supernova N.6 2024
Les termes souverainisme et populisme sont souvent utilisés comme des synonymes, pourtant ils sous-tendent des idéologies diverses. Ces “mots-valises” sont utilisés en des sens contraires tantôt pour “célébrer” la phase politique actuelle tantôt pour la dénoncer ou la décrier.
Ce qui devrait nous amener à distinguer les deux termes, ce sont les contenus (et résultats) politiques différents de ces expériences, de ces mouvements et des partis qui sont parfois arrivés au sommet de l’État précisément sur la vague du binôme populisme-souverainisme.
A travers la définition du souverainisme, il est sous-tendu la récupération, la défense ou la réaffirmation de la souveraineté nationale par rapport aux sphères et aux liens supranationaux. Il est désormais possible de trouver des résultats très différents dans le panorama des mouvements qui se réfèrent à cette définition.
Par exemple, le précédent gouvernement Trump a effectivement tenu nombre de ses promesses mais rappelons également que les États-Unis ont passé des accords et des pactes supranationaux (du Partenariat transpacifique à l’accord sur le nucléaire iranien, en passant par l’accord de Paris sur le climat et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU).
Cette tendance ne peut être attribuée à un isolationnisme pur et simple, mais plutôt à une reprise d’un plan bilatéral ou du moins plus circonscrit, qui est devenu plus fonctionnel pour l’impérialisme américain, aux prises avec un affaiblissement relatif par rapport à la dimension multilatérale précédente. Il n’en reste pas moins que le virage de Trump (qui a ensuite conditionné une grande partie de la nouvelle scène politique européenne) concernant les formes et les modes de poursuite de l’intérêt national est un fait.
Il en va de même pour le Brexit du gouvernement britannique.
Les mêmes élans souverainistes se retrouvent au sein des différentes formations politiques françaises (production nationale et producteurs locaux… un slogan qui rassemble tout le monde…). Ils ne remettent pas pour autant en cause le rôle que la France doit jouer dans la contestation internationale : la bataille de l’hégémonie pour la » tête » en Europe, le rôle de la France en Afrique, etc.
Le souverainisme est donc un mot qui, si l’on veut dépasser son usage idéologique, ne peut échapper à la concrétisation dans la phase historique spécifique actuelle : un marché et une organisation du travail internationaux caractérisés par un prolétariat de plus en plus multinational. Le terme populisme est souvent utilisé de manière générique pour désigner des mouvements de protestation socialement et politiquement diversifiés.
Si l’on veut définir le populisme actuel avec une nécessaire dose d’approximation, on peut le définir comme une réaction à des forces politiques qui se présentent comme « techniques » et « impersonnelles « 1.
Le populisme se réfère comme à un « désir » de participation pour « compter pour quelque chose ». Ce désir de « participation » a été et est caractéristique des mouvements de masse réactionnaires.
La « participation » a joué un rôle central dans la montée du fascisme et du nazisme. Le nazisme, plus encore que le fascisme, a promu une « autogestion » du « peuple allemand”, de la vie sociale à la vie militaire. Celle-ci était encouragée à tous les niveaux, ce qui permettait même aux petites unités (de l’armée allemande dans la 2° guerre mondiale) d’avoir leur propre « autonomie » et leur propre champ d’action, quelque chose d’inadmissible et d’impossible parmi les grandes armées de la Seconde Guerre mondiale2.
Aujourd’hui, nous avons une série de mouvements populistes et souverainistes, qui dans certains cas deviennent des forces populistes, avec des bases de masse, qui luttent pour devenir ou sont déjà des forces gouvernementales. Une fois au gouvernement, ces forces deviennent « réalistes », comme ce fut le cas de la gauche parlementaire (Syriza en Grèce, Podemos en Espagne) ou des forces alternatives (Parti des 5 étoiles en Italie).
Il existe également des mouvements de protestation, plus ou moins dirigés par le principal État impérialiste (les États-Unis) et son chien de guerre, l’OTAN, qui se sont transformés en soulèvements populaires et en véritables coups d’État, comme dans le cas des soi-disant “révolutions colorées” qui ont balayé certains pays d’Europe de l’Est. Il n’est pas nécessaire d’avoir une théorie de la conspiration, les mouvements de protestation naissent toujours de contradictions sociales et politiques réelles, mais ils ne sont jamais « neutres ». Ce n’est pas un hasard si les principaux pays impérialistes, comme dans le cas français, applaudissent ces mouvements (révolutions colorées) et les soutiennent militairement. Lorsque nous parlons de soutien militaire, nous devons considérer non seulement l’envoi direct d’armes et d’argent, mais aussi le bataillon idéologique par le biais de la construction de consensus, la « solidarité » par le biais d’ONG et la présence massive d’instructeurs militaires…
Le binôme souverainisme-populisme continue à nourrir les aspirations et à soigner les effets de ces dynamiques sans s’attaquer au “nœud” des classes et trouve donc dans la condition salariale la principale contradiction.
Le malaise social qui a donné un élan politique et électoral au populisme est en grande partie un phénomène vaste et incisif d’appauvrissement et d’affaiblissement contractuel du travail salarié par rapport au capital.
Les projets de la gauche réformiste sont inefficaces, tout en conservant intact leur rôle de forces opportunistes liées à l’aristocratie ouvrière et aux classes moyennes dé-classifiées.
À l’heure actuelle, une nouvelle forme potentielle de populisme semble se confirmer sur le front intérieur, sous la forme du maintien des positions de la petite-bourgeoisie généralisée et d’une nouvelle érosion de l’épargne et des salaires des travailleurs, les seuls parmi les pays de l’OCDE à avoir baissé au cours des trente dernières années. Cela confirme le pacte entre le grand capital non réformiste et la petite bourgeoisie sur le dos de la seule classe productrice de plus-value.
Depuis 1980 environ, par exemple, la productivité des travailleurs américains3 a doublé, mais les salaires des travailleurs de la production et des non-cadres ont stagné. Les résultats des gains de productivité n’ont pratiquement profité qu’aux investisseurs et aux propriétaires.
La politique fiscale adoptée au cours des dernières décennies dans les pays économiquement avancés, y compris aux États-Unis, a de plus en plus profité aux plus aisés.
Les années de ce que l’on appelle la mondialisation ont combiné les opportunités offertes au capital par une phase d’expansion et de maturation du mode de production capitaliste à l’échelle mondiale avec la diminution de la capacité de lutte et de résistance de la force de travail. Les profits ont gagné du terrain sur les salaires encore plus effrontément que dans d’autres moments historiques de la société capitaliste.
Ce sont également des années au cours desquelles le scénario politique des différents capitalismes a été façonné par ces relations de classe marquées et déséquilibrées.
Ce furent donc les années du dogme libéral, de la gauche « renouvelée » et « moderne » : elle a abondamment fourni du personnel politique, des idéologies axées précisément pour ces politiques d’accentuation de la position de pouvoir, y compris fiscal, des profits et de la bourgeoisie.
Il n’est guère surprenant que, lorsque les contradictions de cette phase se sont manifestées à l’échelle sociale, la « nouvelle » gauche et l’école libérale aient dû céder la place au phénomène des populismes. La force des populismes réside dans le passé trompeur des chantres de la soi-disant mondialisation.
S’attaquer réellement, même si c’est dans un sens réformiste et dans le cadre de la conservation capitaliste, aux effets des contradictions qui ont mûri dans le cycle précédent, c’est remettre en cause les conditions de la surpuissance du capital sur le travail, c’est s’attaquer à la question salariale.
De ce point de vue, la tare congénitale du populisme apparaît.
Populisme et classe s’excluent mutuellement. Là où il y a l’un, il n’y a pas l’autre, puisque le concept scientifique de classe prend de la place à l’idéologie du « peuple”. Il y a une grande différence entre le populisme et les masses populaires. Par le terme « masses populaires », nous désignons le camp de ceux qui, dans cette société, n’appartiennent pas au camp de la bourgeoisie impérialiste, c’est-à-dire cette étroite couche de la population qui ne vit qu’en spéculant sur le travail des autres et qu’en fonction de la valorisation de son capital. Les masses populaires comprennent des classes sociales qui peuvent être très différentes les unes des autres (par exemple, les indépendants et les travailleurs), mais elles ont toutes en commun que leurs destins respectifs sont opposés aux destins de la classe dirigeante.
Les populismes sont le fruit d’un malaise social qui a mûri en l’absence de l’autonomie prolétarienne, de la fonction éducative de la lutte des classes. Les populismes ne peuvent être qu’interclassistes dans leur praxis et leur identité sociale.
Trouver une solution au malaise qui tienne compte des intérêts des différentes classes au nom du peuple est leur vocation. Sur cette base, les initiatives socio-économiques des gouvernements actuels (qu’ils soient populistes ou libéraux) ne peuvent surprendre : croisades contre la pauvreté mais sans le moindre soupçon de redistribution des revenus, tons de défense acharnée des couches salariées mais sans toucher aux profits, coupes dans les garanties sociales…etc.
Il n’est pas certain, cependant, que le phénomène du populisme ne soit voué qu’à une éphémère saison de victoires. Il a de son côté la difficulté et le temps qui tentent de restaurer une présence « sociale-démocrate » renouvelée capable de soustraire aux populismes la représentation d’un malaise de classe avec une politique réformiste qui ne se paralyse pas face aux revendications redistributives et à la réduction de la part de la richesse sociale accaparée par le capital et la bourgeoisie.
Les réponses de la gauche « alternative » (extrême gauche et ultra gauche) sont un mélange de protectionnisme localiste et de dimensions éthico-culturalistes qui fondent rapidement face au « feu » des rapports de force actuels entre classes et conflits. Ils ont peur de la colère prolétarienne et des formes de résistance armée et directe que se donnent les peuples opprimés. Cette gauche « alternative » minimise ou réduit l’espace des composantes des travailleurs précaires et ouvirer dans les structures intermédiaires (syndicats, associations, etc.). C’est une gauche élitiste et arrogante qui méprise fondamentalement le prolétariat. Consciemment ou inconsciemment, elle est elle-même un phénomène qui incite à la réaction populiste.
Il n’existe pas de recettes toutes faites pour promouvoir une stratégie visant à briser la cage du souverainisme-populisme, mais il est clair que nous ne pouvons pas parler d’un mouvement marginal. Il existe un espace politique et électoral pour les populismes, ils ne sont pas la réponse aux contradictions du capitalisme, ils en sont le produit.
Anita. G
1 Gouvernements centraux, banques mondiales, etc.
2 Ceux qui atteindront et dépasseront cette capacité d’auto-action seront le mouvement partisan russe et Jusolslav.
3 Nous prenons délibérément les États-Unis comme exemple, car ils constituent une force impérialiste hégémonique et représentent donc une « tendance générale ».