens large, d’une dépression classique aux États-Unis, celle-ci a également été exacerbée par les défis importants auxquels la classe dirigeante américaine était confrontée tant sur le plan intérieur qu’à l’étranger.
Ainsi, à la fin des années 1970, la majorité de la classe dirigeante était convaincue que des changements importants devaient être apportés au consensus d’après-guerre, qui reposait sur une forme de domination de la classe bourgeoise inspirée de l’économie keynésienne. La hausse des taux d’intérêt de Volcker marque ce changement, qui a marqué le début de l’ère néolibérale. Cela a entraîné des changements importants non seulement dans la superstructure, mais aussi, bien sûr, dans la base économique des États-Unis. Cette période est parfois qualifiée à tort de « désindustrialisation », mais la vérité est que les États-Unis sont restés une grande puissance industrielle tout au long de la période néolibérale. Cela dit, une grande partie des emplois industriels ont été délocalisés à l’étranger. D’autres ont été transférés vers des États et des régions où les salaires sont plus bas et où les syndicats sont peu présents (en particulier dans le sud des États-Unis). D’autres encore ont été supprimés en raison de l’augmentation de la composition organique du capital.
Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux changements importants qui ont eu lieu dans l’économie américaine au cours du dernier demi-siècle. Par exemple, l’essor des technologies informatiques, qui a permis une expansion massive du système de compensation et l’essor connexe de ce que l’on appelle parfois de manière simpliste la « financiarisation », s’est également produit pendant cette période. Une analyse détaillée de tous ces changements dépasse le cadre de cette interview.
Toutefois, avec la modification du modèle de production industrielle et la dépendance croissante à l’égard des importations, l’industrie de la logistique a connu une croissance importante dans l’ensemble de l’économie américaine. Dans les centres urbains, en particulier dans le nord, les emplois dans la logistique et les services ont augmenté, comblant le vide laissé par la fuite des industries de ces villes. Ainsi, une grande partie du prolétariat urbain non qualifié est désormais employée dans l’industrie de la logistique et dans les petits commerces.
Les travailleurs de ces secteurs sont confrontés à des conditions très difficiles, comme chacun sait. Mais ils jouent également, en particulier les travailleurs de la logistique, un rôle crucial dans l’économie. Cela est particulièrement vrai pour les travailleurs d’Amazon. Cela dit, les récentes tentatives d’organisation des travailleurs d’Amazon ont échoué en partie à cause des conditions objectives et subjectives difficiles chez Amazon, et en partie à cause de la mauvaise direction des dirigeants syndicaux réactionnaires du syndicat Teamsters. Il convient de noter que la direction du syndicat Teamsters est particulièrement incompétente. En 2024, alors que de nombreux autres syndicats dirigés par des réactionnaires se développaient, les Teamsters ont considérablement régressé. Les Teamsters ont perdu 16 000 membres, tandis que le SEIU en a gagné plus de 100 000, Unite Here 31 000 et l’United Food and Commercial Service Workers (UFCW) 18 000. Il existe donc une incompétence et une désorganisation particulièrement notables au sein de la direction des Teamsters.
Cela dit, nous pensons également que les conditions chez Amazon ne sont pas les plus favorables à la syndicalisation à l’heure actuelle. Certains camarades du MCU ont rédigé un article à paraître qui analyse la défaite de la campagne syndicale indépendante CAUSE dans l’usine Amazon de Garner, en Caroline du Nord, et les efforts de syndicalisation plus larges chez Amazon. Voici deux extraits de cet article à paraître :
Dans son état actuel, Amazon ne sera vaincu que par une lutte acharnée qui mettra à genoux le géant de la logistique et obligera l’entreprise à négocier avec ses travailleurs. Aussi intimidante que soit cette perspective, notre classe a déjà remporté ce type de victoire monumentale dans le passé, et même des victoires bien plus importantes. Nous devons étudier sérieusement et collectivement cette histoire afin d’en tirer les leçons qui nous guideront vers de futures victoires. Ceux qui souhaitent s’attaquer à des géants capitalistes comme Amazon doivent adopter une vision stratégique à beaucoup plus long terme que celle de campagnes isolées dans un seul entrepôt. Comme nous le montrerons, l’organisation des industries de production de masse a nécessité quelque chose de plus que la simple volonté de quelques organisateurs dévoués ou le financement de bureaucrates influents. Ces victoires ont été rendues possibles en partie grâce à des développements objectifs – en particulier le soulèvement spontané de la classe ouvrière dans ces industries – mais aussi grâce à des développements subjectifs préparés des années avant les grandes victoires des années 1930 et 1940. À savoir la diffusion du marxisme parmi la classe ouvrière, le travail de sape mené de l’intérieur par des militants au sein des syndicats réactionnaires et la construction d’un véritable parti communiste dirigeant1 – autant d’éléments qui ont rendu possible les triomphes de l’organisation dans les industries de production de masse du XXe siècle.
Et
Tant que la classe prolétarienne aura existé, elle aura spontanément résisté à son exploitation dans toutes sortes de luttes, y compris massives et explosives. Cette tendance se poursuivra sans aucun doute : la classe ouvrière américaine est à terre depuis des décennies, mais les capitalistes ne pourront jamais détruire sa capacité et sa volonté de résister tant que le travail salarié existera. Notre tâche en tant que communistes n’est pas, à proprement parler, de générer ces soulèvements qui sont des éléments inévitables de la société capitaliste. Elle ne consiste pas non plus à attendre leur émergence et à les suivre en glorifiant « l’auto-activité » de la classe ouvrière. Nous devons au contraire nous relier aux luttes spontanées de la classe ouvrière, leur fournir une direction et œuvrer à leur avancée, afin de les placer sur une base plus solide et plus consciente de la lutte de classe.
Concrètement, cela signifie que les communistes ne doivent pas gaspiller le peu de forces dont ils disposent dans des tentatives futiles d’organiser Amazon, alors que les bases objectives de l’organisation parmi les travailleurs restent minces. Les communistes doivent plutôt se concentrer sur deux tâches essentielles. Tout d’abord, préparer le terrain pour la construction d’un parti communiste en consolidant nos formes organisationnelles et en renforçant notre compréhension théorique des problèmes contemporains auxquels est confronté le mouvement ouvrier, ainsi que les leçons tirées de son histoire jusqu’à présent. Ensuite, il faut s’unir et soutenir les sections les plus avancées du mouvement syndical actuel, c’est-à-dire celles qui adoptent des positions prolétariennes sur les questions clés. Au sein des Teamsters, cela signifie soutenir Teamsters Mobilize, qui a pris une position prolétarienne ferme sur la question de la collaboration de classe dans leur syndicat.2 Ce n’est qu’en soutenant, en développant et en élargissant l’influence de cette force et d’autres forces de gauche au sein du syndicat que les larges masses des Teamsters pourront être gagnées à des principes tels que l’indépendance de classe, l’unité de la classe ouvrière et, en fin de compte, la révolution prolétarienne. Sur cette base, les Teamsters, avec toutes leurs ressources, pourront se charger de la tâche d’organiser Amazon, si et quand les circonstances objectives le permettront.
Nous devons nous unir aux sections les plus avancées de la classe ouvrière, nous devons mettre la théorie révolutionnaire entre leurs mains comme guide pour l’action, et sur cette base, nous devons construire une organisation disciplinée et dévouée – un véritable parti communiste. Ce n’est qu’avec une direction politique globale et clairvoyante qu’Amazon et tous les autres géants industriels pourront être organisés. Ce n’est qu’ainsi que la classe ouvrière pourra se réveiller de son profond sommeil et ouvrir la voie vers une nouvelle société.
Cela dit, et malgré toutes leurs limites, ces nouvelles tentatives de syndicalisation chez Amazon et ailleurs sont remarquables à plusieurs égards. Premièrement, ils témoignent d’une vague croissante d’efforts – certes encore faibles et confus à plusieurs égards – pour organiser les travailleurs non syndiqués. Ils témoignent également de l’intérêt croissant des couches non syndiquées de la classe ouvrière (qui constituent encore la grande majorité aux États-Unis) pour la lutte des classes, même si celui-ci n’en est encore qu’à ses débuts.
De plus, ces efforts de syndicalisation ont lieu dans des secteurs où les travailleurs immigrés sont disproportionnellement concentrés. Il s’agit non seulement des immigrés ayant la citoyenneté ou une carte verte, mais aussi de ceux qui bénéficient de nouveaux statuts juridiques leur accordant une certaine protection par rapport aux sans-papiers, mais qui sont souvent étroitement liés à leur emploi. D’autres ont un statut juridique qui peut être révoqué à tout moment pour toute une catégorie de travailleurs d’un pays donné, comme le statut de protection temporaire (TPS). Les États-Unis sont un pays extrêmement diversifié, avec un prolétariat issu du monde entier. Par conséquent, si ces efforts de syndicalisation aboutissent, cela pourrait avoir un impact non seulement sur les autres travailleurs immigrés (la solidarité entre les travailleurs natifs et immigrés étant essentielle pour le mouvement prolétarien dans tout pays impérialiste), mais aussi sur le mouvement prolétarien dans d’autres pays.
De nombreux travailleurs immigrés aux États-Unis ont des liens étroits avec leur pays d’origine. Ils envoient souvent de l’argent chez eux sous forme de transferts de fonds et espèrent pouvoir un jour retourner dans leur pays. Ces liens reflètent la nature internationale du prolétariat en tant que classe et peuvent constituer des liens puissants pour construire l’internationalisme prolétarien. Historiquement, les travailleurs immigrés ont également contribué de manière significative au mouvement ouvrier américain en apportant aux États-Unis les leçons de la lutte de classe de leur pays d’origine.
Pour promouvoir l’internationalisme prolétarien, il est essentiel que les communistes s’inspirent des efforts de Marx et Engels au sein de la 1ère Internationale. Par exemple, dans les situations où les capitalistes importaient des travailleurs étrangers pour briser les grèves – une pratique qui reste courante aujourd’hui –, Marx et Engels ont réussi à surmonter le chauvinisme potentiel parmi les travailleurs et à promouvoir des liens internationalistes solides. Nous avons abordé ce sujet dans notre article sur le néomercantilisme. Nous avons évoqué les remarques de Marx dans son interview de 1871 avec R. Landor :
Dans cette réponse, Marx clarifie un certain nombre de points importants. Premièrement, que le mouvement de grève est soutenu par l’opposition à l’importation de travailleurs étrangers. Deuxièmement, que cela se fait non seulement dans le pays où la grève a lieu, mais aussi (si possible) dans le pays d’où la bourgeoisie espère importer des travailleurs. De cette manière, les liens fraternels entre les travailleurs de différents pays sont renforcés. Cela est particulièrement important car, par essence, le prolétariat est une classe internationale, et le mouvement ouvrier de chaque pays n’est qu’un détachement de la révolution prolétarienne mondiale, même si les travailleurs d’un pays donné doivent d’abord régler leurs comptes avec « leur propre » bourgeoisie. Il est essentiel aujourd’hui de promouvoir cette perspective internationaliste prolétarienne si les marxistes veulent combattre les idéologies populistes néo-nativistes que la bourgeoisie américaine promeut de plus en plus.
Enfin, Marx précise également que le but ultime de la lutte de la classe ouvrière est la transformation de la société. Il laisse entendre dans cette interview qu’il entend par là le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie et, à terme, l’établissement d’une société communiste sans classes. Mais sans clarté sur ce point, l’objectif ultime de la lutte de la classe ouvrière, il est trop facile pour les travailleurs d’être trompés par un charlatan bourgeois ou un autre qui vise à détourner la lutte du prolétariat vers l’impasse de la xénophobie et du chauvinisme. Cela est illustré par le populisme de droite de Trump, qui concentre la colère des masses en général, et du prolétariat en particulier, sur une fraction particulière de la bourgeoisie et de l’État, et les convainc ainsi de le soutenir, lui et la bourgeoisie qui s’est rangée derrière lui.
Cela dit, compte tenu de nos forces limitées et des problèmes du mouvement syndical actuel, nous concluons qu’il n’est pas judicieux pour l’instant de concentrer nos forces sur l’organisation des non-syndiqués.
– La force et l’importance du mouvement syndical aux États-Unis sont souvent sous-estimées. Le mouvement syndical a une riche histoire de luttes. Pouvez-vous nous donner votre évaluation historique ?
C’est une question très complexe à laquelle il est impossible de répondre de manière exhaustive en une seule interview. Malgré certaines lacunes, la série de Philip Foner intitulée « The History of the Labor Movement in the United States » (L’histoire du mouvement syndical aux États-Unis), qui compte 11 volumes et ne couvre que la période allant jusqu’en 1932, offre un bon aperçu de l’histoire du mouvement ouvrier dans ce pays. Foner est très favorable au travail du Parti communiste américain et se range résolument du côté du prolétariat dans ses luttes. Si les lecteurs souhaitent avoir un aperçu assez complet du mouvement ouvrier aux États-Unis et de sa fière histoire de lutte, je leur recommande de commencer par cette série.
Cela dit, je vais partager quelques exemples particulièrement importants de l’héroïsme et de la détermination de la classe ouvrière dans ce pays.
Le premier est la grande grève ferroviaire de 1877. Cette page d’histoire est malheureusement souvent oubliée aujourd’hui, résultat de l’amnésie collective de notre histoire commune de lutte que la bourgeoisie a encouragée. Cette grève s’inscrivait dans la lutte pour la journée de travail de 8 heures et s’inspirait directement de la Commune de Paris. En fait, pendant la grève, les communistes du Parti ouvrier de Saint-Louis ont établi ce qui est devenu connu sous le nom de Commune de Saint-Louis. Pendant près d’une semaine, les communistes et les travailleurs ont dirigé la ville, avant que la commune ne soit vaincue par la réaction.
Mais laissez-moi vous expliquer le contexte général avant d’entrer dans le vif du sujet. Tout d’abord, après la défaite des révolutions de 1848 en Europe, de nombreux travailleurs et révolutionnaires ont émigré aux États-Unis. Le Midwest, en particulier, a connu une forte concentration d’immigrants allemands. Cet afflux de travailleurs immigrés contribua à radicaliser la classe ouvrière américaine, les ouvriers allemands partageant avec eux les idées révolutionnaires et les expériences du mouvement ouvrier européen. Cependant, même après l’abolition de l’esclavage par la guerre civile, le mouvement ouvrier américain n’avait toujours pas formé de syndicats importants. Lorsque la panique économique de 1873 se transforma en Longue Dépression (qui dura plus longtemps que la Grande Dépression et vit les salaires chuter de 45 % ou plus), les travailleurs se retrouvèrent dans des conditions désespérées et disposaient de peu d’organisations capables de lutter pour leurs intérêts.
Il convient de noter qu’au lendemain de la guerre civile, la bourgeoisie américaine mena une politique de déflation intense. Cette politique visait en partie à satisfaire les exigences des banquiers londoniens, auxquels elle empruntait des sommes colossales pour financer l’industrialisation du pays en général et l’expansion du réseau ferroviaire en particulier. Cette situation, combinée à la dépression, a joué un rôle important dans la baisse des salaires pendant cette période. De plus, la déflation a décimé les petits agriculteurs, qui ont vu le prix de leurs récoltes s’effondrer. Beaucoup ont perdu leurs fermes et ont migré vers les villes à la recherche de travail. Tout cela a accru la concurrence entre les travailleurs et a permis aux capitalistes de faire baisser encore plus les salaires.
Et pourtant, en cette période de dépression et de concurrence accrue, les travailleurs de tout le pays se sont soulevés en masse, montrant que le prolétariat, bien que déterminé par la société bourgeoise, dépasse également la détermination de cette dernière et est capable de bien plus que d’être simplement une autre classe du capitalisme. À l’été 1877, la grève a été déclenchée par la décision du président de la B&O Railroad de réduire les salaires de 10 % et d’augmenter les dividendes des actionnaires du même montant (d’autres compagnies ferroviaires, même lorsqu’elles réalisaient des bénéfices, ont réduit les salaires encore plus, jusqu’à 50 %). Cependant, la grève ne s’est pas limitée à une seule compagnie ferroviaire.
Dès le début de la grève, les travailleurs de Virginie occidentale, puis de Baltimore, se mirent en grève et bloquèrent les chemins de fer. Les milices locales furent appelées pour briser la grève, mais les travailleurs les encerclèrent et les repoussèrent. Les briseurs de grève refusèrent de travailler. Tout le système mis en place par la bourgeoisie pour contrôler les travailleurs ne fonctionnait pas comme prévu. L’armée fut envoyée par le gouvernement fédéral, d’abord la garde nationale, puis, après la défaite de celle-ci par les grévistes à Baltimore, les troupes actives et les marines. Ce schéma se répéta dans toutes les villes du pays. Les grèves se propagèrent comme une traînée de poudre à travers les États-Unis, rassemblant plus de 100 000 travailleurs, malgré l’absence de syndicats pour les organiser.
Le 21 juillet, la grève atteignit Saint-Louis. Ce jour-là, le Parti des travailleurs de Saint-Louis a tenu une série de réunions et a adopté la résolution suivante :
Considérant que le gouvernement des États-Unis s’est rangé du côté du capital et contre le travail, Il est résolu que nous, le Parti des travailleurs des États-Unis, sympathisons de tout cœur avec les employés de tous les chemins de fer du pays qui tentent d’obtenir une rémunération juste et équitable pour leur travail. Nous sommes résolus à les soutenir dans cette lutte légitime du travail contre le vol et l’oppression, contre vents et marées, jusqu’à la fin.
Il convient de noter qu’environ 20 % de l’ensemble des membres du parti se trouvaient à Saint-Louis. Il s’agissait d’un parti extrêmement diversifié. À Saint-Louis seulement, il existait quatre sections linguistiques différentes (allemand, français, anglais et bohémien). Le lendemain, 10 000 travailleurs se sont rassemblés dans le centre-ville de Saint-Louis sous la direction du Parti des travailleurs, qui a ensuite élu un comité exécutif pour diriger ce qui allait devenir la première grève générale de l’histoire des États-Unis. Au départ, le rassemblement était prévu autour d’une série de revendications importantes, notamment des emplois pour les chômeurs, la fin du travail des enfants et la journée de travail de huit heures. Cependant, ces revendications se sont rapidement transformées en appels à la fin du capitalisme et à la nationalisation de l’industrie.
La grève s’est rapidement étendue à toute la ville, les grévistes se rendant dans d’autres usines pour appeler les travailleurs à se joindre à eux. Les travailleurs ont arrêté la circulation des trains dans la ville. Les travailleurs des bateaux à vapeur et des quais (Saint-Louis est située sur le fleuve Mississippi) se sont joints au mouvement. Beaucoup de ces travailleurs étaient noirs et la solidarité entre les travailleurs blancs et noirs a été forte tout au long de la grève générale, car le système de division raciale promu par la classe dirigeante a commencé à s’effondrer face à la puissance de la classe ouvrière. Pendant quelques jours, aucune entreprise de la ville n’a fonctionné sans le consentement du Parti ouvrier.
Mais les dirigeants du WP n’avaient pas tiré les leçons de la Commune de Paris et ne comprenaient pas la force que la réaction allait déployer contre eux, ni les tâches que le prolétariat devait accomplir s’il voulait renverser la dictature de classe de la bourgeoisie.
Reconnaissant la menace que représentait la Commune de Saint-Louis, un journal bourgeois, The Missouri Republican, déclarait : « Les internationalistes ont pris le contrôle de la grève, tout comme les communistes ont pris le contrôle de Paris. » La classe dirigeante arma rapidement une milice de 10 000 personnes, baptisée à juste titre « Organisation citoyenne pour la protection de la propriété ». Cette milice collabora avec les troupes fédérales et celles de l’État pour arrêter les dirigeants de la grève. Si la répression de la Commune de Saint-Louis fut relativement peu sanglante, sa défaite démoralisa le mouvement ouvrier dans la ville et dans tout le pays, d’autant plus qu’elle coïncida avec la défaite de nombreuses autres grèves ferroviaires cet été-là.
Cela dit, la défaite de la Commune de Saint-Louis ne marqua pas pour autant la fin du mouvement ouvrier aux États-Unis en général, ni la lutte pour la journée de huit heures en particulier. Elle reste aujourd’hui encore un exemple brillant de l’internationalisme prolétarien et du courage de la classe ouvrière américaine. Elle fut également un signe avant-coureur de ce qui allait suivre, dans la mesure où les premiers grévistes ne firent aucune discrimination à l’égard des travailleurs noirs, mais travaillèrent au contraire main dans la main avec eux pour faire fonctionner la ville. Ainsi, la première grève générale aux États-Unis fut également le signe de la lutte acharnée que le prolétariat allait mener, au lendemain de la guerre civile, contre le racisme. Cette lutte fut reprise par les Industrial Workers of the World, puis par le CPUSA, puis, dans les années 1960 et 1970, par les Black Panthers et le Revolutionary Communist Party. Les communistes d’aujourd’hui aux États-Unis poursuivent ce travail essentiel.
Un autre exemple, que j’aborderai plus brièvement, est celui des luttes des mineurs aux États-Unis. Les mineurs ont historiquement mené certaines des luttes les plus militantes et les plus sanglantes aux États-Unis. Pendant environ cinquante ans, entre 1890 et 1939, les mineurs de charbon des Appalaches, mais aussi du Colorado et d’autres États, ont mené des combats armés intermittents contre les capitalistes, leurs mercenaires et même les milices et les troupes gouvernementales. L’un des plus célèbres est le conflit qui a duré près d’une décennie (de 1931 à 1939) dans le comté de Harlan, au Kentucky. Les mineurs de charbon y ont mené une lutte incessante contre les barons du charbon et leur gouvernement.
En 1912, Florence Reed, dont le père était alors mineur en grève, a écrit la chanson désormais célèbre dans le monde entier « Which Side are You On ? » (De quel côté êtes-vous ?). Elle avait douze ans à l’époque. Lorsque, en 1931, son mari, également mineur de charbon, a rejoint les grèves dans le comté de Harlan, elle a adapté les paroles de sa chanson à cette lutte.
Un peu plus de 40 ans plus tard, lorsque les mineurs de charbon du comté de Harlan se mirent à nouveau en grève en 1973, Florence Reed était là, chantant toujours sa chanson et soutenant leur lutte. Tout cela a été immortalisé dans l’incroyable documentaire Harlan County USA. Ce documentaire sur la lutte des années 1970 met en lumière le rôle prépondérant des femmes dans ce combat. Lois Scott, l’une des mineures, fait notamment preuve d’un courage et d’un héroïsme incroyables tout au long de la lutte. Ces luttes des mineurs témoignent ainsi non seulement du courage et du militantisme de la classe ouvrière américaine en général, mais aussi du rôle des travailleuses en particulier, qui ont une longue et importante histoire dans le mouvement américain. Cette histoire n’a bien sûr pas commencé avec les luttes des mineurs du comté de Harlan, ni ne s’est terminée avec elles.
Les chansons populaires qui accompagnent le documentaire témoignent également de l’énorme potentiel créatif de la classe ouvrière. Presque tous les événements majeurs de la lutte ont été mis en paroles et ainsi popularisés grâce à des chansons.
Il convient également de noter que l’importance de ces luttes perdure aujourd’hui. Lors de la lutte pour la convention collective chez UPS à l’été 2023, certaines travailleuses d’UPS, avec l’aide d’autres musiciens, ont créé une nouvelle version de « Which Side are You On ? », qui est devenue en quelque sorte l’hymne des travailleurs opposés à la convention collective vendue à la décharge derrière des portes closes par la direction corrompue du syndicat, les dirigeants d’UPS et l’administration Biden.
Enfin, je mentionnerai brièvement une révolte dans une prison américaine connue sous le nom d’Attica Uprising. Elle a eu lieu en septembre 1971, un mois seulement après l’assassinat du leader des Black Panthers George Jackson par des gardiens de prison. Dans une prison extrêmement surpeuplée du nord de l’État de New York, plus d’un millier de prisonniers se sont soulevés et ont pris le contrôle de la majeure partie de la prison d’Attica. Cette révolte a été organisée par la section carcérale des Black Panthers, qui comptait plusieurs centaines de membres rien qu’à Attica. Ces Black Panthers emprisonnés (dont beaucoup avaient rejoint le parti en prison) avaient lu Lénine, Mao et d’autres révolutionnaires communistes dans le cadre de leur éducation politique. Pendant des années avant la révolte, les Black Panthers, ainsi que d’autres groupes, avaient mené un travail d’éducation politique parmi les prisonniers afin de leur enseigner leur intérêt de classe dans la révolution.
Et si les Black Panthers ont joué un rôle important dans la révolte d’Attica, celle-ci était loin d’être une simple révolte de prisonniers noirs. Des prisonniers de tous horizons s’y sont joints et, même avant le soulèvement, commençaient à développer une conscience de classe prolétarienne. Par exemple, l’un des prisonniers blancs, Samuel Melville, écrivait dans une lettre envoyée un mois avant le soulèvement : « En fin de compte, il n’y a bien sûr qu’un seul changement révolutionnaire possible en ce qui concerne le système carcéral. Mais jusqu’à ce que ce jour arrive, jusqu’à ce qu’un nombre suffisant de nos frères et sœurs prennent conscience de ce qu’est ce changement révolutionnaire, nous devons toujours nous assurer que nos revendications dépassent ce que les porcs sont capables d’accorder ». Ce niveau de conscience politique n’est pas apparu spontanément. Il est le résultat des efforts concertés des communistes pour éduquer les prisonniers sur la véritable nature de la société capitaliste aux États-Unis.
Peu avant le soulèvement, les prisonniers ont envoyé des revendications au commissaire des prisons de l’État de New York, demandant, outre la réforme des conditions de vie dans les prisons et la fin de la persécution politique des prisonniers, que les autorités pénitentiaires reconnaissent les droits des prisonniers en tant que travailleurs à former des syndicats, à recevoir un salaire décent, etc. Ces revendications ont été, sans surprise, rejetées par les autorités pénitentiaires. Les prisonniers ont donc estimé qu’ils n’avaient d’autre choix que de se soulever.
Lorsqu’ils se sont soulevés à Attica, ils ont clairement indiqué qu’ils ne cherchaient pas simplement à réformer le système pénitentiaire. Ils ont plutôt appelé au renversement du gouvernement américain et à la libération des peuples opprimés du pays. Les prisonniers ont demandé à Bobby Seale, alors président du Black Panther Party, de négocier en leur nom avec le gouverneur de New York, et ont demandé à Mao de négocier avec le président américain de l’époque, Nixon.
Pendant le soulèvement, la classe dirigeante a fait tout ce qu’elle pouvait pour discréditer les prisonniers. Elle a constamment tenté de souligner que l’ensemble du soulèvement était une conspiration de « quelques révolutionnaires » ou de « militants maoïstes purs et durs ». Si la présence des révolutionnaires a été décisive pour guider le soulèvement, ils n’ont réussi que dans la mesure où ils ont su gagner la confiance d’une large partie des prisonniers, qui avaient non seulement compris qu’il n’existait aucun moyen légal pour satisfaire leurs revendications fondamentales, mais qui étaient également de plus en plus conscients qu’une révolution était finalement nécessaire pour renverser le système carcéral et résoudre les problèmes plus généraux de la société. Cela s’est exprimé de manière particulièrement vive dans une série de revendications formulées par les prisonniers pendant le soulèvement, une fois qu’ils se sont retrouvés dans une impasse avec l’État. Parmi ces revendications figurait celle de voir les prisonniers « transférés hors de leur lieu de détention, vers un pays non impérialiste ». Beaucoup d’entre eux espéraient que ce serait la Chine socialiste, qui était alors en pleine Grande Révolution culturelle prolétarienne et où vivait le célèbre révolutionnaire noir Robert Williams.
Malgré l’incroyable lucidité politique et l’héroïsme dont ils ont fait preuve, les prisonniers ont finalement été écrasés de manière extrêmement brutale. L’État a envoyé la police, armée de balles sans chemise métallique interdites par la Convention de Genève, pour massacrer les prisonniers et les gardiens qu’ils retenaient en otages. 39 personnes ont été tuées, des centaines ont été blessées et d’innombrables autres ont été brutalement torturées après la reprise de la prison par la police. Ce revers était en partie lié à la dégénérescence politique de la direction du Black Panther Party, qui venait de connaître une scission majeure au début de l’année 1971.
Ainsi, le soulèvement d’Attica montre à la fois le potentiel politique du travail des révolutionnaires parmi les prisonniers et la classe ouvrière en général, mais il témoigne également que des revers peuvent facilement se produire lorsque les organisations révolutionnaires dégénèrent et sont incapables d’assurer la direction de ces luttes.
– Quel rôle les militants de la gauche révolutionnaire doivent-ils jouer au sein des syndicats aux États-Unis ?
Nous avons exposé notre point de vue dans plusieurs articles. Ces conclusions sont encore provisoires et nous devrons sans doute les affiner à mesure que nous acquerrons plus d’expérience dans les syndicats. Tout d’abord, je tiens à souligner que le rôle des militants dans les syndicats dépend de la situation particulière. Les marxistes ont des tâches différentes dans le mouvement ouvrier selon le développement de ce dernier et l’état des organisations communistes.
Aux États-Unis, notre situation est quelque peu similaire à celle des premiers marxistes russes dans les années 1880. Il existe bien sûr de nombreuses différences, la plus évidente étant que nous vivons dans une république démocratique bourgeoise et non dans une monarchie absolutiste semi-féodale, mais il est important de noter les similitudes générales. Premièrement, il existe une série de tendances révisionnistes et semi-marxistes qui sont populaires parmi la gauche révolutionnaire nominale. Ces tendances, bien que plus diverses dans leur nature qu’en Russie dans les années 1880, constituent un obstacle similaire au développement du mouvement ouvrier et à la propagation du marxisme. Deuxièmement, le mouvement ouvrier est encore faible aux États-Unis et il reste beaucoup à faire pour gagner les travailleurs au marxisme.
Nous pensons qu’à l’heure actuelle, notre tâche principale est de croître et de nous développer en tant qu’organisation pré-parti, dont une composante secondaire consiste à approfondir nos liens avec le mouvement ouvrier et à mener l’agitation en son sein. Nous l’avons fait, dans la mesure du possible, en jouant un rôle dans certaines des luttes économiques clés du prolétariat (comme la campagne « Votez non » pour la lutte contractuelle chez UPS). Cependant, une grande partie de notre travail a consisté à mener une agitation dans une perspective prolétarienne parmi les travailleurs. Cela contribuera à son tour à préparer le terrain pour organiser des cercles d’étude sur le marxisme pour les travailleurs, à l’instar de ceux que menaient les premiers marxistes russes.
Puisque vous avez traduit en français l’un de nos documents (Quelques thèses générales sur le travail communiste dans les syndicats), il est important de noter que dans un document plus récent, Grandir en tant qu’organisation pré-parti et le développement de la ligne politique du MCU, nous avons corrigé certaines des conclusions partiellement erronées auxquelles nous étions parvenus dans le document précédent. Il peut être utile de citer longuement ce dernier document :
Cette analyse comporte de nombreux aspects corrects, notamment la nécessité de développer notre organisation pré-parti, de travailler dans les syndicats en vue de construire une opposition de gauche plus large et de jeter les bases du Parti. Cependant, elle présente également quelques lacunes importantes. Premièrement, nous avons placé la tâche de jeter les bases du Parti sur le même plan que celle de jeter les bases d’une opposition de gauche organisée dans les syndicats. Si nous reconnaissions que le développement d’une organisation de type TUEL « nécessiterait une croissance et un renforcement considérables de nos rangs de révolutionnaires professionnels », nous ne comprenions pas, à l’époque, que nous devrions encore croître et nous développer en tant qu’organisation pré-parti pour pouvoir même commencer à jeter les bases d’une opposition de gauche organisée dans les syndicats.
Cette confusion nous a amenés à consacrer beaucoup de temps à essayer de construire ces bases avec diverses personnes (syndicalistes et marxistes) avant d’avoir la capacité objective de le faire de manière significative. Nous avons donc perdu du temps à essayer de construire quelque chose qui n’était objectivement pas réalisable à l’époque. Nous avons donc détourné des camarades d’autres tâches essentielles, telles que l’élaboration d’une approche systématique du recrutement ou le lancement de la présence de notre organisation sur les réseaux sociaux afin de promouvoir notre ligne et notre travail, pour nous concentrer plutôt sur la mise en place des bases d’une forme organisationnelle (une opposition de gauche organisée dans les syndicats) que nous n’étions pas suffisamment développés pour créer.
Nos efforts pour jeter les bases d’une opposition de gauche dans les syndicats ont fait suite à notre travail dans la lutte pour le contrat UPS à l’été 2023. Au cours de cette lutte, nous avions établi de nombreux contacts au sein du mouvement syndical et dans le milieu marxiste américain au sens large. Nous espérions travailler avec eux pour mettre en place des réunions régulières qui permettraient à la fois d’étudier le marxisme et de partager des expériences pratiques d’organisation dans les syndicats, afin de former à terme une sorte d’organisation de front uni pour le travail dans les syndicats3.
Dans le cadre de ce regroupement, qui a finalement pris le nom de Labor Militants Study (LMS, Étude des militants syndicaux) lorsqu’il est apparu clairement que nous allions principalement mener une étude conjointe avec d’autres, nous avions quatre grands objectifs :
Mener une étude sur :
Théorie marxiste sur la lutte de la classe ouvrière pour conquérir le pouvoir politique et s’émanciper de la domination capitaliste, et rôle des syndicats dans cette lutte.
Leçons historiques tirées des tentatives passées des marxistes aux États-Unis pour s’organiser dans les syndicats contre les employeurs et les dirigeants syndicaux vendus, comme le travail du CPUSA dans le TUEL.
Tirer les leçons des campagnes d’organisation auxquelles les participants sont impliqués et, dans la mesure du possible, faciliter la coopération entre les participants à ces campagnes.
Commencer à élaborer un programme plus précis et plus concret pour les syndicats, qui puisse devenir le programme d’une organisation de type TUEL adaptée à notre situation actuelle.
Attirer davantage de personnes partageant les mêmes idées qui sont impliquées ou cherchent à s’impliquer dans le mouvement ouvrier et jeter les bases d’une organisation solide de militants révolutionnaires qui transcende les syndicats.
Ces objectifs étaient beaucoup trop vastes et nous ne disposions pas de cadres ni de contacts suffisants pour les mener à bien. Nous avions certes une soixantaine de personnes intéressées par cette initiative (en dehors de nos cadres), mais elles provenaient d’horizons politiques et de niveaux de développement très divers. Par exemple, les premiers participants allaient de travailleurs militants qui n’avaient pratiquement aucune connaissance du marxisme (mais qui avaient des années d’expérience dans la lutte contre les capitalistes et les dirigeants syndicaux réactionnaires) à des marxistes assez développés qui étaient très intéressés par notre ligne et souhaitaient rejoindre le MCU.
Compte tenu de leurs différents niveaux de développement politique et théorique, il n’était pas possible de développer correctement tous ces contacts dans le cadre d’une seule étude, et encore moins de les rassembler dans des efforts d’organisation concrets (d’autant plus qu’ils étaient dispersés dans tout le pays, souvent dans des endroits où il n’y avait ni cadres ni sections de la MCU).
Il est bien sûr possible, à long terme, d’attirer de nombreux contacts vers des efforts d’organisation pratique à grande échelle au sein des syndicats. Cependant, des études assez spécifiques et distinctes sont nécessaires pour convaincre respectivement les semi-marxistes de devenir des cadres et développer la conscience de classe des travailleurs intermédiaires. Ces deux tâches ne peuvent être fusionnées en une seule, et elles ne peuvent certainement pas être fusionnées avec la tâche d’unir les forces de gauche dans les syndicats autour d’un programme commun de lutte contre les capitalistes et le bureaucratisme syndical réactionnaire4.
Si ces erreurs découlaient en partie de notre relative pénurie de forces, qui nous empêchait de mener simultanément ces trois tâches distinctes, elles n’en étaient pas pour autant la cause ultime. C’était plutôt l’aspect erroné de notre ligne politique qui plaçait le développement du MCU au même niveau que la mise en place des bases d’une opposition de gauche organisée dans les syndicats5.
La première tâche est actuellement notre priorité, tandis que la seconde est secondaire et ne peut faire l’objet que de progrès modestes pour l’instant, tant que nous continuons à grandir et à nous développer en tant qu’organisation6.1
Malgré ces erreurs, nous avons consacré beaucoup de temps et d’énergie à la croissance et au développement du MCU dans le cadre du LMS et d’autres initiatives menées au cours de cette période. Grâce à cette orientation partiellement correcte, nous avons également remporté de nombreux succès, tant au sein du LMS que dans notre travail plus large au cours de cette période. Par exemple, un certain nombre de participants au LMS ont été convaincus par notre ligne et sont devenus des cadres. D’autres participants (dont certains travailleurs de la lutte UPS) ont acquis une compréhension de certaines bases du marxisme grâce au LMS et sont devenus des partisans plus convaincus du MCU et des participants plus actifs au mouvement ouvrier. Malgré nos erreurs et nos lacunes, il s’agit là de succès importants. Ils sont le résultat de l’aspect correct de notre ligne pendant cette période, qui a souligné l’importance de développer le MCU.
Nous espérons que cela aidera à clarifier en partie l’évolution de nos opinions depuis la publication de notre document « Thèses » à l’automne 2023. Deux de nos cadres qui ont participé à la campagne « Votez non » chez UPS ont également rédigé un article intitulé « Sur le travail communiste dans le mouvement ouvrier » en juillet 2024, qui expose de manière méthodique nos opinions sur les tâches des communistes dans le mouvement ouvrier.
1Nous devons être absolument fermes sur ce point : un parti communiste n’est pas simplement un groupe relativement important de communistes qui s’attribuent ce titre. Un parti communiste, un parti de type léniniste est, pour citer le Komintern, « une partie de la classe ouvrière, à savoir la partie la plus avancée, la plus consciente et donc la plus révolutionnaire…Le Parti communiste se distingue de l’ensemble de la classe ouvrière par le fait qu’il a une vision claire de l’ensemble du cheminement historique de la classe ouvrière dans sa totalité et s’efforce, à chaque tournant de ce chemin, de défendre les intérêts non pas de groupes ou de corps de métier distincts, mais de la classe ouvrière dans son ensemble. » Ce parti est construit par l’action consciente des communistes qui fusionnent avec la classe ouvrière et luttent pour placer le marxisme à la tête du mouvement ouvrier, en particulier en gagnant à sa cause les travailleurs avancés. Sous le capitalisme, ce parti prépare et dirige finalement le renversement de la classe capitaliste par la révolution.
2Teamsters for a Democratic Union (TDU), en revanche, a plus ou moins complètement liquidé ses critiques (qui ont toujours été timides et ont activement évité le genre d’évaluations honnêtes et prolétariennes de l’État, du régime juridique, des politiciens bourgeois, etc. qui développent la conscience prolétarienne) de la bureaucratie des Teamsters et a été absorbé comme une faction au sein de celle-ci.
3Dans le document que nous avons partagé avec les participants de ce groupe, nous avons explicitement présenté ces efforts communs comme jetant les bases d’une future organisation de type TUEL :
« L’idée de ce groupe est née de conversations entre des membres de l’Union communiste maoïste (MCU) et divers militants du mouvement syndical que nous avons rencontrés l’été dernier, lors de la lutte pour rejeter le contrat de vendue de l’UPS. Cette lutte autour du contrat a une fois de plus mis en évidence à quel point les militants révolutionnaires dans les syndicats sont actuellement désorganisés et dispersés. Elle a également démontré le besoin urgent de former une opposition de gauche organisée contre les dirigeants syndicaux réactionnaires qui se vendent aux capitalistes et leurs partisans opportunistes, soi-disant « socialistes », une opposition qui vise sans complexe à transformer les syndicats en organisations agissant véritablement dans « l’intérêt général de l’émancipation complète de la classe ouvrière » (comme le disait Marx en 1866). Nous sommes très inspirés par le travail accompli dans ce sens par le Parti communiste américain (CPUSA) dans les années 1920 et 1930, en particulier son travail au sein de la Trade Union Education League (TUEL), qui a servi pendant plusieurs années d’aile révolutionnaire assez efficace des syndicats.
« Une telle opposition organisée, qui transcende le mouvement syndical, ne peut être créée d’un seul coup. Cependant, nous espérons commencer à jeter les bases de cette opposition en réunissant des militants intéressés par l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier et du marxisme (aucune connaissance préalable n’est requise, juste de l’intérêt) et en apprenant les uns des autres à partir de nos expériences pratiques d’organisation. Grâce à cela, nous pourrons développer un cadre commun plus solide pour construire un équivalent moderne de la TUEL et transformer nos syndicats en véritables armes dans la lutte de la classe ouvrière pour se libérer de la domination de la classe capitaliste. »
4En plus de ces erreurs, nous avons commis une série d’autres erreurs au sein de la LMS, allant d’une mauvaise planification à un suivi désorganisé des contacts, entre autres. Ces erreurs étaient plus faciles à éviter et ne résultaient pas des aspects erronés de notre ligne politique à l’époque. Elles ne font donc pas l’objet du présent document. Si elles avaient été évitées ou même corrigées plus tôt dans notre effort, certaines des erreurs les plus importantes de notre ligne auraient pu être mises en évidence plus rapidement. Cela dit, il ne nous a fallu que relativement peu de temps pour prendre conscience de l’ampleur des erreurs sous-jacentes de notre ligne. De plus, nous avons eu des discussions assez approfondies et fait un bilan interne de ces erreurs de second ordre avant et pendant notre conférence, et nous avons résumé en interne les erreurs individuelles et collectives qui ont conduit à ces lacunes plus facilement évitables dans le LMS.
5Il s’agissait en partie d’un vestige de notre ancienne ligne consistant à « aller partout et tout faire ». Même si nous avions dépassé cette ligne, nous ne comprenions pas encore suffisamment l’importance de concentrer l’essentiel de nos efforts sur la croissance du MCU, ni l’ampleur du travail que cette tâche impliquait.
6En fait, la croissance et le développement du MCU – qui passe par l’élargissement de nos contacts parmi la gauche et les militants du mouvement syndical – est actuellement le meilleur moyen dont nous disposons pour construire une organisation de type TUEL. Ce n’est qu’en tant qu’organisation pré-parti nettement plus importante et plus développée que nous serons en mesure de jouer un rôle significatif dans la formation de toute organisation militante minoritaire.