SUPERNOVA n.9 2025
organiser l’autonomie prolétarienne dans les rues de la Californie…
Les images des manifestations à Los Angeles contre les raids des unités armées de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) ont fait le tour du monde.
“Une chose que toutes les classes exploiteuses – des propriétaires d’esclaves aux seigneurs féodaux, en passant par la classe capitaliste contemporaine – ont en commun, c’est qu’elles sont toujours prises par surprise lorsque les exploités se rebellent contre elles. Tous les exploiteurs pensent avec arrogance qu’ils peuvent gouverner la société sans jamais affronter les conséquences de leurs crimes contre le peuple. L’administration Trump croyait pouvoir envoyer des agents masqués de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) kidnapper des immigrés à Los Angeles et s’en tirer sans conséquences, en comptant sur le fait que les responsables locaux, qui affirment que leur ville est un sanctuaire pour les immigrés, ne feraient rien pour les arrêter. Ce à quoi ils ne s’attendaient pas, c’est que les masses – surtout les jeunes prolétaires latino-américains – se rebelleraient contre l’ICE et les multiples agences de police qui les protègent. Les balles en caoutchouc, les gaz lacrymogènes et les phalanges de police anti-émeute n’ont pas réussi à dissuader les plus rebelles, qui ont riposté contre les policiers, assiégé les bâtiments gouvernementaux, raillé les porcs pour leur lâcheté, lancé des briques sur les véhicules de police et incendié les voitures de Waymo.” Going Against the Tide, 12, 06, 2025
Le niveau d’affrontement s’est immédiatement intensifié, prenant un rythme très rapide, compte tenu du matériau inflammable qui caractérise l’organisation urbaine et du travail de la métropole impérialiste, marquée par une précarité sociale généralisée, un racisme « social » institutionnalisé et des ghettos urbains.
Les affrontements avec les forces de police, les véhicules détruits, les « barricades » ont révélé un plan de rupture verticale qui a touché certaines fractions du prolétariat métropolitain aux États-Unis. Ces émeutes protestataires nous ont permis de constater l’émergence d’un réseau de résistance collective : les brigades de défense communautaire dans les quartiers des villes du sud de la Californie. Ces réseaux de solidarité, d’autodéfense et de coopération populaire, luttant contre les arrestations de la police anti-immigration (rondes de surveillance contre la police), ont réussi à résister aux dispositifs autoritaires massifs mis en place par le gouvernement Trump (armée, couvre-feu, etc.). Ils ont même embarrassé le Parti démocrate, étant donné le niveau de confrontation et l’appel direct à l’autodéfense. Dans ces brigades de quartier, des formations sont organisées pour identifier les véhicules des différentes polices, cacher les travailleurs « clandestins », etc. Elles se sont rapidement enracinées sur toute la côte californienne.
L’une des organisations représentant une des tendances politiques de ces brigades d’autodéfense de quartier est sans aucun doute l’Unión del Barrio.
Cette organisation se donne pour mission de défendre les garanties sociales et politiques des communautés latino-américaines aux États-Unis, ainsi que les intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble. L’Unión del Barrio considère les mesures répressives déployées (armée, couvre-feu, etc.) à Los Angeles comme des outils pour criminaliser spécifiquement les communautés ouvrières, les immigrés, les sans-abri, etc. Les revendications abordent des enjeux sociaux précis, comme la lutte contre la précarité du travail et du logement, le combat contre la criminalisation et l’incarcération de larges secteurs populaires, jusqu’à des questions politiques et de genre1. Pour aboutir à la lutte de libération contre les États-Unis, en plaçant au centre la « Nuestra América », thème clé dans la tradition des mouvements de gauche révolutionnaire latino-américaine.
L’Unión del Barrio a organisé des brigades d’autodéfense dans les quartiers (pour intervenir contre les arrestations de l’ICE et les expulsions). L’action prend différentes formes : du patrouillage à la signalisation des présences policières de l’ICE (permettant aux habitants sans papiers de se protéger), jusqu’au blocage des véhicules policiers et des expulsions. Cette organisation s’inscrit dans le cadre concret de l’organisation de l’autonomie prolétarienne, en posant la question centrale : qui doit défendre le territoire, le quartier, la communauté ?
L’Unión del Barrio est une organisation politique qui cherche, à travers un travail concret (la promotion et le soutien des brigades d’autodéfense de quartier), à développer des formes d’action populaire et donc d’exercice du pouvoir :
« Le pouvoir populaire ne se matérialise que là où il est organisé et organiquement lié aux besoins et intérêts d’une communauté ouvrière. Le pouvoir populaire n’est durable que s’il repose sur des principes politiques, la solidarité et la lutte des classes. C’est pourquoi l’Unión del Barrio a défini trois objectifs stratégiques pour guider tous les aspects de notre travail communautaire en vue de la construction du pouvoir populaire :
Autodéfense au niveau communautaire : nous devons faire de l’Unión del Barrio un parti capable d’assurer l’autodéfense immédiate de nos communautés, dans tous les secteurs de la population. Les conditions sont déjà désastreuses pour notre peuple, et la situation ne peut qu’empirer.
Pouvoir dual et conflictuel : nous vivons dans un empire en déclin, qui, à l’échelle nationale et internationale, est encore plus violent et dangereux qu’un empire en ascension. C’est pourquoi nous devons construire un parti capable d’assurer l’autodétermination et l’autosuffisance économique, politique, culturelle et idéologique de chaque secteur de notre population, à l’intérieur des frontières actuelles des États-Unis.
Arrière-garde pour Nuestra América : nous devons mener notre travail en lien avec nos deux premiers objectifs stratégiques en ayant conscience de notre rôle essentiel en tant qu’arrière-garde historique (Retaguardia) du processus révolutionnaire de libération et de socialisme déjà en cours dans toute Nuestra América. Lorsque nous luttons localement, nous devons aussi nous identifier et défendre activement la révolution socialiste de Nuestra América, actuellement en marche dans le Sud.
Lorsque nous aurons atteint ces trois objectifs stratégiques dans chaque secteur de lutte, nous aurons enfin construit le « parti révolutionnaire » pour lequel nous nous battons depuis cinq décennies. Nous saurons que nous aurons bâti un « parti révolutionnaire » non pas parce que nous l’aurons proclamé, mais parce que cela se verra dans notre travail local de défense et de promotion des intérêts matériels et du bien-être de nos communautés, ainsi que dans notre engagement idéologique en faveur du socialisme et de l’unité avec un mouvement continental.« 2
Il n’est pas secondaire de rappeler que l’Unión del Barrio affirme clairement qu’aujourd’hui, il serait impossible de défendre activement des villes entières, mais qu’il est possible de construire la résistance à travers l’autodéfense active dans les quartiers –« maison par maison, rue par rue ». La seule manière de contrer les politiques migratoires violentes est : « s’unir, s’organiser et se défendre mutuellement », car« la libération nécessite l’organisation ». Cela dit, il faut éviter de penser que des formes nées dans une composition spécifique de classe et de « raza« 3 puissent être transposées mécaniquement dans d’autres contextes métropolitains impérialistes. Ces brigades d’autodéfense et l’Unión del Barrio elle-même tirent leur force de la concentration de masses importantes de prolétaires latino-américains et des réponses qu’elles apportent à des besoins sociaux, politiques et culturels précis. Elles ne fantasment pas sur desTAZ (Zones Autonomes Temporaires) ou des espaces libérés, mais parlent concrètement de qui exerce le pouvoir dans les quartiers populaires.
Dans le cas de l’Unión del Barrio, la question de classe se connecte à celle de la libération « nationale », en lien avec Nuestra América et le soutien aux pays anti-impérialistes (Cuba, Venezuela, etc.), ainsi qu’aux formes de résistance populaire et anti-impérialiste.
Notre intérêt pour cette organisation et pour le réseau des brigades d’autodéfense de quartier ne réside pas dans leur spécificité, mais dans leur capacité à recomposer la classe autour d’objectifs réalisables, dans l’usage direct de l’autodéfense. Elles démontrent la capacité de certains secteurs populaires à intervenir sur un plan de classe et politique.
De classe, car il s’agit d’une fraction du prolétariat vivant dans les métropoles impérialistes, capable de recomposition. La lutte contre les lois visant les travailleurs « sans-papiers », la solidarité et la coopération populaire directe, constituent l’une des formes les plus efficaces de combat contre les logiques technocratiques impérialistes et les nouveaux mouvements réactionnaires de masse, qui utilisent la « guerre entre pauvres » et la concurrence entre travailleurs pour asseoir leur domination.
Politique, par rapport aux objectifs : socialisme, pouvoir populaire, organisation et dimensione collectife et formes d’autodéfense (qui nous défend).
Pour ceux qui lisent la classe et la politique à travers un prisme stéréotypé4, « post-moderne » ou réformiste5, ces expériences paraîtront hérétiques et problématiques…
Les éléments politiques et de classe que nous retirons de cette expérience sont, pour nous, un exemple concret de la manière d’expérimenter des formes d’organisation de l’autonomie prolétarienne, et c’est cela, à travers toutes ses contradictions, qu’il faut mettre en avant
1L’organisation se donne 13 terrains de lutte: – Jeunesse des Quartiers (Barrio Youth). – Frontières & Migration (Borders & Migration). – Universités & Enseignement Supérieur (Colleges & Universities). – Notre Culture (Our Culture). – Lutte Électorale (Electoral Struggle). – L’Environnement (The Environment). – Éducation Primaire & Secondaire (*K-12 Education*). – Lutte Ouvrière (Labor Struggle). – Lutte LGBTQ+ (LGBTQ+ Struggle). – Communautés Locales (Local Communities). – Pouvoir des Médias (Media Power). – La Femme (La Mujer). – Industrie Carcérale (Prison Industry)
2 https://uniondelbarrio.org/main/4-2/struggle/
3 Extrait de la présentation du groupe : « Nous nous sommes consacrés à la lutte pour la “Raza” vivant à l’intérieur des frontières actuelles des États-Unis. » De manière générale, cela inclut les Latino-Américains et les peuples autochtones (de l’Amérique du Nord et du Sud).
4 Une classe ouvrière stable et disciplinée…
5 Celui qui pense aujourd’hui que la question de classe n’existe pas, ou nie qu’il y a un problème dans l’exercice du pouvoir au sein de la lutte des classes…