supernova n.7 2024
Le texte inédit que nous publions ici fut écrit en 1980 par (1908-1991), mathématicien et philosophe des sciences, militant marxiste-léniniste italien. L’une de ses œuvres les plus connues en France est: Galilée, Editions Seuil
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Avant d’élaborer et de présenter les grandes lignes de la conception de la science qui peut, à mon avis, être adoptée par la classe ouvrière aujourd’hui, il convient de commencer le propos par quelques fondamentaux concernant les deux grandes conceptions élaborées par la classe bourgeoise au cours des siècles passés et d’en analyser les différences. Il sera alors facile d’indiquer les raisons pour lesquelles la classe ouvrière ne peut admettre ni l’une ni l’autre de ces conceptions, et de faire émerger les nouvelles caractéristiques qu’elle sera amenée à attribuer à la science.
La première conception que nous souhaitons mentionner est celle des scientifiques et des philosophes des Lumières (reprise ensuite par une grande partie des positivistes du XIXe siècle), caractérisée par la foi qu’ils nourrissaient dans la valeur absolue des principes scientifiques : une valeur garantie, selon eux, par l’évidence des principes eux-mêmes ou par les processus inductifs découlant de l’expérience.
Pour eux, la science était alors considérée comme la connaissance absolue du monde dans sa globalité, elle devait donc avoir, au moins dans une certaine mesure, un caractère non sectoriel, et en effet, les recherches de plusieurs grands scientifiques du XVIIIe siècle s’étendaient d’un secteur du monde à l’autre, c’est-à-dire d’une discipline à l’autre, disciplines souvent assez éloignées les unes des autres (un exemple typique est Maupertuis, qui était à la fois mathématicien, astronome, physicien et même biologiste).
En ce qui concerne les relations entre la science et la société, il faut distinguer deux niveaux : le pratique et l’idéal. Au premier niveau, ces relations sont restées très ténues, car à côté des grands programmes baconiens (la nature ne peut être dominée que par ceux qui en connaissent les lois, c’est-à-dire uniquement par le savant), la science des Lumières n’avait que peu de liens avec la technologie de l’époque, de sorte qu’elle ne pouvait que très peu contribuer au développement des ressources pratiques de la société.
En revanche, il faut dire le contraire du niveau de l’idéal ; en effet, les succès de la science (l’astronomie, par exemple) ont apporté une contribution fondamentale au renouvellement de la conception de l’univers (abandon de l’image aristotélicienne du monde « fermé » et son remplacement par l’image newtonienne, abandon de la chronologie biblique en ce qui concerne l’âge de la terre, etc. ), ainsi que la critique définitive de certaines visions superstitieuses transmises depuis des siècles, voire des millénaires (concernant, par exemple, l’apparition des comètes, considérées comme des signes prémonitoires de graves malheurs : guerres, pestes, tremblements de terre).
Ce n’est pas sans raison que la classe bourgeoise, qui se préparait à remplacer les anciennes classes dirigeantes (noblesse et clergé) à la tête de la société, aimait présenter ses conquêtes scientifiques comme ayant une valeur absolue, afin d’en faire un point de référence certain dans les batailles, et pas seulement idéales, qu’elle s’apprêtait à mener contre les structures politiques et sociales du passé.
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La deuxième grande conception de la science élaborée par la bourgeoisie remonte au 19e siècle et est due en grande partie au coup sévère que les développements de la science elle-même ont porté à la foi des Lumières en la valeur absolue des principes scientifiques.
D’une part, il suffit de rappeler l’importance, non seulement mathématique mais aussi philosophique, de la découverte de la géométrie non euclidienne (découverte qui a démontré l’impossibilité de considérer les axiomes d’Euclide comme évidents et immuables), et, d’autre part, l’importance non des moindres, de la découverte de sérieuses lacunes au sein du système newtonien (lacunes liées aux notions d’espace absolu, de temps absolu et du mouvement absolu, que Newton avait placées à la base de son célèbre ouvrage de 1687).
C’est précisément l’abandon de cette foi dans l’absolu des principes scientifiques qui a conduit un grand nombre de philosophes et de scientifiques, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à construire une nouvelle vision de la science pour remplacer celle des Lumières.
Selon cette nouvelle conception, les théories scientifiques ne devaient plus être considérées comme des systèmes de vérité mais simplement comme des systèmes de conventions dépourvus de véritable valeur cognitive. La conception de la science élaborée par la bourgeoisie du XIXe siècle diffère également sur un autre point par rapport à la conception des Lumières.
Alors que cette dernière possédait, ou visait à posséder, un caractère d’universalité, la science du XIXe siècle est principalement orientée vers la spécialisation. Ainsi, le chercheur individuel, du moins dans la majorité des cas, circonscrit son propre champ de recherche en le privant de tout engagement philosophique général ; il développe des méthodes d’investigation spécifiques à ce champ, et va même jusqu’à construire des langages différents d’une théorie scientifique à l’autre.
Il ne s’agit pas ici de nier les avantages de la spécialisation (qui était l’une des caractéristiques principales de l’enseignement dispensé à l’Ecole Polytechnique de Paris, créée par la Révolution française) ; mais nous voulons souligner qu’elle donnait à la recherche scientifique la plus avancée de l’époque une dimension nettement différente de celle de la science des Lumières. Et l’on ne peut s’empêcher de mentionner l’existence d’un certain parallélisme entre la subdivision de la recherche scientifique, caractéristique de l’époque que nous examinons, et la subdivision toujours plus accentuée du travail qui a commencé à se répandre à cette époque, pour s’imposer ensuite de façon massive à la fin du siècle étudié (le XIXe siècle) et au début du nôtre.
Il ne faut pas non plus penser que les deux caractéristiques de la science du XIXe siècle décrites dans ce paragraphe sont totalement indépendantes l’une de l’autre. En effet, si nous acceptons l’interprétation de la science comme une activité qui n’est pas en lien avec l’acquisition de connaissances, mais purement conventionnelle, il devient presque logique de conclure que les sciences individuelles constituent des constructions spécialisées, quasi sans relations réciproques, précisément parce qu’elles sont basées sur des conceptions qui diffèrent d’une construction à l’autre.
Et inversement, si l’on admet que la science est divisée en autant de domaines distincts, chacun enfermé dans ses propres limites avec son propre langage, il devient alors évident de conclure que les différentes découvertes scientifiques n’ont aucune valeur cognitive (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas destinées à nous faire saisir le monde qui nous entoure de manière exacte et précise), mais qu’elles ne sont que le résultat de différentes conventions qui sous-tendent les différents langages. De cette manière, elles apparaîtront comme substantiellement dépourvues de tout intérêt philosophique, et les « véritables philosophes » pourront à leur tour marginaliser complètement la science de la culture.
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Quelle a été la position du marxisme par rapport aux deux conceptions de la science abordées dans les paragraphes précédents ? Il faut immediatement dire que ce n’était certainement pas une position d’indifférence, mais une position de polémique franche et ouverte, avec la ferme conviction que toutes les luttes culturelles, et en particulier celles qui concernent le sens de la science, ne constituent pas un chevauchement avec les luttes de nature économico-politique.
Selon le marxisme, en effet, c’est précisément la connaissance scientifique qui a pour tâche de fournir au prolétariat les outils nécessaires pour planifier et diriger le processus révolutionnaire qui devra transformer les structures de la société moderne. Je ne juge pas nécessaire – puisque les arguments sont bien connus – de mentionner les raisons pour lesquelles les classiques du marxisme ont adopté une position ouvertement critique à l’égard de la conception des Lumières de la science. Ils ont volontiers reconnu la contribution de cette conception à la démolition de la vieille métaphysique et des mythes religieux traditionnels, mais ils ont tout aussi franchement reconnu le danger inhérent à la prétention d’attribuer une valeur absolue aux principes scientifiques.
Selon les classiques du marxisme, cette revendication était parfaitement justifiable du point de vue de la société bourgeoise, qui voulait s’appuyer sur le caractère présumé absolu de ces principes pour soutenir le même caractère absolu des principes civils et sociaux qu’elle opposait à ceux de la société féodale (pensez à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclamée par la Révolution française). Elle ne sera plus acceptable pour la classe ouvrière, dont la tâche principale sera de renverser l’ordre politique, économique et culturel établi par la bourgeoisie.
En ce qui concerne les raisons pour lesquelles les classiques du marxisme ont adopté une position aussi sévère à l’égard de la seconde conception de la science évoquée précedemment, il suffira de mentionner, d’une part, la critique d’Engels de la tendance à la spécialisation de la science qui caractérisait – comme nous l’avons déjà mentionné – cette conception, en l’opposant à l’universalisme des Lumières, et, d’autre part, la critique de Lénine du danger d’une interprétation conventionnelle prédominante de la science.
a) Engels s’est penché à plusieurs reprises sur le sujet susmentionné, dénonçant ouvertement les travers du spécialisme, dans la mesure où il pensait deceler la raison du désintérêt de nombreux scientifiques de son époque pour les problèmes philosophiques : un désintérêt qui leur faisait croire au « devoir » – pour le scientifique authentique – de se débarasser de toute philosophie (en réalité, Engels dans la Dialectique de la nature souligne avec une grande vigueur polémique, « ceux qui vitupèrent le plus la philosophie sont précisément esclaves des pires restes vulgarisés des pires doctrines philosophiques ») ;
b) Lénine a consacré son principal ouvrage philosophique, Matérialisme et empiriocriticisme, à la critique des épistémologues les plus célèbres de l’époque qui, pour s’opposer à la conception absolutiste (des Lumières) de la science, en sont venus à interpréter les théories scientifiques comme de simples conventions. La raison de cette obstination peut se résumer ainsi : Lénine s’est rendu compte que les thèses de ces épistémologues conduisaient, si elles étaient poussées jusqu’à leurs conséquences extrêmes, à de nouvelles formes d’idéalisme, d’autant plus redoutables qu’elles étaient apparemment liées aux formes les plus avancées et les plus sophistiquées de la recherche scientifique.
Il y avait une autre raison : Lénine avait l’impression que les thèses susmentionnées impliquaient en fin de compte un rejet non seulement de la science mécaniste, contre laquelle elles étaient apparemment dirigées, mais de la rationalité en général. En effet, aujourd’hui encore, il est difficile de dénier à la science tout sens cognitif sans tomber dans une forme plus ou moins ouverte d’irrationalisme ; la preuve en est que le travail critique des épistémologues étudiés par Lénine (Mach, Poincaré, Duhem, etc.) a souvent été interprété comme un pilier de la soi-disant « crise de la science » invoquée à l’appui de leurs thèses par l’ensemble des philosophes irrationalistes du début de notre siècle. Les critiques, parfois non dénuées de grossièreté, que Lénine a formulées à l’encontre des épistémologues distingués submentionnés, provenaient de sa profonde conviction que l’irrationalisme constituait toujours un danger insidieux pour les mouvements révolutionnaires, même lorsque certains partisans de cet irrationalisme se présentaient (peut-être de bonne foi) comme des ennemis de la conservation et du modérantisme.
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Sur la base du rejet par les classiques du marxisme des deux plus célèbres conceptions de la science élaborées par la classe bourgeoise au cours des siècles passés, certains ont imaginé que la classe ouvrière devait s’opposer non seulement à ces conceptions, mais à la science elle-même. Les raisons spécieuses généralement avancées à l’appui de cette thèse sont diverses ; il suffit d’en rappeler deux :
(a) la science moderne (celle qui est née avec la révolution galiléenne) peut être considérée comme un produit de la classe bourgeoise qui commençait à augmenter son poids social au XVIIe siècle, de sorte qu’à partir de là, il y a eu une sorte de parallélisme entre le développement de la science et l’avancée de la bourgeoisie ;
(b) la science moderne, avec ses applications techniques de plus en plus nombreuses, est le principe générateur de la grande industrie, elle est donc à l’origine de l’exploitation du travailleur qui a lieu au sein de cette industrie : il faut donc lutter contre cette exploitation.
Il est facile de répondre au premier type d’argument en observant que non seulement la science, mais aussi la philosophie moderne, la littérature moderne, etc. ont été profondément liées au développement de la classe bourgeoise au XVIIe siècle et aux siècles suivants ; d’autre part, il ne serait pas logique de s’étonner que des phénomènes superstructurels aussi importants se soient développés en relation étroite avec les transformations structurelles de la société à cette époque. Pourquoi alors condamner, au nom de ce lien, la science et ne pas condamner de la même manière la philosophie moderne, la littérature moderne, etc.
Mais le problème serait ici élargi à l’extrême, revenant à se demander si la classe ouvrière doit, pour imposer sa suprématie, s’opposer à tous les acquis des cultures antérieures.
Il est bien connu que Lénine s’est vigoureusement opposé à une telle affirmation, soutenant au contraire que la nouvelle culture prolétarienne devra assimiler les réalisations de la culture bourgeoise, la dépasser, et non pas revenir à une culture primitive.
La réponse au deuxième argument contre la science présenté ci-dessus est plus complexe. Que la science, avec ses innombrables applications, soit le principe générateur de la grande industrie est un fait incontestable. Mais est-il vraiment légitime de penser que la classe ouvrière soit prête à renoncer à la grande industrie et aux avantages qu’elle a apportés au mode de production actuel ?
Est-il possible de penser qu’elle lutte pour faire reculer la société moderne, pour la ramener au niveau d’une société pastorale ou agraire ? De facto,tous les efforts des peuples de notre siècle qui ont lutté et luttent encore pour réaliser une forme, parfaite ou imparfaite, de socialisme, prouvent incontestablement le contraire.
Une analyse sans scrupule et réaliste de la science telle qu’elle se présente nous montre que les découvertes scientifiques d’aujourd’hui ne constituent pas quelque chose né de nulle part, comme quelque chose qui existerait en dehors de l’histoire : à proprement parler, toute découverte scientifique incorpore en elle le travail théorique et pratique de générations en générations, un travail de recherches parfois fructueuses et parfois infructueuses, d’applications tentées avec plus ou moins de succès, de débats qui peuvent être âpres.
Si l’on n’a pas à l’esprit ce patrimoine accumulé petit à petit au prix de durs labeurs, on ne peut comprendre la dynamique de la science, on ne peut comprendre ce qu’elle représente pour l’humanité. En particulier, on ne comprend pas ce qui différencie le développement de l’entreprise scientifique du développement des autres entreprises culturelles.
Or, la classe ouvrière, qui connaît directement la complexité du travail dans le monde moderne, si différent de celui qui était effectué sous des formes simples et presque toujours identiques à l’époque préindustrielle, est parfaitement capable de comprendre l’importance du processus d’incorporation que nous venons d’évoquer. Elle n’est pas non plus disposée à refuser le statut de travail au travail scientifique, qui intègre à la fois la recherche théorique, expérimentale et appliquée, au seul motif qu’il est plus complexe que le travail purement manuel de l’époque pré-scientifique. Et elle est encore moins disposée à jeter par-dessus bord le patrimoine d’acquisitions accumulé par ce travail, simplement parce que les générations qui ont contribué à le constituer par des siècles de labeur opéraient dans des sociétés régies par des institutions que nous jugeons aujourd’hui, à juste titre, injustes et inhumaines.
Pour la classe ouvrière, le véritable problème ne sera donc pas d’effacer ce patrimoine, mais de l’employer sous une nouvelle forme, c’est-à-dire de faire en sorte que les conquêtes obtenues grâce à la croissance séculaire de ce patrimoine ne soient plus utilisées au profit exclusif d’un groupe restreint de personnes.
En d’autres termes, il s’agira de le mettre au service de l’ensemble de la communauté. Mais en même temps, il s’agira de faire en sorte que l’ensemble de la communauté participe, consciemment et pas seulement de facto, à sa construction, c’est-à-dire qu’elle comprenne que la construction de ce patrimoine est – directement ou indirectement – son œuvre et pas seulement celle de quelques « initiés ». Évidemment, cette démocratisation radicale de l’entreprise scientifique n’est pas une tâche facile, qui peut être réalisée sans rencontrer d’obstacles. Mais le premier obstacle, peut-être le plus sérieux, est le préjugé selon lequel la classe ouvrière doit a priori considérer la science comme son adversaire.
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Pour résumer l’exposé de notre analyse dans les premiers paragraphes, nous pouvons pour l’instant retenir les trois points suivants :
(a) la classe ouvrière ne peut pas ignorer le phénomène de la « science » qui est au coeur du développement de la société moderne et qui affecte profondément à la fois ses moyens de production et sa culture ;
b) elle ne peut accepter aucune des deux principales conceptions de la science élaborées par la classe bourgeoise depuis l’époque de Galilée, c’est-à-dire qu’elle ne peut accepter ni la conception absolutiste élaborée par les Lumières ni la conception conventionnaliste élaborée par les soi-disant « critiques de la science » de la fin du siècle dernier et du début du nôtre ;
c) il s’agira donc d’en élaborer une nouvelle, qui échappe aux défauts des deux précédentes et permette d’introduire un esprit plus ouvert, plus démocratique dans l’organisation même de la science, la libérant de l’accusation de n’être qu’un instrument d’exploitation toujours plus grande de la classe ouvrière.
Quel doit être l’élément central de cette nouvelle conception ? L’analyse effectuée à cet égard par le matérialisme dialectique nous indique que cet élément central devra consister en la reconnaissance de la valeur cognitive (bien que relative) de la science. La première conséquence à en tirer est que la classe ouvrière ne renoncera nullement au patrimoine cognitif que constituent les acquis de la science (acquis théoriques et acquis pratiques) ; mais – et c’est là la deuxième conséquence – elle refusera de le considérer comme constitué de vérités absolues et immuables.
En particulier : elle refusera de considérer comme immuable la structure de ce patrimoine, structure qui lui a été imposée par les exigences de la classe qui a dominé notre société jusqu’à présent, et qui peut (voire doit) être modifiée lorsque cette classe sera remplacée par la classe ouvrière.
Ne pensez pas que la démocratisation de la science, à laquelle nous avons fait allusion dans le paragraphe précédent, en la désignant comme l’un des principaux objectifs de la transformation radicale de la science à réaliser par la révolution ouvrière, ne concerne que le domaine de ses applications techniques. Elle concerne la science dans son ensemble, c’est-à-dire considérée comme une unité dialectique dont chaque secteur affecte tous les autres secteurs.
Le caractère spécifique de l’entreprise scientifique, tel qu’il ressort de l’analyse effectuée par le matérialisme dialectique, est celui de sa complexité ; une complexité qui nous empêche de considérer les réalisations de la science comme uniquement dictées par la réalité objective, qu’elles parviennent à nous faire saisir de plus en plus profondément, et qui, en même temps, nous interdit de les considérer comme autre chose que le produit du sujet humain (individuel ou social). Précisément parce qu’elle est directement impliquée dans la production, la classe ouvrière est bien consciente du caractère objectif et subjectif du principal facteur de production, à savoir le travail (dont le résultat dépend, de toute façon, de la nature de la matière objective sur laquelle il est travaillé et de notre façon de le travailler).
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La défense de la thèse selon laquelle les processus cognitifs, et donc aussi les processus scientifiques, ne parviennent jamais à des résultats définitifs et absolument valides, a conduit le matérialisme dialectique à abandonner l’ancienne représentation continue de la croissance de la science, en accord partiel sur ce point avec Kuhn, Popper et d’autres épistémologues post-positivistes anglo-saxons bien connus.
Alors que l’ancienne représentation de ce développement, fondée essentiellement sur la conception de la science des Lumières, l’interprétait comme un processus cumulatif consistant à ajouter des vérités toujours nouvelles à celles déjà acquises, la nouvelle vision l’interprète comme un processus beaucoup plus compliqué, loin d’être linéaire, souvent tortueux et conflictuel.
Cependant, contrairement aux épistémologues anglo-saxons cités, le matérialisme dialectique fonde son interprétation non linéaire du développement de la science non seulement sur des arguments théoriques, c’est-à-dire sur la non-absoluité reconnue des principes scientifiques, mais aussi sur la thèse (mentionnée dans la partie précédente) du caractère global de l’entreprise scientifique, qui implique l’inséparabilité du développement de la science dite pure et de celui de la technologie.
C’est précisément cette thèse qui a permis au matérialisme dialectique de souligner, plus que jamais, l’importance des liens entre le développement de l’entreprise scientifique et celui de la société dans son ensemble, incluant notamment le développement des forces productives.
En considérant ce qui vient d’être abordé, nous pouvons approfondir un sujet que nous avons déjà abordé dans les paragraphes précédents. La reconnaissance des liens très étroits qui existent entre le développement de l’entreprise scientifique et celui des forces productives, ce qui nous permet en effet de comprendre – sans que cela soit scandaleux – pourquoi la science, sans perdre sa fonction cognitive, a été directement conditionnée à l’époque moderne par le développement du capital.
D’une part, les progrès du capitalisme, favorisant l’émergence de nouveaux besoins, ont puissamment incité à la recherche de nouvelles techniques capables de les satisfaire, et par conséquent au développement des pans de la science qui pouvaient contribuer plus directement à la construction de ces techniques. D’autre part, le renforcement du patrimoine scientifique et technique a toujours fourni de nouveaux outils pour le développement de la production, de sorte que la science elle-même a pris le caractère d’une véritable force productive. Et tant que la production était – et est encore, au moins dans une large mesure – entre les mains du capitalisme, elle a fait de la science une force directement liée au processus capitaliste. Compte tenu de ce qui vient d’être énoncé, on peut admettre sans difficulté que le développement du capital a exercé une influence si forte sur le développement de la science qu’il en a modifié les catégories mêmes : par exemple, celles de l’énergie, de la causalité, de la race (en biologie), etc. Cela ne nous autorise cependant pas à faire de la science un simple produit du capital ; cela ne l’a pas privée de sa finalité spécifique (qui reste celle de nous faire connaître, bien que de façon relative, le monde objectif). Cela n’autorise pas pour autant à faire de la science un simple produit du capital ; ce dernier n’a pas pu la priver de son but spécifique (qui reste de nous donner une connaissance, même relative, du monde objectif), mais s’est borné à orienter cette connaissance vers certains secteurs du monde plutôt que d’autres. Et c’est précisément le fait de privilégier ces secteurs qui a obligé les scientifiques à mettre à jour les catégories particulièrement adaptées à leur étude, ce qui implique que d’autres catégories seront modifiées lorsque l’utilité d’aborder l’étude d’autres secteurs du monde apparaîtra.
L’avènement de la classe ouvrière à la direction de la société permettra, bien entendu, un développement plus large des besoins humains, car elle prendra également en compte ceux avancés par de nouveaux groupes de personnes auparavant en marge de la société elle-même. Les scientifiques se sentiront donc obligés de consacrer leurs investigations également à des secteurs du monde jusqu’alors négligés ou en tout cas peu considérés, et enrichiront à cette fin le patrimoine très catégoriel des théories scientifiques.
On peut donc parler de la naissance d’une nouvelle science, dotée de nouvelles catégories, de nouveaux modèles explicatifs et d’une nouvelle structure organisationnelle. S’il est vrai que le capitalisme a réussi à s’approprier la science au cours des derniers siècles, il n’y a pas de raison que cette appropriation reste inchangée à l’avenir.
Précisément parce que la science ne constitue pas un phénomène en soi, séparable de l’histoire de la société, il est naturel qu’elle subisse de profonds changements lors du passage du régime de production capitaliste au régime socialiste. Si, dans les pages précédentes, nous avons parlé de « démocratisation » de l’entreprise scientifique, c’est parce que nous pensons aux effets qui se produiront lorsqu’elle ne sera plus dirigée par la classe restriente des capitalistes, mais par l’ensemble des travailleurs.
Cela ne signifie pas qu’elle cesse d’être une construction rationnelle, voire la plus haute expression de la rationalité humaine, à condition toutefois de ne pas attribuer au terme « rationalité » un sens rigide et métahistorique. En effet, un examen scrupuleux du passé nous montre que le concept de rationalité a subi de profondes mutations au cours des siècles : pensons par exemple à l’élargissement qu’il a connu avec la substitution de la méthode expérimentale au simple enregistrement passif de données d’observation, ou avec le recours au calcul des probabilités pour la mathématisation des théories scientifiques.
Ces changements n’ont pas entraîné une diminution de la rigueur, mais un enrichissement des processus argumentatifs. Et tout porte à croire que cet enrichissement ne cessera de croître lorsque la démocratisation effective de la science impliquera la contribution de toutes les couches les plus conscientes des travailleurs et pas seulement des soi-disant spécialistes.
Comme nous le savons, la critique des épistémologues modernes les plus pointus nous a appris à nous affranchir de l’affirmation (de la lignée des Lumières) selon laquelle les principes de la science ont une valeur absolue et inaltérable. De même, la philosophie ouvrière (c’est-à-dire le matérialisme dialectique) nous apprend à nous libérer de la prétention que le concept de rationalité scientifique constitue quelque chose d’absolu.
La fonction la plus importante qui incombe à la classe ouvrière, lorsqu’elle entrera en pleine conscience dans l’entreprise scientifique, consistera précisément à se libérer du dogme métaphysique de la fixité du concept de rationalité. Nous éviterons ainsi la tentation de nous rebeller contre ce dogme en nous abandonnant à l’irrationalisme, et nous nous rendrons compte que pour faire progresser notre civilisation, nous ne devons pas nier la raison, mais nous efforcer de l’approfondir, au sens que Lénine attribue à la notion d’approfondissement.
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Ce qui a été dit en général pour les sciences mathématiques-naturelles peut être répété, à peu près dans les mêmes termes, pour les sciences dites humaines. Nous nous limiterons ici à la sociologie, dont les fondements remontent, comme chacun sait, au début du 19ème siècle, avec l’œuvre du père du positivisme français, Auguste Comte. A vrai dire, beaucoup se demandent aujourd’hui si Comte a réellement réussi à donner à la sociologie, comme il le croyait, un caractère véritablement scientifique, car il y a de bonnes raisons de penser que sa sociologie était en fait une philosophie ; cependant, il est indéniable que c’est à partir de lui que les recherches sociologiques se sont multipliées et ont pris de plus en plus de poids, assumant à une époque récente un aspect strictement technique, de plus en plus proche de celui des sciences naturelles.
Ce caractère consiste à se présenter comme un ensemble de théories, logiquement structurées, capables de fournir une interprétation cohérente et fidèle des données recueillies par une observation attentive et systématique.
En nous réservant le droit de revenir dans un instant sur les rapports entre la classe ouvrière et les sciences sociales, nous voudrions mentionner une raison qui nous autorise à considérer avec une grande suspicion la prétention de Comte à avoir donné un cadre scientifique à la recherche sociale. L’idée principale de Comte était la suivante : le passage de nos connaissances de la société du niveau pré-scientifique au niveau scientifique conduira automatiquement à la création de nouvelles institutions civiles en accord avec les résultats de la recherche théorique. En d’autres termes, l’élaboration de conceptions rationnellement précises des problèmes sociaux (auparavant laissés à l’improvisation et à la fantaisie personnelle de chaque politicien) suffira à mettre fin à l’anarchie régnant entre les peuples et entre les individus et à initier une société juste et ordonnée. Le caractère idéaliste et conservateur de cette approche des problèmes est évident et justifie largement nos soupçons à l’égard de la sociologie comtienne.
Pour l’expliciter, il suffit de réfléchir aux conclusions que Comte a cru y voir : le progrès de la société est possible tant que la tâche d’y parvenir est confiée à des personnes compétentes, c’est-à-dire tant que les techniques utilisées à cette fin ne sont pas simplement empiriques mais fondées sur une connaissance scientifique rigoureuse des problèmes traités. Même si les études sociologiques ont largement dépassé le niveau philosophique plutôt que scientifique de la sociologie corntienne, on ne peut nier que quelque chose de l’approche décrite ci-dessus a survécu, au moins sous la forme d’une foi parfois peu critique dans le pouvoir (non seulement théorique mais aussi pratique) de la recherche sociologique si elle est menée avec une véritable rigueur scientifique, c’est-à-dire à l’aide des techniques les plus raffinées largement utilisées par la physique moderne (utilisation de méthodes statistiques, de modèles cybernétiques, etc.) Face à cette thèse, qui est loin de manquer d’attrait, le matérialisme dialectique se voit dans l’obligation de faire d’abord un travail d’analyse minutieux, en distinguant clairement deux thèses que celle-ci comporte. La première consiste à soutenir qu’un examen scientifique minutieux des phénomènes sociaux (basé, comme nous l’avons dit, sur les méthodes les plus modernes que nous offrent les mathématiques appliquées) constitue une condition préalable indispensable à une compréhension approfondie de ces phénomènes et donc à une intervention efficace sur ceux-ci. La seconde thèse, en revanche, consiste à soutenir qu’un tel examen serait seul à même de nous fournir la solution aux problèmes considérés.
La classe ouvrière, bien consciente de l’importance de la science et de la technologie dans les processus de production modernes, est sans doute disposée à accepter la première des deux thèses susmentionnées ; elle ne trouve pas acceptable la seconde, dans laquelle elle voit les défauts (d’idéalisme et de conservatisme) que nous avons déjà signalés à propos de l’approche de Comte. Elle sait très bien, par expérience directe, qu’aucune réforme radicale de la société n’a jamais été réalisée sans de très dures luttes, qui se sont déroulées non seulement sur le plan des idées mais aussi sur le plan de la réalité (économique, politique, militaire).
Si certains chercheurs ont l’impression que la classe ouvrière nourrit souvent une méfiance mal dissimulée à l’égard de toutes les recherches sociologiques actuelles, c’est uniquement parce qu’il y a souvent une confusion flagrante entre les deux thèses mentionnées ci-dessus. Et ceux qui font cette confusion sont précisément les sociologues les plus étroitement liés à la classe capitaliste, qui ne sont que trop heureux de lancer aux véritables révolutionnaires l’accusation de ne pas comprendre les mérites réels de la rationalité scientifique.
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L’un des plus grands scientifiques de la seconde moitié du XIXe siècle, le mathématicien et physicien Bernard Riemann, déplorait que les progrès de la connaissance soient souvent entravés par les « opinions trop étroites » que nous héritons des générations précédentes; pour étayer son propos, il évoquait alors notamment les « préjugés qui nous sont malencontreusement transmis par le langage », préjugés qui constituent comme un “dangereux diaphragme” entre nous et l’expérience.
Je souhaitais faire référence à cette profonde réflexion de Riemann, car elle nous aide à comprendre la position particulière que la classe ouvrière possède aujourd’hui par rapport à la science. Si la classe ouvrière est clairement désavantagée par rapport à la classe bourgeoise en raison de la supériorité culturelle incontestable de cette dernière, elle est incontestablement avantagée en étant beaucoup moins soumise au conditionnement mentionné par le grand scientifique allemand. D’où sa capacité à aborder le problème du sens et de la valeur de la science avec une ouverture d’esprit beaucoup plus grande que celle que l’on trouve couramment chez les spécialistes universitaires de l’épistémologie. Ces derniers, par exemple, se montrent remarquablement réticents à admettre que la connaissance scientifique peut présenter à la fois les deux caractéristiques d’objectivité et de non-absoluité que la philosophie traditionnelle considérait comme incompatibles. La classe ouvrière, en revanche, n’éprouve aucune difficulté à admettre ce fait, précisément parce qu’elle ne ressent pas du tout, ou très peu, le poids de cette tradition philosophique.
Au contraire, elle est spontanément amenée à considérer les deux caractéristiques susmentionnées comme conciliables, parce qu’elle est habituée, dans son travail, à reconnaître la validité de certaines techniques sans pour autant prétendre qu’elles sont immuables ou irremplaçables par d’autres plus performantes. Une situation similaire se répète face à d’autres problèmes fondamentaux dont la solution rencontre, toujours pour la même raison, beaucoup moins de résistance de la part de la mentalité ouvrière, rendue ductile par son travail quotidien, que de la mentalité académique attachée aux vieux schémas. On pense, par exemple, aux difficultés soulevées par la thèse de l’unité dialectique entre la praxis et la théorie, ou à celles soulevées par la prise de conscience qu’il n’existe pas de méthode scientifique unique, de sorte que, dans le développement de la recherche, on rencontre plusieurs méthodes, souvent très différentes les unes des autres, mais toutes dotées d’une égale valeur scientifique.
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Une considération à part doit être élaborée concernant ce que l’on appelle la science de l’organisation du travail. S’il est vrai que ce type de science suscite effectivement une grande méfiance de la part de la classe ouvrière, cette méfiance apparaît loin d’être injustifiée si l’on considère que, dans la majorité des cas, la science en question semble n’avoir d’autre but que d’accroître les profits des patrons. Ici, cependant, une réflexion critique quelque peu attentive s’impose. Elle nous amènera à distinguer, dans ce qu’il est convenu d’appeler la science de l’organisation, deux aspects qui ne doivent pas être confondus l’un avec l’autre.
L’une d’entre elles concerne réellement l’organisation du travail, c’est-à-dire la coordination des tâches confiées aux différents travailleurs, coordination qui ne peut être laissée au hasard sous peine de répéter inutilement la même opération et de gaspiller des énergies. Une répartition plus rationnelle de ces tâches aura pour effet de diminuer la fatigue des individus, de maintenir la production à son même niveau ou de l’augmenter. Il est bien connu que cet objectif n’est en rien contraire à l’intérêt des travailleurs, qui se plaignent seulement de ne pas être consultés à ce sujet, alors qu’ils observent à juste titre qu’ils seraient mieux placés que d’autres pour faire des suggestions efficaces à cet égard, précisément parce qu’ils sont en contact plus direct avec les processus de travail et peuvent donc tenir compte de tous les facteurs qui interviennent dans ces processus (en premier lieu le facteur « humain »). Un autre aspect, en revanche, concerne les moyens à adopter pour réduire autant que possible le temps que les travailleurs consacrent à l’exécution d’un travail donné, sans se soucier de l’état de frustration que ce travail peut engendrer chez eux et des conséquences que cet état de frustration peut avoir sur leur santé physique et mentale.
Il est clair que la recherche de ces dispositifs ne mérite pas le qualificatif de scientifique, car elle ne prend pas en compte toutes les variables du problème ; elle néglige en particulier le facteur « humain » (avec toutes ses caractéristiques, bien différentes de celles de la machine !), comme s’il s’agissait d’un élément inessentiel du processus de production. La révolte des travailleurs contre ce deuxième type d’organisation du travail ne peut donc pas être interprétée comme une révolte contre la science, mais comme le rejet tout à fait justifié d’une fausse science. Il n’est même pas nécessaire de mentionner, car cela est bien connu, que le problème de l’organisation du travail s’est posé de manière particulièrement aiguë dans l’industrie moderne et qu’il prend une importance accrue au fur et à mesure que la taille de cette industrie s’accroît.
Elle était presque absente lorsque l’œuvre avait un caractère purement artisanal, car dans l’atelier de l’artisan, chacun était impliqué, avec la même conscience, dans le processus de production, de sorte qu’il pouvait le ressentir comme une expression de sa propre personnalité. Or, ce qui a disparu avec la grande industrie moderne, c’est précisément cette participation personnelle au processus de production dans son ensemble, un processus souvent ignoré par le travailleur qui doit seulement exécuter rapidement un petit nombre d’opérations sans même se rendre compte des fonctions qu’elles remplissent dans l’ensemble du processus de production.
Il s’ensuit que le problème du temps libre, pendant lequel le travailleur peut se consacrer à des occupations qui l’intéressent réellement, prendra de plus en plus d’importance. De ce point de vue, la réduction du nombre d’heures de travail dans la grande industrie, réduction rendue possible par l’organisation rationnelle du travail, peut devenir un facteur de grande importance pour l’enrichissement de la personnalité du travailleur individuel.
Il s’agit de problèmes caractéristiques de la phase actuelle de la société, des problèmes qu’ils nous plaisent ou non, mais que nous ne pouvons pas ignorer ou sous-estimer. Au contraire, nous devons les aborder avec une rigueur scientifique, c’est-à-dire en prenant scrupuleusement en compte tous les facteurs qui y sont impliqués. La classe ouvrière est la première à exiger qu’ils soient abordés avec une telle rigueur, reconnaissant l’impossibilité de les résoudre sur la base d’une simple bonne volonté. Mais précisément parce qu’elle y est personnellement impliquée, elle exige de participer directement à la recherche de solutions toujours plus satisfaisantes aux questions fondamentales qui se posent. La véritable démocratie à réaliser dans le monde du travail consiste précisément en cette participation ; mais c’est une démocratie que la société capitaliste ne veut pas, et dans un certain sens ne peut pas, accorder.
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A partir des considérations brièvement exposées dans les paragraphes précédents, nous pouvons conclure qu’il est absurde de parler d’une aversion préconçue de la classe ouvrière pour la science. Ce à quoi s’oppose la classe ouvrière n’est pas la rationalité scientifique, mais l’esprit anti-démocratique qui – dans la structure capitaliste de la société – se retrouve malheureusement dans une grande partie de la science pure et appliquée (y compris la science de l’organisation du travail), du fait même que la formulation des problèmes, le choix des méthodes appliquées pour les résoudre, la décision de s’attaquer à un problème plutôt qu’à d’autres sont confiés à un très petit nombre de personnes. La prétendue aversion de la classe ouvrière pour la science n’est rien d’autre qu’une fable inventée par la classe capitaliste afin de prétendre que la classe ouvrière est incapable de prendre la direction d’une société véritablement moderne. Cependant, la réalité est tout autre : la classe ouvrière lutte contre la structure antidémocratique empreinte à la science par la classe bourgeoise qui a jusqu’à présent tenu les rênes du pouvoir entre ses mains.
Ce que la classe ouvrière combat, ce n’est pas l’authentique rationalité , mais une image déformée et trompeuse de celle-ci ; elle la combat au nom d’une rationalité plus profonde, plus ouverte, plus consciente de sa fonction civilisatrice.