Maoist Communist Union — Octobre 2025, USA
0) Introduction
Il est essentiel pour tous les communistes de comprendre la nature du prolétariat en tant que classe. Cependant, cela est plus compliqué qu’il n’y paraît à première vue. La naïveté actuelle autour de la dialectique et le pragmatisme dominant de la gauche américaine — des tendances qui sont assez fortes, il faut l’admettre, même parmi ceux qui se disent marxistes — font qu’une grande confusion règne sur cette question fondamentale. Le coût de cette confusion — qui a miné le mouvement marxiste américain, de diverses manières et avec une intensité variable, depuis ses débuts — est visible dans la stagnation politique et la réaction qui ont marqué ce pays au cours du dernier demi-siècle. Les conditions favorables des années 1960 et 1970 ont été gaspillées, et au cours du long demi-siècle de réaction qui a suivi, pratiquement aucun pas n’a été fait vers la fusion du marxisme et du mouvement ouvrier, fusion qui aboutirait à la création d’un parti communiste, à condition de comprendre que ce parti est lui-même divisé par la lutte des classes et que sa création n’est qu’un point de départ pour un développement ultérieur, en particulier pour gagner à la cause du communisme des sections de plus en plus importantes du mouvement ouvrier. Cependant, pour créer un parti communiste, un parti du prolétariat, les marxistes doivent être clairs sur certains principes fondamentaux. Premièrement, pour mériter le nom de communiste, un tel parti doit rassembler dans ses rangs un nombre suffisant de prolétaires (1), et ces prolétaires doivent être suffisamment développés sur le plan idéologique et théorique pour comprendre non seulement que leur intérêt de classe réside dans l’émancipation du travail par rapport au capital, mais aussi comment mettre en pratique le marxisme dans les conditions concrètes de leur pays spécifique. (2) Deuxièmement, que la formation d’un tel parti n’est qu’un point de départ pour des développements futurs et ne signifie en aucun cas que la majorité du prolétariat a été gagnée au marxisme. Il a fallu vingt ans, deux situations révolutionnaires (1905 et 1917) et une guerre mondiale au Parti social-démocrate russe (plus précisément aux bolcheviks) pour rallier la majorité du prolétariat russe à leur ligne et à la cause de la révolution. Même avec cette longue période de croissance, les choses ont évolué rapidement en 1917, le nombre de membres du parti passant de 12 000 en janvier 1917 à plus de 300 000 en octobre. (3)
La création d’un parti communiste, un parti du prolétariat qui lutte pour ses intérêts de classe réels, nécessite une compréhension claire non seulement de l’existence du prolétariat à l’heure actuelle (et donc de son rôle dans la société bourgeoise), mais aussi de l’essence du prolétariat, en particulier de son intérêt de classe à surmonter la société de classes en tant que telle. Le fait que le prolétariat américain n’existe pas, à l’heure actuelle, en tant que classe ouvertement révolutionnaire se maintenant dans un antagonisme flagrant avec la bourgeoisie conduit de nombreux marxistes en herbe au désespoir. À partir de là, ils commettent généralement l’une des deux erreurs suivantes :
1) Ils confondent l’existence actuelle du prolétariat avec son être (ou du moins posent une relation simple et mécanique entre les deux). (4)
Cette confusion initiale entraîne deux déviations principales. Soit l’intérêt de classe du prolétariat est réduit à la réforme de la république bourgeoise (social-démocratie). Soit on en conclut que la tâche des marxistes consiste à accroître progressivement le mouvement prolétarien (par exemple, plus de grèves, plus de marxistes, etc.), jusqu’à ce que, par la répétition de ces mêmes actions, la quantité fasse magiquement le saut vers la qualité, que la limite du prolétariat en tant que classe parmi d’autres dans la société bourgeoise soit atteinte, et qu’il franchisse ce fossé pour apparaître sur la scène comme une classe révolutionnaire pleinement formée. Cette vision mécanique (alias métaphysique) peut être largement classée comme économisme, dans la mesure où elle postule une accumulation linéaire de forces par simple répétition qui conduirait automatiquement au développement qualitatif de la lutte des classes pour ouvrir l’antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ce cadre limite donc les tâches des communistes à avancer sur cette voie monotone. (5)
Au mieux, cette approche retarde indéfiniment la promotion ouverte de l’idéologie prolétarienne parmi la classe ouvrière, au profit d’un suivisme du libéralisme bourgeois progressiste, dans l’espoir vain que les travailleurs finiront par voir les limites de la capacité de la société bourgeoise à réaliser les promesses de liberté, d’égalité et de fraternité. (6) Pendant ce temps, la machine idéologique de la bourgeoisie, derrière le dos de ces prétendus marxistes (mais sous les yeux de tous), crée sans cesse des boucs émissaires pour son incapacité à réaliser le rêve d’une république indivisible. (7) Peu importe pour l’efficacité de l’idéologie bourgeoise que ces boucs émissaires soient des immigrants ou des pauvres des zones rurales, à condition qu’ils ne soient pas considérés comme des prolétaires et qu’ils ne se considèrent pas eux-mêmes comme tels. (8)
Ces pseudo-marxistes ne voient pas que, dès le départ, les communistes doivent éduquer le prolétariat sur son être et « ce qu’il sera contraint de faire en raison de son être ». En d’autres termes, les communistes ne peuvent à aucun moment confondre l’existence du prolétariat dans la société bourgeoise – en particulier en période de réaction, où les luttes politiques de classe sont rares – avec son être, et doivent au contraire faire tout leur possible pour éduquer le prolétariat sur ses intérêts de classe. Ne pas le faire, c’est manquer à notre responsabilité fondamentale en tant que communistes.
2) La deuxième erreur – qui, comme Lénine l’a noté il y a plus d’un siècle, est complémentaire de la première – consiste à aspirer à la pureté supposée de la révolte prolétarienne. Cela revient à fantasmer sur l’existence d’un prolétariat pur, non contaminé par son existence (son être-là) dans le monde bourgeois. Pour entretenir ces fantasmes, certains se réfèrent à la pureté supposée des révolutions de 1848, de la grande grève ferroviaire de 1877, ou même des révoltes syndicalistes menées par l’IWW. Ces fantasmes vont des slogans abstraits d’« indépendance de classe » (9) au signifiant vide de « l’auto-activité » du prolétariat (10).
Ces fantasmes de pureté « prolétarienne » – un concept logiquement incohérent – ne saisissent pas la nécessité d’une action consciente des communistes pour constituer le prolétariat en tant que classe pour elle-même ; comme Marx et Engels l’ont noté dans Le Manifeste, l’objectif immédiat des communistes est « la formation du prolétariat en classe, le renversement de la suprématie bourgeoise, la conquête du pouvoir politique par le prolétariat ». Cette affirmation n’implique nullement que le prolétariat n’est pas (ou n’était pas encore au moment de la rédaction du Manifeste) une classe sociale, mais plutôt qu’il ne s’était pas constitué en classe politique, en classe pour elle-même. La déviation « de gauche », moins populaire en temps de paix, se manifeste de manière plus agressive à chaque soulèvement politique et mouvement de masse. Elle tire son soutien de l’impétuosité des intellectuels mécontents ainsi que de leur propension à rabaisser la politique au rang de moralisation métaphysique. Tout en s’exaltant comme la rupture la plus radicale avec l’ordre établi, cette approche de la politique conduit toujours à une rechute dans le statu quo dans la mesure où elle est fondamentalement incapable de développer ou de maintenir l’antagonisme du prolétariat avec la bourgeoisie. Les déviations tant à « gauche » qu’à droite ne tiennent pas compte des leçons tirées des luttes prolétariennes du XXe siècle, ni de la manière dont la bourgeoisie a appris et développé sa dictature de classe en réponse à ces luttes passées. La société bourgeoise a changé et les marxistes doivent en faire autant, non pas en révisant nos principes fondamentaux, mais en appliquant le marxisme de manière créative dans notre contexte actuel. Notre contexte est défini non seulement par les succès et les échecs des révolutions passées, mais aussi par les réactions de la bourgeoisie à celles-ci et les adaptations de sa dictature de classe, que Marx appelait la « perfection » de l’appareil d’État bourgeois. Ceux qui ne comprennent pas cela ne comprennent pas non plus l’essence de la bourgeoisie en tant que classe réactionnaire. Ils ne comprennent pas non plus que nous devons comprendre en détail l’existence actuelle du prolétariat dans la société bourgeoise si nous voulons réussir dans nos efforts pour « former le prolétariat en tant que classe ». Comme Lénine l’a noté dans Que faire ?, pour que le prolétariat acquière une conscience de classe, il doit comprendre non seulement ses propres conditions et intérêts de classe, mais aussi ceux de toutes les autres classes, couches et groupes de la société. (11)
Tout cela nous ramène à la question du prolétariat en tant que classe, et à la manière dont il se développe et se maintient en tant que classe antagoniste à la bourgeoisie. Afin que personne ne se méprenne et ne pense qu’il s’agit simplement de maintenir l’antagonisme jusqu’au moment de la révolution, après quoi tout sera automatique, ou du moins plus facile (à condition de trouver la « bonne forme » pour le socialisme), (12) il peut être utile de rappeler ce que Marx a écrit dans Les luttes de classes en France :
« Alors que la lutte entre les différents leaders socialistes présente chacun des soi-disant systèmes comme une adhésion prétentieuse à l’un des points de transition de la révolution sociale par opposition à un autre, le prolétariat se rallie de plus en plus au socialisme révolutionnaire, au communisme, pour lequel la bourgeoisie a elle-même inventé le nom de Blanqui. Ce socialisme est la déclaration de la permanence de la révolution, de la dictature de classe du prolétariat comme étape nécessaire vers l’abolition des distinctions de classe en général, vers l’abolition de toutes les relations de production sur lesquelles elles reposent, vers l’abolition de toutes les relations sociales qui correspondent à ces relations de production, vers la révolution de toutes les idées qui résultent de ces relations sociales. »
Ce sont là les quatre tâches destructrices-constructrices (13) — appelées « les quatre tout » pendant la Grande Révolution culturelle prolétarienne en Chine — que le prolétariat doit accomplir afin de s’abolir lui-même et d’abolir la société de classes dans son ensemble, et ainsi créer le communisme, une société dans laquelle rien de semblable à une classe exploitée ne peut exister. J’aurai l’occasion de revenir sur tout cela à la fin de cet article, mais pour l’instant, il suffit de noter, comme l’a fait Mao, que le communisme n’est ni un état de pacification ni une harmonie céleste dépourvue de contradictions. Il s’agit plutôt du début d’une nouvelle existence sociale pour les humains, dans laquelle la société pourra enfin se développer sous la direction collective consciente de l’humanité, par opposition à la tyrannie brutale et impersonnelle du marché. (14)
1) La question principale
Nous arrivons maintenant à notre question principale, dans toute sa simplicité trompeuse : qu’est-ce que le prolétariat ? Et une réponse — tout aussi simple et donc susceptible d’être mal comprise — est que le prolétariat est la classe qui est à la fois déterminée par la société bourgeoise et qui dépasse, d’une manière unique, sa détermination par la société bourgeoise. Un étudiant avisé en dialectique rétorquera que tout être dépasse toujours sa détermination par le « là » dans lequel il existe. (15)
C’est vrai, mais le prolétariat ne doit pas être compris simplement comme dépassant sa détermination, (16) mais comme dépassant sa détermination, c’est-à-dire comme étant capable d’exister dans la société bourgeoise en antagonisme flagrant avec cette société. Tout cela semble compliqué et confus, mais peut être compris simplement, à condition d’avoir de la patience et de s’intéresser au matérialisme dialectique. En développant sa compréhension de ces points, on peut en apprendre davantage sur la dialectique ainsi que sur la nature du prolétariat. Toute la question repose sur la contradiction entre le prolétariat en tant que classe en soi (qui est toujours pour un autre, en l’occurrence le monde bourgeois) et en tant que classe pour soi. (17)
2) Classe en soi (qui est pour l’autre)
Le prolétariat est déterminé par la société bourgeoise. En tant que classe, le prolétariat est façonné par toutes les façons dont la production, et la société dans son ensemble, sont organisées pour servir la bourgeoisie. Cela est évident dans la mesure où c’est cette classe qui effectue littéralement la grande majorité du travail nécessaire à la reproduction du capitalisme, tout en ne recevant qu’une maigre rémunération, souvent insuffisante pour assurer sa propre reproduction et celle de la prochaine génération de travailleurs. Afin de comprendre la détermination du prolétariat par la société bourgeoise, il est nécessaire d’avoir au moins une compréhension de base des rapports de production, sans pour autant réduire cette détermination aux seuls rapports de production. Les relations de production se divisent en trois parties : 1) Le mode de propriété des moyens de production 2) Le rôle des personnes dans la production et leurs relations mutuelles 3) Le mode de distribution des produits Parmi ces trois parties, le mode de propriété des moyens de production est le plus fondamental et détermine, dans une large mesure, les deux autres parties. Cela est évident dans le contexte spécifique de la société de classes, où la classe dominante qui possède les moyens de production détient un monopole fonctionnel sur le pouvoir décisionnel concernant l’organisation de la production (par exemple, l’emplacement des usines, les relations entre les travailleurs et les dirigeants, etc.) ainsi que la distribution des produits.
En comprenant ces trois éléments des relations de production, nous pouvons mieux voir comment le prolétariat est déterminé par le monde bourgeois. Premièrement, en tant que classe, le prolétariat ne possède aucun moyen de production (contrairement aux capitalistes qui monopolisent la part du lion des moyens de production) et est contraint de vendre sa force de travail sur le marché à ceux qui possèdent les moyens de production. Deuxièmement, le prolétariat effectue généralement un travail manuel, ou un travail intellectuel plus simple, sous la supervision des agents du capital (cadres, patrons, contremaîtres, etc.). Même dans les cas où le prolétariat effectue davantage de travail intellectuel, il n’a pas son mot à dire sur l’organisation globale de la production, qui est mise en place pour servir les intérêts du capital et non ceux du travail. Et pourtant, le prolétariat est plongé dans des processus de travail hautement socialisés. Cela doit être compris à la fois dans le sens d’une industrie à grande échelle, où un grand nombre de travailleurs travaillent ensemble dans la même usine ou le même entrepôt, mais aussi dans le sens de chaînes d’approvisionnement mondialisées qui relient les travailleurs du monde entier dans des chaînes de production internationales unifiées. Troisièmement, le prolétariat, en tant que travailleurs salariés, ne reçoit qu’une maigre partie de la valeur qu’il produit. En général, cela suffit à peine à se reproduire et à reproduire la prochaine génération de travailleurs. Pour les travailleurs des groupes opprimés et des pays opprimés, c’est souvent bien moins que cela. En revanche, les capitalistes récoltent la part du lion de la plus-value produite, tout en en donnant une petite partie à la petite bourgeoisie. Tout cela pourrait être considéré comme une description de la manière dont le prolétariat est déterminé par la contradiction fondamentale de la société capitaliste, à savoir la contradiction entre la nature sociale de la production et la nature privée de l’appropriation. (18)
En tant que classe qui effectue un travail salarié, le prolétariat est libre de vendre sa force de travail contre un salaire ou de mourir de faim. Dans la société bourgeoise, le prolétariat jouit donc généralement d’une liberté et d’une égalité formelles, qui masquent à la fois son inégalité économique et politique ainsi que sa privation matérielle. (19)
Le travail salarié et les distinctions de classe sur lesquelles il repose sont la source fondamentale de cette inégalité. Cependant, le travail salarié est la forme la plus générale d’exploitation et il n’y a donc pas d’émancipation particulière pour le prolétariat. (20)
De plus, le prolétariat est divisé par le monde bourgeois. Ce n’est un secret pour personne que la bourgeoisie tente de maintenir les travailleurs isolés et atomisés, même si elle est contrainte, par les besoins de la production hautement socialisée requise par le capitalisme en général et l’industrie à grande échelle en particulier, de les faire coopérer entre eux au cours du processus de production et de les concentrer dans de grandes usines, des entrepôts et des villes. La bourgeoisie promeut donc aussi ouvertement le nationalisme réactionnaire, le racisme, le nativisme, etc., afin de maintenir le prolétariat divisé et désuni. Le prolétariat est également politiquement subordonné à la bourgeoisie et, en ce qui concerne la société bourgeoise, il n’est qu’une classe sociale parmi tant d’autres. Les travailleurs sont des citoyens de la république bourgeoise, des électeurs, des immigrants, des criminels, etc. Au mieux, les travailleurs peuvent parfois, par la lutte, obtenir une certaine représentation officielle et une certaine place dans la société bourgeoise, par exemple un parti travailliste (ou un parti social-démocrate), à condition que celui-ci ne remette pas en cause la domination du capital (et ne lutte donc pas réellement pour la pleine émancipation du travail). (21)
Certaines réglementations sur les relations appropriées entre le travail et le capital, qui présupposent donc la nécessité de la pérennité du capital. Etc. Les concessions que les travailleurs ont arrachées à la bourgeoisie par la force organisée offrent au prolétariat une place officiellement reconnue dans la société bourgeoise. Cependant, cette place n’est pas celle du prolétariat ; c’est celle que la bourgeoisie a réservée au prolétariat dans sa société. Dans notre situation actuelle aux États-Unis, déterminée par les victoires et les défaites des luttes de classe passées, la bourgeoisie est plus qu’heureuse de dire au prolétariat : « Restez à votre place ! » Nous pouvons traduire cette injonction par : « Restez une classe pour les autres ! » Ou, pour le dire autrement : « Restez subordonnés au capital et ne rêvez pas d’émancipation du travail. »
Bien sûr, comme l’a fait remarquer Mao, là où il y a oppression, il y a résistance, et le prolétariat n’est rien d’autre qu’opprimé par la société bourgeoise. Mais cette résistance, en particulier pendant les longues années de réaction, prend souvent la forme de simples luttes économiques, si tant est qu’elle soit organisée. Luttes pour les salaires, les horaires et les conditions de travail, ainsi que pour le droit de se syndiquer. Ces luttes sont importantes, et les communistes doivent y participer, mais ce ne sont pas encore des luttes dans lesquelles le prolétariat s’affirme en tant que classe. (22)
En d’autres termes, ces luttes sont encore réactives, et les travailleurs qui y participent n’ont généralement pas encore pris conscience de leur classe. Quiconque a participé aux luttes économiques du prolétariat dans ce pays au cours des dernières décennies devrait être bien conscient des faiblesses subjectives du mouvement ouvrier, qui reste encore presque entièrement subordonné idéologiquement à la bourgeoisie. (23)
Comme indiqué ci-dessus, changer cette situation est une tâche urgente et un objectif immédiat des communistes. Cependant, pour changer cette situation, nous devons aider le prolétariat à devenir une classe pour elle-même, à dépasser sa détermination par la société bourgeoise.
3) Classe pour elle-même (en antagonisme ouvert avec la bourgeoisie)
Dans La Sainte Famille, Marx et Engels font clairement la distinction entre l’être du prolétariat et son existence en tant que classe dans la société bourgeoise. Ils le font d’une manière qui clarifie pourquoi le prolétariat, bien qu’il soit une classe parmi d’autres dans la société bourgeoise, est la seule classe révolutionnaire cohérente, dont l’intérêt de classe est de surmonter toute oppression et toute exploitation :
« Puisque dans le prolétariat pleinement formé, l’abstraction de toute l’humanité, même de l’apparence de l’humanité, est pratiquement complète ; puisque les conditions de vie du prolétariat résument toutes les conditions de vie de la société actuelle sous leur forme la plus inhumaine ; puisque l’homme s’est perdu dans le prolétariat, mais qu’en même temps, non seulement il a pris conscience théoriquement de cette perte, mais qu’à travers un besoin urgent, irrépressible, indéniable, absolument impératif – l’expression pratique de la nécessité –, il est poussé directement à se révolter contre cette inhumanité, il s’ensuit que le prolétariat peut et doit s’émanciper. Mais il ne peut s’émanciper sans abolir les conditions de sa propre vie. Il ne peut abolir les conditions de sa propre vie sans abolir toutes les conditions de vie inhumaines de la société actuelle qui se résument dans sa propre situation. Ce n’est pas en vain qu’il passe par l’école sévère mais qui le trempe du travail. Il ne s’agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même l’ensemble du prolétariat, considère actuellement comme son objectif. Il s’agit de ce qu’est le prolétariat et de ce qu’il sera historiquement contraint de faire en fonction de cette existence. Son objectif et son action historique sont visiblement et irrévocablement préfigurés dans sa propre situation de vie ainsi que dans l’ensemble de l’organisation de la société bourgeoise actuelle. »
La difficulté à comprendre la nature révolutionnaire du prolétariat réside dans le fait qu’il doit être compris non seulement en fonction de son être, mais aussi en fonction de son existence (être-là) dans la société bourgeoise. Comme indiqué ci-dessus, étant donné l’empirisme et le pragmatisme qui prévalent dans la gauche américaine, il est trop facile de confondre l’existence actuelle du prolétariat sous la dictature de classe de la bourgeoisie (et les caprices, les idées et même les opinions majoritaires du prolétariat à un moment donné font partie de cette existence) avec l’être du prolétariat en tant que classe. Au lieu de se concentrer sur les opinions actuelles d’une partie du prolétariat ou même de la majorité – dont tout révolutionnaire doit bien sûr tenir compte –, Marx et Engels ont souligné que ces opinions ne déterminaient pas l’être du prolétariat en tant que classe et que, par conséquent, le prolétariat pouvait avoir (et, dans les conditions actuelles de la société bourgeoise, a souvent) des points de vue et des opinions qui contredisent ses intérêts de classe. Cela résulte simplement de la domination idéologique de la bourgeoisie par le biais de sa dictature de classe, et c’est donc la tâche des communistes d’élever la conscience de classe de la classe ouvrière, de lui enseigner la véritable nature de ses intérêts de classe et l’objectif historique de sa classe, qui est d’émanciper le travail du capital et d’abolir la société de classes. Le prolétariat ne peut exister en antagonisme flagrant avec la bourgeoisie – une fois qu’il s’est constitué en classe pour elle-même – qu’en raison de ses intérêts de classe, qui sont évidents au vu de ses conditions de vie. Comme le notent Marx et Engels, les conditions de vie du prolétariat résument « toutes les conditions de vie de la société sous leur forme la plus inhumaine ». Il ne s’agit pas, comme l’affirme à tort Althusser, d’un exemple des prétendues erreurs humanistes des premiers travaux de Marx et Engels. Il s’agit plutôt d’une articulation matérialiste de la dialectique entre l’être du prolétariat et son existence dans la société bourgeoise. Et comme le soulignent Marx et Engels, il n’y a pas d’émancipation particulière possible pour le prolétariat en tant que classe, et donc parce qu’il ne peut y avoir de place politique pour le prolétariat en tant que classe pour elle-même dans la société bourgeoise – puisque son intérêt politique en tant que classe pour elle-même réside dans le dépassement de toute oppression et exploitation, et que celles-ci sont toutes deux constitutives de la société bourgeoise –, l’intérêt de classe du prolétariat est l’émancipation universelle de toutes les masses opprimées et exploitées. En d’autres termes, son intérêt de classe réside dans le dépassement des limites qui lui sont imposées par la société bourgeoise et, ce faisant, dans le dépassement des limites de la société bourgeoise elle-même.
C’est ce qu’expriment les célèbres vers de L’Internationale : « Nous n’avons été rien, nous serons tout ». Ces vers n’affirment pas que le prolétariat n’a pas d’existence, mais qu’il n’a pas d’existence politique dans la société bourgeoise, pas de place pour lui-même en tant que classe (« nous n’avons été rien »). En d’autres termes, il existe dans un état d’exclusion interne à la société bourgeoise en tant que telle. Mais, dans la mesure où il occupe cette place particulière, effectuant la grande majorité du travail nécessaire à la reproduction de la société bourgeoise, mais se voyant refuser toute place pour son existence politique propre, il est capable de devenir tout, capable de mener les masses opprimées et exploitées dans le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie. (24)
Par conséquent, le type particulier d’organisation, le parti prolétarien, doit être capable de mener toutes ces luttes dans une perspective prolétarienne. Tout cela signifie littéralement que le prolétariat se constitue en tant que force organisée capable de guider consciemment son propre développement, et finalement le développement de la société dans son ensemble, à condition qu’il comprenne les circonstances objectives dans lesquelles il se trouve. (25)
C’est la correction que Mao a apportée à Hegel lorsqu’il a noté que « la liberté est la connaissance de la nécessité et la transformation de la nécessité ». (26)
Cependant, il y a encore un grand pas (ou une série de pas) à franchir entre le fait de devenir une classe pour elle-même – un état que l’on peut raisonnablement dire atteint par le mouvement prolétarien dès lors que des centaines ou des milliers de travailleurs conscients de leur classe sont organisés en un parti communiste (27) – et le fait de mener la révolution. Nous devons donc être clairs sur le fait qu’une fois que le prolétariat s’est constitué en classe pour elle-même, il doit passer par un processus long et compliqué pour se maintenir dans un antagonisme ouvert avec la bourgeoisie jusqu’au moment de la révolution, et au-delà. Le prolétariat doit donc non seulement dépasser sa détermination par le monde bourgeois, mais aussi en venir à déterminer la détermination, à transformer la réalité une fois qu’il s’est constitué en sujet collectif conscient de sa classe. De plus, même une fois que le prolétariat s’est constitué en classe pour elle-même, il reste influencé par son existence continue dans le monde bourgeois. Le problème de l’influence de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise dans les rangs du prolétariat ne se résout pas simplement par la formation d’un parti communiste. Au contraire, à chaque étape, il existe au sein d’un tel parti une base interne pour les déviations tant « gauchistes » que droitières, et donc pour les revers et les défaites. Ainsi, un parti communiste doit mener une lutte interne incessante contre l’idéologie bourgeoise dans ses propres rangs afin d’approfondir son idéologie prolétarienne, sa discipline et son caractère général. Ces luttes ne visent pas tant à expulser les opportunistes du parti – bien que les expulsions soient parfois nécessaires – qu’à lutter, comme le disait Lénine, « pour les principes fondamentaux du marxisme et afin de purger la social-démocratie [le marxisme] de la souillure du libéralisme et de l’anarchisme ». (28)
Tout cela est assez simple, dans la mesure où le parti prolétarien n’attire dans ses rangs pas des prolétaires « purs », mais ceux qui existent dans la société bourgeoise. Cette question a été succinctement résumée par le Bureau régional sud-ouest du CPI (maoïste) dans son programme de formation des cadres : « Nous disons que nous sommes communistes, mais nous sommes nés et avons été élevés avec les valeurs des classes dominantes. Lorsque nous adhérons au Parti, ces idées ne disparaissent pas d’elles-mêmes. De plus, nous vivons dans une société où ces valeurs féodales et bourgeoises sont omniprésentes et ont naturellement un impact sur nous. Dans une telle situation, il est nécessaire de lutter sans relâche pour nous transformer. Certaines de nos valeurs erronées sont profondément ancrées dans notre subconscient et reposent sur un certain nombre d’insécurités. […] Même si nous pouvons les réprimer dans certaines conditions, elles s’affirment de manière plus agressive dans d’autres conditions. » (29)
En bref, même après s’être constitué en classe pour elle-même, le prolétariat doit encore mener non seulement une lutte externe contre la bourgeoisie, mais aussi une lutte interne contre la détermination continue de la société bourgeoise. Il s’agit de savoir comment le parti prolétarien peut se maintenir, en tant que porteur organisé de la politique prolétarienne, et donc en tant que classe pour elle-même dans une société soumise à la dictature de classe d’une bourgeoisie qui agit également comme une classe pour elle-même.
Cela concerne la question de l’antagonisme de classe et la base interne au sein des rangs du prolétariat pour le maintenir (et ne pas capituler ou dégénérer politiquement). Bien sûr, cette question ne se réduit pas à la lutte des individus pour intérioriser l’idéologie prolétarienne et combattre les idées oppressives. Elle concerne plutôt la capacité du parti prolétarien à se développer continuellement en attirant dans ses rangs des éléments prolétariens avancés (30) et en se purifiant des éléments et idéologies bourgeois et autres non prolétariens (31).
Un élément essentiel de cela est la capacité du parti à tirer les leçons non seulement de la théorie marxiste, mais aussi de ses succès et de ses échecs à différents niveaux. L’histoire a montré que les partis qui perdent leur capacité de réflexion autocritique (qui ne se réduit pas à leurs ressources internes, mais dépend aussi de leur capacité à solliciter les réactions des masses en dehors de leurs rangs) dégénèrent rapidement.
4) Le parti prolétarien
Afin de comprendre comment le prolétariat peut se constituer en classe pour soi et maintenir une existence en antagonisme ouvert avec la bourgeoisie (dépassant ainsi sa détermination par le monde bourgeois), il peut être utile de se référer à l’histoire du mouvement marxiste russe. Lénine a écrit Que faire ? à une époque où le mouvement avait environ 20 ans d’expérience à son actif. Cependant, malgré une histoire riche et malgré avoir mené quelques grèves importantes, le Parti social-démocrate russe n’existait pratiquement pas et ne fonctionnait pas comme un parti. Après son premier congrès, la majorité de ses délégués ont été arrêtés. Il n’y avait pas de centre organisationnel stable, pas d’organe central proprement dit (jusqu’à ce que Lénine et d’autres fondent Iskra et Zarya, et même alors, ceux-ci n’étaient pas les organes officiels du parti à l’époque), et aucune capacité à fonctionner comme une organisation unifiée, surtout compte tenu des divisions idéologiques au sein de ses rangs. En lisant Que faire ?, on ne peut s’empêcher d’être frappé par les défis objectifs auxquels le mouvement était confronté à l’époque. Les difficultés liées à la publication, les défis liés aux manifestations ouvertes, le danger constant d’être arrêté, etc. C’est dans ces circonstances que Lénine s’est efforcé de rassembler les cercles relativement disparates en Russie pour former un véritable parti prolétarien. Cependant, il ne s’agissait pas simplement de combiner ce qui existait déjà pour créer un parti. La tâche principale n’était pas non plus de surmonter les défis objectifs liés à l’organisation d’un parti prolétarien dans des conditions d’absolutisme. Il fallait plutôt mener une série de luttes acharnées et intenses sur des questions fondamentales du marxisme, qui finirent par diviser le camp de l’Iskra lui-même et conduisirent à la scission entre bolcheviks et mencheviks lors du deuxième congrès. En d’autres termes, s’il était nécessaire d’unifier organisationnellement les cercles existants en Russie, cela devait se faire sur la base d’une véritable unité idéologique autour du marxisme. Pour forger cette unité, il fallait une division (par la lutte idéologique) au sein même des rangs de ceux qui se disaient marxistes. D’abord entre les courants économiste et Iskra, puis, avec la scission bolchevique/menchevique, au sein même du camp Iskra. (32)
Tout cela était une condition préalable nécessaire non pas pour unifier ce qui existait déjà (des cercles disparates ayant quelques liens avec les travailleurs), mais plutôt pour forger quelque chose de nouveau : un parti prolétarien d’un type nouveau.
Si les écrits de Lénine à l’approche du deuxième congrès concernaient la situation particulière de la Russie – une situation particulière qui diffère considérablement de la nôtre aux États-Unis à bien des égards –, ils contiennent des enseignements généraux inestimables qui aident à clarifier la nature du prolétariat et la manière dont il peut se constituer en classe pour elle-même à travers la formation d’un parti bolchevisé. Dans ses écrits de cette période, on peut voir à quel point il était nécessaire de régler les questions politiques, idéologiques et organisationnelles entourant le fonctionnement du parti du prolétariat. L’enjeu n’était pas principalement une question de forme, mais d’être du prolétariat en tant que classe, et de la manière dont, sur la base de cet être, le parti devait être organisé compte tenu de l’antagonisme qui opposait le prolétariat à l’État tsariste. En bref, Lénine se préoccupait de ce que les marxistes devaient faire pour amener le prolétariat à exister en tant que classe pour elle-même, en antagonisme ouvert avec la classe dominante, puis pour développer et maintenir cet antagonisme jusqu’au point de la révolution. Le génie de Que faire ? réside dans la capacité de Lénine à clarifier de manière concise la manière dont le POSDR devait s’organiser – dans les circonstances objectives difficiles en Russie (absolutisme, police secrète quasi omniprésente, déportations de révolutionnaires, etc.) – afin d’être capable de développer la conscience de classe du prolétariat. Contre les tendances dominantes qui consistaient à s’incliner devant la spontanéité (sous ses formes économiste et terroriste), il a montré qu’une tâche essentielle du Parti était d’expliquer concrètement aux travailleurs la véritable nature de leurs intérêts de classe et de faciliter ainsi leur action collective en tant que classe pour avancer vers la révolution. C’est pour cette raison qu’il a souligné que « la conscience socialiste des masses laborieuses » est « la seule base qui puisse garantir notre victoire ».
Lénine en a déduit que ce qu’il fallait, ce n’était pas une organisation simplement capable de mener la « lutte quotidienne monotone » – même si le Parti devait bien sûr être capable de mener les luttes économiques des travailleurs –, mais une organisation capable de répondre, dans une perspective clairement prolétarienne, à toutes les injustices et à tous les abus de la société. Et dans la mesure où nous parlons d’un parti du prolétariat, une tâche centrale consiste à éduquer les travailleurs afin qu’ils comprennent toutes les questions de la société dans une perspective clairement ouvrière : « La question se pose : en quoi doit consister l’éducation politique ? Peut-elle se limiter à la propagande de l’hostilité de la classe ouvrière envers l’autocratie ? Bien sûr que non. Il ne suffit pas d’expliquer aux travailleurs qu’ils sont politiquement opprimés (pas plus qu’il ne suffit de leur expliquer que leurs intérêts sont antagonistes à ceux des employeurs). L’agitation doit être menée en tenant compte de chaque exemple concret de cette oppression (comme nous avons commencé à mener l’agitation autour d’exemples concrets d’oppression économique). Dans la mesure où cette oppression touche les classes les plus diverses de la société, dans la mesure où elle se manifeste dans les sphères les plus variées de la vie et de l’activité — professionnelle, civique, personnelle, familiale, religieuse, scientifique, etc. —, n’est-il pas évident que nous ne remplirons pas notre tâche de développement de la conscience politique des travailleurs si nous n’entreprenons pas l’organisation de la dénonciation politique de l’autocratie sous tous ses aspects ? Pour mener une agitation autour d’exemples concrets d’oppression, ces exemples doivent être dénoncés (tout comme il est nécessaire de dénoncer les abus dans les usines pour mener une agitation économique). «
Comme Lénine l’a souligné à maintes reprises, pour élever la conscience de classe, il est tout à fait insuffisant de réduire la portée du travail du Parti à la direction de la lutte économique ou à l’éducation des travailleurs sur les outrages qu’ils subissent sur leur lieu de travail. Comme il l’a dit, « ceux qui concentrent l’attention, l’observation et la conscience de la classe ouvrière exclusivement, ou même principalement, sur elle-même ne sont pas des sociaux-démocrates [marxistes] ». Cette déclaration, dans sa simplicité et sa profondeur, clarifie que la classe ouvrière, pour être consciente de sa classe, doit se préoccuper de la transformation révolutionnaire de toute la société bourgeoise, et pas seulement de ses propres conditions immédiates d’exploitation et d’oppression. C’est pour cette raison que le prolétariat est la classe avancée et que la révolution prolétarienne est, à proprement parler, quelque chose d’universel, puisqu’elle concerne l’ensemble de la société. (33)
Par conséquent, les travailleurs doivent être éduqués par leur parti – d’où l’importance centrale de ses organes de propagande – afin de comprendre tout ce qui se passe dans la société et de le faire dans une perspective clairement prolétarienne. Comme l’a noté Kautsky (cité par Lénine dans Que faire ?), « la conscience socialiste moderne ne peut naître que sur la base de connaissances scientifiques approfondies ». (34)
Kautsky note à juste titre que cela signifie que les idées communistes ne naissent pas directement de la lutte des classes elle-même, mais doivent être introduites de l’extérieur. Cette introduction de l’extérieur est un élément essentiel de la fusion entre le marxisme et le mouvement ouvrier, nécessaire à la fondation d’un parti communiste. Lénine a poussé l’idée de Kautsky un peu plus loin et souligne que, si le prolétariat est le plus réceptif aux idées communistes (en raison de son existence en tant que classe et de sa situation particulière sous la domination de la classe bourgeoise), les travailleurs conscients de leur classe sont préparés par le Parti non seulement à gagner et à diriger les autres travailleurs, mais aussi toutes les autres classes et couches opprimées de la société dans la lutte révolutionnaire. (35)
Cependant, pour diriger les autres éléments progressistes de la société, le prolétariat doit diriger en tant que classe avancée, c’est-à-dire qu’il doit diriger dans une perspective clairement prolétarienne et ne pas suivre idéologiquement les autres classes. Il doit comprendre leurs modes de vie distincts ainsi que leurs problèmes, leurs préoccupations, leurs espoirs, leurs aspirations et leurs illusions. Et sur la base de cette compréhension concrète, il doit être capable de former des alliances et de gagner, section par section, d’autres éléments de la société à soutenir la révolution prolétarienne.
Cela est particulièrement important car les masses non prolétariennes sont particulièrement sensibles à l’idéologie bourgeoise et aux compromis visant à résoudre partiellement leurs problèmes particuliers dans le cadre de la société bourgeoise. Nous pouvons le constater aujourd’hui dans la manière dont de nombreux mouvements progressistes, voire radicaux, de différentes couches de la société restent largement subordonnés idéologiquement à la bourgeoisie, proposant des revendications partielles qui restent dans le cadre du monde bourgeois (ou, au « mieux », prennent un caractère utopique radicalement petit-bourgeois). Et si le parti prolétarien doit former des fronts unis avec diverses organisations et couches de la société qui ne sont pas unies à la politique communiste – la politique qui a pour but l’émancipation du travail par rapport au capital –, ces fronts unis doivent être des fronts de lutte qui visent à gagner divers groupes, couches et, en fin de compte, même d’autres classes progressistes à suivre la direction idéologique et politique du prolétariat dans la révolution socialiste.
5) Nous ne voulons que la terre
Le fait que le prolétariat dépasse la détermination que lui impose la société bourgeoise et soit capable de se maintenir dans un antagonisme flagrant avec le monde bourgeois ne signifie pas simplement que le prolétariat est la classe avancée qui mènera la révolution. Comme le souligne le Manifeste communiste, « la formation du prolétariat en classe, le renversement de la suprématie bourgeoise, la conquête du pouvoir politique par le prolétariat » ne sont que les objectifs immédiats des communistes. Le but ultime du prolétariat est l’émancipation du travail par rapport au capital. Comme l’a dit Marx dans le préambule des Règles de la Première Internationale : « L’émancipation économique des classes ouvrières est donc le grand but auquel tout mouvement politique doit se subordonner comme moyen. » (36)
Par conséquent, après la révolution, le prolétariat, afin de poursuivre le long et difficile chemin vers le communisme, doit se fixer comme objectif rien de moins que la révolution totale de l’ensemble de la société. Cela permet de mieux comprendre pourquoi le prolétariat doit se préoccuper de tous les aspects de la société, de toutes les formes d’oppression et d’exploitation dans la société, et pas seulement de celles dont il est victime de la part des capitalistes et de leur gouvernement. C’est pourquoi, dans la citation ci-dessus tirée de La Sainte Famille, Marx et Engels ont noté que le prolétariat « ne peut s’émanciper sans abolir les conditions de sa propre vie », mais que pour ce faire, il doit également abolir « toutes les conditions de vie inhumaines de la société actuelle ».
Cela nous ramène à la citation ci-dessus tirée de Les luttes de classes en France : « Alors que la lutte entre les différents dirigeants socialistes présente chacun des soi-disant systèmes comme une adhésion prétentieuse à l’un des points de transition de la révolution sociale par opposition à un autre, le prolétariat se rallie de plus en plus au socialisme révolutionnaire, au communisme, pour lequel la bourgeoisie a elle-même inventé le nom de Blanqui. Ce socialisme est la déclaration de la permanence de la révolution, de la dictature de classe du prolétariat comme étape nécessaire vers l’abolition des distinctions de classe en général, vers l’abolition de toutes les relations de production sur lesquelles elles reposent, vers l’abolition de toutes les relations sociales qui correspondent à ces relations de production, vers la révolution de toutes les idées qui résultent de ces relations sociales. »
Comme indiqué dans l’introduction, ces principes étaient appelés « les quatre tout » dans la Chine socialiste. Avant le coup d’État de Deng Xiaoping en 1976, qui a donné naissance à des milliardaires et à des centaines de millions de travailleurs migrants en Chine, les quatre tout étaient ouvertement reconnus comme les tâches du prolétariat sous le socialisme afin d’effectuer la transition vers le communisme : Une société sans État et sans classes, qui marque le début d’un nouveau chapitre de l’histoire humaine, un chapitre dans lequel les humains travaillent consciemment ensemble pour décider collectivement de l’orientation du développement de la société afin de répondre aux besoins de tous. Il va sans dire qu’une telle transformation totale de la société nécessite un effort méthodique à tous les niveaux. Et, comme indiqué ci-dessus, elle implique à la fois la création du nouveau et la destruction de l’ancien. De nouvelles relations de production voient le jour et les anciennes sont détruites. Les anciennes idées, comme le racisme, cessent d’exister et sont remplacées par les idées communistes de solidarité internationaliste. Mais tout cela nécessite une lutte consciente et est loin d’être automatique. Les défaites des révolutions du XXe siècle montrent que notre victoire n’est en aucun cas inévitable. Tout comme avant la révolution, les déviations et les revers sont des dangers constants. Par conséquent, comme l’a noté Lénine dans Un grand commencement, il incombe au parti du prolétariat d’accorder la plus grande attention et de soutenir avec beaucoup d’efforts ce qui émerge de l’ancien. Parlant des subbotniks communistes (le travail bénévole effectué pendant leurs jours de congé que les travailleurs ont commencé pendant la guerre civile russe pour aider la révolution), il a déclaré : « Nous ne sommes cependant pas des utopistes et nous connaissons la valeur réelle des « arguments » bourgeois ; nous savons également que pendant un certain temps après la révolution, les traces de l’ancienne éthique prédomineront inévitablement sur les jeunes pousses du nouveau. Lorsque le nouveau vient de naître, l’ancien reste toujours plus fort que lui pendant un certain temps ; c’est toujours le cas dans la nature et dans la vie sociale. Se moquer de la faiblesse des jeunes pousses du nouvel ordre, le scepticisme bon marché des intellectuels et autres – ce sont là, pour l’essentiel, des méthodes de lutte de classe bourgeoise contre le prolétariat, une défense du capitalisme contre le socialisme. Nous devons étudier attentivement les nouvelles pousses fragiles, nous devons leur accorder la plus grande attention, tout faire pour favoriser leur croissance et les « nourrir ». Certaines d’entre elles périront inévitablement. Nous ne pouvons garantir que les « subbotniks communistes » joueront précisément un rôle particulièrement important. Mais là n’est pas la question. L’important est de favoriser chaque pousse de la nouvelle éthique ; et la vie sélectionnera les plus viables. Si le scientifique japonais, afin d’aider l’humanité à vaincre la syphilis, a eu la patience de tester six cent cinq préparations avant de mettre au point la six cent sixième qui répondait à des exigences précises, alors ceux qui veulent résoudre un problème plus difficile, à savoir vaincre le capitalisme, doivent avoir la persévérance d’essayer des centaines et des milliers de nouvelles méthodes, de nouveaux moyens et de nouvelles armes de lutte afin d’élaborer les plus appropriés. » (37)
Pendant la période socialiste en Russie et en Chine, d’innombrables nouveautés socialistes, comme on les appelait en Chine, ont été créées. Elles comprenaient tout, des subbotniks communistes aux nouvelles techniques de production, en passant par les nouvelles formes de solidarité entre les travailleurs de différentes nationalités, la garde collective des enfants pour commencer à libérer les femmes de la double oppression du patriarcat, et bien d’autres choses encore. Il s’agissait là des pas vers le communisme qui ont été faits après la victoire des révolutions prolétariennes en Russie et en Chine. C’étaient des pas modestes, comparés à ceux qui suivront, mais ils constituent un riche héritage qui doit être étudié et popularisé par les communistes d’aujourd’hui. Les nouveautés socialistes, bien qu’elles n’existent plus aujourd’hui, montrent aux gens ce que le prolétariat a été capable de faire lorsqu’il est devenu la classe dominante, et constituent ainsi une grande source d’inspiration pour la classe ouvrière d’aujourd’hui. Tout cela continue de témoigner de ce dont le prolétariat est capable et de ce qu’il sera contraint de faire à nouveau, en raison de son existence même. C’est une arme puissante contre le nihilisme des idéologues bourgeois déclarés, qui affirment, à la manière ecclésiastique, qu’« il n’y a rien de nouveau sous le soleil », et contre ceux qui trompent les travailleurs en leur disant que le but du prolétariat est d’obtenir sa « juste part ». Pour conclure, il peut être utile de citer la célèbre chanson de James Connolly
We Only Want the Earth :
Le « fakir du travail », plein de ruse,
Prêche sans cesse une doctrine ignoble,
Et tandis qu’il saigne les rangs,
Il enseigne une modération docile.
Mais malgré tout, nous verrons le jour
Où, l’épée à la ceinture,
Les travailleurs marcheront en ordre de bataille
Pour réaliser leur propre rêve, la terre.
Note
1) Lénine a souligné à plusieurs reprises au Mouvement communiste international que ce qui est suffisant à cet égard est déterminé par la situation spécifique du pays en question : « J’ai déjà parlé trop longtemps ; je voudrais donc dire quelques mots seulement sur la notion de « masses ». C’est une notion qui change en fonction de l’évolution de la nature de la lutte. Au début de la lutte, il suffisait de quelques milliers d’ouvriers véritablement révolutionnaires pour parler des masses. Si le parti parvient à attirer dans la lutte non seulement ses propres membres, mais aussi des personnes non affiliées au parti, il est en bonne voie pour gagner les masses. Au cours de nos révolutions, il est arrivé que plusieurs milliers d’ouvriers représentent les masses. Dans l’histoire de notre mouvement et de notre lutte contre les mencheviks, vous trouverez de nombreux exemples où plusieurs milliers d’ouvriers dans une ville suffisaient à donner un caractère clairement massif au mouvement. On parle de masse lorsque plusieurs milliers d’ouvriers non affiliés à un parti, qui mènent généralement une vie philistine et une existence misérable, et qui n’ont jamais entendu parler de politique, commencent à agir de manière révolutionnaire. Si le mouvement s’étend et s’intensifie, il se transforme progressivement en une véritable révolution. Nous l’avons vu en 1905 et en 1917 lors de trois révolutions, et vous devrez vous aussi passer par là. Lorsque la révolution a été suffisamment préparée, le concept de « masses » prend un sens différent : plusieurs milliers de travailleurs ne constituent plus les masses. Ce mot commence à désigner autre chose. Le concept de « masses » subit un changement de sorte qu’il implique la majorité, et pas simplement la majorité des travailleurs, mais la majorité de tous les exploités. Toute autre interprétation est inadmissible pour un révolutionnaire, et tout autre sens du mot devient incompréhensible. » V.I. Lénine, « Discours en défense de la tactique de l’Internationale communiste », 1er juillet 1921. Œuvres complètes de Lénine, volume 32, p. 476. https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1921/jun/12.htm De plus, un parti prolétarien accueillera inévitablement dans ses rangs un certain nombre de membres issus de classes non prolétariennes. Cependant, comme l’ont fait remarquer Marx et Engels, ceux qui appartiennent aux classes éduquées doivent être réellement éduqués et non pas simplement formés aux dogmes et aux préjugés dominants dans les universités. De plus, ils ont souligné que « lorsque de telles personnes issues d’autres classes rejoignent le mouvement prolétarien, la première exigence à leur égard doit être qu’elles n’apportent avec elles aucun vestige de préjugés bourgeois, petits-bourgeois, etc., mais qu’elles renoncent irrévocablement assimiler le point de vue prolétarien. » https://www.marxists.org/archive/marx/works/1879/09/17.htm
2) À condition d’avoir une compréhension élémentaire de la dialectique de l’être et de l’existence, il est clair que le marxisme n’a pas d’existence en dehors de la pratique, dont le nom est l’application créative dans la lutte des classes. Séparer la théorie de sa pratique revient à commettre l’erreur de tous les philosophes précédents contre laquelle Marx a mis en garde dans ses Thèses sur Feuerbach. Aucune discussion sur la « pratique théorique » ou les « villes rebelles » ne peut changer cela. Pour mieux comprendre la dialectique de l’être et de l’existence, il est utile de lire Marx. Par exemple, dans Critique de la philosophie du droit de Hegel, il note : « L’être-pour-soi des affaires publiques en tant qu’universel empirique doit avoir une existence [ein Dasein]. Hegel ne cherche pas une actualisation adéquate de l’être-pour-soi des affaires publiques, mais se contente de trouver un existant empirique qui peut être dissous dans cette catégorie logique. » Pour Hegel, cet existant empirique est, bien sûr, l’État. Pour un autre exemple de cette dialectique dans les écrits de Marx, cf. sa discussion sur la valeur d’usage et la valeur, en particulier dans la première partie de Contribution à la critique de l’économie politique. Il convient de noter qu’à ce stade de son travail, Marx n’avait pas encore établi de distinction rigoureuse entre la valeur et la valeur d’échange, comme il le fera plus tard dans Le Capital.
3) Une situation similaire s’est produite dans les soviets en 1917, l’influence des bolcheviks s’étant rapidement accrue entre le premier Congrès panrusse des soviets à la fin du mois de mars et la révolution d’octobre. Cf. l’analyse de Charles Bettelheim dans Class Struggles in the USSR, First Period: 1917-1923, p. 73-79. Il est particulièrement important de noter qu’il écrit : « Entre février et octobre 1917, le mouvement soviétique était essentiellement prolétarien. Il l’était tout d’abord dans sa base sociale, puis, de plus en plus, parce que les soviets ouvriers adoptaient des positions révolutionnaires prolétariennes. Alors que les SR et les mencheviks perdaient leur crédibilité en collaborant avec la bourgeoisie et en soutenant la poursuite de la guerre impérialiste, l’influence des bolcheviks grandissait dans les soviets ouvriers. »
4) Dialectical materialism holds that while particular things exist in a complex relation with other things in a given situation, these things are not reducible to their existence in the given situation. A particular thing is not reducible to how it appears or exists (the two amount to the same thing, once we discard the idealist axiom that makes the transcendental subject the condition of possibility of appearing as such). It is possible, through the power of abstraction to grasp the being of a thing, apart from the particular circumstance in which it exists. As Lenin noted in his Conspectus of Hegel’s The Science of Logic: “The abstraction of matter, of a law of nature, the abstraction of value, etc., in short, all scientific (correct, serious, not absurd) abstractions reflect nature more deeply, truly and completely.” V.I. Lenin, “Conspectus of Hegel’s The Science of Logic”, Lenin Collected Works, Volume 38. Tout cela est abordé plus en détail ci-dessous.
5) Il convient de noter que, pour saisir la véritable nature de la déviation économiste, il ne faut pas la traiter de manière caricaturale. Lénine a mis en garde contre cela à maintes reprises dans Que faire ? En fait, certaines des formes les plus insidieuses d’économisme sont souvent les plus dangereuses. Elles ne prônent pas l’abandon total de la propagande politique parmi la classe ouvrière, mais favorisent plutôt une conception mécanique de l’évolution de la lutte prolétarienne. Cette conception mécanique conduit ces économistes, à chaque tournant et malgré leurs intentions déclarées contraires, à subordonner la lutte prolétarienne à l’idéologie bourgeoise. Nous devons aujourd’hui nous prémunir contre ces déviations subtiles et nous en tenir à la leçon fondamentale de Lénine : le prolétariat ne peut se développer en tant que classe pour elle-même qu’en prenant de plus en plus conscience de son antagonisme fondamental avec la société bourgeoise en tant que telle, ce qui ne peut jamais se produire simplement par des luttes économiques ou même politiques, mais nécessite le travail méthodique des communistes pour former le prolétariat à comprendre tous les aspects de la société bourgeoise dans une perspective clairement prolétarienne.
6) Ceux qui adoptent cette approche ne comprennent pas le sens des paroles de l’Internationale : « Nous ne voulons pas de sauveurs condescendants ». Il faut également noter qu’une partie importante de ceux qui se disent marxistes aux États-Unis n’aspirent même pas à dépasser les idéaux de la révolution bourgeoise et n’ont pas compris, dans un sens significatif, la différence qualitative entre les idéaux de la révolution prolétarienne et l’humanisme bourgeois.
7) Un rêve, il faut bien l’admettre, qui a autant de sens que le cercle carré ou l’ensemble de tous les ensembles. En d’autres termes, pour ceux qui partagent le préjugé culturel (aussi ridicule qu’omniprésent) contre l’apprentissage des mathématiques de base, cela n’a pas plus de sens que « l’État libre du peuple » du Programme de Gotha.
8) C’est pourquoi, dans Le Manifeste communiste, Marx et Engels ont souligné que les prolétaires n’ont pas de patrie. Il ne s’agissait pas de nier le caractère national de certains mouvements, ni la nécessité d’une révolution spécifique à chaque pays. En effet, les lignes suivantes soulignent précisément cette nécessité : « Puisque le prolétariat doit d’abord acquérir la suprématie politique, doit s’élever pour devenir la classe dirigeante de la nation, doit se constituer lui-même en nation, il est jusqu’à présent lui-même national, mais pas au sens bourgeois du terme. » C’est là une leçon essentielle du marxisme : en tant que tel, le prolétariat est une classe internationale, et ses intérêts de classe concernent donc le monde entier, et pas seulement une lutte particulière pour la révolution dans un pays donné.
9) Il est impératif que la classe ouvrière se constitue en classe pour elle-même et acquière ainsi son indépendance de classe par rapport à la bourgeoisie. Cette critique ne doit donc pas être comprise comme un déni de cette nécessité, mais plutôt comme une critique de ceux qui réduisent cette nécessité à une généralité abstraite dépourvue de contenu concret, ainsi que de ceux qui tentent de remplir cette généralité d’un contenu qui n’évalue pas correctement les leçons des deux derniers siècles de lutte de classe prolétarienne. Cette riche expérience nous a appris, à nous marxistes, qu’il n’est pas simple de maintenir le prolétariat en tant que classe pour elle-même, en antagonisme ouvert avec la bourgeoisie. Cela nécessite beaucoup d’organisation, de coordination et de créativité. La bourgeoisie a tiré les leçons des deux derniers siècles de lutte des classes ; elle n’a cessé d’adapter la forme de sa dictature de classe en conséquence. Il va sans dire que nous ne pouvons guère nous qualifier de marxistes si nous n’étudions pas avec beaucoup de diligence l’histoire afin d’appliquer les leçons de la lutte des classes à notre situation actuelle.
10) Dans leurs formes les plus flagrantes, celles-ci équivalent à des rêveries hallucinatoires d’un prolétariat qui est déjà une force révolutionnaire en antagonisme ouvert avec la bourgeoisie. Pour soutenir cette thèse malgré toutes les preuves empiriques, certains fétichisent les activités violentes du lumpenprolétariat, voyant dans leur petite délinquance une opposition prétendument révolutionnaire au monde bourgeois. Peu importe que l’existence sociale des lumpen repose sur l’exploitation du peuple et que leur criminalité soit à la fois soutenue et réprimée par la bourgeoisie (après tout, la bourgeoisie utilise les lumpen pour contrôler les masses populaires et aussi pour justifier davantage de maintien de l’ordre et de répression). Cette déviation est particulièrement évidente, par exemple, dans l’œuvre de J. Sakai, qu’il qualifie à tort de maoïsme.
11) « La conscience ouvrière ne peut être une véritable conscience politique que si les travailleurs sont formés à réagir à tous les cas de tyrannie, d’oppression, de violence et d’abus, quelle que soit la classe touchée — et surtout s’ils sont formés à réagir d’un point de vue social-démocrate et d’aucun autre. La conscience des masses ouvrières ne peut être une véritable conscience de classe que si les travailleurs apprennent, à partir de faits et d’événements politiques concrets et surtout d’actualité, à observer toutes les autres classes sociales dans toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, éthique et politique ; qu’ils apprennent à appliquer dans la pratique l’analyse matérialiste et l’évaluation matérialiste de tous les aspects de la vie et de l’activité de toutes les classes, couches et groupes de la population. Ceux qui concentrent l’attention, l’observation et la conscience de la classe ouvrière exclusivement, ou même principalement, sur elle-même ne sont pas des sociaux-démocrates ; car la connaissance de soi de la classe ouvrière est indissolublement liée, non seulement à une compréhension théorique parfaitement claire — ou plutôt, non pas tant à la compréhension théorique qu’à la compréhension pratique — des relations entre toutes les différentes classes de la société moderne, acquise par l’expérience de la vie politique. C’est pourquoi la conception de la lutte économique comme moyen le plus largement applicable pour attirer les masses dans le mouvement politique, que prônent nos économistes, est si extrêmement nuisible et réactionnaire dans sa signification pratique. Pour devenir social-démocrate, l’ouvrier doit avoir une image claire dans son esprit de la nature économique et des caractéristiques sociales et politiques du propriétaire foncier et du prêtre, du haut fonctionnaire et du paysan, de l’étudiant et du vagabond ; il doit connaître leurs points forts et leurs points faibles ; il doit saisir le sens de tous les mots d’ordre et sophismes par lesquels chaque classe et chaque couche sociale camoufle ses aspirations égoïstes et son véritable « fonctionnement interne » ; il doit comprendre quels intérêts sont reflétés par certaines institutions et certaines lois, et comment ils le sont. Mais cette « image claire » ne peut être obtenue à partir d’aucun livre. Elle ne peut être obtenue qu’à partir d’exemples vivants et de révélations qui suivent de près ce qui se passe autour de nous à un moment donné ; ce qui est discuté, peut-être à voix basse, par chacun à sa manière ; ce qui s’exprime dans tels ou tels événements, dans telles ou telles statistiques, dans tels ou tels jugements, etc. Ces révélations politiques exhaustives sont une condition essentielle et fondamentale pour former les masses à l’activité révolutionnaire. » V.I. Lénine, « Que faire ? », Œuvres complètes de Lénine, volume 5. https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1901/witbd/iii.htm
12) Le fait que l’obsession pour la forme, dépourvue de contenu, ait préoccupé une grande partie des cercles marxistes américains témoigne simplement de l’omniprésence de l’idéologie anticommuniste dans ce pays. Le principe fondamental qui régit toute cette dialectique, à savoir la primauté du contenu sur la forme, a été oublié ou du moins relégué au second plan, pour être commodément cité en cas de besoin, mais jamais appliqué dans l’analyse réelle. Si la forme a un impact sur le contenu, elle en découle. Par conséquent, toute tentative de garantir le succès du socialisme par la seule forme (par exemple, le « socialisme sans État », l’obtention de la « bonne structure » des conseils ouvriers, etc.) ne tient pas compte du fait que la forme du socialisme doit être dictée par le contenu de la lutte des classes, qui est extrêmement complexe, car la société socialiste génère spontanément de nouveaux éléments bourgeois. Il va sans dire que cette même fixation sur la forme au détriment (et souvent même à l’encontre) du contenu nuit de la même manière à l’organisation sous le capitalisme. Il est important de se souvenir des remarques de Lénine sur les formes de l’État dans L’État et la révolution : « Les États bourgeois sont très variés dans leur forme, mais leur essence est la même : tous ces États, quelle que soit leur forme, sont en dernière analyse inévitablement la dictature de la bourgeoisie. La transition du capitalisme au communisme donnera certainement lieu à une abondance et à une variété considérables de formes politiques, mais l’essence sera inévitablement la même : la dictature du prolétariat. »
13) Il s’agit, dans le sens le plus général, de la contradiction entre l’ancien et le nouveau qui se joue sous le socialisme sous la direction consciente du prolétariat. Elle implique la destruction méthodique de la société bourgeoise et son remplacement progressif par la société communiste. Comme Lénine l’a noté dans Un grand commencement, cette tâche du prolétariat « ne peut être accomplie par des actes isolés de ferveur héroïque ; elle exige l’héroïsme le plus prolongé, le plus persistant et le plus difficile des masses dans un travail quotidien et ordinaire ». https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1919/jun/19.htm
14) “Communism will last for thousands and thousands of years. I don’t believe that there will be no qualitative changes under communism, that it will not be divided into stages by qualitative changes! I don’t believe it! Quantity changes into quality, and quality changes into quantity. I don’t believe that it can remain qualitatively exactly the same, unchanging for millions of years! This is unthinkable in the light of dialectics. Then there is the principle, ‘From each according to his ability, to each according to his needs’. Do you believe they can carry on for a million years with the same economics? Have you thought about it? If that were so, we wouldn’t need economists, or in any case we could get along with just one textbook, and dialectics would be dead.” Mao, “Talk On Questions Of Philosophy,” August 18, 1964. Mao Selected Works, Volume 9. https://www.marxists.org/reference/archive/mao/selected-works/volume-9/mswv9_27.htm
15) Le lecteur particulièrement perspicace aura déjà compris que la réponse à cette réprimande se trouve dans l’indication donnée dans la note de bas de page n° 2.
16) Dans ce sens plus large, toute chose particulière est toujours plus que ce qu’elle est à un moment donné. Il s’agit moins de son potentiel à être autre chose que de la manière dont chaque chose particulière possède différentes propriétés qui s’expriment à des degrés divers dans différentes situations. C’est une expérience banale et quotidienne pour tout le monde. À mesure que nous évoluons dans différents contextes sociaux, différentes parties de nous-mêmes sont plus ou moins visibles, apparaissent/existent à des degrés divers. C’est pourquoi certaines de nos faiblesses ressortent davantage auprès de certaines personnes, et nos forces auprès d’autres. C’est un fantasme de l’individualisme bourgeois, qui n’a aucun fondement ontologique ou phénoménologique, que de supposer qu’un individu peut apparaître de la même manière dans toutes les situations (par exemple, « le vrai moi »). Il est assez dangereux de considérer cela comme la norme permettant de mesurer « l’authenticité ». Pour clarifier davantage ce point, prenons un exemple tiré du monde de l’art. La Fontaine de Duchamp, l’urinoir qu’il a signé « R. Mutt 1917 » et présenté à l’exposition inaugurale de la Society of Independent Artists à New York en 1917. Qu’est-ce qui a fait de cet urinoir un objet d’art ? La signature, elle-même un jeu de mots sur le nom de la société qui a fabriqué l’urinoir ? Le fait de placer l’urinoir à l’envers ? Les intentions de Duchamp en tant qu’artiste ? L’emplacement de l’œuvre dans l’exposition ? L’intervention spécifique à la situation que Duchamp espérait mener à bien dans le monde de l’art ? Duchamp situait la transformation d’objets ordinaires en œuvres d’art dans « l’acte de choix de l’artiste », mais d’un point de vue matérialiste (et non idéaliste subjectif), c’est à la fois l’être de l’œuvre et son être-là (son existence) dans le monde de l’art au moment de sa création qui transforment l’urinoir en objet d’art. En bref, la nature même de ce qui constitue l’art est un processus dialectique complexe de développement (lutte) visant à donner une forme à ce qui, dans le monde de l’art, était auparavant informe. Quelle que soit la manière dont on évalue le mérite artistique et politique de Duchamp, du dadaïsme ou du surréalisme, il est clair que cette œuvre cherchait à élucider, même si c’était d’un point de vue quelque peu idéaliste, la dialectique de l’être et de l’existence. Les tendances dominantes dans le monde de l’art postmoderne cherchent à effacer cette dialectique, à nier toute connaissance possible de l’être en soi et, par conséquent, à réduire l’art à sa simple existence dans une structure d’apparence donnée (par exemple, un musée, le point de vue de quelqu’un, etc.). Cette tentative moralisatrice du postmodernisme d’empêcher l’être en soi d’accéder à la connaissance ne devrait pas surprendre, compte tenu de son kantisme parfois latent, parfois flagrant.
17) Hegel discute très clairement de la contradiction entre l’être en soi et l’être pour soi, à condition de pouvoir le diviser comme l’a fait Marx. Dans La science de la logique, vers la fin du livre I, section I (peu avant qu’il ne passe de la qualité à la quantité) : « Cette répulsion mutuelle est l’être déterminé posé des multiples ; ce n’est pas leur être-pour-soi, car selon cela, ils ne seraient différenciés en tant que multiples que dans un tiers, mais c’est leur propre différenciation qui les préserve. Ils se nient réciproquement, se posent mutuellement comme étant seulement pour un. Mais en même temps, ils nient également cet être seulement pour un ; ils repoussent cette idéalité et sont. Ainsi, les moments qui, dans l’idéalité, sont absolument unis, sont séparés. L’un est, dans son être-pour-soi, également pour un, mais cet un pour lequel il est est son propre soi ; sa différenciation d’elle-même est immédiatement sublatée. Mais dans la pluralité, l’un différencié a un être ; l’être-pour-un tel qu’il est déterminé dans l’exclusion est, par conséquent, un être-pour-autre. Chacun est ainsi repoussé par un autre, est sublimé et transformé en ce qui n’est pas pour lui-même mais pour-un, et cet autre. » Hegel, La science de la logique, § 351
18) Il convient de noter que si la contradiction fondamentale se situe au niveau de la base économique, dans la mesure où elle est fondamentale, elle détermine le développement de toutes les autres contradictions dans la société, y compris celles de la superstructure.
19) C’est là l’essence même du droit bourgeois – une égalité formelle masquant une inégalité réelle – qui, comme l’a fait remarquer Marx, ne peut être éliminé immédiatement après la révolution socialiste, mais doit plutôt être progressivement restreint et surmonté au cours de la longue lutte pour parvenir au communisme. Le droit bourgeois et sa restriction progressive sous le socialisme ont été un sujet majeur de discussion et de lutte pendant la Révolution culturelle en Chine. Le marxiste suédois Jan Myrdal a rendu compte de certaines de ces discussions lors de sa visite en 1975 au village de Liu Lin en Chine : « L’objectif des politiques économiques en Chine a toujours été celui exprimé par Mao dans ses mots « servir le peuple ». Le débat n’a jamais opposé ceux qui veulent que les gens « vivent bien » et ceux qui veulent qu’ils « se passent de tout ». Les grands débats sur les investissements et l’importance accordée aux travaux d’installation à Liu Lin il y a sept ou huit ans ont conduit à des décisions qui ont permis la création d’écoles et de services de santé, ainsi que de nouvelles maisons et, d’ailleurs, de vélos privés. « Dans ce contexte, un nouveau débat national a été lancé en Chine. Un débat qui, à sa manière, a été aussi omniprésent que les grands débats de la Révolution culturelle. C’est Mao Zedong qui l’a initié ; il a abordé les questions qui sont au cœur de ces politiques. Qu’en est-il réellement de l’égalité sous le socialisme ? « Il s’agit bien sûr d’une question théorique. Marx a écrit à ce sujet, tout comme Lénine. Pour cette raison, la question de savoir ce que signifie l’égalité sous le socialisme n’est pas abstraite. Il est vrai qu’il n’y a pas, et qu’il ne peut y avoir, d’égalité sous le socialisme. Sous le socialisme, chacun est rémunéré en fonction de son travail et non de ses besoins. La Chine est un pays socialiste, un pays du tiers monde en voie de développement socialiste, et il faudra sans doute beaucoup de temps avant que l’économie chinoise permette matériellement de satisfaire tous les besoins de ses citoyens. L’inégalité persistera donc encore longtemps. C’est une situation dangereuse et très grave. Car dans ces circonstances, il naît chaque jour des individus et des groupes qui se voient bénéficier d’avantages matériels découlant de ce manque d’égalité et qui chercheront donc à les préserver, à en faire des privilèges. « Nous pouvons voir comment, en Union soviétique, ce groupe privilégié a progressivement formé une nouvelle classe et a finalement instauré une nouvelle domination de classe, fondée sur le contrôle total des moyens de production et protégée par une force de police fortement développée. C’est pourquoi la cinquième équipe de travail de la brigade de production de Liu Lin reste éveillée jusque tard dans la nuit du 2 juillet pour discuter des droits bourgeois sous le socialisme. » Jan Myrdal, « On Equality », 30 juillet 1975, China Notebook: 1975-1978. p. 19-20.
20) En d’autres termes, le prolétariat ne peut se libérer en tant que classe sans briser toutes les chaînes et libérer tous les peuples opprimés. Ce point est approfondi dans la sous-section suivante.
21) Cela ne signifie bien sûr pas que les communistes doivent s’opposer à la formation d’un parti travailliste. Cela ne signifie pas non plus que les communistes doivent éviter de s’impliquer dans un tel parti lorsqu’il est formé. Cela souligne plutôt les limites idéologiques et politiques inhérentes à un tel parti sous la dictature de la bourgeoisie, et donc la nécessité d’un autre type de parti pour que le prolétariat puisse se maintenir dans un antagonisme flagrant avec la bourgeoisie.
22) « Tout mouvement dans lequel la classe ouvrière s’oppose en tant que classe aux classes dominantes et tente de les contraindre par une pression extérieure est un mouvement politique. Par exemple, la tentative, dans une usine particulière ou même dans une industrie particulière, d’imposer aux capitalistes une journée de travail plus courte par des grèves, etc., est un mouvement purement économique. En revanche, le mouvement visant à imposer une loi sur la journée de huit heures, etc., est un mouvement politique. Et c’est ainsi que, à partir des mouvements économiques distincts des travailleurs, se développe partout un mouvement politique, c’est-à-dire un mouvement de classe, dont l’objectif est de réaliser ses intérêts sous une forme générale, sous une forme possédant une force de contrainte sociale générale… Lorsque la classe ouvrière n’est pas encore suffisamment avancée dans son organisation pour mener une campagne décisive contre le pouvoir collectif, c’est-à-dire le pouvoir politique des classes dominantes, elle doit en tout cas être formée à cela par une agitation continue et une attitude hostile à l’égard de la politique des classes dominantes. » Karl Marx. https://www.marxists.org/archive/marx/works/1871/letters/71_11_23.htm
23) Cela se voit non seulement dans l’absence de luttes politiques prolétariennes aux États-Unis, mais aussi dans le fait que les luttes économiques n’impliquent pratiquement aucune section organisée de travailleurs (même au sein des syndicats) luttant ouvertement pour l’émancipation du travail par rapport au capital.
24) En ce sens, lorsque le prolétariat se constitue en classe pour elle-même, il est capable d’arracher les autres classes de la société à leur subordination idéologique et politique à la bourgeoisie. Il est donc possible de former un front uni, sous la direction du prolétariat, dans lequel les différentes classes et couches progressistes de la société ne sont plus « pour l’autre » de la bourgeoisie (et ne formulent donc plus leurs revendications progressistes en termes essentiellement bourgeois), mais sont plutôt « pour l’autre » du prolétariat. C’est là le noyau matérialiste de ce que Hegel appelle « l’unité de la répulsion et de l’attraction en général » lorsqu’il discute de ce qu’il appelle « l’Un unique », qui est un nouvel « Un » qui émerge au sein de l’ancien Un et qui est capable d’organiser le multiple autour de lui tout en repoussant (purifiant) de lui-même la détermination par l’autre-un. À condition de nous en tenir à l’axiome matérialiste selon lequel il n’y a personne qui ne se divise en deux, il est assez facile de diviser Hegel ici aussi. c.f La Science de la logique, § 358-360
25) Cela ne doit pas être compris d’une manière idéaliste subjective. Même lorsqu’il est organisé en un parti conscient de sa classe, le prolétariat ne fait pas l’histoire comme il l’entend. Comme l’a dit Charles Bettelheim : « La participation du parti révolutionnaire au mouvement de l’histoire lui permet, dans certaines circonstances bien définies, d’influencer le cours de ce mouvement en veillant à ce que les changements dont le mouvement est potentiellement porteur se produisent effectivement. C’est là le sens de l’intervention du parti révolutionnaire dans le processus historique auquel il participe, une intervention qui peut prendre diverses formes, mais qui n’est efficace (c’est-à-dire qui produit les effets escomptés) que dans la mesure où le parti révolutionnaire s’oriente correctement au milieu des contradictions et aide les masses à agir sur celles-ci grâce à une ligne suffisamment correcte, fondée sur le mouvement réel et tenant compte de ses potentialités. « Les conditions d’une intervention efficace du parti révolutionnaire dans le processus historique sont extrêmement variables, mais ce n’est que lorsqu’elles ont été appréciées que le parti joue réellement un rôle de premier plan dans le processus objectif qui détermine les changements, bien que le facteur dominant dans ce processus soit l’intervention du parti. « Le rôle dirigeant du Parti bolchevique résultait de la manière dont il s’était inséré dans le mouvement de l’histoire, de ses relations avec les forces sociales dont les actions étaient décisives, et de sa capacité à les guider sur la base d’une analyse marxiste des contradictions. Ce rôle s’est manifesté de manière frappante au moment du bouleversement révolutionnaire provoqué par les journées d’octobre 1917, mais aussi, même si cela est moins évident au premier abord, dans le travail quotidien du parti. C’est là le travail fondamental d’un parti révolutionnaire, qui consiste à aider les masses à s’organiser et à transformer, par leur propre pratique, leur conscience de leur capacité d’action, ainsi qu’à découvrir les formes que cette action doit prendre. » Charles Bettelheim, Luttes de classes en URSS, première période : 1917-1923, p. 61-62.
26) Il est intéressant de noter que Mao critique également Staline pour des erreurs similaires. Par exemple, dans sa Critique de l’ouvrage de Staline « Problèmes économiques du socialisme en URSS », Mao cite la déclaration de Staline selon laquelle « Si l’on fait abstraction des processus astronomiques, géologiques et autres processus similaires, sur lesquels l’homme n’a vraiment aucune influence, même s’il en connaît les lois de développement… », et le réprimande en affirmant : « Cet argument est erroné. La connaissance humaine et la capacité à transformer la nature n’ont pas de limites. Staline n’a pas considéré ces questions sous l’angle du développement. Ce qui ne peut être fait aujourd’hui pourra peut-être l’être à l’avenir. » https://www.marxists.org/reference/archive/mao/selected-works/volume-8/mswv8_66.htm
27) Comme le montre la citation ci-dessus de Lénine sur la question de la définition des masses, il s’agit là d’une question spécifique à chaque situation. Cependant, il convient également de noter que dans Que faire ?, Lénine affirmait que même lorsque les marxistes russes ont mené la grève de 40 000 personnes à Saint-Pétersbourg en 1896, la lutte n’était pas encore suffisamment consciente de la classe. Par conséquent, il ne faut pas confondre la direction marxiste des luttes ouvrières, même des grands mouvements de grève, avec le type de fusion nécessaire pour que le prolétariat existe et se maintienne en tant que classe pour elle-même. Ce n’est là qu’une condition préalable importante.
28) Lénine, « La situation dans le parti », Œuvres complètes de Lénine, volume 17. https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1910/dec/15b.htm. Dans ce texte et dans d’autres, Lénine utilise les termes « social-démocratie » et « marxisme » de manière interchangeable. Cependant, il s’opposera plus tard à cette utilisation. Par exemple, dans L’État et la révolution, il cite un texte d’Engels datant de 1894, dans lequel ce dernier note que le terme « social-démocrate » peut « passer » pour le parti, mais qu’il est « inexact ». Dans Les tâches du prolétariat dans la révolution actuelle (les Thèses d’avril), Lénine note : « Au lieu de « social-démocratie », dont les dirigeants officiels à travers le monde ont trahi le socialisme et ont déserté vers la bourgeoisie (les « défensistes » et les « kautskystes » vacillants), nous devons nous appeler le Parti communiste. » V.I. Lénine, « Les tâches du prolétariat dans la révolution actuelle ». Œuvres complètes de Lénine, volume 24. https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1917/apr/04.htm.
29) Bureau régional sud-ouest du CPI (maoïste), programme de formation au leadership, cité dans Jan Myrdal, Red Star Over India: As the Wretched of the Earth Are Rising. Impressions, Reflections and Preliminary Inferences (Delhi : Archana Das et Subrata Das, 2012), pp. 115-116.
30) La question est encore plus complexe si l’on considère les arguments avancés par Mao dans Quelques questions concernant les méthodes de direction, à savoir qu’à tous les niveaux, le Parti doit intégrer dans les organes dirigeants de la lutte des classes les éléments avancés issus des masses, et que ces organes dirigeants doivent être continuellement renouvelés, car certains éléments (y compris les cadres du Parti) qui participent efficacement à une lutte (ou à une série de luttes) auront inévitablement du mal à jouer un rôle similaire dans une lutte future : « Un groupe dirigeant véritablement uni et lié aux masses ne peut se former que progressivement, dans le cadre du processus de lutte des masses, et non en dehors de celui-ci. Dans le cadre d’une grande lutte, la composition du groupe dirigeant ne doit et ne peut, dans la plupart des cas, rester entièrement inchangée tout au long des phases initiale, intermédiaire et finale ; les militants qui se distinguent au cours de la lutte doivent être constamment promus pour remplacer les membres originaux du groupe dirigeant qui sont moins compétents ou qui ont dégénéré. L’une des raisons fondamentales pour lesquelles le travail dans de nombreux endroits et de nombreuses organisations ne peut être mené à bien est l’absence d’un groupe dirigeant uni, lié aux masses et constamment maintenu en bonne santé. » Mao, « Quelques questions concernant les méthodes de direction », Œuvres choisies de Mao, volume 3. https://www.marxists.org/reference/archive/mao/selected-works/volume-3/mswv3_13.htm
31) Il est frappant de constater que, pour autant que l’on puisse diviser Hegel, il est remarquablement clair sur la dialectique qui sous-tend le développement de l’antagonisme. Par exemple, au § 369 de La science de la logique, il écrit : « De plus, cette présupposition des deux déterminations l’une pour l’autre signifie que chacune contient l’autre comme un moment en elle-même. La présupposition en tant que telle est la position de l’un en tant que négatif de lui-même – la répulsion ; et ce qui y est présupposé est identique à ce qui présuppose – l’attraction. Le fait que chacun ne soit en soi qu’un moment, est la transition de chacun hors de lui-même vers l’autre, la négation de soi de chacun en soi et la position de soi de chacun comme son propre autre. L’un en tant que tel est donc une sortie de soi, il n’est que la mise en place de soi-même comme son propre autre, comme plusieurs ; et les plusieurs, de même, ne sont que cela, s’effondrer en eux-mêmes et se mettre en place comme leur autre, comme un, et dans cet acte même, n’être liés qu’à leur propre moi, chacun se prolongeant dans son autre. Ainsi, il y a déjà présente en principe (an sich) l’indivisibilité de la sortie de soi (répulsion) et de la mise en place de soi comme un (attraction). Mais dans la répulsion et l’attraction relatives, qui présupposent des existants immédiats et déterminés, il est posé que chacun est en soi-même cette négation de soi et est donc aussi la continuité de soi dans son autre. La répulsion des existants déterminés est l’autoconservation de l’un par la répulsion mutuelle des autres, de sorte que (1) les autres sont niés en lui – c’est le côté de son être déterminé ou de son être-pour-autrui ; mais c’est donc l’attraction comme idéalité des uns ; et (2) l’un est en lui-même, sans relation avec les autres ; mais non seulement l’être-en-soi en tant que tel est depuis longtemps passé à l’être-pour-soi, mais l’un en soi, par sa détermination, est le devenir susmentionné de plusieurs unités. L’attraction des unités existant de manière déterminée est leur idéalité et la positation de l’unité, dans laquelle, en conséquence, l’attraction en tant que négation et génération de l’unité se sublate elle-même, et en tant que position de l’unité est en elle-même la négation d’elle-même, la répulsion. » Bien sûr, Hegel subordonne toujours en fin de compte son matérialisme local à l’idéalisme de sa machinerie globale.
32) Ceux qui connaissent l’histoire de la création de l’Iskra savent que des divergences fondamentales opposaient Lénine et Plekhanov dès le début. Cf. Lénine, « Comment l’étincelle a failli s’éteindre », Œuvres complètes de Lénine, volume 4. https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1900/sep/spark.htm
33) Comme Lénine l’a fait remarquer, il ne faisait que développer les leçons qu’il avait tirées de Marx. « La tâche fondamentale de la tactique prolétarienne a été définie par Marx en stricte conformité avec les principes généraux de sa conception matérialiste-dialectique. Seule une description objective de l’ensemble des relations mutuelles entre toutes les classes d’une société donnée, sans exception, et par conséquent une description du stade objectif de développement de cette société ainsi que des relations mutuelles entre celle-ci et d’autres sociétés, peuvent servir de base à la tactique correcte de la classe qui forme l’avant-garde. » Lénine, Œuvres complètes, vol. XX, partie I. « Enseignements de Karl Marx », p. 42-43.
34) https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1901/witbd/ii.htm
35) C’était un thème que Lénine avait constamment souligné avant même Que faire ?, par exemple dans sa brochure de 1897, Les tâches des sociaux-démocrates russes, dans laquelle il déclare : « Notre travail s’adresse avant tout et principalement aux ouvriers des usines, aux travailleurs urbains. La social-démocratie russe ne doit pas disperser ses forces ; elle doit concentrer ses activités sur le prolétariat industriel, qui est le plus réceptif aux idées social-démocrates, le plus développé intellectuellement et politiquement, et le plus important en raison de son nombre et de sa concentration dans les grands centres politiques du pays. La création d’une organisation révolutionnaire durable parmi les ouvriers urbains et d’usine est donc la première et la plus urgente des tâches auxquelles est confrontée la social-démocratie, une tâche dont il serait très imprudent de nous détourner à l’heure actuelle. Mais, tout en reconnaissant la nécessité de concentrer nos forces sur les ouvriers d’usine et en nous opposant à la dispersion de nos forces, nous ne voulons nullement suggérer que les sociaux-démocrates russes devraient ignorer les autres couches du prolétariat et de la classe ouvrière russes. Il n’en est rien. Les conditions de vie mêmes des ouvriers d’usine russes les obligent très souvent à entrer en relation étroite avec les artisans, le prolétariat industriel dispersé en dehors des usines dans les villes et les villages, et dont les conditions sont infiniment pires. L’ouvrier d’usine russe entre également en contact direct avec la population rurale (très souvent, la famille de l’ouvrier d’usine vit à la campagne) et, par conséquent, il ne peut que nouer des contacts étroits avec le prolétariat rural, avec les millions d’ouvriers agricoles permanents et de journaliers, ainsi qu’avec les paysans ruinés qui, tout en s’accrochant à leurs misérables parcelles de terre, doivent rembourser leurs dettes et accepter toutes sortes de « petits boulots », c’est-à-dire qui sont également des travailleurs salariés. Les sociaux-démocrates russes jugent inopportun d’envoyer leurs forces parmi les artisans et les ouvriers agricoles, mais ils n’ont nullement l’intention de les ignorer ; ils s’efforceront d’éclairer les ouvriers avancés sur les questions qui touchent la vie des artisans et des ouvriers agricoles, afin que, lorsque ces ouvriers entreront en contact avec les couches les plus arriérées du prolétariat, ils leur inculquent les idées de la lutte des classes, du socialisme et des tâches politiques de la démocratie russe en général et du prolétariat russe en particulier. Il n’est pas pratique d’envoyer des agitateurs parmi les artisans et les ouvriers agricoles alors qu’il y a encore tant à faire parmi les ouvriers d’usine et les ouvriers urbains, mais dans de nombreux cas, le travailleur socialiste entre bon gré mal gré en contact avec ces personnes et doit être capable de tirer parti de ces occasions et de comprendre les tâches générales de la social-démocratie en Russie. Par conséquent, ceux qui accusent les sociaux-démocrates russes d’être étroits d’esprit, d’essayer d’ignorer la masse de la population laborieuse au profit des ouvriers d’usine, se trompent profondément. Au contraire, l’agitation parmi les sections avancées du prolétariat est le moyen le plus sûr et le seul de mobiliser (à mesure que le mouvement s’étend) l’ensemble du prolétariat russe. La diffusion du socialisme et de l’idée de la lutte des classes parmi les ouvriers urbains entraînera inévitablement la propagation de ces idées dans des canaux plus petits et plus dispersés. Cela exige que ces idées s’enracinent plus profondément parmi les éléments les mieux préparés et se répandent dans l’avant-garde du mouvement ouvrier russe et de la révolution russe. » Lénine, « Les tâches des sociaux-démocrates russes », Œuvres complètes de Lénine, volume 2. https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1897/dec/31b.htm
36) https://www.international-communist-party.org/BasicTexts/English/IWMA.htm Dans le préambule, Marx note également qu’il s’agit en fin de compte d’une tâche internationale : « l’émancipation du travail n’est ni un problème local ni un problème national, mais un problème social qui concerne tous les pays où existe la société moderne ».
37) Vladimir Lénine, « Un grand début : l’héroïsme des travailleurs à l’arrière », Œuvres complètes de Lénine, volume 29, pp. 408-34. https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1919/jun/19.htm
