trump et le multipolarisme de guerre

Nous traduisons une partie de Note di fase (matériaux produits par les camarades italiens d’ Antitesi) février 2025

L’installation de Trump à la Maison Blanche, lors de son second mandat, ouvre une nouvelle phase dans les relations entre les formations capitalistes à l’échelle mondiale. Les attaques, pour l’instant sous forme de déclarations tonitruantes, envers le Danemark, le Canada, le Panama, le Mexique et, plus généralement, contre l’Union européenne, pourraient être archivées comme des boutades, mais doivent plutôt être lues comme faisant partie du processus de redéfinition des rapports dans le cadre du multipolarisme de guerre.

L’impérialisme américain, sous la direction de Trump, vise à rétablir sa suprématie mondiale en exigeant une plus grande subordination des formations « alliées » aux intérêts économiques et politiques yankees. Si l’hégémonie, au sens gramscien, est un équilibre constant entre consentement et force, Trump entend répondre à la crise de l’hégémonie américaine en mettant de côté la recherche du consentement au profit de l’usage de la force (économique, politique et militaire), imposant ainsi sa domination.

Cette transition est nécessaire pour resserrer, sur de nouvelles bases, la chaîne de commandement impérialiste. Trump incarne de la manière la plus adéquate les besoins de l’impérialisme américain dans cette nouvelle phase. Celle-ci se caractérise par la fin du « marché libre » mondial dans le domaine économique, et de la politique des « mains libres » dans le domaine des alliances. En effet, les anciens accords structurés subissent des pressions déstabilisatrices et une restructuration sur de nouvelles bases, tandis qu’émerge une économie d’alliances ad hoc, limitées dans l’espace et dans le temps, pour atteindre des objectifs spécifiques. Un exemple en est le retrait immédiat des États-Unis de l’OMS, de l’accord de Paris sur le climat et des protocoles de l’OCDE en matière fiscale, revendiquant une pleine souveraineté.

Dans ce nouveau paradigme, on comprend les déclarations et les mesures prises par Trump dès ses premiers jours au pouvoir. Le Groenland et le Panama, actuellement convoités par le capital chinois et sources de profits (en raison de la présence de matières premières essentielles dans le premier cas et d’un nœud logistique stratégique dans le second), doivent être placés sans médiation sous le contrôle des États-Unis. La guerre économique contre le Canada et le Mexique, qui cible les accords commerciaux existants, utilise le levier économique pour infléchir les choix politiques en matière de sécurité et de défense.

Trump, avec sa politique de droits de douane visant toutes les formations ayant une balance commerciale excédentaire avec les États-Unis, cherche à la rééquilibrer entièrement au profit des monopoles étoilés. Les droits de douane de 25 % instaurés le 1er février vont dans ce sens. Ces manœuvres ont pour objectif de renforcer son hégémonie sur un nouveau paradigme : non plus celui, hypocrite et à sauce démocratique, qui cherchait le consentement à travers des accords multilatéraux, hérités de la mondialisation et de la phase unipolaire américaine ; mais celui, nouveau, sous la bannière de l’America First, dans le cadre du multipolarisme de guerre. L’usage des droits de douane et de la guerre commerciale marque un véritable saut dans la redéfinition des relations transatlantiques.

En arrière-plan de ce nouveau paradigme émerge de plus en plus clairement l’affrontement stratégique avec la Chine et son réseau d’alliances, avec de nouvelles menaces d’agression économique via des droits de douane.

L’effondrement financier des monopoles de la high tech, survenu fin janvier après la publication des résultats atteints par la chinoise DeepSeek dans le domaine de l’intelligence artificielle, est symptomatique de deux facteurs. Le premier est le niveau atteint par les entreprises chinoises dans le développement technologique : la Chine n’est plus seulement « l’usine du monde », produisant des biens à faible valeur ajoutée, mais elle rivalise désormais mondialement pour la suprématie technologique et scientifique.

Le second facteur est la manifestation de la crise de suraccumulation qui innerve le système financier américain. La simple crainte de perdre la primauté technologique au profit d’une start-up chinoise a suffi à faire disparaître 600 milliards de dollars de capitalisation boursière du géant des semi-conducteurs Nvidia. En quelques heures, des capitaux équivalant à presque la totalité de la valeur de la Bourse de Milan se sont évaporés. La surcapitalisation des entreprises technologiques reflète la bulle financière qui plane au-dessus de New York, prête à éclater au moindre signe de crainte des investisseurs ou d’un événement déstabilisant. On comprend donc pourquoi les seigneurs de la Silicon Valley, historiquement liés aux coteries démocrates, se sont ralliés au vainqueur et espèrent que l’empreinte souverainiste de Trump les protégera de la tempête qui menace.

Dans ce contexte, nous voyons comment la spirale crise-guerre-crise tend à s’auto-alimenter. La crise de suraccumulation du capital est à l’origine de la tendance à la guerre, laquelle exprime la réponse du bloc des monopoles occidentaux face à la perte d’hégémonie et à la concurrence des formations émergentes. La guerre aggrave la crise des formations dans une spirale de détérioration constante.

l’europe en armes

« Il est temps d’adopter une mentalité de guerre. Il est inacceptable de refuser d’investir dans la défense, même si cela signifie réduire les dépenses dans d’autres priorités : retraites, santé, protection sociale. »

Ces paroles de Mark Rutte, nouveau secrétaire général de l’OTAN, prononcées le 3 décembre à Bruxelles lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance atlantique, se passent de commentaire : la guerre est la voie choisie par les bourgeoisies impérialistes occidentales pour sortir de la crise.

La Russie reste en première ligne, aux côtés des deux autres pays de « l’axe du mal » – l’Iran et la Corée du Nord –, mais la Chine demeure la cible principale. Avec Trump à la Maison-Blanche, la possibilité d’un désengagement américain de l’OTAN, qui pourrait alors devenir une alliance à dominante européenne, se profile.

Ce scénario marquerait un changement de paradigme dans les relations entre les États-Unis et l’UE : ils ne seraient plus des alliés en quête d’équilibre, mais des concurrents sur le marché mondial. Un paysage lourd de contradictions pour la bourgeoisie européenne :

D’un côté, certains misent sur l’unilatéralisme de Trump et aspirent à s’y rallier, comme en témoignent les manœuvres de Giorgia Meloni, seule dirigeante européenne présente à l’investiture du nouveau président américain.

De l’autre, le discours d’Ursula von der Leyen à Davos lors du Forum économique mondial souligne la nécessité d’une intégration européenne accrue pour affronter une concurrence acharnée non seulement avec la Chine et la Russie, mais aussi avec les États-Unis, qui remettent en cause les relations commerciales à coups de droits de douane.

La feuille de route ? Le « Competitiveness Compass » présenté par von der Leyen en janvier 2025, qui reprend les propositions de Mario Draghi. Cette stratégie vise principalement à :

Éliminer la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie ;

Combler le retard technologique de l’UE face aux États-Unis et à la Chine.

Ces thèmes seront approfondis dans le « Clean Industrial Deal », qui sera présenté fin février.

Pour l’instant, les solutions proposées s’inscrivent dans la continuité des schémas suivis avant l’offensive russe en Ukraine et la fin des approvisionnements bon marché de Moscou. L’objectif principal reste de diversifier les sources d’énergie via des investissements dans des productions qualifiées de « vertes » (fusion nucléaire, géothermie, etc.), afin de développer une autonomie stratégique dans un contexte d’instabilité géopolitique.

Derrière les slogans sur la décarbonation, se cache en réalité un protectionnisme déguisé:

Réglementation restrictive des importations de biens non décarbonés ;

Obligation pour les administrations publiques d’acheter un pourcentage fixe de produits « verts » dans les marchés publics.

Résultat : un marché captif de 2 000 milliards d’euros (15 % du PIB de l’UE) réservé aux entreprises européennes.

L’économie de guerre comme « solution »

Sur un point, tout le monde s’accorde : l’économie de guerre est le moteur pour répondre à la crise. La proposition d’atteindre les 2 % du PIB en dépenses militaires passe par l’émission d’Eurobonds (obligations communes) pour financer la défense. Les bénéficiaires ? Les multinationales de l’armement, dont les revenus pourraient augmenter de 9 %, avec des groupes européens comme Leonardo qui croissent plus vite que leurs homologues américains.

Cependant, la voie des Eurobonds est encore semée d’embûches. La solution immédiate serait de demander à la Banque européenne d’investissement (BEI) d’étendre ses financements à la défense et à la sécurité. Une lettre de 19 pays membres exige de modifier son règlement pour inclure des projets militaires – aujourd’hui exclus, sauf s’ils ont une « utilisation duale » (civilo-militaire).

Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

Les dépenses militaires de l’UE ont bondi de 30 % entre 2021 et 2024, atteignant 326 milliards d’euros en 2024 ;

Elles devraient augmenter de 107 milliards supplémentaires dans les prochaines années.

Pourtant, ce keynésianisme militaire européen se heurte à deux problèmes majeurs :

La dépendance aux entreprises américaines : Lockheed Martin réalise à elle seule presque autant de chiffre d’affaires (60 milliards d’euros) que l’ensemble du secteur de l’armement européen (70 milliards).

L’impact économique limité : une grande partie des investissements profite à des acteurs extra-européens, réduisant les retombées pour l’UE.

En définitive, l’économie de guerre sert moins à stimuler la croissance qu’à redéfinir le rôle de l’UE dans une optique d’intégration renforcée et de réorganisation des systèmes productifs. Mais dans un monde multipolaire en proie aux tensions, cette stratégie risque davantage d’alimenter la spirale crise → guerre → crise que d’offrir une issue durable.

Aller à la barre d’outils