Antitesi (Italie)
L’American First ! tant vanté par Trump pendant sa campagne électorale, six mois après son entrée à la Maison Blanche, montre toutes ses limites. Le trumpisme, en tant que ligne politique de « rupture » avec les administrations précédentes, qui avait pour mission de ramener l’impérialisme américain à une situation de rétablissement de son hégémonie mondiale, est en train d’échouer.
Sur le plan intérieur, il faut noter l’aggravation de la crise structurelle de la formation états-unienne, certifiée par le président de la Fed, Jerome Powell, qui a déclaré que la dette fédérale américaine n’était plus viable. Le coût de la dette américaine augmente en effet de manière vertigineuse en raison des intérêts et de la dévaluation du dollar. La dévaluation du dollar a un double aspect : d’une part, elle réduit la valeur de la dette, d’autre part, elle met en crise le dollar en tant que monnaie de réserve, créant les conditions d’une fuite des investissements libellés en dollars, en particulier les titres de créance américains, ce qui pousse à la hausse les taux d’intérêt pour leur refinancement. Dans un premier temps, la dévaluation du dollar présente donc des avantages car elle réduit la dette, mais dans un second temps, elle aggrave encore la crise en entraînant une hausse des taux d’intérêt sur la dette elle-même. Il faut tenir compte du fait que l’administration Biden avait rempli la dette américaine de titres à court terme, laissant un lourd héritage qui oblige l’administration actuelle à trouver environ 9 000 milliards de dollars pour honorer les échéances ou, à défaut, à renouveler les échéances à un prix beaucoup plus élevé, reportant ainsi le problème. La gravité de la situation a également été constatée par les agences de notation qui, pour la première fois depuis 1919, ont déclassé la dette américaine en lui retirant la note AAA. Il s’agit d’un passage « historique » pour la principale puissance capitaliste mondiale qui, d’une part, est submergée par une dette d’environ 37 000 milliards de dollars et risque l’insolvabilité, et d’autre part, manifeste la fracture interne du capital financier américain et entre les principaux acteurs financiers, BlackRock, Vanguard et State Street (dont le poids sur les agences de notation est énorme) et l’administration Trump. Un autre point de fracture interne à la classe dominante américaine s’est manifesté lors de l’adoption de la loi de finances, approuvée grâce au vote du vice-président Vance. Le budget prévoit une augmentation du déficit fédéral de 3 300 milliards de dollars supplémentaires au cours des dix prochaines années, accompagnée de réductions d’impôts, rendues structurelles, au profit des revenus les plus élevés ; une augmentation vertigineuse des dépenses militaires ; une réduction massive des dépenses sociales, à commencer par le projet Medicaid qui privera environ 12 millions de personnes de leur couverture santé et des aides alimentaires dont bénéficient environ 45 millions de personnes.
Le vote de la loi de finances, poussé par Trump à coups de menaces, a vu s’opposer non seulement les démocrates, mais aussi certains secteurs du magnat, en premier lieu Musk, avec lequel la rupture définitive s’est dessinée.
La crise de la formation aux États-Unis est également évidente dans la gestion du front intérieur. En sont des manifestations claires le conflit avec des universités telles que Harvard, coupables de soutenir et d’accueillir les principaux centres de mobilisation de solidarité avec le peuple palestinien et touchées par une réduction de plus de 2 milliards de dollars de leur financement. Les universités telles que Harvard sont les centres de formation de la future classe dirigeante et l’attaque dont elles ont été victimes doit être comprise dans le cadre de leur mise au pas au trumpisme et de la répression des mobilisations en solidarité avec la Palestine. Ce n’est pas un hasard si parmi les mesures prises contre les facultés figurait la suppression de la possibilité d’inscrire des étudiants étrangers, qui sont contraints de s’inscrire dans une autre université pour ne pas perdre leur statut légal.
Le cas de Mahmoud Khalil, étudiant palestinien parmi les principaux organisateurs de la lutte universitaire pour la Palestine, enlevé le 8 mars par l’ICE et menacé d’expulsion, puis libéré, en est un exemple.
L’ICE est également à l’origine de la guerre contre l’immigration clandestine qui vise principalement la classe ouvrière immigrée : des témoignages vidéo montrent des descentes dans des bars, des restaurants et d’autres lieux où des travailleurs et travailleuses ont été arrêtés de force. Ces agressions xénophobes ne sont pas fortuites, mais visent principalement ceux qui travaillent : sous prétexte de soi-disant irrégularités, l’administration Trump tente de fragmenter la classe en cherchant à rallier le consensus des travailleurs blancs. L’opération militaire a toutefois trouvé une réponse du prolétariat de Los Angeles sous forme d’émeutes, de fusillades et de mobilisations qui ont duré plusieurs jours.
La crise structurelle et les fractures internes de la classe dominante américaine se répercutent sur ses relations avec les autres formations. Ce n’est qu’à partir de ce constat que l’on peut comprendre l’attitude contradictoire de Trump, dictée par la nécessité de répondre aux fractures internes et aux politiques économiques agressives, même contre ses alliés historiques, par le biais de droits de douane visant à récupérer la production et les liquidités.
La politique des droits de douane doit être comprise principalement comme un instrument permettant de répercuter la crise sur les autres formations, d’où la nécessité de rompre les anciennes règles multilatérales et de défier chaque État individuellement afin de lui faire supporter autant que possible les coûts de la crise. Les récents accords entre les États-Unis et l’Union européenne, qui consacrent une fois de plus la relation de vassalité entre les puissances du vieux continent et leur allié américain, en sont la preuve. Le 27 juillet dernier, Von der Leyen et Trump ont en effet conclu un accord commercial qui impose un droit de douane de 15 % sur la plupart des exportations de l’UE vers les États-Unis et, dans le même temps, supprime les droits de douane sur certaines importations en provenance des États-Unis, notamment l’acier et l’aluminium. En outre, l’UE s’est engagée à investir 600 milliards de dollars dans de nouveaux investissements américains et 750 milliards de dollars dans des achats énergétiques à long terme.
La politique des droits de douane, comme toutes les politiques protectionnistes, est une stratégie à court terme car, à long terme, elle aggrave la crise générale du capitalisme, touchant également ceux qui la promeuvent. En outre, toutes les formations n’acceptent pas que la crise leur soit imputée, ce qui conduit les États-Unis à capitaliser sur leurs succès, comme avec les États européens, mais aussi sur leurs défaites retentissantes. La tentative de guerre économique contre l’ennemi principal, la Chine, s’est en revanche révélée être un échec, contraignant l’administration américaine à faire marche arrière après la réponse identique et contraire de son adversaire. L’effondrement des exportations chinoises (environ 60 %) à la suite des droits de douane de 145 % a causé plus de dommages que d’avantages, obligeant à conclure un accord garantissant les approvisionnements. La guerre économique avec la Chine s’est donc estompée. L’agression économique envers les autres formations, notamment asiatiques et africaines, a permis à Pékin de s’imposer comme un partenaire fiable et un défenseur du libre marché et des accords mutuellement avantageux. L’échec a été non seulement économique, mais aussi politique.
Le trumpisme, qui devait construire un nouvel ordre mondial, aggrave au contraire la tendance à la guerre. Lors de la campagne présidentielle, l’administration s’était fixé comme « objectif prioritaire » sur le front extérieur la médiation des guerres et des principaux conflits en cours : de la fin de la guerre entre la Russie et l’Ukraine aux tentatives d’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Donald Trump s’était présenté comme un prétendu pacificateur, se faisant passer pour un bienfaiteur qui mettrait fin aux hostilités et ramènerait le chaos mondial dans un cadre utile aux objectifs impérialistes des États-Unis. Les intentions de Trump partaient du constat que les États-Unis sont encore une puissance capable de poser des ultimatums tels que les autres puissances, alliées ou non, sont contraintes de se plier à leurs ordres. Cependant, l’administration américaine s’est heurtée dans divers scénarios au nouveau cadre du multipolarisme guerrier, dans lequel, pour défendre sa propre hégémonie, elle a dû multiplier les fronts plutôt que de les fermer.
Avec l’Iran, par exemple, l’administration américaine s’était fixé pour objectif de trouver un nouvel accord sur le nucléaire à travers des pourparlers avec des délégués persans. Cet objectif n’a pas été atteint à ce jour, à la suite de la guerre de 12 jours lancée à l’initiative des sionistes et qui a culminé avec une attaque américaine directe contre les bases nucléaires.
D’une manière générale, au Moyen-Orient, l’administration Trump n’a pas obtenu les résultats escomptés : en avril, la campagne d’agression contre le Yémen a pris fin grâce à un accord avec les Houthis négocié par Oman. La résistance yéménite a cessé ses opérations contre les navires américains dans la mer Rouge, ce qui a conduit les États-Unis à mettre fin à leur agression. Cependant, les opérations des Houthis contre Israël se sont poursuivies. Les Américains ont donc obtenu le seul avantage de ne pas voir leurs intérêts maritimes dans la région compromis. De plus, à Gaza, le projet très médiatisé « Trump Gaza », qui prévoyait l’expulsion forcée des Palestiniens de leur terre et la construction de complexes touristiques, n’est pour l’instant qu’une ambition idéale pour l’impérialisme américain. Ce projet prévoit au minimum une réédition des accords d’Abraham et une normalisation des relations entre l’entité sioniste et les pétromonarchies arabes, une option qui semble actuellement difficile à réaliser. Il suffit de voir comment la visite de Trump à la cour de Riyad, qui s’est conclue par un accord d’investissement d’un billion de dollars, n’a pas fait avancer les relations entre les Saoudiens et les sionistes.
Sur le front russo-ukrainien, les contradictions sont encore plus évidentes : la rencontre à la Maison Blanche entre Donald Trump et le président ukrainien Zelensky a été particulièrement animée. La stratégie de guerre d’usure de Moscou a fait échouer la tentative de percée à l’est, rendant de plus en plus coûteux le maintien du front ukrainien. L’administration reconnaît que le conflit en Ukraine est une guerre dont elle ne veut plus assumer les coûts économiques dans une situation où les marges de capitalisation sont minimes. Ou plutôt, dans un contexte où tout ce qu’il y avait à prendre a déjà été pris, à commencer par les accords sur les minerais et les terres rares imposés à Kiev et la vente d’armes fabriquées aux États-Unis à leurs alliés. Aujourd’hui, c’est la Russie qui remet en question ce plan. Avec son avancée actuelle, elle compromet l’accord sur les terres rares signé en mai, ce qui explique l’irritation de Trump envers Poutine, le feu vert à la fourniture d’armes à longue portée à Kiev et l’ultimatum de 50 jours pour de nouvelles sanctions.
Ce scénario s’inscrit dans la logique de l’imposition de droits de douane à l’Union européenne, à laquelle il a fait supporter le coût du conflit. Les contradictions entre les États-Unis et l’UE sur le conflit en Ukraine traduisent deux intérêts divergents. L’ensemble européen vise la poursuite de la guerre, cultivant l’illusion d’épuiser la Russie en sacrifiant jusqu’au dernier Ukrainien, en en assumant les coûts, avec pour objectif secondaire de soutenir sa propre crise économique par le keynésianisme militaire. Les États-Unis, en revanche, visent un désengagement afin de concentrer leurs forces sur le Moyen-Orient et surtout sur la région indo-pacifique.
L’American First ! qui devait déterminer un « nouvel âge d’or » pour les États-Unis, les plonge encore plus dans la crise, aggravant encore, avec la perte progressive de l’hégémonie américaine, la phase de multipolarisme guerrier au niveau mondial et la tendance à la guerre. Toutes les formations impérialistes traditionnelles sont touchées par cette crise dans laquelle Trump se révèle être un facteur de déstabilisation supplémentaire et d’accélération de la crise mondiale, avec pour conséquence la détérioration de l’ancien ordre et l’émergence de nouvelles contradictions qui alimentent la tendance à la guerre.
RÉARMEMENT EUROPÉEN
La ligne de Trump visant à désengager les États-Unis du front ukrainien avait été annoncée haut et fort par le candidat à la présidence pendant sa campagne électorale, convaincu de pouvoir mettre fin au conflit en 24 heures. Pour les États-Unis, le soutien à Zelensky représentait une dépense économique énorme qui n’était plus nécessaire compte tenu de la réalisation d’un de leurs principaux objectifs : le découplage de l’économie de l’UE des matières premières russes et l’achat obligatoire de celles-ci auprès des États-Unis.
Le désengagement américain a mis les pays de l’UE au pied du mur, les obligeant à choisir entre poursuivre la guerre en se substituant aux États-Unis en tant que mandataires ou accepter une défaite humiliante. C’est dans ce contexte que s’inscrivent le plan de réarmement et les diverses tentatives de formation d’alliances intra-européennes visant à assurer une autonomie stratégique vis-à-vis de Washington.
En effet, s’il est erroné de parler d’un retrait total des États-Unis de la guerre avec la Russie, il est toutefois indéniable que le conflit est pour l’instant confié aux puissances européennes. Ces dernières semblent être les moins disposées à céder dans le conflit ouvert avec la Russie, considérant la percée à l’Est comme cruciale.
La « coalition des volontaires » menée par l’Angleterre et la France a précisément pour objectif de rassembler les puissances occidentales, principalement européennes, dans un front qui soutienne l’Ukraine même sans le soutien des États-Unis.
Pour l’ensemble impérialiste européen, c’est aussi l’occasion de consolider sa crise économique autour du keynésianisme militaire, c’est-à-dire d’utiliser la dette communautaire et celle des États individuels comme levier pour donner un souffle à la crise industrielle et attirer les capitaux financiers qui fuient les rallyes de Wall Street.
Les puissances européennes jouent la carte du Rearm Europe (ou Readiness 2030) : 800 milliards à allouer à la défense d’ici 2030, dont 150 milliards devraient être obtenus par l’endettement collectif (à l’instar du Fonds de relance) et les 650 restants seront mis à disposition par les États via des pactes de stabilité et probablement par des coupes dans les dépenses publiques, avec des conséquences dramatiques pour les conditions de vie des masses. Cette voie est confirmée par l’accord de l’OTAN sur l’augmentation des dépenses militaires jusqu’à 5 % du PIB imposé par les États-Unis lors de la dernière réunion à La Haye.
La guerre est le choix stratégique par lequel la bourgeoisie impérialiste tente de faire face à la crise structurelle, en réorganisant toute l’économie en fonction de la guerre et en mettant de côté les politiques mises en place précédemment, comme la transition énergétique désormais défunte. Le plan de réarmement répond principalement aux besoins du front extérieur, c’est-à-dire à la progression de la tendance à la guerre mondiale, mais il assume également la tâche de répondre aux besoins imposés par la crise interne des formations capitalistes occidentales.
Dans l’impérialisme, et surtout dans les périodes où les vents de guerre soufflent avec plus de vigueur, le secteur de la guerre garantit des profits solides. Les armes, dont les acheteurs sont les États et qui font l’objet d’une demande continue et d’une production planifiée, permettent de réaliser des profits assurés, susceptibles d’attirer l’appétit du capital financier. Avec le keynésianisme militaire et l’augmentation anormale des dépenses militaires, le secteur militaire devient un marché sûr qui garantit des profits sans pareil et à l’abri de l’insécurité et de l’instabilité des marchés financiers. Pour donner des exemples concrets, les actions de Leonardo ont enregistré une hausse de 65 % au cours des six derniers mois et de 111 % en un an, celles de l’allemand Rheinmetall une hausse de 147,5 % au cours des six derniers mois et de 259,9 % en un an, des chiffres qui font pâlir les actions de certaines des plus grandes entreprises technologiques américaines.
La guerre aide également à faire face à la crise du point de vue de la production industrielle. La crise de la production industrielle européenne, qui atteint des niveaux historiques, est aujourd’hui l’une des manifestations les plus concrètes de la crise générale du capitalisme. Le secteur automobile, dévasté par la crise, s’est déjà engagé dans une reconversion vers le secteur militaire. L’Allemagne, qui a déjà entamé ce processus, est actuellement à l’avant-garde de ce type de changement d’utilisation. Rheinmetall se lance tête baissée dans cette opportunité et s’est déjà engagée dans l’acquisition d’usines Volkswagen. L’entreprise vise à acheter l’usine d’Osnabrück et, à l’avenir, celle de Neuss à Berlin pour la convertir en usine de véhicules blindés et de chars. Volkswagen elle-même s’est déclarée ouverte à la reconversion de ses usines à la production militaire ou à un partenariat dans le domaine de la défense, en plus de participer déjà à la coentreprise Rheinmetall MAN. À cela s’ajoute l’intention d’autres entreprises du calibre de Porsche de conclure des accords avec le secteur de la défense et la conversion de toute la filière automobile, qui comprend des entreprises telles que Bosch et Continental.
Le programme de reconversion industrielle, déjà lancé en Allemagne, est susceptible d’être appliqué ailleurs ; le gouvernement français a invité Renault à collaborer à la production de drones destinés à l’Ukraine, et ici aussi, en Italie, le ministre Urso a préconisé la reconversion du secteur automobile. Chaque formation cherche à tirer le meilleur parti des possibilités offertes par le keynésianisme militaire, en l’adaptant à ses propres besoins.
Le plan de réarmement européen semble profiter le plus à l’impérialisme allemand pour le moment. Il est évident que les monopoles allemands sont en première ligne dans ce processus et que l’État allemand joue un rôle de guide, qui, après quatre-vingts ans, recommence à se réarmer. Sortie vaincue de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne n’a jamais eu de véritable indépendance stratégique sur le plan militaire. Son armée a toujours été, dans les faits, un appendice de l’armée américaine, présente dans le pays avec 70 bases et plus de 60 000 soldats, et n’avait jusqu’à présent jamais développé une capacité militaire comparable à celle d’autres puissances impérialistes comme la France ou la Grande-Bretagne. Le plan européen marque donc pour l’impérialisme allemand l’entrée dans une nouvelle phase, caractérisée par une production industrielle davantage axée sur le militaire et un renforcement des capacités de guerre qui devra également se traduire en termes d’autonomie stratégique, même si cela n’apparaît pas encore aujourd’hui.
Pour entrer dans cette nouvelle phase, la figure de Merz à la tête du pays semble idéale, l’annonce que l’Allemagne devra avoir l’armée la plus forte d’Europe va exactement dans le sens indiqué. Sa fidélité aux intérêts de l’impérialisme occidental est bien affirmée dans ses déclarations publiques, tant sur la nécessité de fournir à l’Ukraine des armes « sans limitation de portée » que sur le contexte moyen-oriental et l’Iran, lorsqu’il a déclaré qu’« Israël fait le sale boulot pour nous tous ». Merz, qui a toujours été très strict en matière de contrôle de la dette, a lancé en mars 2025 une réforme constitutionnelle qui exclut les dépenses militaires supérieures à 1 % du PIB de la contrainte budgétaire, sous le slogan « pour la défense à tout prix ». Cette même réforme prévoit la création d’un fonds de 500 milliards d’euros pour la défense et la transition énergétique (400 milliards pour la défense et 100 pour la transition énergétique), qui s’ajoute à ceux alloués par Bruxelles.
Le Rearm Europe représente donc un tournant historique dans la politique de guerre des formations européennes. Outre le réarmement d’États « désarmés » depuis des décennies, il constituera peut-être l’application la plus concrète de l’économie de guerre et du keynésianisme militaire, et les conséquences seront ressenties par les masses populaires, qui seront les premières à payer ce réarmement. Si des doutes subsistent, il suffit de voir les récentes propositions du Premier ministre français Bayrou, qui prévoit 43,8 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques, le gel des taux d’imposition et des retraites, la suppression de 3 000 emplois dans le secteur public et la suppression de deux jours fériés nationaux. Des coupes et des mesures draconiennes qui excluent le secteur de la défense, dont le budget sera au contraire augmenté de plus de 3,5 milliards d’euros.
AU-DELÀ DU MOYEN-ORIENT, LA POUDRIÈRE MONDIALE
Dans la nuit du 13 juin, l’entité sioniste, soutenue par les États-Unis, lance une opération à grande échelle contre l’Iran, frappant des sites stratégiques et des sites de missiles et tuant en quelques heures des dizaines de scientifiques du programme nucléaire et des personnalités importantes de la chaîne de commandement du corps des Pasdaran ainsi que leurs familles. La motivation officielle de cette cinquième agression en un an contre un pays voisin, exprimée par le bourreau Netanyahu et reprise par les journaux et les chefs de gouvernement de tout l’Occident, est la nouvelle croisade peu originale contre le dictateur en place, doté d’armes de destruction massive, en l’occurrence nucléaires. l’entité sioniste relance la « guerre contre les États voyous » légitimée par son droit ancestral à l’autodéfense. Tout le front occidental, dans lequel on aperçoit parfois quelques petites fissures dans la défense sans faille de la colonie sioniste, s’est regroupé autour de Tel Aviv, soutenant ouvertement l’agression, comme l’a dit Merz : « Israël fait le sale boulot pour l’Occident ».
Propagande mise à part, l’entité sioniste joue le tout pour le tout, visant à redéfinir son rôle en tant que puissance régionale en visant la création du Grand Israël. Le projet stratégique comprend l’extermination et la déportation de la population de Gaza, l’annexion de tous les territoires palestiniens, y compris toute la Cisjordanie, l’expansion au Liban, en Syrie et qui sait quoi d’autre.
Après avoir démontré son échec symbolisé par les images victorieuses des factions de la Résistance après la conquête de la trêve, l’entité sioniste a inauguré en mai une nouvelle phase du génocide. Elle a lancé une vaste opération terrestre baptisée « Chars de Gédéon ». Avec le soutien total de l’administration Trump, l’entité sioniste a écarté l’ONU et tout contrôle international sur l’aide humanitaire et a confié la distribution de celle-ci à l’ONG américaine Gaza Humanitarian Foundation, transformant les points de distribution en pièges mortels qui ont fait près d’un millier de martyrs et des milliers de blessés en deux mois. Elle a également financé et armé des groupes criminels palestiniens présents à Gaza dans le but de lutter contre la résistance, comme celui dirigé par Abu Shabab, bourreaux avérés de Palestiniens en attente d’aide et auteurs de sabotages au cours des mois précédant l’entrée de quelques-uns des rares camions humanitaires. Face à la stratégie systématique d’anéantissement physique et psychologique mise en œuvre, les factions de la Résistance maintiennent leur présence et leur capacité offensive, faisant continuellement des victimes dans les rangs sionistes. L’intensité des opérations de la Résistance à Gaza, qui ont vu tripler les attaques et les sabotages quotidiens depuis début juin, continue de montrer au monde qu’après deux ans de massacres et de destruction, la Résistance reste forte et ininterrompue.
La mise en œuvre du projet du Grand Israël passe nécessairement par l’élimination des acteurs qui peuvent l’entraver, à commencer par les forces de la Résistance et les gouvernements qui la soutiennent. Aujourd’hui, nous voyons mieux comment la balkanisation de la République arabe syrienne, réduite à une arène où se déroule une guerre civile dramatique et la persécution des minorités ethniques et religieuses, a apporté un énorme avantage à l’entité sioniste. D’une part, le canal d’approvisionnement et l’arrière-pays stratégique de la résistance libanaise et palestinienne ont été coupés, d’autre part, cela a ouvert la voie à l’expansionnisme sioniste et à la construction du « corridor de David », un corridor qui part du sud de la Syrie, traverse les provinces de Sweida et Quneitra et, passant par les zones contrôlées par les forces kurdes soutenues par les États-Unis dans le nord-est de la Syrie, atteint la région du Kurdistan irakien et les frontières avec l’Iran et la Turquie. Un plan qui vise à redessiner les frontières, l’influence et la capacité opérationnelle du sionisme en tant que fer de lance de l’impérialisme américain et occidental au Moyen-Orient. Le chaos actuel voit s’affronter sur le terrain, par l’intermédiaire de leurs représentants locaux, les différentes puissances régionales : les Turcs et les Saoudiens, défenseurs politiques, militaires et financiers du gouvernement actuel de Damas et de l’intégrité territoriale syrienne, et d’autre part les sionistes qui poursuivent la ligne de la balkanisation et du morcellement. Ces derniers, avec le soutien des minorités druzes et les attaques de l’armée israélienne contre des cibles syriennes, visent à étendre encore leur influence. La guerre civile actuelle en Syrie déterminera la faisabilité ou l’impossibilité des nouveaux accords d’Abraham et la normalisation des relations entre l’entité sioniste et les pétromonarchies.
On comprend donc facilement l’agression contre l’Iran, qui, en plus d’être le promoteur de l’Axe de la Résistance, grâce auquel les plans sionistes et américains ont subi de sérieux revers, est également la troisième plus grande réserve de pétrole et contrôle le principal nœud maritime à partir duquel le monde s’approvisionne via les pétromonarchies du golfe Persique. De plus, il est un allié clé des ennemis par excellence de l’Occident, la Russie et la Chine : du point de vue américain, outre le fait de garantir la domination sioniste dans la région, la chute de l’Iran aurait signifié frapper un membre des BRICS, la principale menace économique à l’hégémonie occidentale.
La tentative d’anéantissement rapide de la chaîne de commandement et des capacités offensives iraniennes afin d’ouvrir la voie à une déstabilisation interne s’est heurtée à une incroyable résistance sociale, militaire et politique autour de la défense de l’autodétermination du peuple iranien.
Après les deux premiers jours de frappes, le peuple iranien a réagi par une forte mobilisation nationale qui a rassemblé même les rangs les plus hostiles au gouvernement et a commencé à lancer son arsenal de missiles sur les territoires occupés. La tentative de changement de régime qui voulait exploiter les mobilisations des femmes et des masses iraniennes contre le régime de l’ayatollah et utiliser les Kurdes comme tête de pont a lamentablement échoué.
La riposte iranienne a fait s’effondrer les systèmes défensifs sionistes, réussissant à pénétrer malgré le soutien des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de la Jordanie. Au cours des 12 jours de guerre, l’entité sioniste a vu son économie gelée, des centaines de milliers de citoyens transférés pendant des jours dans des bunkers, le bombardement de la seule raffinerie, des trois ports et du seul aéroport du pays, avec une tentative d’exode massif des colons bloquée de manière désordonnée par le gouvernement. Les dégâts subis ont été tels que la propagande sioniste a tenté de censurer toute information à ce sujet.
L’intervention directe des États-Unis a mis en évidence la faiblesse de l’entité sioniste, incapable d’atteindre ses objectifs contre l’ennemi, et a scellé sa défaite. Le raid éclair des fameux B2 américains sur le site de Fordow dans la nuit du 22 juin, les assurances données ensuite quant à l’absence de nouvelles attaques et la médiation rapide pour un cessez-le-feu officialisé deux jours plus tard ont révélé l’urgence pour Israël d’obtenir un semblant de victoire afin de geler l’escalade et de se mettre à l’abri.
La guerre contre l’Iran a été une défaite pour l’axe américano-sioniste et nous montre la précipitation des conflits internationaux vers la troisième guerre mondiale. La couverture atomique offerte par le Pakistan, les inquiétudes turques sur les plans d’expansion du sionisme ou le soutien caché de la Chine, en plus d’avoir montré un Iran non isolé face à l’agression impérialiste, font ressortir le caractère centrifuge de la guerre de 12 jours avec des escalades possibles à une échelle toujours plus grande. Ce caractère centrifuge, inauguré avec la guerre en Ukraine, est une caractéristique qui tend à se reproduire dans le multipolarisme guerrier, où les conflits locaux prennent un caractère de guerre mondiale en miniature, dans laquelle les grandes puissances s’affrontent constamment. Nous l’avons vu avec les flambées de violence entre l’Inde et le Pakistan et, plus récemment, entre la Thaïlande, historiquement liée à l’Occident, et le Cambodge, qui entretient des liens étroits avec la Chine. Ce caractère se heurte à la capacité des États-Unis et des puissances impérialistes occidentales à maintenir plusieurs fronts ouverts simultanément, en raison de la demande excessive et du coût relatif de la production et de la fourniture d’armements, les obligeant à fermer et à se retirer des fronts, en dernier lieu celui contre l’Iran, dans une optique d’économie des forces à diriger contre l’ennemi principal.*
